• Mühleberg : on tire la prise
    Schweizer Revue : Éditions > 2019 > Novembre 6/19
    https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/muehleberg-on-tire-la-prise-1


    Bientôt, les lumières de la centrale nucléaire de Mühleberg s’éteindront.
    Photo Keystone

    Avec l’arrêt de Mühleberg à la fin de 2019, c’est la première fois qu’une centrale nucléaire tire définitivement la prise en Suisse. Son démantèlement sera un travail de pionnier qui durera près de 15 ans. On cherche encore où stocker les déchets hautement radioactifs en toute sécurité pour des dizaines de milliers d’années.

    Le 20 décembre à 12h30, dans la salle de commande de la centrale nucléaire de Mühleberg, à environ 20 km à l’ouest de Berne, les opérateurs appuieront sur deux boutons. Ils pousseront ainsi les barres de contrôle dans le réacteur et stopperont la réaction nucléaire en chaîne. Après 47 années d’activité, Mühleberg – la deuxième plus ancienne des quatre centrales nucléaires suisses – sera mise pour toujours hors service.

    Tout danger d’accident nucléaire n’est pas pour autant immédiatement écarté. Dans les trois jours suivant l’arrêt, la température et la pression au cœur du réacteur diminuent néanmoins si fortement qu’une explosion n’est plus à craindre. En revanche, une fusion du cœur du réacteur est théoriquement toujours possible. Mais les systèmes de refroidissement autonomes prévus pour résister même en cas de séisme sont conçus pour éviter cela.

    Le 6 janvier 2020 débutera le démantèlement de la centrale, qui durera 15 ans. D’abord, les éléments combustibles hautement radioactifs du réacteur seront transportés dans un bassin de stockage adjacent. Là, ils refroidiront encore pendant des années avant de rejoindre le centre de stockage intermédiaire de Würenlingen (AG). Cette phase durera jusqu’en 2024. Mais la radioactivité ne disparaîtra totalement de Mühleberg qu’en 2031. D’ici là, les éléments légèrement radioactifs et les débris de construction devraient eux aussi avoir été débarrassés. Il est prévu que la désaffectation de la centrale sera achevée en 2034. On ne sait pas encore si des vaches pourront revenir paître un jour sur ce pré verdoyant à côté de l’Aar.

    L’énergie atomique n’est plus rentable
    La décision d’arrêter Mühleberg a été prise par le groupe énergétique bernois BKW en 2013 pour des raisons économiques. Compte tenu du niveau bas des prix de l’électricité et des coûts élevés des rénovations requises, la poursuite des activités n’était tout simplement plus rentable. Il était aussi hors de question de construire un nouveau réacteur. Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, le Conseil fédéral a suspendu tout nouveau projet atomique et décidé de se tourner vers les énergies renouvelables. Apprendre que leur gagne-pain était devenu une activité obsolète a d’abord été un choc pour les quelque 300 employés de Mühleberg. Mais la plupart d’entre eux sont restés, et ils accompagnent à présent la mise au tombeau d’une technologie qu’ils considéraient comme bonne pour l’avenir.

    BKW entre en territoire inconnu avec cette première désaffectation d’une centrale nucléaire en Suisse. Le groupe énergétique a acquis en amont le savoir-faire nécessaire en rachetant des entreprises allemandes spécialisées dans la technique nucléaire et la radioprotection. Cette désaffectation lui permettra d’acquérir une expérience précieuse, qui pourrait devenir très demandée dans le monde entier : l’Allemagne entend sortir du nucléaire d’ici 2022, et d’autres pays européens prévoient de fermer des centrales.

    Des déchets dangereux pour des centaines de milliers d’années
    Le démantèlement de Mühleberg coûtera 927 millions de francs à son exploitant. Plus 1,4 milliard de francs pour le stockage intermédiaire et final des déchets radioactifs. Mais plusieurs dizaines d’années s’écouleront encore jusqu’à ce qu’un tel dépôt en couche géologique profonde soit construit. Jusque-là, les déchets hautement radioactifs de toutes les centrales nucléaires suisses seront placés dans des conteneurs en acier massif pesant jusqu’à 140 tonnes dans le dépôt intermédiaire de Würenlingen. Chaque conteneur renferme près de 20 tonnes de matériel hautement radioactif qui restera dangereux pendant des centaines de milliers d’années si l’on ne parvient pas à réduire drastiquement la radioactivité par de nouvelles méthodes.

    La Nagra recherche depuis bientôt 50 ans un site adéquat pour un enfouissement définitif. La loi sur l’énergie nucléaire exige en effet un dépôt en couche géologique profonde pour protéger durablement l’homme et l’environnement du danger d’une irradiation. Trois sites sont à l’étude : la région « Jura-est », à Bözberg (AG), le versant nord des Lägern (AG/ZH) et la région « Zurich nord-est » (ZH/TG). D’ici 2022, des forages permettront de déterminer quel site est le plus approprié. Le peuple devra aussi se prononcer durant la procédure d’autorisation, probablement en 2031. Le dépôt de stockage final suisse est censé être prêt en 2060.

    D’autres pays sont eux aussi dénués de dépôts finaux pour les déchets hautement radioactifs. La construction du premier dépôt en profondeur du monde a débuté à Olkiluoto, en Finlande, en 2016. Il sera exploité à partir de 2024. La France prévoit un site d’enfouissement dans la Meuse, à l’est du pays, pour accueillir les déchets des près de 60 centrales nucléaires françaises. Des dépôts pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs existent en Finlande, en Suède, en Corée du Sud et en Hongrie.

    Pas de renaissance pour le nucléaire
    Mühleberg fait partie des cinq centrales nucléaires du monde arrêtées en l’espace d’un an. Dans le même laps de temps, neuf réacteurs sont entrés en service, dont sept en Chine. À l’échelle mondiale, on construit toutefois toujours moins de nouvelles centrales, comme le note le dernier rapport annuel sur le statut de l’industrie nucléaire dans le monde. 68 projets étaient encore en construction en 2013 contre 46 à la mi-2019. D’après les experts, c’est trop peu pour que l’énergie atomique survive à long terme. Si son bilan CO2 est positif, elle s’avère peu utile dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il s’agit de la source d’énergie la plus chère et la plus lente : construire une nouvelle centrale prend 5 à 17 ans de plus qu’ériger une installation solaire ou éolienne dotée de la même performance. D’après le GIEC, les dix prochaines années seront cependant déterminantes pour savoir s’il l’on parviendra à atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.

    Encadré

    Beznau fête ses 50 ans et continue de tourner
    La plus vieille centrale nucléaire de Suisse se trouve à Beznau (AG). Elle entamera sa 51e année d’activité fin 2019. Au contraire de BKW, son exploitant Axpo continue de miser sur l’énergie atomique. Il entend maintenir dix ans encore sa centrale et a investi 700 millions de francs dans sa modernisation durant ces dernières années. Le groupe énergétique argovien estime que Beznau a permis d’économiser près de 300 millions de tonnes d’émissions de CO2 par rapport à une centrale électrique au lignite. Outre Beznau, sont encore en activité la centrale de Gösgen (1979) et celle de Leibstadt qui est la plus récente (1984) et la plus performante. L’énergie nucléaire représente environ un tiers de la production d’électricité en Suisse.

    • Nucléaire : la Suisse débranche une première centrale
      https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/12/21/nucleaire-la-suisse-debranche-une-premiere-centrale_6023674_3244.html


      Vue de la centrale nucléaire de Mühleberg, en Suisse, en avril 2018.
      ARND WIEGMANN / REUTERS

      Le site de Mühleberg, qui date de 1972, a été officiellement mis à l’arrêt vendredi. Une décision motivée par des considérations plus économiques qu’écologiques.

      Avec Mühleberg, ce n’est pas la fin de l’histoire du nucléaire suisse qui s’écrit, juste une page de l’industrie énergétique qui se tourne puisque trois centrales et quatre réacteurs restent en activité. Mais, à l’échelle de la Confédération, la fermeture du site, vendredi 20 décembre, est vue comme un événement national.

      Plantée au bord de la rivière Aar, à quinze kilomètres de la capitale Berne, la centrale est nichée dans le fond de la vallée, invisible du village cossu de 3 000 âmes qui la domine. La brume de l’hiver l’enveloppe d’un voile protecteur, sur lequel les officiels et les journalistes, qui ont fait le déplacement, jettent un dernier regard. La télévision publique retransmet en direct la cérémonie. Pour quelques heures, Mühleberg est devenu le centre de la Suisse.

      Un homme, René Maire, observe la scène. A la tête de l’hôtel de ville, il raconte ce que la centrale représentait pour Mühleberg : un bassin de 330 emplois – qui devraient être maintenus le temps du démantèlement – et des recettes fiscales plutôt confortables. Pudiquement, il dit que les habitants sont divisés sur cette fermeture. Sa ville restera dans l’histoire comme celle qui a posé le premier jalon vers la sortie du nucléaire pour la Suisse.

      Une initiative approuvée par référendum à 58 %
      Il était 12 h 30 lorsque, dans la salle des commandes, un technicien a appuyé simultanément sur deux boutons. En trois secondes, la réaction en chaîne s’est arrêtée. Après quarante-sept ans de service et près de 130 milliards de kilowatts heures produits – de quoi alimenter en électricité les 130 000 habitants de Berne durant un siècle –, l’unique réacteur de Mühleberg s’est tu. Un moment « historique » salué par Suzanne Thoma, la directrice de BKW (Forces motrices bernoises), la société exploitant le site qui fournissait 5 % de l’électricité de la confédération helvétique.

      Cette fermeture est le résultat d’une double décision. Celle de BKW, qui a jugé trop élevé le coût des investissements nécessaires pour répondre aux exigences de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN). Car Mühleberg a connu des incidents par le passé : un incendie en 1971, puis des fissures repérées sur le manteau du réacteur dès les années 1990. Et celle de la Confédération Helvétique qui avait décidé, après la catastrophe de Fukushima en 2011, de sortir progressivement du nucléaire. Une initiative approuvée par 58% […]

  • Quand la #Suisse internait les pauvres et les marginaux

    Jusqu’en 1981, aux quatre coins du pays, les autorités ont fait interner des dizaines de milliers d’hommes et de femmes sans procédure judiciaire. Une commission d’experts a récemment effectué des recherches sur ces « internements administratifs ». Les résultats écornent l’image que la Suisse se fait d’elle-même.

    La « justice administrative » fait partie « des choses les plus révoltantes qu’on puisse imaginer ». Ces mots ont été écrits en 1939 par l’écrivain bernois réformiste Carl Albert Loosli, cité 80 ans plus tard par la Commission indépendante d’experts (CIE). Tandis que les criminels ont droit à un procès, les personnes mises à l’écart par les autorités d’assistance et autres instances administratives en sont privées, se révoltait Loosli. Les institutions suisses abritent entre leurs murs des « esclaves de l’État, livrés corps et âme à l’arbitraire des autorités ». Et le plus étonnant, souligne-t-il, c’est que « personne ne s’en offusque ».

    Carl Albert Loosli, fils illégitime d’une fille de paysan, avait lui-même été placé dans une maison de rééducation durant son adolescence. Les voix critiques comme la sienne ont longtemps rebondi sur le système. Ce n’est qu’en 1981 que les cantons ont abrogé leurs lois sur l’internement et que la Confédération a révisé le code civil. Entre-temps, le domaine social s’était professionnalisé et la société était devenue plus libérale après 1968. Mais l’avancée fut surtout due à la pression internationale : la pratique suisse consistant à priver de leur liberté des adultes jeunes et moins jeunes d’un simple trait de plume n’était pas compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme que la Confédération avait ratifiée.

    La « Maison d’une autre Suisse »

    Les personnes concernées, qui avaient été incarcérées alors qu’elles étaient innocentes, n’ont pas été réhabilitées à cette époque. La honte les rendaient muettes, elles aussi. « Nous portions les stigmates du temps passé en « taule » alors que nous n’avions commis aucun crime », relate Ursula Biondi. Aujourd’hui âgée de 69 ans, elle a dans sa jeunesse été « internée administrativement » – selon le langage bureaucratique (voir p. 14) – au pénitencier de #Hindelbank à des fins de #rééducation. Au début du XXIe siècle, des personnes courageuses comme elle ont commencé à raconter leur histoire. Relayé par les médias, le sujet a fini par entrer dans l’agenda politique. Entre 2011 et 2016, le Conseil fédéral a présenté deux fois ses excuses, une loi sur la réhabilitation a été adoptée et le Parlement a décidé de verser une contribution de solidarité à toutes les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance. À côté des internés administratifs, d’autres personnes ont également exigé qu’on reconnaisse leur souffrance et qu’on les réhabilite : les anciens enfants placés et les personnes stérilisées de force (« Revue Suisse » 5/2018).

    Le Conseil fédéral a mis sur pied la CIE pour étudier en particulier les internements administratifs. Plus de 30 chercheurs se sont mis au travail. Après quatre ans d’activité, la CIE a publié dix volumes ces derniers mois, avec notamment des portraits de victimes. Elle a présenté son rapport final cet automne et recommandé de nouvelles mesures de réhabilitation allant du versement de prestations financières supplémentaires aux victimes à la fondation d’une « Maison de l’autre Suisse » comme lieu d’information sur ces événements. La ministre suisse de la justice, Karin Keller-Sutter, a reçu ces recommandations. Il s’agit aussi de décider si l’on prolongera le délai expiré de dépôt des demandes pour la contribution de solidarité, qui s’élève à 25 000 francs par personne. Dans ce cas, d’autres victimes pourraient se manifester. Y compris des personnes vivant à l’étranger qui n’ont pas pu déposer une demande dans les délais.

    #Répression dans un État de droit

    Le rapport de la CIE comporte 400 pages d’histoire et tend un miroir à la Suisse. On ne peut le dire autrement : pour les personnes en marge de la société, pauvres ou ne répondant pas à l’idée qu’on se faisait de la conformité, la Suisse était, jusqu’à il y a peu, un lieu inhospitalier, voire répressif. Il existait un droit de seconde classe, et peu nombreux sont ceux qui s’en sont émus. Voici un bref résumé des principaux résultats de la CIE :

    Au XXe siècle, au moins 60 000 personnes ont fait l’objet d’un internement administratif dans 650 institutions. Ce chiffre est plus important que prévu. L’internement en dehors du cadre pénal ne constituait pas simplement une bizarrerie du droit suisse, il faisait partie du système.
    La justice administrative visait surtout les couches sociales inférieures : les pauvres et les marginaux sans emploi fixe ni liens sociaux ou familiaux. Mais des membres de minorités comme les #Yéniches ont aussi été arrêtés et, après la Seconde Guerre mondiale, de plus en plus de jeunes « rebelles ».
    Ce sont des autorités de milice qui décidaient de l’internement : conseils communaux, commissions d’assistance communales, autorités tutélaires. Le soir, après leur travail, le commerçant, la femme au foyer et le comptable scellaient le sort de leurs concitoyens. Des conseillers d’État et des membres du gouvernement le faisaient aussi, sous prétexte de porter assistance, d’éduquer ou de protéger la société. Jugements moraux et clichés sexistes teintaient les avis : on reprochait aux hommes – qui constituaient 80 % des personnes internées – leur « fainéantise » ou leur alcoolisme, aux femmes leur « inconduite ».
    Quelques-unes des nombreuses institutions suisses servaient plusieurs objectifs à la fois. Il arrivait ainsi que des internés administratifs soient incarcérés avec des criminels condamnés. Ils étaient aussi placés dans des établissements de travail forcé, des colonies de travail, des foyers d’éducation, des asiles pour buveurs et des hospices de pauvres. Dans les institutions mal pourvues et peu surveillées, les hommes devaient fournir un travail physique en plein air, et les femmes, des tâches ménagères. Le travail forcé n’était pas ou peu rémunéré.
    L’expérience dramatique de l’internement poursuivait les victimes même après leur libération, souvent pour la vie. Certaines ont été brisées, d’autres ont choisi d’émigrer. Beaucoup vivent aujourd’hui encore dans la précarité. Les autorités ont échoué dans leur objectif de réinsérer dans la société des « personnes en danger ». Dans les faits, les internements ont aggravé les problèmes et l’#exclusion.

    Déjà une #injustice à l’époque

    Aujourd’hui, ces atteintes à la liberté individuelle paraissent clairement disproportionnées et ces méthodes d’assistance, brutales. Mais l’époque était différente, et les internements s’appuyaient sur des lois. Sont-ils devenus injustes a posteriori ? Non, répond la CIE, pour qui les lois d’internement enfreignaient les droits fondamentaux et les principes de l’État de droit. Les personnes internées l’étaient souvent pour une durée indéterminée, sans décision juridique valable, et n’étaient pas auditionnées. En maints endroits, elles n’avaient pas la possibilité de faire recours auprès d’un tribunal indépendant. En outre, les lois étaient floues, et les autorités pouvaient les interpréter à leur guise. Au début, les internements représentaient pour l’État un moyen de gérer les pauvres à peu de frais. Au cours du XXe siècle, ils sont devenus des instruments de contrôle social. Dans tout le pays, on savait que quitter « le droit chemin », c’était s’exposer à « être bouclé ». Et les autorités n’étaient pas les seules à s’activer. Il n’était pas rare que la mesure fût appliquée en s’appuyant sur les dires de la famille, du voisinage, du pasteur ou de l’enseignant, notent les auteurs du rapport, qui parlent de « pratiques de marginalisation bien ancrées dans la société suisse ».

    Il s’agit probablement d’une des raisons pour lesquelles les lois d’internement se sont maintenues aussi longtemps. Le retard de la Suisse en matière de politique sociale a aussi joué un rôle : les piliers de la protection sociale y ont été plantés plus tard que dans d’autres pays européens. Quoiqu’il en soit, les faits sont à présent avérés, et l’image que la Suisse a d’elle-même, avec ses géraniums, sa prospérité, sa liberté et sa démocratie directe, doit désormais être complétée par une facette moins reluisante. D’après l’historien Thomas Huonker, membre de la CIE et pionnier dans l’étude des mesures de coercition, le travail de mémoire sera capital : « Tout comme on raconte sans cesse la belle histoire de Guillaume Tell, il faudra raconter aussi sans cesse le chapitre sombre des mesures de coercition à des fins d’assistance. »

    Un combat pour la justice

    Ursula Biondi a 17 ans lorsqu’elle arrive au pénitencier de Hindelbank. Elle n’a rien commis de répréhensible, mais l’office des tutelles zurichois l’a envoyée dans un « foyer d’éducation fermé » pour être tombée enceinte alors qu’elle était mineure. Avant, la joyeuse adolescente avait été placée provisoirement dans un foyer de jeunes filles dont elle s’était échappée plusieurs fois. À la maison, elle se dispute avec ses parents au sujet des sorties, de la mode, de la musique. Son père, un Italien en phase de naturalisation, ne veut pas faire mauvaise impression. Les parents donnent donc leur accord pour un nouveau placement de leur fille. Ils ignorent que le « foyer d’éducation » est une prison pour femmes qui accueille aussi des criminelles. Ursula ne peut pas y suivre de formation. Après son accouchement, les autorités lui enlèvent son bébé et la contraignent à le donner en adoption. Elle s’y oppose, et récupère son fils trois mois plus tard. Après une année à Hindelbank, où elle effectue du travail forcé à la blanchisserie, elle est libérée en 1968. Elle déménage à Genève, fonde une famille, fait une carrière d’informaticienne dans une organisation de l’ONU, s’engage dans le social. « J’ai eu de la chance, dit-elle, et j’ai travaillé dur. » Car le traumatisme subi est lourd. La crainte qu’on découvre qu’elle a fait de la prison la poursuit longtemps. L’injustice endurée la tourmente. En 2002, Ursula Biondi publie l’histoire de sa vie. La revue « Beobachter » s’en fait l’écho. Elle se bat ensuite pendant des années pour qu’on étudie les « internements administratifs » – une expression qui, d’après elle, banalise la gravité des choses et cache le terrible arbitraire des autorités – et pour que les victimes obtiennent réparation. Elle trouve le rapport de la CIE réussi. Mais une chose dérange toujours cette femme engagée à qui l’Université de Fribourg a remis en 2013 le titre de docteur honoris causa : à cause de la réhabilitation bien trop tardive des anciens « internés », la nouvelle génération n’a jamais pris conscience des libertés qu’il a fallu conquérir. « Nous avons été sanctionnés et enfermés pour des manières de vivre qui, aujourd’hui, sont largement acceptées. » Pour que les jeunes restent vigilants contre l’arbitraire de la justice, Ursula donne des conférences dans les écoles.

    https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/quand-la-suisse-internait-les-pauvres-et-les-marginaux-1
    #internement_administratif #Suisse #histoire #détention_administrative #justice_administrative #pauvres #marginaux

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    v. aussi cet article publié dans La Cité en 2017 :
    Les heures sombres de l’internement administratif helvétique
    https://seenthis.net/messages/575589

  • « C’était un scrutin pour le climat »

    Outre les données scientifiques, le succès des Verts aux récentes élections suggère que la Suisse devrait poursuivre des objectifs plus ambitieux en matière de climat. C’est ce qu’affirme la climatologue suisse Sonia Seneviratne. Elle a un conseil de lecture à adresser au nouveau Parlement.

    Le peuple a reconnu la nécessité urgente d’agir sur le plan de la politique climatique. Selon Sonia Seneviratne, c’est ce qui explique l’énorme hausse de la part de suffrages pour les partis verts et le nombre de sièges remportés au Parlement : « C’était un scrutin pour le climat ». La climatologue originaire du canton de Vaud est aujourd’hui professeure de Dynamique Terre-Climat à l’École polytechnique fédérale de Zurich. Elle est aussi l’un des principaux auteurs des publications du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : dans plusieurs rapports, les scientifiques mettent en garde contre les conséquences graves du réchauffement planétaire. Sur la base de ces découvertes, le Conseil fédéral a récemment renforcé ses objectifs climatiques. La Suisse entend atteindre la neutralité carbone – c’est-à-dire zéro émission nette de gaz à effet de serre – d’ici 2050. Avant les élections, le Conseil des États a approuvé une loi sur le CO2 prévoyant la hausse du prix de l’essence et une taxe sur les billets d’avion. On saura bientôt ce que le nouveau Conseil national plus vert en fera, et si le peuple ira dans la même direction. « Il est très probable que la politique climatique suisse deviendra plus ambitieuse », espère Sonia Seneviratne. Selon elle, l’objectif du Conseil fédéral n’est pas radical, mais réaliste. La Suisse, pays très développé, s’est engagée dans le cadre de l’Accord de Paris à contribuer à la protection du climat. Les taxes d’incitation constituent un bon moyen pour rendre la protection du climat socialement acceptable : « Cet argent peut être reversé à la population, par exemple sous la forme de réduction des primes d’assurance-maladie. » Au nouveau Parlement, la climatologue recommande surtout de lire le rapport du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C et les risques qui nous menacent. « À mon avis, nous devrions même débattre de la possibilité d’atteindre la neutralité carbone dès 2040 », ajoute-t-elle.

    https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/cetait-un-scrutin-pour-le-climat-1
    #élections #Suisse #climat #environnement #Verts #2019

    • Le vert s’impose sous la coupole du Palais fédéral

      Oui, bien sûr, nous allons parler des élections fédérales du 20 octobre 2019. Mais commençons par jeter un coup d’œil au bâtiment dans lequel se fait la politique suisse. Saviez-vous que la fière coupole du Palais fédéral construit en 1902, arborait à l’origine une belle couleur cuivrée ? Durant quatre décennies, le cuivre s’est lentement oxydé sous l’effet de la pluie. Peu à peu, la coupole a pris une teinte turquoise, une patine verdâtre. Lors de sa rénovation, en 2007, les artisans ont utilisé de la tôle de cuivre prépatinée. L’objectif de la manœuvre était de conserver l’aspect auquel les Suisses s’étaient si bien habitués.

      Rien d’habituel en revanche dans ce qui vient de se passer sous la coupole : désormais, le Parlement qui y siège est plus vert que jamais. Les forces écologistes en présence se sont en effet puissamment accrues le 20 octobre. Si les superlatifs sont rarement de mise en politique suisse, on peut les utiliser sans crainte cette fois, car le bouleversement est d’ampleur historique. En 100 ans, aucun parti n’a remporté davantage de sièges un jour d’élection que les Verts cet automne. Un succès auquel vient s’ajouter la progression des Vert’libéraux.

      Le verdissement politique s’est fait bien plus rapidement que le processus d’oxydation de la coupole fédérale. Et le chamboulement a commencé avant même que les bulletins de vote ne soient imprimés. En effet, le Parlement a, petit à petit, pris des positions écologistes, ce dont on le croyait incapable au début de son mandat. Ainsi, à l’automne, le Conseil national a accepté une taxe sur les billets d’avion. Un an auparavant, le même Conseil national avait mis les pieds au mur contre cette mesure d’incitation en faveur du climat. Cet exemple montre que les inquiétudes face aux conséquences toujours plus évidentes du changement climatique ont gagné la vie politique. Après les échappatoires, voici venu le temps de la recherche de solutions.

      Vous ne vous intéressez pas aux élections ? Alors vous vous intéresserez peut-être à la manière dont l’épargne, cette vertu typiquement suisse, est mise à mal par les banques qui ont presque réduit à zéro les taux d’intérêt en la matière. L’épargnant vertueux doit même dédommager la banque pour son dépôt. Nombreux sont les Suisses qui redoutent les taux d’intérêt négatifs. Mais personne ne sait vraiment comment réagir. La « Revue Suisse » n’a elle non plus pas de recette à proposer. Mais elle décrit le phénomène en détail à la page 16 de ce numéro, en espérant que cela aidera les lecteurs à y voir plus clair.

      https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/le-vert-simpose-sous-la-coupole-du-palais-federal-1

    • « La démocratie suisse gagne en qualité »

      Le Conseil national compte désormais 42 % de femmes, un taux jamais atteint auparavant. La campagne interpartis « Helvetia appelle ! » d’Alliance F y a aussi contribué. Jessica Zuber, cheffe de la campagne, explique pourquoi il s’agit d’un résultat électoral historique en Suisse.

      Le Conseil national, Chambre basse du Parlement, compte 200 membres, dont 84 sont désormais des femmes. Leur part est ainsi passée de 32 à 42 %. Au Conseil des États, la Chambre haute, cette proportion sera bien moindre. Mais Jessica Zuber affirme quand même qu’« il s’agit d’élections historiques pour les femmes ». La politologue, qui a dirigé la campagne « Helvetia appelle ! » d’Alliance F, faîtière des sociétés féminines suisses, rappelle que depuis l’introduction du droit de vote en 1971, les femmes suisses n’ont accru leur présence au Parlement que très lentement : « Pas plus de 3 à 4 % à chaque fois. » Aujourd’hui, le peuple a élu près d’un quart de femmes en plus au Palais fédéral ; une hausse record tant à gauche qu’au sein des partis bourgeois. « La démocratie suisse gagne en qualité parce que les femmes et les hommes sont représentés de manière plus équilibrée », dit Jessica Zuber. Il s’agit pour le moins d’un succès d’étape. Jamais les candidates n’avaient été aussi nombreuses, et elles occupaient des places plus prometteuses sur les listes que lors des dernières élections. C’est pour cette cause que « Helvetia appelle ! » s’est engagée auprès de mille sections de partis dans toute la Suisse. Des centaines de candidates ont été encouragées et accompagnées durant la campagne électorale. Helvetia a appelé… et elle a été entendue. Le moment était apparemment venu : Jessica Zuber cite plusieurs facteurs, comme la grève des femmes en juin, qui a rassemblé des centaines de milliers de participantes. Il y a un an, le Parlement a brillamment élu deux femmes au gouvernement. Cette présence accrue des femmes pourrait avoir un impact sur certains sujets au-delà des appartenances partisanes, affirme Jessica Zuber, par exemple sur la conciliation travail/famille, les mesures contre la violence armée ou la politique environnementale. « Helvetia appelle ! » poursuivra ses efforts après les élections : « Notre but est la représentation paritaire des sexes dans les deux Chambres. »

      https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/la-democratie-suisse-gagne-en-qualite-1

      #femmes

  • SSI | Mineur-e-s non accompagné-e-s : l’intégration durable reléguée au second plan
    https://asile.ch/2018/05/15/ssi-mineur-e-s-non-accompagne-e-s-lintegration-durable-releguee-au-second-plan

    La prise en charge des mineur-e-s non accompagné-e-s (MNA) dans le domaine de l’asile varie considérablement d’un canton à l’autre. Le Service social international propose désormais une cartographie de la prise en charge des mineur-e-s non accompagné-e-s (MNA) par les différents cantons suisses, qui se veut un point de départ vers une harmonisation de cet accompagnement. […]

    • Encadrement | Des #disparités_cantonales conséquentes

      Avec des demandes d’asile en hausse en 2015 et 2016, les cantons ont dû adapter leurs structures pour offrir aux requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) un accueil adapté à leur vulnérabilité. Le Service Social International (SSI) a réédité en 2017 son « Manuel de prise en charge » centré autour de l’enfant, de ses droits, et de sa nécessaire protection. Il y rappelle que ces jeunes sont « d’abord des enfants avant d’être des réfugié-e-s ». Dans la lignée, le SSI a effectué un recensement cartographié des pratiques cantonales en matière d’hébergement, de soins, de scolarisation, etc., à partir duquel il a rédigé un « Catalogue des bonnes pratiques [1] ». Son constat relève de grandes disparités de prise en charge, qui parfois « relèguent au second plan » l’intégration des mineurs isolés. Quelques illustrations cantonales.

      Le canton de #Berne a mis en place dès 2016 un « hébergement adapté durant la phase d’accueil et d’orientation, avec un accent sur l’identification des besoins, l’aide médicale, l’orientation et l’acquisition de compétences » selon le Catalogue de bonnes pratiques établis par le SSI.

      Cet encadrement engendre des coûts supplémentaires, jusque-là non couverts par le forfait de la Confédération. Le nouvel agenda intégration, qui sera mis en œuvre dès 2019, prévoit une part supplémentaire de financement aux cantons pour l’encadrement des RMNA. L’UDC a déjà demandé de réduire la part cantonale.

      Le canton de #Fribourg a réuni en mars 2017 des états généraux réunissant des acteurs des milieux scolaires, sanitaires, judiciaires et de l’asile. Un programme intitulé « Envole-moi » en a émergé en 2018. Ambitieux, il se focalise sur l’autonomisation et la prévention des comportements à risque pour dans un deuxième temps développer la responsabilisation des jeunes et les guider vers l’intégration sociale et professionnelle au moyen de la formation. Aspect innovant du projet : il pourra concerner des jeunes au-delà de la majorité, jusqu’à 25 ans.

      Dans le canton de #Vaud, la situation a été explosive en 2016, lorsque plusieurs jeunes d’un foyer MNA ont tenté de mettre fin à leurs jours. Dénonçant un encadrement socio-éducatif insuffisant notamment, les travailleurs sociaux employés dans ces foyers gérés par l’EVAM, soutenus par le syndicat SSP, obtiennent en janvier 2017 un renforce- ment de la présence éducative par le Conseil d’État. Suite à une année 2017 tendue entre la direction et ses employés, le SSP sollicite à nouveau le Conseil d’État. Celui-ci lui répond en janvier 2018 que l’égalité de traitement appliquée s’établit sur la norme des autres migrants et non plus sur celle des foyers pour mineurs : les jeunes arrivés en Suisse sans leur famille ne sont plus traités comme des enfants avant tout. En février 2018, l’annonce de la fermeture d’un des quatre foyers, engendrant de facto une augmentation du nombre d’enfants au sein des trois autres foyers, et la suppression de postes relatifs déclenchent une grève chez les travailleurs. À ce jour, les revendications concernant l’amélioratio

      https://asile.ch/2018/12/10/encadrement-des-disparites-cantonales-consequentes

    • MNA : catalogue de #bonnes_pratiques

      Des différences significatives en matière d’hébergement, d’encadrement et de formation pour les mineurs non accompagnés (MNA) persistent dans les cantons. Inégalités de traitement et défis liés au respect des droits de l’enfant en sont les conséquences.

      Le catalogue de bonnes pratiques aborde la problématique de ces disparités cantonales : il met en lumière les principales offres existantes et montre des pistes de solutions qui prennent en compte le besoin de protection spécifique des MNA. Son ambition est d‘illustrer comment une prise en charge de ces jeunes, centrée sur leurs besoins et intérêts, est possible malgré les différentes structures et ressources cantonales. Le projet a ainsi pour but de contribuer à harmoniser la qualité de l’encadrement et le respect des droits de l’enfant à l’échelle nationale, selon les recommandations de la CDAS et du Manuel de prise en charge des enfants séparés du Service Social International (SSI).

      Les fiches de bonnes pratiques décrivent des projets, services et initiatives prometteurs. Les pratiques évaluées comme « prometteuses » sont celles qui favorisent la prise en charge centrée sur l’enfant et le jeune dans les cantons, en présentant les caractéristiques suivantes : elles sont facilement réplicables ou particulièrement efficaces, favorisent le soutien individuel des MNA, sont inclusives en termes de statut ou de catégorie d’âge, encouragent la participation active des MNA et/ou incitent la mise en réseau des acteurs en charge de l’encadrement des MNA.

      Les pratiques documentées sont une sélection d’exemples non exhaustifs, se fondant sur une cartographie du SSI relative aux structures cantonales de prise en charge pour MNA (Mappings cantonaux). Au vu du caractère volatile du domaine de l’asile, beaucoup d’entre elles se trouvent encore en phase d’essai. De ce fait, et compte tenu du grand nombre d’autres « bonnes pratiques » existantes, le catalogue sera complété de façon continue.


      https://www.ssi-suisse.org/fr/mna-catalogue-de-bonnes-pratiques/155

    • La Suisse empruntée face à des mineurs étrangers isolés

      Entre 2016 et 2018, plus de 3000 mineurs isolés ont demandé l’asile en Suisse. À cette population, s’ajoutent des centaines de jeunes venus seuls du Maghreb. Genève est la première touchée par cette migration. Les autorités sont accusées d’inertie.

      Les mineurs qui arrivent seuls en Suisse se divisent en deux catégories. Ceux qui sont éligibles à l’asile en raison de leur pays d’origine sont considérés comme des requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA). Ils ont accès à un toit, à des repas, à une scolarisation et à des prestations sociales. En 2015, ils furent 2700 à déposer une demande d’asile, dont une majorité de garçons de 16 à 17 ans originaires d’Érythrée.

      Les autres sont des mineurs non accompagnés (MNA), non éligibles à l’asile en raison de leur pays d’origine, comme par exemple, le Maroc. Ils ne reçoivent pas d’aide sociale et manquent d’un socle de vie. « Les requérants mineurs ont en général grandi avec leur famille, explique Sylvia Serafin, co-directrice de Païdos, association qui offre aux MNA un suivi psychopédagogique et un repas quotidien. En revanche, les MNA sont des adolescents qui ont fui très tôt des situations de rupture familiale. Ils ont vécu des expériences dramatiques durant leur exil et sont, pour la plupart, en situation de stress post-traumatique. Ils nécessitent un accompagnement adapté. » La majorité de ces jeunes proviennent d’Algérie et du Maroc. Ils présentent des carences psychologiques. Ils souffrent aussi de maux liés à leur errance : dents en mauvais état, blessures, affections de la peau. En trois ans, certains sont passés par plus de 15 villes en Europe, relève l’association française Trajectoires.
      Suicide d’un jeune dans un foyer

      En Suisse, Genève concentre l’essentiel des MNA. Deux facteurs explicatifs sont cités : la proximité avec la France et l’usage du français à Genève. Ce phénomène nouveau vient s’ajouter à une autre situation, celle qui a trait aux RMNA. Leur accompagnement subit depuis 2018 le feu des critiques de la part d’associations et de professionnels du social. Au cœur des récriminations : le grand foyer de l’ Étoile, géré par l’Hospice général, où un jeune Afghan s’est suicidé en mars dernier. « Ce suicide d’un jeune est l’événement redouté, mais pas incompréhensible, qui suit quatre années d’épuisement et d’instabilité », ont écrit dans une lettre au Parlement des éducateurs de ce lieu. Le foyer, qui a accueilli jusqu’à 200 requérants d’asile mineurs, a été comparé à une prison. Promiscuité, bruit, chaleur et froid, manque de suivi éducatif, les lieux ne sont pas adaptés. « Ce n’est pas un foyer, dit un témoignage recueilli par la Haute école de travail social auprès d’une jeune requérante, c’est un camp ».

      Selon les associations, dont la Ligue des droits de l’homme, l’ État ne fait pas le nécessaire pour reconnaître et protéger les droits spécifiques de ces mineurs, comme le prévoit la Convention internationale des droits de l’enfant. Créé en 2018, le Collectif Lutte des MNA relève l’absence de procédure et de prestations communes pour ces jeunes. Étudiante en sciences sociales à Lausanne, Julie, 25 ans, a participé à son lancement. « Les MNA sont récupérés dans la rue et sont logés dans des hôtels, gérés par des gens qui ne sont pas formés pour les accueillir et qui les expulsent en cas de problème, raconte-t-elle. Le soir, ils ont droit à un sandwich, le matin, à un petit-déjeuner. Ils ne sont pas scolarisés et les curateurs censés les suivre sont dépassés par le nombre de dossiers. »
      Pas de scolarisation pour les MNA

      Le Département de l’instruction publique précise qu’en règle générale, les mineurs sont logés dans des foyers et que les hôtels ne représentent qu’une solution d’urgence. Début octobre, il a confirmé qu’aucun MNA n’était scolarisé. Le collectif pointe aussi des mises en garde-à-vue « inutiles », quand des jeunes sans papiers d’identité sont appréhendés par la police. Si le problème est uniquement lié au séjour illégal, le Tribunal des mineurs décide en principe de ne pas les poursuivre et les libère, indique une source judiciaire. Avocate, Sophie Bobillier estime qu’il ne peut être reproché à un mineur de séjourner illégalement en Suisse. « Le devoir de protection de l’enfant doit l’emporter », dit-elle. Reçu cet été par une délégation du Conseil d’État, le collectif a demandé aux autorités de fournir à ces jeunes un document reconnu par la police. L’ État a reconnu qu’il était peu souhaitable que des mineurs sous tutelle soient régulièrement condamnés à une infraction de la loi sur les étrangers.
      Des mineurs qui dorment dans la rue

      L’irruption de MNA dans les rues de Genève date du printemps 2018. En mars, des mineurs qui logeaient dans un abri PC d’hiver géré par l’Armée du salut se sont retrouvés sur le pavé. Certains ont été placés à l’hôtel ; d’autres ont dormi dehors ou ont quitté le territoire, rapporte Païdos. Le flux a recommencé. Courant septembre 2019, une vingtaine de nouveaux jeunes ont été accueillis dans des hôtels, selon le Collectif MNA et Païdos. Entre l’été 2018 et 2019, le Service de protection des mineurs rapporte avoir suivi 200 dossiers de jeunes sous curatelle.

      En juin, le Parlement cantonal a soutenu une motion en faveur de l’accueil de ces jeunes. Elle a été votée par la gauche et les partis bourgeois. L’UDC l’a refusée, par crainte d’un appel d’air si une aide était accordée. Responsable de l’Instruction publique, la conseillère d’ État Anne-Torracinta a dénoncé une attitude angélique de la part des associations vis-à-vis de ces migrants. « Ils commettent des délits. C’est une population qui ne veut a priori pas s’intégrer, qui pose énormément des problèmes », a déclaré la socialiste.
      L’ État ouvre un centre d’accueil pour les MNA

      Sous pression, le Canton a annoncé l’ouverture en octobre d’un centre de 25 places destiné à cette population. Il sera destiné à des mineurs de 15 ans à 18 ans. La prise en charge consistera en un accompagnement éducatif adapté. Chaque mineur bénéficiera d’un suivi médical. Dans la foulée, les autorités ont lancé un plan d’action en faveur des RMNA, visant à améliorer leur accueil et l’accès à une formation. Par ailleurs, toujours en octobre, six MNA ont reçu une promesse de scolarisation. C’est une première. Le Conseil d’État considère cependant que tous les MNA ne sont pas désireux d’aller à l’école et souligne qu’il existe des doutes sur leur identité et leur âge.

      En Valais, qui connaît très peu de cas de MNA, le chef du Service de la population se demande si ces mineurs ne seraient pas des résidents français. Dans le canton de Vaud, la question des MNA semble ne pas exister. Basé à Genève, le Service social international prévoit de consacrer sa prochaine conférence en Suisse latine à cette question. L’évènement aura lieu le 12 décembre. Il réunira des curateurs, des travailleurs sociaux et des médecins romands et tessinois.

      https://www.revue.ch/fr/editions/2019/06/detail/news/detail/News/la-suisse-empruntee-face-a-des-mineurs-etrangers-isoles-1