• Petit tuyau, gros débit

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/09/26/petit-tuyau-gros-debit_5003591_1650684.html

    Bizarre, bizarre. Des chercheurs du laboratoire de physique statistique de l’Ecole normale supérieure de ­Paris viennent de découvrir que plus un tuyau est étroit, mieux l’eau s’y écoule ! N’essayez pas à la maison, car l’effet n’apparaît qu’aux échelles du milliardième de mètre (le nanomètre), par exemple dans des nanotubes de carbone, une molécule faite d’atomes de carbone organisés en nids d’abeilles à la surface. Le diamètre de ces cylindres peut faire plusieurs nanomètres, pour plusieurs centaines de nanomètres de long.

    « Depuis une dizaine d’années, plusieurs groupes ont obtenu des résultats contradictoires sur l’écoulement dans ces structures, observant soit des effets gigantesques sur les perméabilités des nanotubes, soit des effets relativement faibles », résume Lydéric Bocquet, coauteur de l’article paru dans ­Nature le 8 septembre. Ce qui n’a pas empêché certains de rêver à des systèmes efficaces pour filtrer l’eau de mer, puisque ces trous minuscules bloqueraient les sels tout en laissant passer le liquide, devenu ainsi potable.

    « Mais ces expériences étaient réalisées avec des membranes percées de plusieurs tubes de diamètre variable, avec des fuites possibles. C’était assez mal contrôlé, indique Jan Eijkel, professeur à l’université de Twente (Pays-Bas). Là, pour la première fois, le débit d’un seul tube est mesuré. C’est une belle réussite technique ! »

    L’expérience peut sembler facile. Sauf que les volumes sont très faibles, de l’ordre du femtolitre (un millionième de milliardième de litre), soit la quantité d’eau contenue dans un globule rouge. Impossible à mesurer, donc. « En onze jours, environ 1 nanolitre serait passé dans le tube, ce qui est mesurable. Mais il faudrait tenir compte de l’évaporation, ce qui complique l’interprétation », ajoute Lydéric Bocquet, dont l’équipe a procédé différemment.

    Comportement collectif

    L’idée est de plonger l’aval du tube dans un réservoir rempli de petites billes de polystyrène. Quand l’eau jaillit du tube elle agite les billes, dont le mouvement est suivi par une caméra rapide qui en mesure la vitesse (de l’ordre de quelques micromètres par seconde) et permet d’estimer le débit sortant du tuyau. Résultat, les tubes de 10 nanomètres de diamètre débitent deux fois plus que ceux de 20 nanomètres. Autre surprise, des tubes assez similaires, mais à base de bore et d’azote, ne conduisent pas du tout l’eau ! « Or les simulations ne montraient jusqu’à présent pas de différence entre ces deux types de molécules. L’expérience est merveilleuse, car elle oblige à changer nos modèles », salue Jan Eijkel.

    Si l’équipe a réussi à arbitrer une controverse, elle n’est pour l’instant pas parvenue à expliquer totalement sa découverte. Elle a néanmoins constaté que l’eau adopte un comportement collectif, glissant littéralement quasi d’un seul bloc comme un patin dans ce tube, sur une longueur bien plus grande que le diamètre du cylindre. « La différence entre les nanotubes de carbone et de bore-azote indique que des effets électroniques subtils sont sans doute à l’œuvre, souligne Lydéric Bocquet. J’adore ce lien entre l’hydrodynamique des fluides et les propriétés intimes de la matière. »