• Israël, année zéro - AOC media par Elad Lapidot
    https://aoc.media/opinion/2023/11/26/israel-annee-zero

    L’objectif de Buber fut de mettre fin à la violence et aux meurtres. Il considérait les Arabes comme un « toi » et non comme un « cela », et il pensait que le mouvement national palestinien devait être reconnu. Sion ne pouvait être que juste, ne pouvait que créer la paix, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait exister d’après Buber que comme coopération judéo-arabe, comme alliance de paix. Il imaginait une relation positive avec les Arabes dans de différents domaines, plaidait pour une solidarité économique au lieu de la politique dominante du « travail hébreu » et pour le devoir d’apprendre la culture et la langue des Arabes et leur Islam, contrairement aux sentiments anti-arabes omniprésents, souvent racistes, chez les colons juifs. Au lieu d’un État juif, Buber prônait l’idée d’un État binational qui œuvrerait au bénéfice de l’ensemble de la population du pays et qui s’intégrerait dans une fédération régionale d’États du Proche-Orient.

    Cette vision semble aujourd’hui illusoire. La violence terrible des massacres perpétrés le 7 octobre par le Hamas nous a profondément choqués, nous les Juifs israéliens. Notre choc ne nous a pas empêchés de faire des comparaisons. Au contraire, la prise de conscience que nos enfants sont la cible d’une telle haine a réactivé notre traumatisme collectif le plus profond. Beaucoup donnent un sens à ces atrocités en les comparant aux meurtres de masse des Juifs pendant la Shoah et dans les pogroms. Ils contextualisent la haine palestinienne comme une nouvelle éruption d’antisémitisme – pas seulement barbare, mais le mal pur.

    Cette vision dicte la réponse militaire d’Israël. La violence extrême et indiscriminée des attaques israéliennes sur la bande de Gaza depuis le 7 octobre vise à éradiquer le mal, à sauver les Juifs d’Auschwitz. Le Premier ministre Netanyahou a déclaré à ses soldats : « C’est une guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres. »

    Dans cette atmosphère, quiconque propose une contextualisation alternative des massacres, une contextualisation qui met l’accent sur le conflit israélo-palestinien et non pas sur l’éternelle haine des Juifs, quiconque suggère que les actions d’Israël à Gaza ne sont peut-être pas la solution mais font partie du problème, est souvent taxé de justifier le mal. Ceux qui pensent différemment sont traités comme des traîtres.

    Pensons à Buber. Sa vision semble aujourd’hui illusoire, comme elle l’était pour la plupart des sionistes à l’heure zéro du conflit et tout au long de son histoire. Même Brit Shalom n’a été que de courte durée. Mais Buber est resté ferme. Avec quelques-uns, un trop petit nombre, il a continué à défendre l’impératif de la coopération contre la stratégie de domination qui a déterminé la politique juive en Palestine et, plus tard, dans l’État d’Israël. La violence actuelle, persistante et excessive, jette une ombre sur les perspectives d’un avenir binational. Cependant, si nous voulons éviter un génocide ou un suicide, une variante de la vision de Brit Shalom est le seul avenir possible. Pour une grande partie, cela dépend de notre capacité de trouver aujourd’hui la force de déclarer, en tant que Juifs, en tant qu’Israéliens : « C’est notre volonté que les condamnations à mort prononcées à cause de nous, à cause des méfaits commis à notre encontre, ne soient pas exécutées. »