• Du voile à la prostitution, entretien avec Christine Delphy (1) | Le blog de Christine Delphy
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    Sylvia Duverger, publié en août 2013, sur le blog Féminismes en Tous genre Féministes en tous genre

    Première partie d’un entretien avec la sociologue féministe Christine Delphy, auteure de plusieurs textes analysant le sexisme et le racisme qui ont présidé aux lois contre le port du foulard (2004) et du voile (2010).

    En 2003, elle est l’une des signataires de la pétition « Un voile sur les discriminations » (Le Monde, 17 décembre 2003), et l’une des fondatrices du Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE).

    • Cette division existe bien en ce moment dans le féminisme, en France et dans certains pays francophones influencés par la France. Elle n’est pas absolue : certaines féministes, dont je fais partie, sont à la fois contre les lois discriminatoires qui retirent les libertés fondamentales aux musulmanes, et « abolitionnistes ».

      L’abolitionnisme, c’est le projet d’une société sans prostitution, mais ce n’est en aucune façon la volonté de s’en prendre aux prostitué.es, bien au contraire. Dans l’analyse qui sous-tend ce projet, la prostitution est conceptualisée comme un des effets du patriarcat. Dans les sociétés patriarcales, les femmes sont des possessions des hommes, qui les utilisent comme ils veulent. Les femmes ne sont pas conçues dans les cultures de ces sociétés comme des sujets, mais comme des ‘compléments’ – des appendices – des hommes ; en d’autres termes, leur seule raison d’être, c’est leur utilité pour les hommes, qui sont vus comme les seuls sujets de la société. Tout ceci est assez bien connu4.

      En revanche, ce qui est mal analysé, c’est le rôle de la sexualité dans l’histoire. La sexualité continue d’être abordée comme quelque chose d’a-social ; les sciences sociales n’ont encore pas fait grand-chose pour la sortir de l’emprise de l’instinctivisme freudien ou du déterminisme darwinien. On voit souvent les formes violentes ou marchandes de la sexualité – le viol, la prostitution – comme une utilisation des femmes au service de besoins des hommes, besoins qui sont posés comme physiques et non pas comme sociaux. On commence à voir, avec les analyses féministes du viol, qu’il n’en est rien. Le viol ne correspond pas à un « besoin » physique, mais à une volonté d’humilier, de rabaisser, de nier l’humain chez les femmes. Dans tous les systèmes de domination, il se crée une idéologie qui justifie la domination : les dominé.es sont des êtres inférieur.es. Mais une idéologie n’est pas quelque chose qui flotte en l’air : elle existe dans les cerveaux, ceux des dominants et ceux des dominé.es. D’autres éléments culturels la modèrent ou la contrebalancent – par exemple l’affection qui peut exister entre personnes de genres différents. Cette idéologie est là, disponible chez tout le monde, mais elle ne débouche pas sur des pratiques chez tout le monde.