• Atos, l’hubris et la chute d’un mousquetaire français de l’informatique
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    Lorsqu’il prend les commandes d’Atos en 2008, Thierry Breton, désormais commissaire européen au marché intérieur, hérite d’un groupe de deuxième division, encore très centré sur la France et peu conforme à ses ambitions. Bouillonnant, l’ancien PDG de France Télécom est persuadé que seule une taille critique lui permettra de répondre aux besoins des multinationales. Rapidement, il lance la société à l’assaut de l’Europe. En 2010, premier coup d’éclat : Atos achète Siemens IT Solutions and Services, le pôle informatique du conglomérat industriel allemand. D’un coup, la petite société de services informatiques passe de 5 à 8,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

    « C’est l’une des plus importantes coopérations franco-allemandes depuis EADS [devenu Airbus] », se vante alors M. Breton, pas peu fier de faire de son groupe le premier acteur européen, devant son rival Capgemini, de l’infogérance, une prestation qui consiste à prendre en charge la gestion de tout ou partie de l’informatique d’une entreprise.

    Avec Siemens, la moitié des revenus d’Atos vient de ce métier, capital pour une société de services informatiques, selon le PDG. C’est la première erreur stratégique. Car pendant qu’Atos grossit dans la gestion des centres de données de ses clients – il gère plus de 3 millions de serveurs –, le groupe ne voit pas arriver l’essor du cloud computing dit « public », déployé par les américains Google, Amazon ou Microsoft. Plutôt que d’avoir ses propres serveurs, gérés par un prestataire comme Atos, une entreprise a tout intérêt à louer des capacités chez un fournisseur de cloud partagé, en fonction de besoins qu’elle peut ajuster.

    Insufisamment rentable

    « Le cloud public a cassé le marché, et Atos s’est retrouvé à gérer des machines obsolètes », résume Jean-François Perret, du cabinet de conseil Pierre Audoin Consultants. D’autres grands noms de l’informatique ont souffert de cette bascule. Le géant IBM s’est ainsi débarrassé de ces activités devenues trop lourdes, en les logeant dans une entité indépendante, Kyndryl, mise en Bourse en novembre 2021. Pour la même raison, HP avait cédé ces services à CSC, devenu DXC Technology, en 2016.

    Seconde erreur : focalisé pendant ces années-là sur le développement de l’infogérance, même si l’acquisition, en 2014, du français Bull lui a ouvert les portes de la cybersécurité et des supercalculateurs, deux activités en croissance, Atos n’a pas pris suffisamment fort le virage vers l’outsourcing, c’est-à-dire le transfert d’une partie de la force de travail vers des pays à bas coûts, principalement l’Inde, riche de millions de jeunes ingénieurs.

    Il faudra attendre l’acquisition, en 2018, de l’américain Syntel, qui dispose de 18 000 salariés en Inde, pour que le groupe dirigé par M. Breton prenne pleinement la mesure du phénomène, transformation majeure de l’industrie informatique. Mais c’est trop tard. Quand Atos passe la barre des 25 000 ingénieurs indiens en 2020, Capgemini emploie déjà près de 150 000 personnes dans le sous-continent, cinq fois plus que dix ans auparavant. Et ce chiffre a encore augmenté : fin 2022, Capgemni employait 360 000 personnes dans le monde, dont la moitié en Inde, et seulement 38 000 en France.
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