• Quelle stratégie pour la physique ?

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/29/quelle-strategie-pour-la-physique_4989446_1650684.html

    A l’été 2012, deux expériences internationales travaillant sur le Large Hadron Collider (LHC), l’accélérateur de particules de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), près de Genève, ont annoncé la découverte du Boson de Higgs – la dernière des particules prédites par la théorie des interactions fondamentales, baptisée « modèle standard ».

    Depuis, la machine a augmenté de 60 % l’énergie de collision des protons. Début août, les mêmes équipes ont révélé leurs derniers résultats fondés sur un grand nombre de collisions à haute énergie. La réaction la plus courante chez les théoriciens de la physique des particules a été la consternation.

    On pourrait penser que disposer d’une théorie cohérente qui décrit parfaitement les données expérimentales suscite la célébration plutôt que la consternation. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? La raison principale est que nous savons que le modèle standard n’est pas le nec plus ultra de la théorie, car il ne rend pas compte de certains phénomènes (notamment, l’existence de la matière noire ou l’absence de grandes quantités d’antimatière).

    Par conséquent, il doit exister une théorie encore plus fondamentale qui se manifeste aux très hautes énergies. Les physiciens ont proposé de nombreuses théories candidates, mais actuellement nous ne disposons pas de critères fiables pour juger laquelle, le cas échéant, est la bonne. Nous avons cruellement besoin d’un indice pour nous aiguiller sur la bonne voie.

    A mon avis, ce sentiment d’inquiétude est parfaitement légitime dans la situation actuelle. La possibilité que le LHC ne découvre rien de non prédit par le modèle standard est souvent dénommée le « scénario du cauchemar ». Dans les expériences précédentes, c’est généralement au début des opérations dans les accélérateurs que les découvertes ont été faites. D’où le sentiment que ce scénario cauchemardesque se rapproche à chaque jour qui passe.

    Quelle serait la meilleure stratégie ? Intensifier les efforts pour construire un plus grand accélérateur ? Différer l’exploration des hautes énergies jusqu’à ce que de meilleures technologies de collisionneurs soient développées ? Investir dans des expériences à plus petite échelle, nécessitant moins d’énergie, mais pouvant tester le modèle standard avec une précision encore plus élevée ?

    #scénario_du_cauchemar

  • Les plus anciennes traces de vie découvertes au Groenland

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/31/les-plus-anciennes-traces-de-vie-decouvertes-au-groenland_4990666_1650684.ht

    Sacré coup de vieux pour l’origine de la vie sur Terre. Des géologues australiens viennent de découvrir au Groenland des traces d’une activité microbienne remontant à 3,7 milliards d’années, soit 200 millions d’années de plus que les records précédents trouvés dans des roches d’Australie ou d’Afrique du Sud. Et 800 millions d’années environ seulement après la formation de la planète.

    Ces cellules primitives n’avaient sans doute même pas besoin de l’énergie solaire, c’est-à-dire de la photosynthèse, pour réaliser ces réactions chimiques. « Ces stromatolites sont créés par des colonies de micro-organismes. Dans ces temps reculés, il y avait donc une sorte de collaboration. La vie avait déjà une longue histoire ! », estime Allen Nutman, repoussant donc potentiellement plus loin dans le temps l’arrivée d’une première cellule vivante sur Terre.

  • Renaud Piarroux, le médecin qui a tenu tête à l’ONU

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/29/renaud-piarroux-le-medecin-qui-a-tenu-tete-a-l-onu_4989439_1650684.html

    Lorsqu’il se rend à Haïti, en novembre 2010, où vient de se déclarer la pire épidémie de choléra des dernières décennies au niveau mondial, sur une île qui n’en a jamais connu, le professeur Renaud Piarroux pense qu’il part lutter contre le fléau. Mais, durant six ans, ce spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille va être en butte à un autre adversaire que Vibrio cholerae, inattendu celui-ci : l’Organisation des Nations unies (ONU) et ses agences ­sanitaires, Organisation mondiale de la santé (OMS) comprise.

    Le médecin marseillais, 55 ans, sort cet été glorieux de son combat ­contre les tentatives d’étouffement de son rapport « Comprendre l’épidémie de choléra en Haïti », remis aux autorités françaises et haïtiennes, le 30 novembre 2010, et publié six mois plus tard dans la revue scientifique du Centre pour le contrôle et la prévention des ­maladies (CDC) d’Atlanta. Le Monde avait été le premier à rendre public ce document.

    Le 18 août, Farhan Haq, porte-parole adjoint de l’ONU, a en effet reconnu, du bout des lèvres, la responsabilité de son organisation dans le déclenchement de cette épidémie qui a touché 800 000 Haïtiens et fait 10 000 morts. Dès novembre 2010, avec ses armes scientifiques, la biologie moléculaire, les cartes de l’épidémie, son enquête sur le terrain, Renaud Piarroux avait débusqué le coupable.

    « Gérer ainsi les sanitaires dans un pays aussi vulnérable, c’est une circonstance aggravante »

    Missionné par l’ambassade de France à Haïti, le French doctor-détective prouve rapidement que l’épidémie a été provoquée par la gestion déplorable de l’ONU des sanitaires d’un camp de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) qu’ont occupé 400 casques bleus népalais, sur un affluent du fleuve Artibonite. A la mi-octobre, une quantité énorme de matières fécales contenues dans une fosse a été déversée, contaminant le fleuve jusqu’à son delta et les circuits d’irrigation des rizières. « Gérer ainsi les sanitaires dans un pays aussi vulnérable, c’est une circonstance aggravante, déplore le médecin. C’est une vraie bombe qui explose alors. On n’a jamais vu une épidémie comme celle-là, avec plusieurs centaines de cas par jour. Mais une autre faute consiste à monter rapidement une entreprise de dissimulation et de mystification. »

    Dans son bureau de chef du service de parasitologie et mycologie de l’hôpital de la Timone, dont les murs accueillent de vieilles planches médicales sur le kyste hydatique ou le Taenia saginata, Renaud Piarroux fait défiler les cartes de l’OMS et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires du secrétariat des Nations unies, retraçant la propagation de l’épidémie. Sur toutes, à l’exception de la première diffusée le 22 octobre 2010, le foyer de départ a disparu, laissant supposer que l’épidémie s’est développée dans le delta. Sur les registres de l’infirmerie du camp népalais, on ne retrouve pas la moindre trace d’une diarrhée alors que des travailleurs haïtiens évoquent des soldats malades et témoignent de conditions sanitaires particulièrement mauvaises.

    « Un gros bosseur »

    Six ans durant, Renaud Piarroux va affronter une controverse scientifique. Face à lui : un panel d’experts indépendants nommé en 2011 par Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies. L’examen par des scientifiques danois, américains et népalais du génome des souches Vibrio cholerae, la bactérie du choléra, isolées au Népal et en Haïti, démontre une totale similitude. « C’est comme si le coupable était confondu par son ADN », assure le docteur Piarroux. Mais, emboîtant le pas aux théories de Rita Colwell (université du Maryland), la papesse du monde scientifique en matière de choléra, les experts de l’ONU expliquent l’épidémie par des facteurs environnementaux propres à Haïti : saison chaude, développement du plancton, ouragan, séisme… « Ma force, c’est la rigueur scientifique, oppose Renaud Piarroux. Si mon raisonnement avait eu la moindre faille, avec tout ce qui a été entrepris pour le démonter, ils y seraient parvenus. »
    Ce combat scientifique, relaté dans Deadly River (ILR Press, 320 pages, non traduit), n’étonne pas le professeur Henri Dumon, auquel Renaud Piarroux a succédé, en 2008, à la tête du laboratoire marseillais.

    L’ancien patron loue sa ténacité : « C’est un gros bosseur mais pas le nez dans les bouquins. Quand un élève dépasse le maître à ce niveau-là, j’en suis ravi. » Bel hommage à cet ancien étudiant en pédiatrie qui avait fait le choix de suivre en parallèle des diplômes en médecine tropicale et en parasitologie. Sans ancrage régional, Renaud Piarroux, fils d’un père artisan peintre et d’une mère médecin en anatomo-pathologie dans un laboratoire pharmaceutique, a, pour ses études de médecine, fait le choix de Marseille « par hasard », son épouse y suivant les siennes en ophtalmologie.

    C’était un « rêve de gosse » : devenir médecin pour sauver les enfants africains des épidémies. Les premiers qu’il a sauvés sont des bébés rwandais sous les tentes d’un camp de réfugiés, près de Goma, en 1994, au Zaïre. Seul pédiatre sur le terrain, il luttait contre le choléra, la méningite, la shigellose, mais, chaque matin, il découvrait quelques petits corps, empapillotés dans un tissu, posés au bord de la route dans l’attente de leur « collecte ».

    Combat scientifique pour la vérité

    Vingt-deux ans plus tard, ses yeux se noient toujours de larmes à l’évocation de ce souvenir. C’est en allant voir comment étaient traités ces petits orphelins qu’il a compris : ils étaient alignés côte à côte sur des lits Picot, se contaminant les uns les autres, nourris avec une bouillie de haricots. « Il fallait des couches et du lait, comme pour les bébés européens. C’est ce qu’on a fait et la mortalité a disparu. Cela m’a donné une vision plus large de la médecine, et m’a conduit à analyser la dynamique des épidémies. »

    Le choléra devient son ennemi. Même lorsque, de 1996 à 2008, il dirige à Besançon le laboratoire de parasitologie, une discipline loin d’être au premier plan en Franche-Comté – « c’est comme chasser le tigre sur les Champs-Elysées », s’amuse-t-il. Renaud Piarroux mène avec succès des recherches sur des maladies locales, se rend dans les fermes pour comprendre que la « maladie du poumon de fermier » provient des moisissures du foin lorsqu’il est stocké humide. Il conduit une enquête sur l’échinococcose alvéolaire, et sur la transmission à l’homme d’un minuscule ver présent dans l’intestin des renards qui détruit le foie humain aussi sûrement qu’un cancer. Ce Sherlock Holmes lancé à la poursuite des bactéries et parasites a une méthode d’enquête : l’éco-épidémiologie. Il s’agit de comprendre l’environnement dans lequel se développe une maladie, de travailler avec les populations.

    « J’ai du mal à obéir lorsque je ne suis pas d’accord avec la façon dont les choses sont gérées »

    Lors d’une mission humanitaire à Foumbouni (Comores), 2 500 euros lui suffisent pour juguler une épidémie naissante de choléra : il achète l’essence pour les tout jeunes comités d’hygiène et de prévention et, dans les villages, il réunit les chefs de famille pour expliquer la nécessité de chlorer les citernes dans lesquelles ils récupèrent l’eau de pluie…

    A l’automne, Renaud Piarroux quittera Marseille pour rejoindre la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Ce médecin au caractère forgé n’adhère pas au projet d’institut hospitalo-universitaire, la Fondation Méditerranée Infection du professeur Didier Raoult. « J’ai du mal à obéir lorsque je ne suis pas d’accord avec la façon dont les choses sont gérées. » Tout en poursuivant ses recherches en parasitologie et mycologie, Haïti et le choléra, dont l’épidémie reprend régulièrement, restent sa préoccupation. Avec l’Unicef, il travaille à la rédaction d’un projet d’élimination du choléra sur l’île. Exsangues financièrement, les acteurs de la lutte contre cette épidémie, sur place, espèrent maintenant que les fautifs auront à cœur d’aider à éradiquer le vibrion dans ce pays, l’un des plus pauvres du monde.

    Le 1er septembre, à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), Renaud Piarroux ­racontera son combat scientifique pour la ­vérité sur l’origine de l’épidémie de choléra en Haïti. S’il reconnaît une « part de militantisme » dans son travail, celui-ci est toujours demeuré scientifique car « l’adversaire, dit-il, ce n’est ­jamais l’ONU, c’est le choléra. Mais il a parfois des alliés, et il faut le dire… ».

  • Doper la longévité par un stress éphémère

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/29/doper-la-longevite-par-un-stress-ephemere_4989411_1650684.html

    Bien au-delà de leur mission de « centrales à énergie » des cellules, les mitochondries jouent un rôle crucial dans leur vieillissement. En cas de déficit marqué, elles précipitent les ravages du temps. Les animaux âgés, on le sait, présentent des dysfonctions mitochondriales. Mais est-ce une cause ou une conséquence des effets de l’âge ?

    Dans certains cas, c’est bien une cause. Examinons ces souris qui souffrent d’altérations prononcées de leurs protéines mitochondriales : elles subissent un vieillissement accéléré.
    Dans un travail publié en 2004 dans Nature, Nils-Göran Larsson (Institut Karolinska, Suède) avait créé des souris transgéniques : il avait altéré un gène qui assure la fabrication des protéines dans les mitochondries. Résultats : ces protéines étaient mal repliées. « A lui seul, ce stress protéique durable, dans les mitochondries, provoque une sénescence précoce », commente Hugo Aguilaniu, du CNRS à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon. Perte de poids, ostéoporose, anémie, fertilité réduite, épaississement du cœur… en ont été les principales manifestations, chez ces malheureux rongeurs.

    Bénéfice tardif

    Mais voici un apparent paradoxe : alors qu’une maladie mitochondriale a des effets souvent dévastateurs, un stress mitochondrial modéré, administré durant une courte période transitoire, peut doper la longévité ! Dès 2002, l’équipe de Cynthia Kenyon, de l’université de San Francisco (Californie), montrait que la durée de vie d’un petit ver, C. elegans, peut être quasiment doublée par un stress mitochondrial léger, appliqué durant une fenêtre critique de son développement.
    En quoi consistait ce stress ? En une désactivation transitoire de gènes mitochondriaux : elle entraîne, là encore, un défaut de repliement des protéines mitochondriales. Mais, ici, ce stress transitoire enclenche une réponse de la mitochondrie, dite UPR, en vue de réparer les dégâts.

    « Même quand le stress disparaît, les gènes favorables à la longévité continuent d’être activés. Chez le ver, la durée de vie est ainsi accrue de 30 % à 40 % ; chez la souris, de l’ordre de 15 % », précise Johan Auwerx, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL, Suisse).
    En mai, deux études publiées dans Cell ont précisé comment ce stress éphémère et précoce induit un bénéfice tardif sur la longévité, chez le ver comme chez la souris. « Lorsqu’un animal subit un stress modéré précoce, c’est comme si ce stress disait à son corps : “Attention, les choses sont un peu déséquilibrées ici, essayons de les réparer”, explique Andrew Dillin, de l’université de Californie, à Berkeley, coauteur de ces deux études. Un interrupteur épigénétique est alors enclenché, ce qui maintient le processus de réparation toute la vie de l’animal. »

    « Switch » épigénétique

    L’épigénétique, ou comment modifier durablement l’activité des gènes sans toucher à la séquence d’ADN, mais « juste » en collant ou en décollant des « étiquettes chimiques » sur l’ADN ou les protéines associées. C’est un processus en deux étapes. Chez le ver, un premier jeu d’enzymes affecte le repliement de l’ADN du noyau : cette reconfiguration expose environ 1 500 gènes qui assurent le fonctionnement de la mitochondrie. Ensuite, ces gènes sont marqués chimiquement par un second jeu d’enzymes : et les voilà activés durant toute la vie de l’animal.

    Précision importante : ce « switch » épigénétique n’a lieu que dans le cerveau du ver, « dans les neurones qui détectent le statut nutritionnel de l’animal. Ces neurones à leur tour envoient des signaux en périphérie pour modifier le métabolisme », explique Andrew Dillin. Indice concordant : chez la souris, on observe aussi une suractivation des mêmes gènes dans le cerveau des animaux qui vivent longtemps, mais pas dans leurs autres tissus, ni dans le cerveau de ceux qui meurent plus tôt.

    « C’est la corrélation génétique la plus forte jamais trouvée avec la durée de vie de ce rongeur », souligne Andrew Dillin. Chez l’homme, pourrait-on aussi déclencher ce switch épigénétique à l’aide de certaines molécules, par exemple ? Une perspective fascinante pour les uns ; pour les autres, un fantasme de démiurge…

    Une autre voie de rajeunissement a récemment donné des résultats « spectaculaires », selon Hugo Aguilaniu, qui n’a pas participé à leur découverte. Jugez-en : une équipe de l’EPFL est parvenue à rajeunir le muscle de souris âgées par une « simple » intervention nutritionnelle. Ces rongeurs ont reçu une nourriture enrichie en une molécule proche de la vitamine B3, le nicotinamide riboside (NR). Et leurs cellules-souches en ont été revigorées.

    « Essai clinique chez l’homme »

    « Les tissus vieillissent en partie parce qu’ils perdent leurs cellules souches. Chez des sujets jeunes, ces cellules assurent la régénération ou la réparation des tissus », explique Johan Auwerx, dernier auteur de ce travail, publié en avril dans Science. Mais pourquoi les cellules souches disparaissent-elles avec l’âge ? Parce que leurs mitochondries souffrent d’un déficit en leur carburant essentiel : le NAD+ (nicotinamide adénine dinucléotide), montre cette étude. Le NR compense en partie ce déficit : il est un précurseur de ce carburant.

    Chez des souris âgées, l’administration de NR retarde la sénescence des muscles, des cellules nerveuses et de la peau… et elle augmente la longévité. « L’effet est général », se réjouit Johan Auwerx. « C’est une grande surprise, renchérit Hugo Aguilaniu. Cette équipe est parvenue à réactiver des cellules souches de façon harmonieuse, sans former de cancers, avec une seule molécule proche d’une vitamine. C’est très encourageant. »

    La découverte débouchera-t-elle sur une application médicale ? Le NR prévient aussi la sénescence musculaire de souris atteintes de dystrophie musculaire. « Un essai clinique devrait être bientôt lancé dans cette maladie chez l’homme », indique ­Johan Auwerx.

  • Mitochondrie, quand l’usine cellulaire débraye

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/29/mitochondrie-quand-l-usine-cellulaire-debraye_4989425_1650684.html

    La mitochondrie. Ce nom évoque pour vous quelque réminiscence scolaire ? Rien d’étonnant : nos manuels de lycée foisonnent d’images d’Epinal de la cellule. Autour du noyau, trônant en majesté, gravitent une myriade de satellites étranges, les organites, corpuscules aux formes fantasques, aux fonctions très spécialisées. Parmi eux, les mitochondries. Ces édifices baroques, nul architecte n’aurait osé les concevoir : des haricots joufflus, cernés d’une double enveloppe. Leur « peau » interne dessine une multitude de plis et replis. Ce sont les crêtes mitochondriales, vagues ourlées tout en courbes et rondeurs.

    Sur ces vagues déferle un flux de molécules que les mitochondries produisent à la chaîne : c’est le fameux ATP (adénosine triphosphate), fournisseur d’énergie universel des cellules. Sans lui, nulle contraction musculaire, nul battement cardiaque, nul influx nerveux filant dans nos neurones ! Cette mission vitale, les mitochondries l’accomplissent avec une redoutable efficacité : chaque jour, elles fabriquent l’équivalent de notre propre poids en ATP.

    Telle est leur face « Dr Jekyll ». Leur sombre visage, elles le révèlent, en cas de dysfonctionnement, avec les effets dévastateurs des maladies mitochondriales.

    « Maxence est né le 21 mai 2007 ; il nous a quittés le 3 novembre de la même année. Il s’est battu cinq mois et demi », témoigne sa maman, Carine Tuffery. Dès le début, elle sent que quelque chose ne va pas : « Maxence s’étouffait, il semblait très fatigué. » Un scanner montre une anomalie cérébrale. L’analyse des biopsies de muscle et de peau du nourrisson, dans un autre hôpital, fait suspecter une maladie mitochondriale.

    Maxence est dirigé vers l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP, Paris), où le diagnostic est confirmé. L’atteinte est sévère, avec un déficit sur deux grands complexes de protéines mitochondriales, ces molécules qui font tourner la chaîne respiratoire. « Cela ne pouvait pas fonctionner. » Le bébé suit des traitements lourds contre son trouble métabolique, contre son épilepsie… « Ce sont des choses qu’on ne souhaite à personne. » A l’époque, son frère aîné a 8 ans ; sa sœur, 5 ans et demi. « Pour eux aussi, ce fut un parcours du combattant. Mais ils savent ce que c’est que d’aider les autres. » Il faudra huit ans à l’équipe du professeur Arnold Munnich, à l’hôpital Necker, pour découvrir le gène en cause, ECHS1, en 2015. « Maxence n’avait pas été oublié ! »

    Une personne sur 5 000 est touchée

    On recense plus de 390 maladies mitochondriales. Chacune d’elles est très rare. Mais au total, environ une personne sur 5 000 est touchée par l’une de ces affections. Certains déficits sont limités à un organe comme l’œil. Mais le plus souvent, les défaillances sont multiples, avec des atteintes neurologiques et musculaires dominantes.

    « Le diagnostic est difficile et complexe, du fait de la grande hétérogénéité des présentations cliniques : encéphalopathie, épilepsie, diabète, surdité, cécité, cardiomyopathie, insuffisance hépatique… »,écrivent Agnès Rötig, de Necker, Annabelle Chaussenot et Véronique Paquis-Flucklinger, du CHU de Nice, sur le site Extranet de cet hôpital. En sus de Necker, le diagnostic de ces maladies est pratiqué à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, celui du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), et dans de nombreux CHU en ­province (Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille, Nice, ­Angers…), organisés en réseau.

    Quels sont les progrès dans ce domaine ? « Voilà plus de vingt-cinq ans que je suis aux côtés de ces enfants et de ces familles. L’avancée majeure vient de l’élucidation des gènes en cause. Plus de 150 sont connus à ce jour », assure le professeur Munnich. Un progrès lié à l’arrivée du séquençage à haut débit de l’ADN, à l’Institut Imagine à Necker. « En vingt-cinq ans, on est passé d’un taux de diagnostic de 0 % à plus de 40 %, avec des effets favorables sur la prévention, le conseil génétique et le diagnostic prénatal. Les familles éprouvées peuvent enfin avoir des bébés en pleine santé », dit Arnold Munich.

    « Comme une poupée de chiffon »

    L’histoire de la famille de Juliette en est une illustration. A sa naissance, le 8 août 2011, la maman, Carine, a 36 ans ; c’est son premier-né : « Juliette pleurait beaucoup, elle ne s’alimentait pas bien », se souvient-elle. La nuit du 20 au 21 octobre, elle la trouve « comme une poupée de chiffon ». Transférée aux urgences pédiatriques de La Roche-sur-Yon, puis en réanimation au CHU de Nantes, la petite fille subit une batterie d’examens. Mais son état s’aggrave, elle doit être intubée. « Juliette est partie à 3 mois et demi. »

    En février 2014, le gène de la maladie de Juliette, NDUFS4, est trouvé à Necker. « Ce fut un grand soulagement. Un nouveau projet parental devenait possible », dit Carine. Mais elle a 40 ans : le temps presse. Après une stimulation ovarienne, une nouvelle grossesse survient. Le bébé est indemne, montre le diagnostic prénatal. Charlotte naît le 20 novembre 2015, en pleine santé.

    « J’ai vu des parents soulagés au-delà de l’imaginable par la découverte du gène responsable de la maladie. Et ce, même après la disparition de leur enfant, même si le couple ne pouvait avoir un autre bébé, confirme Françoise Tissot, présidente de l’Association contre les maladies mitochondriales (Ammi), très investie dans le soutien à la recherche et aux familles. Cette annonce est une forme de réparation, elle aide ces familles dans l’accompagnement d’un impossible deuil. » La plus grande des injustices, dit-elle, « est de naître avec une maladie qui ne laisse aucune chance. »

    Quand l’enfant survit, c’est souvent au prix d’un polyhandicap. Tristan a aujourd’hui 24 ans. « A 2 ans et demi, il ne marchait pas, raconte sa maman, Aliette. Puis il a fait une crise d’épilepsie très sévère. » Un diagnostic de maladie mitochondriale est posé. Tristan débute un traitement par le coenzyme Q (une vitamine qui participe à la chaîne respiratoire dans les mitochondries). Mais la maladie évolue. « Nous avons essayé la scolarisation, mais Tristan avait des absences et il chutait. » Il parvient, un temps, à marcher avec un déambulateur. Aujourd’hui la station debout est impossible. « Tristan comprend ce qu’on lui dit. Il sait ce qu’il veut, mais nous avons du mal à le comprendre. »

    Colorées au microscope électronique à transmission (MET) des mitochondries (en bleu) dans un adipocyte (cellule graisseuse).
    Aujourd’hui le jeune homme est pris en charge dans un Institut médico-éducatif (IME). La limite d’âge, en principe, est de 18 ans. « Pour Tristan, nous avons pu reculer cette limite à 25 ans. » Mais l’an prochain ? « Les structures pour adultes ­manquent de place. C’est un gros souci », se désole Aliette. En 2008, le gène responsable de la ­maladie de Tristan, le gène COQ, est découvert à Necker. A 38 ans, Aliette entame une nouvelle grossesse, qui doit être interrompue : le fœtus est atteint. Par bonheur, Auxane naîtra en février 2009, en pleine santé.

    Quels traitements proposer aux malades ? La plupart des thérapies visent à atténuer les symptômes. Dans de très rares cas,on dispose d’un traitement à visée curative. Par exemple, dans le déficit en thymidine phosphorylase, le patient peut bénéficier d’une greffe de moelle osseuse qui restaure un taux suffisant de l’enzyme manquante : la greffe détoxique l’organisme de la thymidine accumulée. De même, les transplantations cardiaques sont bénéfiques en cas de mutations du gène ACAD9, par exemple. « On n’hésite plus à procéder à des transplantations d’organes. Et l’on prend en compte chaque symptôme. Les enfants ne guérissent pas encore, mais on transforme une maladie fatale en maladie chronique », résume le professeur Munich.

    Les seuls organites à posséder leur propre ­génome

    Ici, une digression est bienvenue. Elle concerne cette autre excentricité des mitochondries : ce sont les seuls organites à posséder leur propre ­génome. Pour autant, elles font appel au génome du noyau cellulaire pour coder 95 % des protéines qui servent à produire l’ATP. Le reste est codé par leur génome. Plus singulier encore : ce ­génome mitochondrial est doté de son propre code génétique (le code qui convertit l’ADN en ARN, puis en protéines). Et ce dernier diffère légèrement de celui du noyau !

    Cette bizarrerie s’explique : les mitochondries sont des ovnis cellulaires. Sauf que l’objet dont ­elles dérivent ne vole pas, et qu’il est à demi identifié : c’est une bactérie. Retour sur une fascinante aventure évolutive. Imaginons notre planète, il y a 2 ou 2,5 milliards d’années. L’oxygène sur la Terre reste rare ; nulle plante, nul animal n’existe encore. Voyez cette bactérie aérobie : elle est autonome. Plus pour longtemps : la voilà avalée par une autre cellule, probablement une archée (un être unicellulaire sans noyau). Par cet acte inspiré, l’archée vorace crée une endosymbiose : une coopération bénéfique aux deux parties. La bactérie se trouve protégée et nourrie ; l’archée devient capable de respirer l’oxygène atmosphérique et/ou de disposer d’une source considérable d’énergie. On suppose que cette archée a ensuite (ou en parallèle) grossi, puis formé des replis en son centre pour construire un noyau. De là dérivent tous les eucaryotes, ces organismes formés de cellules dotées d’un noyau. Un très vaste empire, puisqu’il regroupe les plantes, les animaux, les champignons, les levures et leurs cousines !

    Ce scénario a été en partie revu en février, dans Science, par Steven Ball, du CNRS à Lille. Selon lui, la cellule hôte n’aurait pas avalé cette bactérie : celle-ci l’aurait infectée ! C’est parce que cette bactérie aurait su neutraliser les défenses immunitaires de son hôte qu’elle aurait pu s’y maintenir. La thèse est controversée, mais une certitude demeure : nos précieuses mitochondries dérivent bien d’une bactérie qui a été recyclée.

    Quid du « bébé à trois parents », très médiatisé ?

    Autre particularité de ces organites hors norme : lors de la reproduction sexuée, seule la mère transmet ses mitochondries à ses enfants. D’où cette quasi-fatalité : un enfant héritera presque toujours des mitochondries maternelles dont l’ADN est muté – « presque », car l’ovocyte, dans ces cas, contient aussi quelques mitochondries non mutées qui, par chance, peuvent être transmises à l’enfant, mais c’est très rare.

    « Cette transmission maternelle quasi systématique culpabilise beaucoup les mères porteuses saines, relève Françoise Tissot. Le couple a besoin d’un soutien psychologique. D’autant qu’un nouveau projet parental nécessite une démarche lourde, assistée médicalement. » Avoir un enfant indemne, dans ce cas, impose le recours à la ­fécondation in vitro (FIV) avec don d’ovocytes ; ou bien, une FIV avec l’ovocyte maternel, suivie d’un diagnostic préimplantatoire.
    Quid du « bébé à trois parents », très médiatisé ? Interdite en France, cette technique a été autorisée par le Parlement britannique en février 2015. Il s’agirait de réaliser une fécondation in vitro entre le spermatozoïde paternel et l’ovocyte maternel, contenant des mitochondries défectueuses. Ensuite, le noyau de cet œuf fécondé serait introduit dans l’ovocyte énucléé d’une donneuse, qui fournirait ainsi des mitochondries intactes. Le patrimoine génétique de la mère (l’ADN du noyau) serait alors transmis à l’enfant.

    Aucun « bébé à trois ADN » n’a encore été conçu. Outre les réserves éthiques que cette pratique soulève, se pose le problème de la rareté des ovocytes disponibles pour la FIV. Surtout, la question de son innocuité fait débat. Une étude semble donner raison aux partisans de la prudence. Publiée dans Nature le 6 juillet, elle s’est intéressée à des souris dotées d’un même ADN nucléaire, mais de mitochondries d’une autre origine. Jeunes, ces souris semblaient en bonne santé. Mais, à mesure qu’elles prenaient de l’âge, elles présentaient des altérations de leurs fonctions mitochondriales, des voies de signalisation de l’insuline et des marqueurs du vieillissement. Leur santé était affectée, leur longévité diminuée. « On ignore les effets à long terme d’un mélange d’ADN nucléaire et d’ADN mitochondrial d’origines différentes », met en garde l’auteur, José Antonio Enriquez, du Centre espagnol d’études cardio-vasculaires à Madrid.

    « On a longtemps cru que le noyau cellulaire était seul maître à bord, indique Annie Sainsard-Chanet, professeure de génétique à l’université Paris-Sud. Mais la mitochondrie a son mot à dire : elle envoie des signaux au noyau pour qu’il ajuste la programmation de cet organite, par exemple, en réponse à un environnement délétère. » Julie Steffann, de l’Inserm à Necker, renchérit : « Pour qu’une mitochondrie soit active, il faut une coopération entre deux génomes, celui du noyau et celui de la mitochondrie. Comment la mitochondrie signale-t-elle au noyau qu’il doit fabriquer beaucoup ou peu de protéines mitochondriales ? Cela reste, en grande part, un mystère ! » Le génome du noyau a co-évolué avec ses propres mitochondries depuis des lustres, souligne-t-elle. L’introduction de mitochondries exogènes risque de perturber leur dialogue bien rodé.

    Un mot, pour finir, sur une perspective évolutive. Le génome mitochondrial mute dix fois plus que le génome du noyau. D’où l’hypothèse développée dans Cell, en septembre 2015, par Douglas Wallace, qui dirige le Centre de médecine mitochondriale à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie (Pennsylvanie). Selon lui, les mutations de l’ADN mitochondrial permettraient une adaptation rapide et souple des individus à des changements de leur environnement. Cela, sans mettre en péril les espèces : seules les mutations mitochondriales bénéfiques seraient retenues, les ovules portant des mutations délétères étant éliminés avant la fécondation. « Dans des pays chauds, par exemple, les populations s’adapteraient grâce à leur génome mitochondrial : elles feraient plus d’ATP et moins de chaleur. Ce serait l’inverse dans les pays froids, explique Anne Lombès, de l’Inserm à l’Institut Cochin, à Paris. La thèse est séduisante, mais difficile à vérifier. »

  • Proton Radius Puzzle Deepens With New Measurement | Quanta Magazine
    https://www.quantamagazine.org/20160811-new-measurement-deepens-proton-radius-puzzle

    The same group that discovered a curious discrepancy in measurements of the size of the proton, giving rise to the “proton radius puzzle,” has now found a matching discrepancy in measurements of a nuclear particle called the deuteron. The new finding, published in the journal Science, increases the slim chance that something is truly amiss, rather than simply mismeasured, in the heart of atoms.

    The puzzle is that the proton — the positively charged particle found in atomic nuclei, which is actually a fuzzy ball of quarks and gluons — is measured to be ever so slightly larger when it is orbited by an electron than when it is orbited by a muon, a sibling of the electron that’s 207 times as heavy but otherwise identical. It’s as if the proton tightens its belt in the muon’s presence. And yet, according to the reigning theory of particle physics, the proton should interact with the muon and the electron in exactly the same way. As hundreds of papers have pointed out since the proton radius puzzle was born in 2010, a shrinking of the proton in the presence of a muon would most likely signify the existence of a previously unknown fundamental force — one that acts between protons and muons, but not between protons and electrons.
    […]
    Still, Pohl is highly skeptical that the puzzle is evidence of new fundamental physics.

    His personal guess is that physicists have misgauged the Rydberg constant, a factor that goes into calculating the expected differences between atomic energy levels. While it is considered one of the most accurately measured constants, a small error could account for the proton and deuteron radius puzzles.

    To test this possibility, physicists in Toronto are attempting to measure the proton radius in a way that sidesteps the Rydberg constant. Other experiments are under way to test alternative hypotheses, mundane and exciting alike. Pohl’s group is diving into muonic helium, a system in which the effects of a new force, if it exists, should be enhanced, since there are two protons. We’ll keep you posted.

    accédé après la frustration du #paywall du Monde

    Le mystère du proton qui rétrécit
    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/08/22/le-mystere-du-proton-qui-retrecit_4986388_1650684.html

    • Le mystère du proton qui rétrécit

      En physique, pour percer les secrets de la nature, il y a la manière forte et la manière douce. La forte consiste à entrechoquer violemment des particules élémentaires dans l’espoir d’en faire apparaître de nouvelles. C’est ce que fait l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) de Genève dans son accélérateur géant, le LHC.

      La manière douce vise, au ­contraire, à préserver au mieux les particules pour espérer observer des comportements déviants par rapport à ce qui serait attendu. C’est ce que vient de publier une équipe internationale dans Science du 12 août en observant à la loupe l’une des plus simples briques élémentaires de la matière, le proton, qui compose chacun des noyaux de nos atomes. Ils ont confirmé que cette boule est ­extrêmement petite. Il faudrait en enfiler un milliard pour atteindre un collier d’un micromètre seulement. Surtout, la valeur est 4 % plus faible que prévu. A l’aune d’un tour detaille, l’écart peut sembler ridicule, mais pour des physiciens habitués à des mesures de haute précision, c’est colossal. Intrigant et obsédant. La preuve peut-être d’une défaillance de nos théories fondamentales actuelles.

      Mécanique quantique

      En fait, l’équipe enfonce ici le clou. En 2010, elle avait déjà conclu à un rétrécissement du proton. Mais cette fois, elle a analysé de nouvelles données issues de la même expérience réalisée à l’Institut Paul-Scherrer (Suisse) et confirmé ses conclusions. « Cela ne change pas le tableau général, mais ça renforce le mystère. Cela réduit la chance qu’il y ait un problème dans la première conclusion », estime Jan Bernauer, chercheur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui n’a pas participé à ce travail.

      Comment mesurer la taille d’un objet si minuscule ? En faisant tourner quelque chose autour de lui. Par exemple un électron, puisque c’est naturellement ce qui se passe dans l’atome d’hydrogène constitué seulement de ces deux particules. Comme on est en ­mécanique quantique, la rotation de l’électron autour du proton n’est pas comme la Lune autour de la Terre. L’électron peut « sauter » sur une orbite plus lointaine, par exemple, ou bien être délocalisé un peu partout. Y compris au milieu du proton ! En étudiant par des lasers ces sauts, reliés notamment à la taille du proton, les chercheurs en déduisent le rayon désiré.

      D’autres techniques envoient des électrons sur une cible de protons et observent leur déviation, elle aussi reliée au rayon du proton. L’équipe de Jan Bernauer a ainsi mesuré une taille cohérente avec les techniques dites de spectrométrie par laser.


      Karsten Schuhmann et Aldo Antognini dans la grande halle d’expérimentation de l’Institut Paul-Scherrer, à Villigen (Suisse).

      Au milieu des années 1990, des physiciens avaient proposé une autre idée. Au lieu de faire tourner un électron autour d’un proton, opter pour un muon, une particule identique à l’électron mais 200 fois plus lourde. Elle valse plus près du proton, les effets observés sont donc plus faciles à mesurer. « Au milieu des années 2000, nous commencions à désespérer car nous ne voyions rien après des ­années d’effort », se souvient Paul Indelicato, membre de cette collaboration au Laboratoire Kastler-Brossel, à Paris (et par ailleurs ­conseiller scientifique de Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à la ­recherche). C’est que pour tenter de faire « sauter » le muon, les chercheurs se basaient sur les mesures précédentes. Et n’y arrivaient pas. En considérant un plus petit proton, ils ont fini par réussir.

      Deux solutions

      Leur nouvelle expérience utilise toujours le muon, mais en rotation autour d’un duo compact formé d’un proton et d’un neutron. « En utilisant dans nos calculs la taille du proton trouvée précédemment, on explique nos résultats expérimentaux », souligne Randolf Pohl, professeur à l’université de Mayence (Allemagne) et leader de la collaboration baptisée Crema.

      Quelque chose ne tourne donc pas rond autour du proton. Grosso modo, il n’y a que deux solutions pour résoudre l’énigme. Soit les mesures utilisant les électrons (par laser ou par diffusion) ont un problème. Soit il y aurait un effet physique différent pour le muon et l’électron, ce qui serait radicalement nouveau. D’autant qu’une autre propriété du muon, liée à son interaction avec un champ magnétique, montre aussi une différence avec l’électron.

      « On rêve que ce soit un indice d’une nouvelle physique. Mais je n’y crois pas. La réalité est sans doute quelque chose qui nous échappe avec les mesures laser sur l’hydrogène, estime Randolf Pohl. Ces ­efforts nous aideront de toute ­façon à mieux comprendre le proton. Cette énigme fait réfléchir et stimule. » « C’est interdisciplinaire. Nous allons dans des conférences de physique des hautes énergies, habituellement hors de notre champ », apprécie Paul Indelicato.

      « Cette année, lors d’un congrès, nous avons fait un sondage au ­résultat clair : il faut plus de données ! », ajoute Jan Bernauer. Pour cela, certains refont les essais en spectrométrie de l’hydrogène. D’autres, comme Bernauer, ont lancé MUSE pour étudier la diffusion des muons sur des protons. Crema continue ses explorations avec des noyaux plus lourds ­(hélium, lithium, carbone…). Une dizaine de projets sont recensés pour ôter enfin ce tout petit caillou dans la chaussure.