En guise de complément, il y a d’autres éléments problématiques :
– Le moins évident, mais le plus criant, et qui commence à se faire sentir dans les lycées et aussi dans les écoles, c’est la gestion « à l’élève près » : on ferme des classes ou des sections une année parce qu’il manque des élèves, on ne permet plus les dédoublements. Lorsque les effectifs augmentent, bizarrement, les « structures » qui, il y a quelques années encore, évoluaient aussi dans ce sens-là, sont bloquées, et on dit aux établissements : « débrouillez-vous avec les moyens qu’on vous a donnés ».
Au lycée, il y a deux types de filières : les filières « contingentées » (on dit « sélectives » dans parcoursup, mais c’est la même chose : cela concerne des filières très demandées ou où la partie technique/pratique nécessite de limiter le nombre d’élèves sur des TP), et les filières non contingentées, où un établissement est supposé accueillir tout le monde. Jusqu’à présent, si un établissement avait soudain une forte demande dans une filière non contingentée, on ouvrait une classe (mon établissement a ainsi régulièrement oscillé entre une et deux 1ères scientifiques). Le cas s’est produit plus récemment pour la filière littéraire, et on nous a mis face au dilemme suivant : accepter d’avoir 40 élèves dans une classe, ou refuser des élèves motivé.e.s par des options proposées exclusivement dans notre lycée (mais pas contingentées).
C’est visiblement la même logique qui domine désormais à l’université, où un effectif maximal est prévu partout, alors qu’avant, on créait des groupes de TD en plus (avec les moyens qui allaient avec).
– Dans les deux cas, on nous sort l’argument de « la fluidité des parcours », on nous explique que l’élève doit choisir un projet en adéquation avec ses capacités, au risque d’échouer. Quand je vois comme il est parfois difficile, en 2nde, de savoir ce que va donner la scolarité d’un(e) élève en première, et à quel point la motivation et le plaisir qu’il/elle aura à venir au lycée le matin sont déterminants, je m’interroge sur les critères des résultats scolaires, majoritairement retenus dans parcoursup, pour classer les candidat.e.s, faute de moyens humains pour lire et étudier les éléments qualitatifs (lettre de motivation, fiche avenir...) comme tu le disais.
La « fluidité des parcours », c’est un joli mot qui recouvre en réalité une violence inouïe qui est qu’on case les élèves/étudiant.e.s plus hésitant.e.s ou qui ont eu le malheur de vouloir se réorienter non pas où ils/elles veulent aller, mais là où il reste de la place. C’est l’élève qui doit être fluide... Ce sera aussi le cas avec Parcoursup et la fameuse commission supposée en bout de course proposer aux candidat.e.s qui n’ont eu que des « non » des places là où il en restera.
– cela nous amène au troisième point de friction de parcoursup, que tu évoques ci-dessus : APB avait beaucoup de défauts, et le tirage au sort n’était pas une solution acceptable pour les filières en tension. Mais l’algorithme qui soutenait le tout reposait sur le principe de l’amélioration maximale du vœu obtenu par rapport au classement établi par les candidat.e.s. Parcoursup ne fonctionne plus ainsi et ça va conduire à énormément d’orientations par défaut : ▻https://zestedesavoir.com/billets/2527/reflexions-sur-parcoursup
Certes, on se félicite au ministère que 458 376 candidat.e.s aient reçu au moins un « oui » parmi leurs vœux. Dans la plupart des cas, il s’agit de vœux par défaut. On peut s’en convaincre en voyant que 3 jours après le début de la moulinette seuls 82 377 élèves ont accepté une proposition. Dans le même temps, on a 30 000 jeunes sur le carreau (entre les « non » partout et celles et ceux qui ont déjà démissionné de la passerelle : futur.e.s services civiques, ou cadeau pour toutes les formations privées hors de prix).
– L’autre aberration, qui existait déjà avec APB, est que les candidats sont classé.es par « groupes » dans l’application. Pour avoir été aussi en commission de classement, cela signifie qu’on choisit les critères de sélection selon les groupes (par exemple, la filière d’origine). Si on a 24 places à attribuer pour une classe de BTS, on va par exemple classer les candidats en trois groupes (terminale générale et technologique, terminale bac pro, « autres ») et déterminer combien d’élèves on prendra dans chaque catégorie. Dans « autres », on va à la fois avoir des profils « fantaisistes », mais également des profils d’élèves très motivé.es, qui ont parfois fait une année d’étude dans le supérieur, ou qui se réorientent de façon pertinente. Sauf qu’on ne sait lesquel.les veulent véritablement venir dans la formation. Alors on limite le nombre de candidat.es qu’on accepte et qui viennent du groupe « autres ». Il n’y a qu’à lire les témoignages sur le Hashtag #parcoursup de twitter pour comprendre comment on interdit à cette génération le droit à l’erreur.
– ça panique sévèrement dans les lycées. Les jeunes sont plongé.es dans une angoisse pas possible juste avant le bac, sont souvent déçu.es, découragé.es. Ils et elles ont bien compris qu’on n’avait pas lu leurs belles lettres qu’il avait fallu pourtant écrire, en pesant chaque mot à cause de la limite de 1500 caractères. Beaucoup commencent à parler de redoubler pour pouvoir avoir mieux. Sauf que, cf premier élément évoqué ci-dessus, on ne pourra pas reprendre tout le monde.
– Enfin la dimension perverse du système est de dire en temps réel, jour après jour, à celles et ceux qui sont sur liste d’attente, combien de candidat.e.s il reste devant eux. Présenté comme un dispositif transparent et humain, cela induit le sentiment d’être mis en concurrence les un.e.s avec les autres, et augmente pour les candidat.e.s loin dans les listes d’attente le sentiment d’être nul.le. Encore une fois, les réactions sur Twitter sont éloquentes, avec les références grinçantes à Hunger Games, les propositions de désistement moyennant finance (sur le ton de l’humour, mais tout de même...). Finalement, c’est une guerre des nerfs qui est en train de se jouer, pour savoir qui renoncera en premier à ses vœux.