La « place de la Perle », enjeu d’une bataille mémorielle à Bahrein

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  • La « place de la Perle », enjeu d’une bataille mémorielle à Bahrein
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    Symbole du pouvoir et de l’alliance entre pays du Golfe avant de devenir, en 2011, celui du « printemps de Bahreïn », la « place de la Perle » a été rasée.

    16 mars 2011. Manama, la capitale du royaume de Bahreïn, s’éveille en sursaut : la « place de la Perle », un rond-point occupé depuis un mois par des contestataires s’opposant au régime monarchique des Khalifa, est évacuée manu militari. Aux tirs de chevrotine et de gaz lacrymogènes succède le chaos. Les routes du petit archipel sont maillées de barrages dressés par les forces de sécurité. Deux jours plus tard, c’est l’incrédulité : le colossal monument de la Perle, celui qui ornait l’agora du soulèvement politique et social, est abattu sur ordre du gouvernement. Ses arches et sa perle géante de béton blanc sont à terre.

    Du rond-point de la Perle, un temps transformé en place éphémère où se tenaient débats et harangues dans une ambiance à la croisée de la kermesse et de l’insurrection, il ne reste rien aujourd’hui. Mais le lieu fait l’objet d’une bataille mémorielle révélant des divisions profondes. A peine détruit, l’ex-épicentre de la révolte a été rebaptisé « intersection Al-Farouk », référence à l’une des figures de l’islam sunnite, confession de la famille royale Al-Khalifa, quand la majorité des manifestants de la Perle étaient chiites, à l’image de la démographie bahreïnie. Longtemps, ce lieu a été interdit d’accès. Récemment, les autorités se sont félicitées des travaux « d’embellissement » en cours.

    Des répliques du monument détruites
    « Jusqu’en 2011, le rond-point n’avait pas de valeur symbolique dans l’histoire des contestations de Bahreïn, rappelle un opposant, sous couvert de l’anonymat. En le rasant, le pouvoir escomptait annihiler des mémoires le soulèvement. » Celui-ci reste considéré par les loyalistes comme un péril, agité en sous-main par Téhéran. Y avaient pris part la jeunesse, réclamant partage du pouvoir et justice sociale, mais aussi des dirigeants politiques, modérés ou radicaux – nombre d’entre eux sont en prison. « Longtemps après, les manifestants ont reproduit le monument de la Perle : graffitis, petits édifices en bois. Mais les autorités leur ont fait la guerre en les couvrant de peinture ou en les détruisant. » Les pièces de monnaie et l’imagerie où figurait le monument ont été retirées de la circulation.

    Etrange bataille. La Perle avait été érigée à l’occasion d’un sommet du Conseil de coopération du Golfe, tenu en 1982. Elle symbolisait l’unité. Cette rencontre scella un partenariat sécuritaire : c’est en son nom que, le 14 mars 2011, blindés émiratis et saoudiens entrèrent à Bahreïn, royaume protégé de Riyad et allié des Américains, en soutien au pouvoir face à la révolte. L’anéantissement de la « place » a marqué le début de la contre-révolution dans la région et la prééminence de la géopolitique face aux revendications d’une partie de la jeunesse.