• Un scandale historique méconnu : majeurs à 21 ans mais envoyés à la guerre à 18 ans !

    Un scandale passé presque complètement oublié, absent des manuels scolaires, mériterait d’être rappelé et exploité par les professeurs dans le cadre d’EMC. Avant 1974, on était mobilisable pour l’armée dès 18 ans mais on ne pouvait en revanche voter, choisir sa vie et ses études qu’à 21 !

    Comment des générations entières de jeunes gens ont pu, pendant des décennies, laisser passer un tel déni de droit, une atteinte aussi grossière à la logique élémentaire et à la simple humanité ? Quand on considère que quelqu’un est légalement un gosse, on ne lui fait pas manier des armes ! Pourtant, à ma connaissance, aucun mouvement ne s’est jamais élevé fortement contre cet état de fait. La génération de mai 1968, en particulier, s’en est peu émue. Les « événements » d’Algérie n’étaient pas loin, avec des mobilisations massives de 18-21 ans, pourtant aucun des grands slogans et revendications ne portaient sur cette question. Se contentaient-ils de leur sursis jusqu’à 22 ans en tant qu’étudiants en oubliant leurs camarades ouvriers partis à l’armée dès 18 ? Comment ne pas révolter face à son statut de mineur légal astreint de manier des armes mais incapable de retirer lui-même son propre acte de naissance ou de choisir ses études ?

    En remontant dans le temps, songeons aussi à tous ces jeunes résistants, parfois âgés de 15 ans, dans les maquis (parmi eux... Charles Pasqua !). C’est le même scandale que pour les femmes exclues de la citoyenneté. De Gaulle a juste daigné, à la Libération, leur donner, au compte-goutte, une majorité anticipée à 18 ans.

    Pour avoir interrogé de nombreuses personnes ayant la vingtaine à la fin des années 1960, les réactions que j’ai pu en recueillir sont à pleurer. Elles vont de « bof » à « ce n’était pas bien grave » en passant par « c’était comme ça je ne me posais pas de questions ». J’avoue en avoir été sidéré et même profondément blessé dans ma sensibilité civique. Une seule réaction a tranché : celle d’un vieil enseignant de mathématiques, Serge Dupré, ancien conseiller municipal dans la banlieue de Rennes, qui, lui aussi, en avait été scandalisé dans sa jeunesse. On aurait dit une grande expérience de test de résistance à la soumission, type Milgram, où seule une élite, quelques individus d’exception dotés d’une haute coinscience politique, ont réussi le test.

    Ce déni de droit effarant a duré jusqu’en 1974. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui y mit heureusement fin en 1974 en faisant voter, le 7 juillet, la majorité civile à 18 ans.

    On pourrait penser que, désormais, c’est une affaire passée... Pas si sûr ! Le SNU, dérive pré-militariste du régime, prépare les esprits à faire manipuler les armes par des « mineurs » français qui ont pourtant l’un des statuts les plus arriérés d’Europe.

    La confusion s’installe assez facilement dans les esprits, comme le montrent un certain nombre des tweets infâmes adressés par ceux qui harcèlent en meute le militant lycéen Manès Nadel. Des messages de ce type sont arrivés par dizaines. Vous noterez ici la confusion des âges avec le projet de Mélenchon pour les 18-25 ans, auquel ses électeurs sont, tout de même, en droit de s’opposer...

    Même si le SNU n’est pas (encore) un service militaire, la confusion entretenu dans les esprits montre que dans les esprits malsains, l’idée de rendre les lycéens majeurs pour la guerre mais mineurs pour tout le reste ne dérange absolument pas les esprits dérangés...

    Cette affaire historique ne devrait donc pas manquer d’interroger le chercheur, surtout avec cette résonnance actuelle. Comment expliquer que certains scandales mobilisent des foules mais que d’autres - pourtant vécus concrètement par des millions d’individus - ne suscitent pas la moindre opposition et ne laissent aucune trace dans les manuels d’histoire ? D’où vient cet aveuglement sur certains sujets ? Comment expliquer qu’aucun politique, aucun contestataire, aucun juriste ou aucun militaire n’ait soulevé le problème, même parmi les plus progressistes ?

    Si un thésard en manque de sujet tombe sur cet article, il peut s’en emparer. C’est un sujet vierge, dont les références sont inexistantes en en France. Les seule dénonciations fortes, à ma connaissance, est américaine : ce sont Apocalypse Now et Nineteen.

    J’y vois, en outre, une magnifique entrée en EMC pour des lycéens afin de les inciter à s’emparer du droit de vote dès leurs 18 ans, voire à le revendiquer à 16 ans.

    Alors que Sarah El Haïr s’apprête à habituer graduellement à militariser nos concitoyens dès leurs 15 ans, leur statut juridique de mineur demeure marqué par des lois napoléoniennes archaïques. Est-il normal qu’un lycéen ne puisse pas de jure choisir son orientation scolaire et sa langue au lycée sans la signature de ses parents, comme ils le peuvent en Allemagne ou en Ecosse où le droit est bien plus avancé ? Est-il normal qu’ils ne puissent signer une pétition sur le site de l’Assemblée Nationale, étant passés en lecture seule par France Connect dès détection de leur âge ?

    Pire, l’IFOP se permet de faire un sondage pour recueillir l’avis des Français sur le SNU en interrogeant uniquement les plus de 18 ans. On retrouve bien là, avec le SNU, de façon très caractérisé, le même déni de droit et le même scandale. Cela mériterait une vraie colère et une dénonciation de même nature que celle concernant la condition féminine.

    https://blogs.mediapart.fr/rodolphe-dumouch/blog/210623/un-scandale-historique-meconnu-majeurs-21-ans-mais-envoyes-la-guerre