François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • « Effets limités », « escroquerie sur le résultat »... Les opérations anti-drogue « Place nette XXL », coup de com’ XXL ? - Paris (75000)
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    Depuis le 18 mars, le ministre de l’Intérieur a lancé une série d’opérations « Place nette XXL » visant à assécher les points de deal, traquer les trafiquants et rassurer les riverains impactés. Une offensive menée à grand renfort de communication, mais dont les effets réels pourraient être limités.

    Un « tournant » dans le combat contre le trafic de stupéfiants, une offensive « d’ampleur inégalée », signe de la « détermination totale (du gouvernement) à lutter contre la drogue, ses réseaux et son argent sale » : à lire et à entendre l’exécutif, Gérald Darmanin en tête, c’est bel et bien une révolution qui est en marche, depuis bientôt trois semaines, sur le front de la « guerre » contre les dealers et les substances illicites dans l’Hexagone. Sur le terrain, le déploiement a de quoi impressionner. Des milliers de policiers, de gendarmes et de douaniers ont déjà investi tour à tour des quartiers de Marseille, Toulouse, Strasbourg, Lyon, Lille, Clermont-Ferrand, Dijon ou de région parisienne. Et ça va continuer. « Quand on débarque en nombre sur un secteur, le sentiment d’insécurité baisse d’un coup. Les habitants ont l’impression de ne plus être délaissés, abandonnés. Il y a un côté “reconquête de territoire” qui fonctionne et n’est pas inutile », relève Arnaud (), un officier en première ligne dans l’une des métropoles ciblées par Beauvau.

    Problème : le soulagement n’est que (très) provisoire. « Dès que l’on repart, on le sait, le trafic reprend de plus belle, pour une raison très simple : les consommateurs sont toujours là en masse, le marché n’a pas été supprimé, il se diversifie même, il faut donc l’alimenter », reconnaît Arnaud, qui s’étonne encore des « talents des chefs de réseaux en matière de RH ». « On embarque un guetteur ou un revendeur, et dans la demi-heure, deux autres arrivent pour prendre la place… La source semble intarissable. » Arnaud (officier de police) « Au final, on n’a rien réglé » Enquêteur à l’Office anti-stupéfiants (Ofast), l’agence nationale chargée de pister les gros bonnets du narcotrafic, Frédéric déplore lui aussi « l’efficacité très limitée de cette stratégie. Pour aller au-delà du “coup” ponctuel, il faudrait à chaque fois laisser des dizaines de CRS ou de gendarmes mobiles sur place pendant des mois, ce qui est évidemment impossible. Au final donc, on n’a rien réglé. » Le scepticisme ambiant est encore renforcé par des résultats bruts souvent jugés « mitigés, voire carrément faibles ». Lors de son dernier point d’étape national, le 30 mars dernier, Gérald Darmanin faisait état de « 150 kg de drogues et 2,4 millions d’euros » découverts. Un total bien modeste, au regard des « 20.000 » personnels engagés et de la promesse, réitérée le 20 mars par le locataire de Beauvau, de littéralement « éradiquer le trafic de drogue ». À Marseille, la ville française la plus gangrenée par les stupéfiants et la criminalité qui en découle, les opérations XXL ont connu un démarrage poussif, avec seulement 30 kg de cannabis et 1,37 kg de cocaïne découverts entre le 18 et le 24 mars. Mais les derniers jours ont semble-t-il été plus probants. Selon le dernier bilan en date, publié par la préfecture de police le 2 avril, 450 kg de cannabis, 2,7 kg de cocaïne, 17 armes et 26 véhicules ont été saisis dans les Bouches-du-Rhône.

    « Une forme d’escroquerie sur le résultat » Les interpellations, elles, se comptent en milliers à l’échelle nationale – 1.738 selon le dernier décompte ministériel du 30 mars, un chiffre qui a probablement explosé depuis. Dans certains cas, il s’agit d’« objectifs » ciblés en amont par les enquêteurs locaux. « On peut profiter de l’occasion pour finaliser des affaires en cours », confirme Arnaud. Mais le plus souvent, policiers et gendarmes “ramassent” opportunément des petits revendeurs ou des consommateurs pris dans la nasse. Combien d’entre eux font ensuite l’objet de poursuites judiciaires ?? Et si oui, lesquelles ?? Sollicité sur ce point, le ministère de la Justice n’a pas été en mesure de nous répondre à ce stade. Les doutes sur la traduction pénale des opérations en cours ne sont donc pas dissipés. Photo Fred Marquet Autre limite aux statistiques affichées par l’exécutif en matière depuis le 18 mars : toutes les arrestations ne sont pas liées aux stupéfiants, loin de là. « La volonté effrénée de faire du chiffre, rien que du chiffre, est toujours source de dérives », déplore Frédéric.Exemple « classique », selon le limier de l’Ofast : « un type qui se fait prendre pour une infraction au Code de la route pendant une opération XXL sera comptabilisé dans le bilan général. Pour répondre à la pression politique, il y a une forme d’escroquerie sur le résultat. » Arnaud et Frédéric s’accordent également pour dire que « ce n’est pas comme ça que l’on réglera le problème de fond du trafic de stups ». « On nous demande de faire du “visible”, du “paraître”, du “temporaire”, et dans le même temps, on nous refuse l’arsenal juridique, les effectifs et temps pour bosser en profondeur. On y perd forcément en efficacité », s’agace le premier. Le second regrette « le décalage énorme » entre les images des quartiers investis par les CRS, « pour un pur effet de com’ », et les moyens réels dont disposent les services d’investigation spécialisés comme le sien, qui ciblent le haut du spectre. « Chez nous, à cause d’une série de départs non anticipés, on a perdu récemment un groupe d’enquête complet sur trois, illustre-t-il. Mais ça, qui le sait, qui le voit, qui s’en émeut ?? Personne. »

    () Les prénoms ont été modifiés.