• Business de la faim aux USA : optimisation des profits | Libé | 07.05.23

    https://www.liberation.fr/international/amerique/business-de-la-faim-aux-etats-unis-les-grandes-entreprises-instrumentalis

    Activiste, enseignant et expert des enjeux sociaux de nutrition, Andy Fisher a dirigé depuis les années 90 plusieurs organisations de lutte contre la précarité dans l’assiette et a signé en 2017 l’essai remarqué Big Hunger (non traduit). Il y dénonce « un business de la faim » aux Etats-Unis, où les intérêts du capitalisme financier et de « l’industrie » très développée des banques alimentaires se rejoignent pour nourrir les affamés au lance-pierre plutôt que d’œuvrer à les sortir de la misère.
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    Quelles stratégies locales devraient selon vous inspirer une action d’ampleur menée à l’échelle du pays ?

    On voit certaines banques alimentaires se tourner vers une structuration plus adossée aux communautés, où elles donnent l’initiative à des personnes sur le terrain, des personnes ayant vécu l’expérience de la pauvreté : elles ont un organe consultatif composé de certaines de leurs bénéficiaires et fondent leurs politiques prioritaires sur ce que ces gens leur suggèrent de faire. Parfois, l’action ne porte pas sur la nourriture, parfois c’est le prix des transports en commun ou l’enjeu de l’accès au logement. A San Antonio (Texas), la banque alimentaire œuvre sur le front du logement social parce qu’elle réalise que si vous dépensez trop d’argent pour un toit, il ne vous reste pas assez d’argent pour vous nourrir. On voit des programmes de développement économique comme à Rochester [dans l’Etat de New York], où Food Link achète les pommes locales, les traite et les vend aux écoles, aidant ainsi les agriculteurs locaux tout en créant des emplois. Il y a beaucoup de choses comme ça, qui produisent des effets à la marge, mais ce ne sont pas des stratégies qui s’attaquent à la façon dont, foncièrement, les grandes entreprises instrumentalisent l’aide alimentaire à leur profit. A mon sens, ces initiatives esquivent le problème, omettent de restructurer les banques en profondeur et ne réalisent pas du tout le potentiel que ces établissements contiennent.

    N’y a-t-il aucun contre-exemple plus prometteur ?

    Si, bien sûr. A Tucson, en Arizona, ils s’étaient mis jusque récemment à dépenser plus de 50 % de leur budget dans des stratégies de justice sociale, du jardinage à l’engagement communautaire en passant par une campagne pour l’augmentation du salaire minimum. Ça a un peu fait bouger les choses. Mais depuis, une nouvelle direction a repris la main et mis à l’arrêt certaines de ces activités. Il faut dire qu’après avoir reçu des milliards de dollars de ressources pendant la pandémie, de Jeff Bezos comme de l’Américain moyen envoyant son chèque de 50 ou 100 dollars, les banques alimentaires se retrouvent dans le dur maintenant que la page Covid est tournée, faisant face à une demande considérablement accrue. Et ainsi beaucoup de leurs actions sociales de fond passent à la trappe.