• Petro Kotin, président de l’entreprise qui exploite la centrale de Zaporijia : « Ce que font les Russes relève du terrorisme nucléaire »
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    Dans un entretien au « Monde », le patron de l’entreprise publique d’énergie nucléaire ukrainienne Energoatom affirme que les Russes ont « bombardé toute la zone de la centrale » et que la direction du site travaille aujourd’hui sous leur menace armée.

    • L’armée russe a pris le contrôle, vendredi 4 mars, de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, Zaporijia, faisant craindre pour la sécurité du site. Un incendie s’est déclenché dans la matinée dans un centre de formation de la centrale, mais les autorités ukrainiennes ont ensuite assuré qu’il avait été éteint et que la centrale fonctionnait normalement. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a de son côté assuré que la sécurité de la centrale n’était pas menacée. L’inquiétude subsiste cependant sur le mode de fonctionnement du site avec du personnel ukrainien sous contrôle russe.

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      Petro Kotin est le président de l’entreprise publique d’énergie nucléaire ukrainienne Energoatom, qui exploite les centrales nucléaires du pays. Dans un entretien accordé au Monde vendredi 4 mars, il affirme que les Russes ont « bombardé toute la zone de la centrale » et que la direction du site travaille aujourd’hui sous leur menace armée. Actuellement, une équipe de 800 personnes travaille dans la centrale, qui compte 11 000 employés en tout.

      Que s’est-il passé exactement dans la centrale dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 mars ?

      Les Russes ont bombardé toute la zone de la centrale, le bâtiment administratif lui-même, l’entrée du site, dans la zone de sécurité, et le bâtiment consacré aux formations, localisé près du bâtiment administratif. Ils ont commencé à bombarder à 1 h 42 et ont fini au petit matin, après avoir cassé l’entrée sécurisée et être entrés dans la centrale. Puis ils en ont pris le contrôle. Il n’y a plus de bombardements depuis.

      S’agissait-il de bombardements ou seulement de tirs ?

      Les deux. Il y a eu des bombardements. Ils ont aussi tiré depuis leurs chars et leurs véhicules d’infanterie. Selon nos premières informations, il y a trois morts et deux blessés, dont l’un est entre la vie et la mort. Les trois morts sont des employés de la centrale, mais on ignore pour l’heure si ce sont des agents de sécurité ou du personnel de la centrale – c’est en cours de vérification.

      Quels sont les dégâts ?

      Le réacteur numéro 1 a été touché par un bombardement mais semble intact, selon nos premières informations, car les murs de protection des six réacteurs sont très épais. Un tuyau spécial qui raccorde les réacteurs aux bâtiments de traitement, où l’eau radioactive est purifiée puis renvoyée aux réacteurs, a également été endommagé par ces bombardements. Il n’y a pas de fuite radioactive, mais le risque existe.

      Le bâtiment consacré aux formations a été quant à lui complètement détruit par les bombardements. Cela a provoqué un gros incendie. Les Russes ont, dans un premier temps, empêché les pompiers d’accéder au site pour l’éteindre.

      Nous ne pouvons toutefois pas évaluer la gravité des dégâts. Pour cela, nous avons besoin d’inspecter les réacteurs, or pour l’instant c’est impossible, car les membres de la direction sont aux mains des Russes, et nous ne pouvons pas les contacter. Les attaquants interdisent même de prendre des photos à l’extérieur et à l’intérieur du site.

      Jusqu’à présent, les capteurs montrent que le niveau de radiation est normal. Pour évaluer les dommages, une délégation de l’AIEA va être envoyée en Ukraine, qui a l’intention de visiter toutes les installations nucléaires du pays.

      Quelle est la situation sur la centrale actuellement ?

      Quand les Russes ont commencé à bombarder, nous avons mis deux réacteurs à l’arrêt par sécurité. La mise à l’arrêt est le stade le plus élevé en termes de sécurisation. Actuellement, cinq réacteurs sur six sont à l’arrêt. Seul un fonctionne encore, car il est plus loin des lieux de l’attaque.

      Les Russes ne le contrôlent pas ?

      Non. La technologie ne les intéresse pas. Les membres du personnel technique continuent d’ailleurs de faire leur travail sur les réacteurs. Les Russes contrôlent en revanche les membres de la direction de la centrale nucléaire. Dix à quinze personnes travaillent actuellement sous leurs ordres, et sous menace armée. Les Russes leur donnent l’ordre de réparer ce qui a été endommagé par les bombardements.

      « Il faut savoir que tout ce qui est déclaré depuis 6 heures vendredi l’est sous le contrôle des Russes. »

      Vendredi matin, le maire de la ville où vivent les employés de la centrale, Enerhodar, non loin du site, a complètement changé de discours en disant que les Russes n’avaient rien bombardé. C’est faux. Mais il parlait sous contrainte armée. Il faut savoir que tout ce qui est déclaré depuis 6 heures vendredi – à la direction de la centrale comme à la mairie d’Enerhodar – l’est sous le contrôle des Russes.

      Y a-t-il un risque d’accident nucléaire ?

      La plus grande menace, c’est que les Russes bombardent de nouveau la centrale et détruisent les réacteurs ou les sites de stockage de combustibles usés. Ces derniers sont protégés par 173 enceintes de confinement. Si tous les réacteurs sont détruits, ce sera une catastrophe six fois pire que Tchernobyl. Aujourd’hui, tout dépend des Russes. Ce qu’ils font relève du terrorisme nucléaire, selon la loi.

      Comment protéger la centrale ?

      La seule façon de la sécuriser, c’est en faisant en sorte que les Russes partent et rendent le contrôle de la centrale aux Ukrainiens, car ils ne comprennent rien au nucléaire.

      Tentez-vous de trouver un accord avec eux pour faire fonctionner la centrale correctement ?

      Non, nous n’essayons pas de trouver un accord. Nous leur lançons un ultimatum : si vous voulez sauvegarder votre sécurité, vous devez nous écouter et partir.

      Ont-ils l’intention de prendre le contrôle des quinze centrales nucléaires du pays ?

      Oui. On voit ce qu’ils font. Ils avancent actuellement vers la deuxième plus grande centrale nucléaire du pays, « South ukrainian nuclear power plant », dans le sud de l’Ukraine, qui compte trois réacteurs. Des combats ont actuellement lieu à 35 km. Ils ont donc vraisemblablement l’intention d’en prendre le contrôle aussi.

      La centrale de Zaporijia produit un cinquième de l’électricité du pays et près de la moitié de son énergie nucléaire. Craignez-vous que les Russes puissent couper l’électricité aux Ukrainiens ?

      Ils peuvent tout faire. Personne ne pouvait imaginer qu’ils envahiraient l’Ukraine il y a deux semaines. Personne ne comprend ce qu’ils font, tout cela est fou. Ils ne réalisent pas les conséquences que cela peut avoir.

      Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

      Nous demandons aux pays de l’OTAN de fermer le ciel au-dessus des centrales nucléaires du pays pour éviter qu’elles soient bombardées.