• Bill Gates : « Pour une approche globale de la lutte contre le Covid-19 »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/12/bill-gates-pour-une-approche-globale-de-la-lutte-contre-le-covid-19_6036352_

    Rien que l’intro vaut son pesant de cacahuètes :

    Dans une tribune au « Monde », le philanthrope américain insiste sur l’importance de la concertation internationale et le dépassement des égoïsmes pour vaincre la pandémie. Il suggère aux dirigeants mondiaux des mesures à prendre dès maintenant.

    Le "philanthrope" qui s’est trompé sur l’éducation (ce qui ne l’empêche pas de vendre ses formules de testing permanent - et informatisé - à l’Education nationale, toujours à la recherche d’un perdant magnifique, celui dont l’architecture d’un enseignement confiné derrière son écran est en train de s’écraser contre le mur de la réalité). Le voici qui remet en cause le système des brevets sans pour autant le dire, reprenant les arguments des opposants à l’accord sur les ADPIC (droits de propriété intellectuelle touchant au commerce), notamment la "hiérarchie des normes" qui met la santé publique devant les bénéfices et les brevets. Mais sans mea culpa sur ses discours antérieurs, rien de crédible. Juste se placer pour l’après.

    Il y a certaines choses sur lesquelles les dirigeants commencent à se mettre d’accord, comme le fait que les professionnels de santé qui sont en première ligne devraient être testés en premier et bénéficier d’un accès prioritaire aux équipements de protection individuelle. Mais pensez aux choix que nous faisons à plus grande échelle : comment choisir à quelle communauté ou à quel pays distribuer ces masques et ces tests en priorité ? Pour le moment, la décision tient à une question inquiétante : qui est le plus offrant ?

    Je crois beaucoup au capitalisme, mais certains marchés ne fonctionnent tout simplement pas en temps de pandémie, et celui des fournitures vitales est un parfait exemple. Le secteur privé a un rôle important à jouer, mais si notre stratégie de lutte contre le Covid-19 se fonde sur la loi du plus offrant, cette maladie fera encore plus de victimes qu’elle n’en ferait autrement.

    Par ailleurs, une fois que les laboratoires auront développé le bon vaccin, nous perdrons encore des mois à attendre que le bon fabricant étende ses capacités de production.

    Le coût est également un facteur important à prendre en compte. Si le secteur privé est prêt à intensifier ses efforts et à fabriquer ce vaccin, par exemple, il ne devrait pas avoir à perdre de l’argent pour le faire. En parallèle, tout vaccin contre le Covid-19 devra être considéré comme un « bien public mondial » – et rester abordable et accessible à tous. Heureusement, des organisations comme Gavi (l’Alliance du vaccin) aident depuis longtemps les nations à faible et moyen revenus à accéder à ces campagnes de vaccination essentielles.

    Un "bien public mondial" peut-il être protégé par un brevet ? Impossible... doit-on en conclure que le plus ardent partisan d’une propriété intellectuelle forte est en train de changer de casaque... expliquez-nous M. Gates.

    En fait, j’ai énormément peur de ces "résistants de la 25ème heure", qui viennent de découvrir les dégâts (moraux autant qu’inhumains et dramatiquement dangereux) du néolibéralisme... et qui se poussent du col pour reprendre les rennes de l’après, au nom de l’humanisme dont ils n’ont guère fait preuve dans leurs brillantes années antérieures. "Que tout change pour que rien ne change"... toujours d’actualité quand on voit à qui on tend le micro sans jamais demander de comptes. "Bill Gates, philanthrope".

    #Bill_Gates #Coronavirus

  • Roberto Saviano : « La faiblesse, c’est de se croire invincible »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/12/roberto-saviano-la-faiblesse-c-est-de-se-croire-invincible_6036361_3232.html

    Dans les vallées bergamasques laminées par le virus (certains parlent déjà de toute une génération supprimée), des milliers de petites entreprises industrielles prospèrent. Composées souvent de moins de dix employés, elles font preuve d’une telle excellence qu’elles sont une vraie locomotive pour tout le Nord, et pas seulement pour la Lombardie. Quand les médias ont commencé à évoquer les choix dramatiques qui s’imposaient aux médecins en services de soins intensifs, entre qui intuber et qui laisser mourir, d’autres arbitrages se sont imposés. Les termes du dilemme : arrêter les productions au risque d’un effondrement économique, ou les maintenir en sacrifiant des vies humaines.
    La vie ou le travail

    Evidemment, cette question n’a fait l’objet d’aucun débat public, ce serait un comble. Le plus grave, c’est que pendant plusieurs semaines, la Lombardie et le gouvernement se sont refilé la patate chaude : personne ne voulait prendre la décision de tout fermer. Aujourd’hui, nous savons que pour éviter de confiner des ouvriers indispensables aux chaînes de montage et qui, surtout dans le cas des toutes petites entreprises, ont dû choisir entre la vie et le travail, on a favorisé une diffusion massive de la contagion. Or cette contagion a provoqué une mortalité épouvantable. Cette réalité nous saute aux yeux, offrant l’image d’un territoire géré par des classes dirigeantes qui auraient décidé de « ne pas s’arrêter », conscientes du risque de l’hécatombe, voire pariant sur le destin.

    Vu la tournure tragique des événements, le risque, c’est que ceux qui ont fait ces choix stratégiques criminels occultent leurs propres responsabilités. Si le taux de mortalité du virus en Lombardie est si élevé, c’est surtout à cause des erreurs commises par une classe dirigeante médiocre qui aurait immédiatement été désavouée si nous n’étions pas encore dans cette situation d’urgence dramatique. Les sirènes des ambulances couvrent encore les voix de tous les proches des personnes mortes à cause d’une série d’erreurs ayant accentué l’effet de la contagion. Mais bientôt viendra le temps des poursuites à l’encontre de tous ceux qui ont manqué à leurs devoirs.

    Le paradoxe de cette crise a presque valeur d’enseignement philosophique. Nous sommes face aux dirigeants politiques d’une région qui s’est toujours vantée de s’être faite toute seule et qui, ces trente dernières années, n’a cessé de réclamer davantage d’autonomie – le parti le plus fort du Nord, la Ligue, d’abord sécessionniste avant de devenir souverainiste il y a peu de temps –, se plaignant du poids d’un Sud improductif, dénigrant chaque pas en faveur d’une centralisation accrue et chaque décision prise par Rome, ville forcément inefficace et désorganisée. Et voilà qu’avec cette crise sanitaire, ces mêmes hommes politiques finissent par rejeter sur le gouvernement central la responsabilité de leurs propres indécisions et des omissions qui en découlent. Comportement déshonorant et criminel.

    Nous sommes arrivés à ce dilemme : mieux vaut-il mourir de la maladie ou de la récession ? Cela permet de comprendre le défi que le virus lance à la politique européenne. Même si je n’en suis pas certain, peut-être est-il encore temps de sortir de la pandémie pour vivre une utopie : admettre que la productivité et les comptes bancaires ont moins de valeur que les personnes, prendre conscience que notre survie dépend du maintien et de l’expansion de nos droits, comprendre qu’une action politique obnubilée par l’argent est mortifère et ne génère pas de richesses. « L’Europe n’existe plus et aujourd’hui est un nouveau 1945 », entend-t-on. J’espère que des personnes de bonne volonté empêcheront que cela n’arrive.

    #Coronavirus #Italie #Corruption