• La dépolitisation de la question climatique

    http://www.contretemps.eu/interviews/d%C3%A9politisation-question-climatique

    Ton ouvrage montre finalement comment se forme une idéologie climatique dominante. Comment définirais-tu une telle idéologie ?

    Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’une idéologie climatique dominante. Je dirais plutôt que l’enquête conduit à observer la confiscation et le confinement idéologique d’un problème susceptible d’interroger frontalement le capitalisme. Ce dernier ne désigne en effet pas seulement un mode de fonctionnement de l’économie. Il correspond aussi à une organisation particulière de la vie collective et repose sur un matelas idéologique visant à garantir un seuil de légitimité suffisamment élevé pour que sa perpétuation ne soit pas menacée. Plus qu’une idéologie climatique, il s’agit selon moi de l’imposition d’une vision des enjeux conforme aux logiques politiques du capitalisme. Or l’affaire n’est pas mince puisqu’elle suppose ni plus ni moins de déconnecter la question climatique de celle de l’extension sociale des principes capitalistes (dont le néolibéralisme est une expression si ce n’est paroxystique, particulièrement poussée et robuste), de la débarrasser de ses dimensions idéologiques et de neutraliser ses puissants germes critiques. L’énergie consacrée à cette déconnection et à ce nettoyage rappelle combien la dépolitisation, sous couvert d’œcuménisme et d’universel, vient servir des intérêts sociaux bien particuliers, ceux des groupes qui dominent la course capitaliste.

    En effet, avec la nécessité de réduire drastiquement les émissions de GES, les dominants pourraient a priori voir leurs styles de vie être dévalués et leur prestige social s’éroder. Ils parviennent cependant à désamorcer ce risque, et ce notamment grâce à leur solide maîtrise de la définition des modes légitimes du « changement ». L’histoire sociale du problème racontée dans le livre permet ainsi de comprendre comment, lors des récentes mobilisations autour de la COP21, a pu se développer l’idée selon laquelle on pourrait transformer les sociétés sans transformation sociale. Avec la question climatique se donnent à voir les ressorts sociaux du réformisme c’est à dire d’une philosophie politique prônant des changements conformistes, progressifs, graduels, sans ruptures ni conflits apparents. Bourdieu parlait de « révolution conservatrice » ; on peut ici évoquer une tendance au « progressisme conservateur ». Il s’agit non pas de réviser ou de dépasser, mais bien d’améliorer le « système » pour, en réduisant les dégâts liés à son développement, le rendre durable. Et ce sont les fractions dominées des classes dominantes qui sont aux manettes comme l’indiquent mes travaux actuels qui confirment et précisent ce constat esquissé dans le bouquin.

    Jean-Baptiste Comby est sociologue, chercheur au Centre d’Analyse et de Recherche Interdisciplinaire sur les Médias (CARISM) ainsi qu’au Centre Nantais de Sociologie (CENS) et maître de conférences à l’Institut Français de Presse de l’Université Paris 2.