• Mettez un chat dans votre ordinateur

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/05/30/mettez-un-chat-dans-votre-ordinateur_4929176_1650684.html

    Coup double pour une équipe de physiciens de l’université Yale (Etats-Unis) en collaboration avec l’Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) en France, comme elle l’expose dans Science du 27 mai. Pour la première fois, un mariage a été réussi entre deux effets spectaculaires de la mécanique quantique, cette théorie qui décrit le monde des particules au comportement contre-intuitif : le paradoxe du chat de Schrödinger et l’interaction à distance.

    Superposition de deux états

    Le premier effet tire son nom d’une expérience de pensée, proposée dans les années 1930 par l’un des pères de la mécanique quantique, Erwin Schrödinger. Il imaginait un chat enfermé dans une boîte dans laquelle un marteau peut casser une fiole contenant un poison mortel pour l’animal. Le déclenchement a lieu lorsqu’un atome se ­désintègre. Le sort du chat est couplé à celui de l’atome.

    Question : tant que la boîte n’est pas ouverte, le chat est-il mort ou vivant ? ­Réponse quantique : les deux ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette superposition de deux états discernables existe bel et bien. En 1996, deux équipes l’ont réalisée, en France et aux Etats-Unis, ce qui, ajouté à leurs réussites antérieures, vaudra à leurs auteurs, Serge Haroche et David Wineland, le prix Nobel de physique, en 2012.

    Le second effet, baptisé également « intrication », est aussi le fruit d’une expérience de pensée remontant à 1935. Cette année-là, Albert Einstein et deux de ses collègues se demandent ce qu’il se passe si l’on sépare à très grande distance deux photons (des particules de lumière) préparés ensemble. Comment leur comportement est-il corrélé ? Réponse quantique : instantanément ! Mesurer une propriété d’un membre de la paire transforme aussitôt l’autre membre. « Aussitôt » signifiant même… plus vite que la ­lumière. Là aussi, des expériences ont confirmé cette interaction à distance, comme celles réalisées par Alain Aspect en 1982 à Orsay.

    Désormais, une nouvelle expérience, réalisée à Yale, vient de ­marier les deux effets. « Nous avons fabriqué un gros chat mort et vivant et dans deux boîtes à la fois », explique Mazyar Mirrahimi, directeur de recherche à l’Inria. « Ou, ce qui est équivalent, nous avons intriqué deux chats chacun dans une boîte. »

    Finalement, caresser un chat dans le salon suscite un ronronnement chez un félin voisin dans la cuisine. Et, plus cruel, si on tue le chat du ­salon, alors celui de la cuisine meurt instantanément.

    En réalité, les bestioles des chercheurs sont des champs électromagnétiques micro-ondes, ou photons, qui font des millions d’allers-retours dans une cavité aux parois réfléchissantes. Plus précisément, un « chat » est une superposition entre une onde et sa jumelle décalée de telle sorte que, dans le monde classique, la somme des deux ­devrait s’annuler. Mais pas dans le monde quantique : il y a à la fois des photons et pas de photons… Une ­dizaine de photons sont concernés, et l’équipe a déjà fabriqué des « chats » dix fois plus gros.

    Pour créer cet état si étrange, un second objet est nécessaire. C’est une sorte d’atome artificiel, baptisé « transmon », qui possède lui aussi deux états distincts. Il ressemble à une lamelle dont une extrémité, telle une antenne, communique avec la boîte. Il joue le rôle de l’atome se désintégrant dans l’expérience de Schrödinger. En l’excitant, les physiciens influencent les ­micro-ondes jusqu’à réaliser la ­superposition paradoxale.

    En prenant un transmon en forme de Y, chaque branche pointant vers une boîte, l’intrication est réalisée entre les états des deux boîtes. « C’est une expérience originale et très bien faite. Elle constitue une étape remarquable car, pour la première fois, nous sondons cette notion de non-localité sur une plus grande échelle », salue Michel Brune (CNRS) du laboratoire Kastler Brossel de l’ENS, à Paris, et qui était dans l’équipe du premier chat de Schrödinger en 1996.

    De nouveaux transistors, les qubits

    Pour savoir que le monstre mi-mort, mi-vivant délocalisé dans deux pièces est bien là, les chercheurs ont mis au point une technique qui photographie patiemment leur créature, sans ouvrir les boîtes.

    A quoi bon torturer ces chatons ? Pour compter plus vite ! Depuis plusieurs années, les chercheurs ont réalisé que ces drôles de « bêtes » peuvent accélérer les ordinateurs. Jusqu’à présent, ces derniers utilisent des circuits à base de transistors à deux états, ou bits, soit 0, soit 1. Si au lieu d’un composant classique, on dispose d’un équivalent quantique, valant à la fois 0 et 1, alors, en théorie, on peut écrire un algorithme qui résout plus vite certains problèmes. Seul gros bémol, ces nouveaux transistors, ou qubits, ne durent pas longtemps, quelques dizaines de microsondes.

    « C’est insuffisant pour faire toutes les opérations nécessaires. D’où l’idée de corriger les erreurs… grâce à d’autres qubits », explique M. Mirrahimi, dont les collègues ont déjà conservé la superposition quantique pendant une milliseconde. Il faut plusieurs dizaines de qubits pour en corriger un… « L’intérêt de cette expérience est d’ouvrir la voie à une nouvelle architecture de correction d’erreurs », estime ­Daniel Esteve, chercheur au CEA en information quantique. En fait, les qubits américains sont plus gros que les ordinaires, ce qui permettrait de faire des corrections sans recourir à des composants supplémentaires. Dans un article à paraître, la même équipe estime avoir démontré son idée.

    « L’intérêt est également fondamental : on espère toujours prendre en défaut la mécanique quantique et tomber sur des situations où elle ne marche plus, indique Michel Brune. Mais jusqu’à présent, elle résiste ! »

  • Le projet fou de simuler la Terre par ordinateur

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/05/24/le-projet-fou-de-simuler-la-terre-par-ordinateur_4925639_1650684.html

    Nom de code : « Ultimate Earth Project », qu’on peut traduire par « Projet de Terre ultime ». Objectif : simuler la Terre entière, en tenant compte de tous les secteurs qui la caractérisent, soit son atmosphère, sa biosphère, sa géosphère, son hydrosphère, sa cryosphère (régions de glace), etc. C’est, selon les informations recueillies par Le Temps, l’initiative colossale proposée par un consortium mené par deux chercheurs, John Ludden, directeur du British Geological Survey, et Philippe Gillet, géophysicien et vice-président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL, Suisse). Un projet qui, selon ce dernier, devrait « enfin permettre de considérer et traiter la planète dans sa globalité ». Comment ? « En agrégeant toutes les données scientifiques collectées durant des décennies dans les domaines précités pour les insérer dans un immense simulateur informatique. »

    Si cette légitimité affichée fait un peu débat dans le domaine des sciences de la Terre — l’EPFL n’étant pas en pointe dans ce domaine — les experts contactés par Le Temps reconnaissent qu’avoir déjà érigé un projet tentaculaire, le HBP, est un atout. Ils se posent toutefois d’autres questions de détails sur la pertinence de ces simulateurs de planète. « J’ai l’impression que ceux-ci pourront être utiles, notamment dans la prédiction des grands phénomènes, tel El Niño, dit Arthur Charpentier. Mais pour moi qui travaille dans la simulation de la gestion des risques sur les bâtiments, il restera impossible de prévoir les rafales de vent, ou le nombre de tempêtes hivernales sur une période de cinq ans. » Martin Beniston, lui, se demande si « le fait de coupler divers modèles de divers domaines géoscientifiques ne fera pas s’additionner aussi les incertitudes qui sont intrinsèquement liées à chacun, au risque d’avoir un produit final inutilisable ». Mais il entrevoit aussi des applications concrètes : « Nous pourrions par exemple étudier comment la tectonique des plaques a influencé les paléoclimats. »