• Mort de Blessing Matthew : la justice européenne ne permet pas de rouvrir le dossier

    La CEDH a rendu sa décision jeudi 18 janvier : elle estime irrecevable la requête de la sœur de la Nigériane retrouvée morte noyée dans la Durance, près de Briançon, en mai 2018. Elle souhaitait une réouverture de l’enquête.

    C’estC’est la fin d’un long combat en quête de justice et de vérité. Jeudi 18 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a statué dans l’affaire dite « Blessing Matthew », du nom de cette exilée nigériane retrouvée morte noyée dans la Durance, à la frontière franco-italienne, près de Briançon (Hautes-Alpes), le 7 mai 2018.

    La Cour a jugé, à l’unanimité, que la requête était « irrecevable », coupant court aux derniers espoirs nourris par Christiana, la sœur de Blessing Matthew, par l’association locale Tous Migrants, mais aussi par Hervé, le seul témoin, dont Mediapart a révélé l’existence. Son témoignage, quatre ans après les faits, pointait le rôle des forces de l’ordre dans la mort de la jeune femme.

    À seulement 20 ans, elle tentait d’échapper aux gendarmes qui cherchaient à l’interpeller au petit matin, après qu’elle eut franchi la frontière franco-italienne accompagnée de deux hommes. La justice française avait estimé qu’il n’y avait « aucun témoin ». Hervé avait d’ailleurs disparu un temps après avoir été refoulé en Italie. Une juge d’instruction indépendante avait aussi rendu un non-lieu en 2020, après une plainte déposée par Christiana.

    Lorsqu’Hervé est sorti de l’ombre pour donner sa version des faits, après des années d’errance, les avocats de Tous Migrants ont décidé de demander la réouverture du dossier. Ils n’ont pas été entendus. Pour Me Vincent Brengarth, cette décision de la CEDH cause une « déception très claire » chez tous les intervenants qui ont pu participer à ce « combat judiciaire » au cours des dernières années.

    « Il y a le sentiment que la décision de la CEDH n’est pas à la hauteur de la mobilisation exceptionnelle qu’il y a eue autour de cette affaire, pour que toute la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Blessing », explique l’avocat, joint par Mediapart. Il ajoute qu’il ne s’agit pas d’une irrecevabilité « classique », qui pourrait laisser entendre qu’il pouvait y avoir des vices de forme ou des irrégularités dans la procédure.
    Une décision sur le fond

    « Non, un juge a bien regardé le dossier au fond mais a rejeté la requête en considérant que les autorités françaises avaient fait le nécessaire de façon raisonnable dans ce dossier. » Un point de vue que ne partagent pas l’avocat ni l’association Tous Migrants.

    « On constate que malgré une analyse de fond, la décision donne crédit à la manière dont les autorités ont agi dans cette affaire, regrette Agnès Antoine, membre de Tous Migrants. Ni les autorités françaises ni la CEDH n’auront répondu à la demande de justice et de vérité pour Blessing depuis 2018. »

    Le contraste avec le volume et la qualité du travail produit par la communauté d’acteurs est, selon elle, saisissant. « Il y avait une intensité d’éléments fournis par le témoin, Tous Migrants ou encore Border Forensics [qui regroupe chercheuses et chercheurs, architectes et cartographes et mène des investigations sur les morts aux frontières – ndlr]. Que faut-il de plus aujourd’hui pour espérer que la justice soit rendue à une personne exilée ? », abonde Vincent Brengarth, qui évoque un « rendez-vous raté avec la justice ».

    Dans ses motivations, la CEDH justifie sa décision ainsi : « Le témoignage ne contenait pas d’allégation plausible ou crédible qui aurait permis l’identification, la poursuite et éventuellement la condamnation de l’auteur d’un homicide, et n’était de nature à remettre en cause ni le sérieux ni les conclusions de l’enquête initiale. »

    Le nouveau témoignage d’Hervé, à la fois « précis et inédit » selon Me Brengarth, aurait pourtant dû mener à de nouvelles investigations. « Il pointait des gendarmes à l’identité connue à travers les éléments de l’investigation. On a l’impression aujourd’hui que tous ces éléments ont été piétinés. » Sans parler des risques pris par Hervé en accusant des gendarmes dans une affaire aussi sensible, et qui a été menacé d’expulsion, peu de temps après avoir livré son témoignage à la presse.

    L’avocat tout comme l’association Tous Migrants prennent acte de la décision de la CEDH malgré tout. Mais ils promettent que le combat ne s’arrêtera pas là : d’autres victimes des frontières, ou proches de victimes, « ont besoin d’un espace pour être entendues dans leur quête de vérité et de justice », conclut Agnès Antoine. La mort de la jeune femme avait secoué le tissu associatif local, déjà fortement mobilisé pour venir en aide aux exilé·es en situation de détresse dans la montagne.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/180124/mort-de-blessing-matthew-la-justice-europeenne-ne-permet-pas-de-rouvrir-le

    #Blessing_Matthew #CEDH #justice (well...) #cour_européenne_des_droits_de_l'homme #asile #migrations #mourir_aux_frontières #morts_aux_frontières #décès #frontière_sud-alpine #Alpes

    • Communiqué de presse Tous Migrants - Border Forensics, 19.01.2024 :
      LA CEDH ne répond pas à la demande de vérité pour Blessing Matthew

      [EXTRAIT] Depuis la mort de Blessing Matthew le 7 mai 2018, suite à sa chute dans la Durance alors qu’elle était poursuivie par la police, sa famille ainsi que l’association Tous Migrants ont inlassablement poursuivi leur combat pour que la justice fasse toute la lumière sur ce drame, en ne négligeant aucune voie judiciaire. Des plaintes ont ainsi rapidement été déposées auprès du Procureur de la République en 2018, avant que, en 2019, des plaintes avec constitution de partie civile soient déposées devant le Doyen des juges d’instruction après le classement sans suite de l’affaire. En dépit de l’ensemble des éléments produits au cours de la procédure, une ordonnance de non-lieu était rendue puis confirmée.

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      Texte complet :

      Depuis la mort de Blessing MATIHEW le 7 mai 2018, suite à sa chute dans la Durance alors qu’elle était poursuivie par la police, sa famille ainsi que l’association Tous Migrants ont inlassablement poursuivi leur combat pour que la justice fasse toute la lumière sur ce drame, en ne négligeant aucune voie judiciaire. Des plaintes ont ainsi rapidement été déposées auprès du Procureur de la République en 2018, avant que, en 2019, des plaintes avec constitution de partie civile soient déposées devant le Doyen des juges d’instruction après le classement sans suite de l’affaire. En dépit de l’ensemble des éléments produits au cours de la procédure, une ordonnance de non-lieu était rendue puis confirmée.

      Des éléments nouveaux sont par la suite intervenus, dont un témoignage de M. H. S., contredisant formellement les déclarations des gendarmes et faisant état de ce que Blessing MATIHEW s’était débattue avec l’un d’eux, entrainant sa chute dans l’eau, de ce que personne ne lui a porté secours avant qu’elle ne disparaisse dans la rivière et trouve la mort.

      La cohérence de ces déclarations a été confirmée par l’analyse minutieuse menée par Border Forensics, après plusieurs mois de travail. https://www.borderforensics.org/fr/enquetes/blessing

      C’est dans ces conditions qu’une demande de réouverture de l’information judiciaire a été introduite par les parties civiles le 13 juin 2022.

      Malgré les éléments nouvellement communiqués, qui n’avaient, de fait, jamais été étudiés par la justice, et en dépit de la gravité des accusations portées, le Procureur Général n’en a tiré aucune conséquence, se contentant de rejeter la demande de réouverture formulée en adoptant une motivation expéditive.

      Compte tenu de cette décision contestable, la famille de Blessing MATTHEW et l’association Tous Migrants ont fait le choix de se tourner vers la CEDH en 2022, en dernier recours.

      Par une décision communiquée ce jour, plus d’un an après la requête, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a constaté que la demande de réouverture de l’information pour charges nouvelles formulée était bien étayée par un élément nouveau, à savoir le témoignage de M. H.S. livré postérieurement à la clôture de l’instruction, mais que, selon elle, rien ne pouvait permettre de remettre en cause l’appréciation de cet élément par le procureur général.

      La CEDH refuse par conséquent d’invalider l’enquête menée par les autorités françaises.

      Cette décision n’est absolument pas à la hauteur des enjeux, des éléments produits et du travail fourni par les parties civiles pour palier la défaillance de la justice française, s’agissant d’une affaire qui, doit-on seulement le rappeler, concerne le décès d’une personne exilée et ce consécutivement à l’intervention des gendarmes.

      Les soussignés ne vont pas cesser le combat, ni dans cette affaire ni dans d’autres. Ils entendent au contraire tirer tous les enseignements de cette décision de la CEDH, intervenue à l’ issue de l’épuisement des voies de recours internes, afin que, par la suite, les autorités n’aient plus l’occasion de trouver des échappatoires pour ne pas rechercher toutes les responsabilités.

      L’impunité qui persiste pour la mort de Blessing MATIHEW perpétue après sa mort le traitement discriminatoire et inhumain dont elle a été l’objet durant sa vie. L’absence de réponse aux demandes de vérité et de justice de la famille de Blessing de la part des institutions judiciaires françaises et maintenant la CEDH rendent le travail de la société civile encore plus essentiel.

      Nous nous engageons à continuer à chercher à éclairer les circonstances qui ont mené à la mort de Blessing et les responsabilités impliquées, et à les faire connaître publiquement.

      Nous nous engageons à continuer à soutenir d’autres victimes de la violence des frontières Alpines, dont la liste continuera de s’allonger tant que l’impunité pour les morts et les violations est perpétuée, et que les politiques qui y mènent structurellement sont maintenues.

      https://tousmigrants.weebly.com/communiqueacutes-de-presse.html

    • Noyade de Blessing Matthew : la Cour européenne des droits de l’homme déclare la « requête irrecevable »

      En octobre 2022, la sœur de Blessing Matthew et Tous migrants avaient déposé une requête contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. La jeune migrante, originaire du Nigeria, était décédée en mai 2018, en tombant dans la Durance.

      (#paywall)
      https://www.ledauphine.com/societe/2024/01/18/noyade-de-blessing-matthew-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-decl