REPORTAGE Le riche écosystème du Nordeste a été amputé de moitié pour laisser place à des champs de soja, maïs, sorgho et coton, arrosés de pesticides. Rien ne semble pouvoir arrêter sa destruction et l’assèchement dangereux de son sol.
Dans le Nordeste, certains appellent ça des « Hiroshima ». Soit d’immenses panaches de fumée, s’élevant très haut dans le ciel par-dessus les champs, et qui prennent parfois des allures de champignons atomiques. Au Brésil, l’expression se veut une image pour décrire la violence de la destruction engendrée par les incendies qui dévastent aujourd’hui la savane du Cerrado.
Des feux dans une zone de végétation indigène du Cerrado au sein d’une propriété privée, à Uruçui, Etat du Piaui (Brésil), le 14 août 2023.
MARIA MAGDALENA ARRÉLLAGA POUR « LE MONDE »Aux abords de la cité d’Uruçui, dans l’ouest de l’Etat du Piaui, le feu est partout. Les abords des routes sont rouges de braises et noirs de cendre. Les flammèches gambadent, bondissent par-dessus l’asphalte, menacent souvent les camions. Mi-août, lors du passage du Monde, Uruçui a brièvement détenu le titre de ville comptant le plus grand nombre d’incendies du Brésil tout entier.
Cette « palme » peu enviable a été difficile à décrocher, tant explose la dévastation du Cerrado. L’Institut brésilien de recherche spatiale a décompté plus de 23 000 départs de feu cette année dans la savane, dont au moins 5 000 km2 ont été rasés, soit une augmentation de 20 % par rapport à la même période en 2022. Une superficie équivalente à celle d’un département français… et du jamais-vu depuis une décennie.
Uruçui ne paraissait pas voué à un tel destin. Vu du ciel, ce bourg au nom indigène (« grande abeille » en tupi), à près de 1 000 kilomètres des côtes, n’est qu’un point perdu sur la carte du Sertao, ce polygone de la misère du Nordeste. Ses 25 000 habitants se répartissent entre le placide rio Parnaiba, surnommé le « vieux moine », qui coule jusqu’à l’Atlantique, et de grands plateaux perchés à 400 mètres d’altitude, les chapadoes, écrasés de chaleur.
D’immenses champs dans lesquels sont principalement cultivés du soja et du maïs. A Uruçui, Etat du Piaui (Brésil), le 15 août 2023. MARIA MAGDALENA ARRÉLLAGA POUR « LE MONDE »La cité est aussi au cœur du Cerrado, cette savane qui s’étendait autrefois sur 2 millions de kilomètres carrés (la moitié de l’Union européenne). Seule l’Amazonie la dépasse, en taille et en richesse. Cette terre au sol rougeoyant et au climat chaud, parsemée d’arbustes, de buissons et de cours d’eau, est la patrie du tapir, du jaguar, du fourmilier géant et de 320 000 espèces animales. Celle qui abrite encore 5 % de la biodiversité mondiale est aussi un bassin hydrographique vital et un gigantesque puits de carbone… Ce qui n’a pas empêché sa destruction industrielle : en quelques décennies, la moitié de sa surface a été rasée.
*Pas un buisson n’a survécu
Tout cela a laissé place aux champs des fazendeiros, ces grands propriétaires terriens et agronégociants. Sur les chapadoes d’Uruçui, les labours s’étendent aussi loin que porte le regard. Pas un buisson n’a survécu, dans ce qui était autrefois une riche forêt de fourrés et d’arbustes. Un paysage de labours désertiques désormais typique du « Matopiba », cette région formée des Etats nordestins du Maranhao, Tocantins, Piaui et Bahia. La nouvelle frontière agricole du Brésil […]