• Loi anticasseurs : la saisie du Conseil constitutionnel pose la question d’une utilisation politique
    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/03/12/saisie-du-conseil-constitutionnel-le-risque-d-une-utilisation-politique_5434

    Une conception bien particulière de la démocratie et de l’élaboration de la loi : se donner le beau rôle tout en verrouillant une voie de recours,…

    Ce n’est pas la première fois que le président de la République use de son droit de saisir le Conseil constitutionnel d’une loi pourtant défendue par son gouvernement et votée par sa majorité. Mais cela reste l’exception. Surtout, cette demande par le chef de l’Etat de la vérification d’un texte avant promulgation a pris un sens politique depuis l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (#QPC) par la réforme constitutionnelle de 2008.

    Le seul précédent était, à ce jour, celui de François Hollande avec le recours, en juin 2015, aux gardiens de la Constitution au sujet de la loi renseignement. L’objectif du chef de l’Etat avait été de faire taire les polémiques et critiques virulentes qui avaient entouré les débats sur ce texte, qui officialisait certaines pratiques occultes des services de renseignement en leur donnant des pouvoirs étendus en matière d’écoute, de surveillance des communications électroniques et de conservation des données personnelles. Le Conseil constitutionnel, alors présidé par Jean-Louis Debré, avait validé l’essentiel du texte, qui a ainsi pu être promulgué.

    Emmanuel Macron a donc fait savoir, lundi 12 mars, au gouvernement qu’il demanderait à l’institution aujourd’hui présidée par Laurent Fabius de vérifier la constitutionnalité de trois des articles les plus contestés de la proposition de loi anticasseurs : l’article 2 sur la possibilité de procéder à des fouilles, l’article 3 sur les restrictions de manifester et l’article 6 sur la création d’un nouveau délit de dissimulation du visage.

    « A l’évidence, il s’agit pour le président de la République de devancer les critiques et d’éviter une saisine parlementaire », explique le constitutionnaliste Olivier Duhamel. Selon lui, M. Macron retire un double avantage de cette démarche. « Un avantage politique : il se montre grand seigneur en respectant les voix critiques qui contestent la conformité de cette loi à nos grands principes. Et un avantage juridique, car quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, la loi, éventuellement amendée, s’appliquera de façon claire sans devoir affronter le risque des QPC. »

    La QPC permet à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel pour vérifier la conformité à la loi fondamentale d’un article de loi qui lui est opposé. A la condition que le collège de neuf membres de la rue Montpensier ne se soit pas déjà prononcé sur la disposition contestée. Autrement dit, à moins d’une « circonstance nouvelle » permettant un nouvel examen constitutionnel, aucune QPC ne pourra être déposée sur les articles 2, 3 et 6 de la loi anticasseurs.