La fragilité utile du noyau des cellules

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  • La fragilité utile du noyau des cellules

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/03/28/la-fragilite-utile-du-noyau-des-cellules_4891267_1650684.html

    Si la tête passe, tout passe. Le dicton bien connu à propos du faufilement d’un chat à travers un trou de souris, est-il valable pour les cellules du corps humain  ? Telle est la surprenante question étudiée par deux équipes et dont les réponses indépendantes publiées dans Science du 25 mars renversent des certitudes bien établies en biologie.

    C’est peu connu, mais les milliards de cellules qui constituent notre corps bougent sans cesse. Ces petits sacs mous de quelques dizaines de micromètres de diamètre contenant notamment nos chromosomes sont certes moins agiles qu’un chat mais elles se déplacent  : les cellules de la peau pour former des tissus, les cellules immunitaires pour repérer et isoler des corps étrangers, les métastases qui ­attaquent d’autres ­organes… Toutes doivent se faufiler, à la vitesse de sénateur de quelques micromètres par minute, entre leurs consœurs et pour cela elles font montre de sacrées capacités de contorsionnistes, en passant par des trous vingt fois moins larges qu’elles.

    Problème, la «  tête  » de ces cellules est souvent plus grosse que ces trous. Par «  tête  », on entend le noyau de la cellule, un compartiment interne qui contient les chromosomes et qui est un vrai coffre-fort, protégé par une double membrane (alors que la cellule n’en a qu’une) assez rigide.

    Nouveau concept

    Or, contrairement à ce que tout le monde pensait, cette forteresse est en fait très fragile. La double enveloppe peut se rompre sous l’effet du fort confinement mécanique et permettre à la cellule de mieux se déformer pour passer. C’est ce qu’ont observé pour la première fois l’équipe de Jan Lammerding (http://science.sciencemag.org/content/early/2016/03/25/science.aad7297) – université Cornell (Ithaca,New York) et Centre de génomique du cancer des Pays-Bas – ainsi que celle de Mathieu Piel (http://science.sciencemag.org/content/early/2016/03/23/science.aad7611) – Institut Curie, université Pierre-et-Marie-Curie, CNRS et Inserm.

    Elles ont étudié respectivement des cellules cancéreuses et des cellules immunitaires passant à travers des conduits artificiels gravés dans du plastique. Elles ont constaté que des protéines présentes exclusivement dans le noyau se retrouvent dans toute la cellule. Et inversement que des molécules hors du noyau se collent à l’ADN. Cela n’avait jamais été vu, sauf dans la phase de division cellulaire (mitose).
    C’est pour le moins surprenant car « tout le monde aurait pensé que cela serait fatal à une cellule », souligne Jan Lammerding. En effet, l’enveloppe protège l’ADN des agressions « extérieures », notamment du système qui s’en prend, hors du noyau, à l’ADN de virus et qui pourrait se retourner contre les chromosomes.

    En outre, la cellule fonctionne aussi grâce au contrôle des concentrations chimiques entre l’intérieur du noyau et son extérieur (le cytoplasme). Que l’enveloppe du noyau vienne à casser et tout cet équilibre s’effondre, menaçant a priori la cellule. Sauf que les chercheurs n’ont pas observé ces effets catastrophiques. Au contraire, ils ont constaté qu’au bout de quelques minutes l’enveloppe se répare !
    « Se rendre compte que cette barrière entre le noyau et le cytoplasme est fragile et doit être constamment entretenue et réparée est tout à fait nouveau en biologie », se réjouit Mathieu Piel. « Etant donné le nombre de ruptures du noyau que nous observons, nous restons intrigués par la manière dont les cellules tolèrent ces dégâts », explique Jan Lammerding.

    Un noyau dur mais cassant

    De quoi ouvrir de nouvelles pistes de recherche autour d’un phénomène somme toute fréquent. Ces ruptures ne seraient-elles pas impliquées dans des réponses i nflammatoires, des maladies auto- immunes ou le vieillissement prématuré des cellules ? En effet, la mise en contact rapide du ‐ cytoplasme avec l’ADN peut conduire à de tels effets délétères en conduisant la cellule à surréagir ou à multiplier les atteintes aux chromosomes.

    Autre suggestion, « tuer les cellules qui migrent, c’est peut-être une bonne idée pour lutter contre le cancer », imagine Mathieu Piel en songeant aux cellules méta statiques. Il faudrait les cibler en bloquant leur système de réparation par exemple, tout en n’atteignant pas celui d’autres cellules saines comme les cellules immunitaires. Jan Lammerding a reçu un financement pour explorer cette nouvelle voie.
    Quoi qu’il en soit, la nature semble avoir trouvé un moyen de résoudre un dilemme. Si le noyau adoptait une structure souple, les cellules se faufileraient facilement mais les chromosomes seraient trop secoués et risqueraient des mutations. S’il était trop dur, l’ADN serait protégé mais le mouvement entravé. La solution ? Un noyau dur mais cassant, capable de se réparer. Le chat retombe sur ses pattes.