• La recette pour faire naître les nuages

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/10/31/la-recette-pour-faire-naitre-les-nuages_5023051_1650684.html

    Les stratus, nimbus, cumulus ne strient pas seulement le ciel bleu. Ils troublent aussi les chercheurs, qui n’arrivent toujours pas à saisir comment ils se forment. C’est loin d’être un détail, car les nuages sont le processus le moins bien connu des prédictions climatiques. De combien de degrés refroidissent-ils en moyenne l’atmosphère ? Quelle est leur réponse aux variations d’émissions anthropiques ou naturelles de certains aérosols ? Autant de questions auxquelles tente de répondre une collaboration internationale dans la revue Science du 28 octobre. Elle est centrée autour d’une expérience originale et unique au monde, Cloud, installée au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), l’un des temples internationaux de physique des particules.

    Que viennent faire des protons, électrons et autres pions dans cette histoire ? Les chimistes et physiciens soupçonnent que des bombardements de particules depuis l’espace, les rayons cosmiques, favorisent les premières étapes de la condensation de la vapeur d’eau en nuage.

    Cette première phase débute par l’agrégation de vapeurs peu volatiles en particules ultrafines d’environ un nanomètre de diamètre seulement. Puis ces minuscules graines grossissent jusqu’à une centaine de nanomètres en accumulant d’autres gaz, avant de condenser la vapeur d’eau en gouttelettes et de former les nuages. Les particules chargées – ou ions –, créées par le bombardement cosmique, stabilisent les agrégats primaires et favoriseraient ce processus dit de nucléation.

    Particules extraterrestres

    Détail supplémentaire : comme la quantité de ces particules extraterrestres dépend de l’efficacité du bouclier magnétique terrestre, qui dépend lui-même de l’activité du Soleil et de ses tempêtes, plusieurs chercheurs, dans les années 1990, ont émis l’idée que notre étoile pourrait jouer un rôle plus subtil que le simple apport de chaleur dans l’évolution des températures moyennes. Un vent solaire expulserait les ions de notre environnement, réduirait la nucléation, diminuerait la couverture nuageuse et donc réchaufferait l’atmosphère. Autrement dit, le Soleil expliquerait mieux l’augmentation des températures actuelles que la croissance des émissions de gaz à effet de serre !

    D’où l’expérience Cloud, sorte de chambre à nuages unique au monde, qui bénéficie des compétences du CERN en matière de particules mais aussi en mesures de grande précision. Dans les 26 m3 de leur cylindre, les chercheurs recréent des atmosphères réelles de température et d’humi­dité contrôlées et surtout contenant des concentrations variables en d’infimes quantités de gaz (dioxyde de soufre, composés organiques volatils, ozone…). Ils y ajoutent de la lumière et les ions, qu’ils peuvent également ôter pour mieux en mesurer l’importance.
    L’article de Science est une synthèse de résultats accumulés depuis 2009 permettant de prévoir en quelle quantité seront produites les petites « graines » de nuages. « C’est le premier modèle de prévision des taux de nucléation basé sur des données expérimentales », estime le responsable de Cloud, Jasper Kirkby.

    D’abord, le modèle confirme que les aérosols comptent pour 43 % des phénomènes de nucléation. Le reste est lié à d’autres particules, dites primaires, comme celles émises par les volcans ou au-dessus des océans par les embruns.

    Le modèle rappelle aussi que, contrairement à ce que l’on pensait, l’acide sulfurique, créé par l’oxydation du dioxyde de soufre, lui-même largement produit par la combustion des énergies fossiles, n’est pas le seul gaz à pouvoir condenser. Des émissions dites biogéniques, émanant des forêts (et formant un halo bleuté au-dessus des canopées), sont aussi des sources de nuages. Ce qui, dans un article précédent paru en mai 2016, avait fait dire aux chercheurs que l’ère préindustrielle était probablement plus nuageuse que ce que l’on présumait.

    Mariage à trois

    Concernant les rayons cosmiques, les chercheurs de Cloud confirment un résultat antérieur. Les ions favorisent la nucléation dans certaines conditions mais, « alors que la variation de 10 à 20 % de ce flux est importante, la réponse sur le taux de nucléation est de 0,1 % seulement », indique Jasper Kirkby. Un communiqué de l’équipe enfonce le clou : « Nous montrons que pour le processus étudié, les changements du nombre de rayons cosmiques sur un ­cycle solaire n’affectent pas ­assez les aérosols pour influencer le climat actuel. » D’autres travaux avaient montré en outre l’absence de corrélation entre activité solaire et couverture nuageuse.

    Les chercheurs ont fait d’autres trouvailles. Comme le fait que la nucléation passe par un mariage à trois : de l’eau, bien sûr, de l’acide sulfurique, mais aussi de l’ammoniac. Sans ce dernier gaz – dont la concentration a augmenté de 80 % depuis le début de l’ère industrielle –, le modèle ne colle pas aux observations aériennes. L’équipe prédit aussi les quantités de petites graines de nuages à différentes altitudes et latitudes et s’intéresse maintenant au rôle d’autres aérosols, comme le benzène ou le toluène, présents dans l’air des villes.

    « C’est de la très bonne science. Nous allons pouvoir nous rapprocher dans les modèles climatiques des atmosphères réelles. C’est important, car l’incertitude sur les nuages peut faire bouger les prévisions de températures en 2100 de 0,1 à 1 degré », note Yves Balkanski, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement.