Enjeu : la démocratie

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  • Enjeu : la démocratie
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/07/06/enjeu-la-democratie_3443461_3232.html

    Le spectacle du monde offre parfois des scènes saisissantes. Telle celle d’une ministre fraîchement débarquée, accusant l’entourage du président de la République de conflit d’intérêts. Car Delphine Batho n’est pas restée dans le vague en accusant, le 4 juillet, les « forces économiques » d’avoir pesé pour qu’elle ne soit plus ministre de l’écologie, tâche dans laquelle elle coordonnait activement le débat sur la transition énergétique, qui doit conduire à une loi définissant la politique énergétique française.

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    Mme Batho a cité « le patron de l’entreprise Vallourec », directement intéressée dans le développement des gaz de schiste, alors que l’épouse du président de Vallourec, Sylvie Hubac, dirige le cabinet de François Hollande, président de la République.

    Ce qui est encore plus saisissant, c’est que cette accusation gravissime reste sans conséquence. M. Hollande reste de marbre, Mme Hubac ne bouge pas de l’Elysée, et milieux politiques et médiatiques semblent considérer l’épisode comme normal : le Parti socialiste ne bronche pas, l’UMP est mal placée pour se scandaliser des liens entre décideurs politiques et économiques, EELV, tout à son savant calcul politique, reste coi pour ne pas affaiblir M. Hollande.

    L’épisode dévoile les mécanismes qui permettent au système oligarchique de gagner sur le principe démocratique : non seulement la fusion des affaires et de la politique au plus haut niveau de l’Etat est bien visible, mais elle ne suscite ni surprise ni colère de l’appareil de représentation des citoyens, qui a intégré, ou participe à, la dérive oligarchique.

    Ainsi, pendant que se poursuit le « débat sur la transition écologique », les « forces économiques » – Mme Batho aurait également pu citer le Medef et l’AFEP (Association française des entreprises privées) – agissent en coulisses et par médias interposés pour orienter les décisions dans le sens qu’elles jugent leur être favorables. Comme l’écrit José Bové, « nous ne pouvons pas accepter qu’un débat sur la transition énergétique se fasse en plein jour avec les acteurs de la société civile, et que, dans le même temps, des décisions soient prises dans l’ombre des couloirs du pouvoir ».

    On a beaucoup parlé du budget du ministère de l’écologie. Mais le départ de Mme Batho avait une autre cause : un désaccord sur les choix qui doivent être annoncés le 9 juillet par le premier ministre dans l’affectation des crédits du Commissariat général à l’investissement. Mme Batho voulait qu’une part plus importante des 10 à 12 milliards distribués aille aux économies d’énergie et aux énergies nouvelles. Elle a perdu cet arbitrage.

    Mais le dispositif manifeste là aussi une dérive démocratique : car, comme nous l’a déclaré Thierry Mandon, député (PS) de l’Essonne, « il est surprenant que le Parlement, qui vote normalement le budget et les dépenses, n’ait pas voix au chapitre sur des investissements si importants ». Démocratie et transformation écologique sont décidément inséparables : elles vivront ensemble, ou échoueront ensemble.