• Comment un drôle d’oiseau s’allie à l’homme pour dénicher les ruches

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/26/comment-un-drole-d-oiseau-s-allie-a-l-homme-pour-denicher-les-ruches_4974808

    C’est un oiseau rare. Non qu’il paie de mine, malgré ses ailes et son dos d’un joli brun, ses joues et son ventre blancs, son œil vif et noir. S’il est unique, c’est qu’il offre un rarissime exemple de « mutualisme » entre un homme et un animal sauvage. Dans cette collaboration, les deux partenaires tirent profit de leur relation.

    Cet oiseau, c’est le grand indicateur (Indicator indicator) : il indique le chemin vers les ruches sauvages nichées au creux des arbres. Pour l’homme, cet oiseau déluré est un guide inespéré, qui lui permet de s’approprier le miel bien caché. Pour l’oiseau aussi, l’homme est un allié précieux : il lui donne accès à son mets favori, la cire d’abeille (qu’il digère parfaitement), et les larves de cet insecte. Car son petit bec ne lui permet pas d’ouvrir les nids d’abeilles. L’oiseau redoute aussi les piqûres de ces hyménoptères : or son associé humain les déloge en enfumant la ruche.

    Publiée le 22 juillet dans Science, une étude conduite au Mozambique révèle la spécificité du dialogue entre l’homme et l’oiseau, qui semblent se comprendre à demi-mot… trillé ou sifflé.

    Mutualisme

    Cette singulière collaboration est connue depuis longtemps : en 1588, un missionnaire portugais, Joao dos Santos, observe un oiseau grignotant la cire des bougies de son église, dans le futur Mozambique. Il décrit ensuite le fascinant comportement de ce pilote ailé, voletant de branche en branche pour guider son acolyte humain vers la ruche. L’oiseau-pilote est rusé : pour ne pas perdre son partenaire, il émet un chant lancinant et répétitif. Et lors de chaque envol, il déploie un fanal blanc : les plumes externes de sa queue.

    Dans la nature, les exemples de mutualisme entre deux espèces animales ne manquent pas. D’ailleurs, cet oiseau remarquable fait aussi affaire, dans sa quête de la délectable cire, avec une sorte de blaireau local : le ratel – un coriace à la peau dure et aux griffes acérées.

    Mais les exemples de mutualisme entre un homme et un animal sauvage, sans aucun dressage, sont rarissimes. « A notre connaissance, le seul exemple de mutualisme comparable est celui des dauphins sauvages qui chassent les bancs de mulets vers les filets des pêcheurs », indique Claire Spottiswoode, de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et du Cap (Afrique du Sud), premier auteur de cette étude.

    « Brrr-hm »

    Avec deux biologistes de la Réserve nationale de Niassa, au Mozambique, cette zoologiste a suivi les effets de l’appel spécifique qu’utilise le peuple Yao (une population bantoue) pour faire venir cet oiseau : un trille bruyant, suivi d’une sorte de grognement – de type « brrr-hm ».

    Lors de 72 essais, les chercheurs ont comparé les réponses de l’oiseau à trois sons différents : cet appel traditionnel, le chant d’un autre oiseau (la tourterelle du Cap) et un cri non spécifique des Yao. Résultats : « L’appel traditionnel “brrr-hm” double la probabilité d’être guidé par l’oiseau, qui passe de 33 % [en réponse aux sons non spécifiques] à 66 % [en réponse à l’appel spécifique] », ­résume Claire Spottiswoode. Mieux : « Cet appel spécifique fait plus que tripler les chances d’être conduit jusqu’à une ruche, qui passent de 17 % à 54 %. »

    « C’est la première étude qui montre clairement que le grand indicateur répond à un signal humain spécialisé… et qu’il associe ce signal à des bénéfices potentiels », estime John
Thompson, un biologiste de l’évolution de l’université de Californie, à Santa Cruz.
 Cet oiseau « comprend littéralement ce que l’homme lui dit, ajoute Stuart West, biologiste de l’évolution à l’université d’Oxford (Royaume-Uni). Cela suggère que les comportements de l’oiseau et de l’homme ont coévolué en réponse l’un à l’autre. » Ces deux chercheurs sont cités par Elizabeth Pennisi, correspondante pour la revue Science, dans un commentaire associé.

    Reste une énigme. Tel le coucou, cet oiseau pratique le parasitisme de couvée. La femelle pond dans le nid d’une autre espèce pour que celle-ci assure la couvaison de l’œuf puis l’alimentation de l’oisillon. Dès lors, comment les jeunes indicateurs, qui ne sont pas élevés par leurs parents biologiques, apprennent-ils à reconnaître le signal des chasseurs de miel ?

  • Le mystère de la baie empoisonnée de Minamata

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/21/minamata-la-baie-empoisonnee_4972722_1650684.html

    En 1950, sur les plages, on commence à voir s’échouer des poissons morts. Personne ne fait vraiment attention. Un peu de temps passe et des promeneurs se mettent à raconter des histoires étranges : on voit dans la région des mouettes et des corbeaux incapables de prendre leur envol, leurs ailes prises de mouvements désordonnés et erratiques.

    Et puis ce sont les chats. Brutalement pris de spasmes, ils sont emportés par une danse de Saint-Guy qui les précipite parfois dans la mer et finit toujours par les tuer. C’est, enfin, sur les enfants, les femmes et les hommes de la baie de Minamata, dans l’extrême sud de l’archipel nippon, que le voile du cauchemar se dépose.

    « A la fin de l’année 1953, une mystérieuse maladie du système nerveux central commence à affecter les villageois de la baie de Minamata et, en 1956, elle prend des proportions épidémiques », écrivent deux médecins, Douglas McAlpine et Shukuro Araki, le 20 septembre 1958, dans la revue britannique The Lancet.

    C’est le premier article sur le sujet publié dans la littérature médicale internationale : le monde découvre la « maladie de Minamata », du nom de la ville enrôlée à son insu dans une sorte de vaste expérience qui fera plusieurs dizaines de milliers de victimes – le chiffre est âprement débattu et des procès sont toujours en cours.

    Infirmité motrice

    Les rapports des deux médecins sont glaçants. « Famille Kaneko : en 1954, le père a été frappé de dysarthrie [trouble de l’articulation], de tremblements et d’ataxie [trouble de la coordination]. Son état s’est lentement détérioré et il est mort en juin 1955 », écrivent-ils.
    Dans le même temps, ses deux enfants développent des troubles semblables, qui apparaissent un peu partout dans la région. « Famille Tanaka : en mars 1956, fébrilité d’une petite fille de 6 ans, pendant une journée. Ensuite, pendant deux à trois semaines, développement progressif d’une ataxie, d’une dysarthrie, d’une dysphagie [difficultés à la déglutition]. (...) En février 1958, elle était devenue sourde, muette, déficiente mentale et incapable de s’asseoir. »

    Bien vite, les troubles graves du développement explosent chez les nouveau-nés de la région. Une centaine de bébés nés au cours de la seule année 1955 dans la zone de Minamata développent une infirmité motrice cérébrale lourde. Dès les premières enquêtes, la thèse d’un empoisonnement par les produits de la mer s’impose. Mais par quoi ont été contaminés les animaux marins ?

    Responsabilité du méthyle-mercure

    « Il y avait à Minamata une usine chimique de la société Chisso qui déversait ses effluents dans la baie, raconte le spécialiste de santé environnementale Philippe Grandjean (université du Danemark-Sud, Harvard School of Public Health), auteur d’un ouvrage sur la pollution et le système nerveux central (Cerveaux en danger, Buchet-Chastel, 300 p., 22 euros). Or, l’usine avait mis au point un nouveau système de production de chlorure de vinyle qui utilisait du mercure comme catalyseur. » Ce dernier est déversé dans la mer sous sa forme la plus toxique : le méthyle-mercure.

    Pourtant, la thèse du mercure n’est pas évidente. D’abord parce que Chisso a longtemps nié qu’il y en ait la moindre trace dans ses effluents. Et puis, souligne Philippe Grandjean, « les nouveau-nés développaient des symptômes très marqués alors que leurs mères ne semblaient pas souffrir outre mesure des niveaux de mercure auxquels elles étaient exposées ».

    En 1959, un groupe d’experts réunis par le ministère de la santé japonais met en avant la responsabilité du méthyl-mercure mais s’abstient de mentionner la source de contamination, faute de « preuve scientifique ». Pour avoir le fin mot de l’histoire, il faut un peu de chance.

    « Dans cette région du Japon, les familles gardent dans une petite boîte le cordon ombilical de chaque enfant, comme porte-bonheur, raconte Philippe Grandjean. Un jeune étudiant en médecine, Masazumi Harada, a convaincu de nombreuses familles de lui en donner des fragments. Il a dosé la quantité de mercure présent dans chacun et a ainsi pu montrer que les enfants touchés par la maladie étaient ceux qui avaient été exposés à de fortes doses de mercure. » La preuve était apportée.

    Echantillons de cordon ombilical

    Mais jusqu’en 1968, Chisso et l’Etat japonais ont nié la responsabilité de l’usine… Ce n’était pas faute de savoir. En 1970, le médecin-chef de Chisso, Hajime Hosokawa, avoue sur son lit de mort que la société a conduit ses propres expériences, dès 1959 sur des chats, et a démontré sans l’ombre d’un doute que le méthyl-mercure présent dans les effluents de l’usine est la cause du mal. Le docteur Hosokawa, maître d’œuvre de l’expérimentation, avait reçu l’ordre de se taire… Et il s’est tu.

    Premier cas d’intoxication environnementale à grande échelle, la maladie de Minamata a montré que le cerveau en développement, lors de la vie intra-utérine, est sensible à certains polluants. Car, grâce aux échantillons de cordon ombilical testés, il est apparu que de très faibles niveaux de contamination au mercure peuvent expliquer des retards mentaux.

    Un demi-siècle de recherches ultérieures ont non seulement montré que le mercure issu des activités minières ou industrielles finit par s’accumuler dans la chaîne alimentaire marine, mais aussi qu’il altère les cerveaux en développement. Avec le risque de voir s’éroder les capacités cognitives des nouvelles générations.

    La communauté internationale commence seulement à prendre la mesure du problème. En 2009, les Nations unies préparent un traité pour faire cesser les émissions de mercure dans l’environnement et l’ouvrent à la signature quatre ans plus tard. Il est signé à ce jour par 128 pays, et 28 l’ont ratifié. Son nom tombe sous le sens : c’est la convention de Minamata.

    #William_Eugene_Smith #Minamata

  • La discrète influence de Monsanto
    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/11/la-discrete-influence-de-monsanto_4967784_1650684.html

    La société #Monsanto a-t-elle exercé des #pressions sur la revue Food and Chemical Toxicology (FCT) pour voir rétractée l’étude du biologiste français Gilles-Eric #Séralini (université de Caen), qu’elle avait publiée en septembre 2012 ? Depuis le retrait formel de celle-ci, en novembre 2013, la rumeur va bon train. Pour en avoir le cœur net, US Right to Know (USRTK), une association américaine militant pour l’étiquetage des #OGM, a ­obtenu copie des échanges entre l’un des éditeurs de la revue et la firme de Saint Louis (Missouri). Ces courriels, récupérés en vertu de la loi américaine sur l’accès à l’information (Freedom of Information Act, FOIA) et que Le Monde a pu consulter, dévoilent l’influence des firmes agrochimiques sur certains personnels académiques et sur la construction de la #connaissance.

    #Paywall

  • Des ondes de surface remontent le temps

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/07/11/des-ondes-de-surface-remontent-le-temps_4967917_1650684.html

    Quand, par malheur, un verre tombe et se casse, jamais vous ne verrez la scène à l’envers : des morceaux qui se recollent, puis montent du sol vers la table, pour reconstituer ce récipient à la ­valeur inestimable.

    Pourtant, c’est ce que vient d’observer, sur un phénomène certes différent, une équipe de l’Institut Langevin, à Paris, comme elle l’explique dans la revue Nature Physics du 11 juillet. Ces chercheurs créent des vagues à la surface d’un bain d’eau, en soufflant brièvement par-dessus, ce qui est équivalent au fait d’y faire tomber un caillou. Ils voient les ondulations de la surface s’écarter de la source. Et, d’un coup de baguette magique, ils les « retournent » pour les renvoyer de là où elles étaient parties, au centre du bassin. Ils ont même soufflé sur des motifs en forme de carte de France ou de tour Eiffel et réussi à retourner la tempête ainsi créée : les contours de la France ou de la tour réapparaissent dans le bassin…

    « Dans quelques années, tout le monde aura ce genre de bain de jouvence : un coup de baguette et hop vous rajeunissez ! », s’exclame Mathias Fink, coauteur de cette surprenante découverte et spécialiste reconnu du ­contrôle des ultrasons et autres ondes pour l’imagerie biomédicale, les communications, les radars… Il a même déjà inventé, il y a une vingtaine d’années, une technique pour retourner les ondes, en l’occurrence des ultrasons.

    Celle-ci consiste à enregistrer tous les sons en périphérie de la source, puis à retourner le signal dans le temps, à le rejouer pour reconcentrer les ondes vers le point d’émission et les « réentendre ». Mais ce n’est pas ainsi qu’il a procédé cette fois-ci, car il est impossible d’enregistrer toutes les ondulations des vagues. L’opération a consisté à soulever brièvement et assez fort le bain en lui donnant une secousse par en dessous. Cela a pour effet de « casser » l’onde en deux : une partie continue son chemin et l’autre revient vers la source. « Quand ça a marché, nous étions contents. Puis ensuite on a fait des calculs et vu qu’il y avait beaucoup de physique derrière », se souvient Vincent Bacot, doctorant dans l’équipe. « C’était dur à imaginer, même pour nous ! », se souvient Emmanuel Fort, également à l’Institut Langevin.

    Miroir temporel

    « L’une des beautés de cet effet est qu’il correspond exactement à ce qu’on appelait, au XIXe siècle, le ­démon de Loschmidt, rappelle ­Mathias Fink. C’est l’idée qu’on pourrait, à un instant donné, ­retourner d’un coup toutes les ­vitesses des particules d’un gaz dans une pièce pour les faire revenir à leur point de départ. »

    Tout se passe comme si la variation soudaine d’amplitude créait une sorte de miroir temporel ­contre lequel les ondes se brisent et repartent. « Notre technique coupe le temps comme un miroir classique coupe l’espace, décrit Emmanuel Fort. Et ça peut marcher pour n’importe quelle onde, à condition de pouvoir effectuer ­rapidement la variation et avec une forte amplitude. »

    « Comprendre la nature du temps fascine tous les physiciens. C’est pourquoi toutes les méthodes qui retournent le temps sont intéressantes, estime Ulf Leonhardt, professeur à l’Institut Weizmann, en Israël. La surprise, dans ce cas, est que l’expérience est simple et peut être faite à la maison ! » Le physicien a été si séduit qu’il va commencer une collaboration avec les Parisiens en lien avec… la cosmologie. « En fait, on peut ­interpréter la variation de vitesse de propagation des ondes, au moment où l’on fait le choc, comme une modification de la relation ­entre l’espace (les distances) et le temps (celui mis pour les parcourir). Donc comme un changement de la métrique de l’espace-temps », indique Emmanuel Fort.

    De quoi tester des effets analogues à ceux créés par des ondes gravitationnelles ou des trous noirs, des phénomènes qui, justement, modifient considérablement l’espace-temps et qui restent difficiles à appréhender ­depuis la Terre. Depuis plusieurs années, des spécialistes de l’optique, du son ou des atomes froids essaient d’ailleurs de construire en laboratoire des modèles reproduisant ces effets cosmiques violents. Ces nouvelles vagues françaises donneront une petite cure de jouvence à ces tentatives.