Traversée d’un désert médical, par Pierre Souchon (Le Monde diplomatique, août 2023)
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Ma santé ? » Croisée à l’ombre d’un platane de Privas, préfecture de l’Ardèche, Émilie fond en larmes.
« C’est simple. Ça fait longtemps que les rares dentistes qui restent dans la ville ne prennent plus de nouveaux patients. Je les ai suppliés… Rien à faire. Ils ont fini par m’envoyer aux urgences, qui ont refusé de me prendre en charge, et m’ont conseillé d’appeler le 15. Au 15, ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas dentistes… »
Toujours émue, elle poursuit : « Alors depuis des années, matin, midi et soir, je remets moi-même mon bridge après chaque repas avec de la colle. Parce qu’il tombe dès que je mange. J’ai la bouche qui pourrit. »
Les médecins généralistes de la ville, dont au moins trois viennent de partir récemment à la retraite, l’ont eux aussi refusée à cause d’une surcharge de clientèle : « Heureusement, un ami m’a pistonnée, et il m’a trouvé une place dans la vallée du Rhône, à vingt kilomètres. C’est lui qui m’emmène en voiture. Le médecin est sympa : il fait passer la consultation sur la carte de mon ami, sinon je devrais payer, et je ne peux pas… »
Émilie est femme de ménage. Elle a 36 ans. Récemment licenciée, au chômage, elle élève seule trois jeunes enfants et n’a pas le permis de conduire. Elle ne vote plus depuis très longtemps et ne se souvient pas pour quelle formation elle votait jadis : « De toute façon, qui que ce soit là-haut, on trinque à tous les coups. »