StopCovid, une application de traçage passée en deux mois de l’idée dystopique à l’Assemblée

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  • StopCovid, une application de traçage passée en deux mois de l’idée dystopique à l’Assemblée
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    Par Martin Untersinger

    Entre controverse scientifique, développement ultrarapide et inquiétudes sur la vie privée, l’idée des applications de traçage a progressé de manière fulgurante. La France étudie aujourd’hui sérieusement leur déploiement contre la pandémie.

    Le 11 février, après avoir ravagé la ville chinoise de Wuhan, le nouveau coronavirus Sars-CoV-2 est aux portes de la ville de Hangzhou, 500 kilomètres plus à l’est. Ses habitants découvrent alors une nouvelle application pour leur téléphone. Conçue par le gouvernement et le géant de l’e-commerce Alibaba, elle affiche un code-barres vert. Si l’algorithme estime que la personne s’est déplacée dans une zone à risque ou a fréquenté de trop près un porteur du nouveau coronavirus, le code vire au jaune, voire au rouge. Et son utilisateur doit se confiner.

    Cette application est adoptée par une centaine de villes chinoises et s’insère vite dans la panoplie des « moyens policiers » du pouvoir chinois. Vu du monde occidental, où le virus n’a pas encore tué, l’idée d’une application de pistage de la population a des airs de dystopie.

    Deux mois ont passé, qui pourraient être deux siècles : mardi 28 avril, en France, l’Assemblée nationale s’apprête à voter sur le plan de déconfinement. Un projet qui comprendra, notamment, le principe de StopCovid, une application pour identifier les « cas contacts » des malades du Covid-19.
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    L’application française n’a pas grand-chose à voir avec son homologue chinoise en termes de fonctionnement et de garde-fous. Mais elle consiste tout de même à fixer dans la mémoire du téléphone l’intégralité des interactions de son porteur afin de l’avertir s’il a côtoyé un malade du Covid-19 et d’enrayer les chaînes épidémiques d’un virus qui se transmet avant les premiers symptômes.

    L’irruption d’Apple et de Google

    A la surprise générale, le 10 avril, Apple et Google annoncent un partenariat sans précédent pour ces deux rivaux sur le marché du téléphone mobile. Les deux firmes travaillent ensemble à une évolution de leurs systèmes d’exploitation afin d’insérer le suivi de contact numérisé dans tous leurs téléphones et permettre, par la suite, à diverses applications de « tracing » de fonctionner.

    Bien conscientes d’être sur le terrain miné de la vie privée, les deux entreprises font des choix forts dont elles estiment qu’ils garantissent la protection des données personnelles. Elles prévoient de limiter le rôle d’un serveur central devant les recueillir et de privilégier un stockage « décentralisé » des données personnelles sur chacun des smartphones des utilisateurs. Or plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne, ont fait un choix inverse : privilégier un système reposant sur un serveur central contrôlé par les autorités sanitaires et hébergeant les données les plus sensibles.

    La position d’Apple et de Google embarrasse Paris et Berlin. Le système qu’ils ont imaginé ne pourrait fonctionner avec l’architecture proposée par les deux géants du numérique. Problème : seule cette dernière permet d’utiliser pleinement la technologie Bluetooth sur les iPhone et d’autres smartphones équipés d’Android. Ces deux entreprises font, de la sorte, irruption dans les politiques sanitaires de plusieurs pays européens.

    L’Allemagne finit, le 26 avril, par opter pour un modèle dit « décentralisé » se rapprochant par là du duopole de la Silicon Valley. La France, elle, aimerait se passer de l’infrastructure de Google et d’Apple, mais doit pour cela faire lever certaines restrictions sur le Bluetooth. Des discussions sont encore en cours sur le sujet. « La France se prend la question de la souveraineté numérique en pleine face », constate, dépité, un très bon connaisseur du dossier.
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    La question de l’architecture de l’application déchire aussi le milieu de la sécurité informatique. Trois camps se dessinent : ceux qui défendent le modèle dit « centralisé », poussé par l’Inria via son protocole, appelé Robert. Ceux qui prônent un modèle « décentralisé », proche d’Apple et Google, qu’ils estiment mieux armé contre la surveillance de masse. Et enfin ceux qui renvoient ces deux modèles dos à dos, estimant trop importants les dangers d’une application de traçage.

    Ces importantes réserves trouvent un écho dans le monde politique français, au-delà de l’opposition. Dans les jours suivant l’annonce de StopCovid, plusieurs députés macronistes se disent opposés à l’idée. Certains le sont toujours.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi Déconfinement, traçage numérique : l’exécutif finalement d’accord pour un vote à l’Assemblée

    Pour tenter d’apaiser les tensions, le gouvernement consent à exposer ses plans, les 28 et 29 avril, devant le Parlement. Des députés de tous bords réclament alors que ce débat soit, à l’Assemblée nationale, suivi d’un vote. Après y avoir été opposé, arguant que le projet ne serait pas finalisé, le gouvernement accepte l’idée… Avant que, samedi 25 avril, l’exécutif annonce finalement que le plan de déconfinement sera voté dans sa globalité, empêchant un vote à part sur le principe du traçage numérique, sujet éminemment sensible.

    #StopCovid