Nicolas Béniès, expert de l’histoire du jazz. © Ouest-France
Jazz et blues sont-ils liés ? Le jazz a-t-il contribué à l’évolution des mentalités ? Y avait-il des jazz women ? Journaliste, critique de jazz, conférencier à l’université populaire de Caen, Nicolas Béniès lève le voile sur cette musique qui prend son envol pendant la première moitié du XXe siècle, aux États-Unis.
Pour le 80e anniversaire du Débarquement, le Mémorial de Caen propose une exposition « L’Aube du siècle américain 1919-1944 ». Elle revient sur la vie des soldats avant qu’ils ne débarquent sur les plages normandes. Pour l’occasion, Ouest-France vous propose d’explorer ce qui faisait les États-Unis lors de l’entre-deux-guerres tout en se plongeant dans les coulisses de cette exposition événement.
Impossible de parler des années 20 en Amérique sans évoquer le jazz. Nicolas Beniès, spécialiste de l’histoire du jazz, revient sur sa popularité aux États-Unis. Ce thème sera largement consacré dans l’exposition L’Aube du siècle américain 1919-1944 au Mémorial de Caen.
Le blues et le jazz ont les mêmes origines
VRAI
Ces deux musiques sont issues de la déculturation des populations africaines déportées en Amérique. « Afin d’empêcher la révolte des esclaves, on les a dépossédés de leurs pratiques culturelles, résume Nicolas Béniès, expert normand du jazz. Une culture nouvelle apparaît autour du son des tambours et des pratiques vaudou ». Ainsi né le blues au milieu du XIXe siècle. « Si le blues était rural, le jazz, lui, est urbain ». Métissé de blues, de ragtime, mais aussi de musique créole, « le jazz s’est développé dans les ghettos des grandes villes américaines. Parti de La Nouvelle-Orléans, il a rapidement migré vers Chicago où il a pris son essor ».
Le jazz a échappé à la ségrégation
FAUX
« Pour la société américaine bien-pensante des années 1920, 1930 et 1940, le jazz était une musique de sauvages jouées dans les bas-fonds », confirme Nicolas Béniès. « Il y avait les orchestres de musiciens noirs qui jouaient pour les noirs et des orchestres de musiciens blancs qui jouaient pour les blancs ». Il faudra attendre 1936 pour voir sur scène un orchestre mixte : celui de Benny Goodman. « Ce fut un scandale absolu ».
Harlem fut un creuset important pour le jazz
VRAI
Confrontés au racisme et rejeté du centre-ville de New-York par les blancs, les Africains américains se regroupent dans le quartier de Harlem, au début du XXe siècle. Dans les années 1920, des universités ouvrent leurs portes et une élite artistique s’y développe. Le Cotton Club ou le Savoy Ballroom deviennent des hauts lieux du jazz ; Louis Armstrong et Duke Ellington en sont les piliers. L’impact de ce que l’on a appelé plus tard « la renaissance de Harlem », ne s’est d’ailleurs pas limité à la musique : la littérature, la peinture, ou la photographie ont également connu un essor considérable dans ce quartier. « Le foisonnement artistique de Harlem des années 1920 a eu un impact dans le monde entier », confirme Nicolas Béniès.
Le premier disque de jazz a été enregistré par un orchestre blanc
VRAI
Le 26 janvier 1917, l’Original Dixieland Jazz Band, un quintet de musicien blancs, enregistre un 78 tours composé de deux titres : Livery Stable Blues et Dixie Jass Band One Step. C’est le premier disque commercialisé de l’histoire du jazz. Loin d’atteindre la virtuosité des jazzmen afro-américains dont ils copient peu ou prou le style, ce groupe va vendre plus d’un million de disques et se produire dans le monde entier. C’est lui qui animera le bal de la Victoire à Londres en 1919, en présence du roi George V, est des maréchaux français Foch et Pétain.
Jazz et comédie musicale : deux mondes qui s’ignorent
FAUX
S’il apprécie de danser au son des musiques jazz, le public américain raffole également des comédies musicales, ces spectacles qui combinent musique, danse et chant. Inspirés par les opérettes qui fleurissent à la fin du XXe siècle en Europe, les compositeurs de comédies musicales américains vont rapidement intégrer dans leur musique les influences des musiciens de jazz. « Cole Porter était un grand admirateur de Louis Armstrong ; Gershwin était fou de jazz », rappelle Nicolas Béniès. Cette fusion des deux styles va créer un genre musical « qui incarne profondément la culture américaine » .
Les femmes n’ont eu aucune influence dans l’essor du jazz
FAUX
« Bien au contraire », rectifie Nicolas Béniès. « Même si elles n’ont pas bénéficié de la popularité de leurs homologues masculins, les femmes ont joué un rôle très important dans l’histoire du jazz ». Lil Hardin, la seconde femme de Louis Armstrong, par exemple, était une pianiste accomplie qui possédait son propre orchestre. « Blanche Calloway, la sœur de Cab, était une cheffe d’orchestre remarquable », poursuit Nicolas Béniès. Véritable icône de la scène de Chicago, « c’est elle qui a donné les premières leçons de musique à son jeune frère ». Avant que celui-ci ne l’éclipse de sa notoriété… Quant à Mary Lou Williams, pianiste, arrangeuse et compositrice, « elle fut le mentor de Thelonius Monk ou Dizzie Gillespie… » L’histoire retiendra plus facilement le nom d’interprètes comme Billie Holiday, Bessie Smith et bien sûr, Ella Fitzgerald.
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Le jazz est indéfinissable
VRAI et FAUX.
Difficile de réduire le jazz à une seule définition tant son univers est vaste et continue d’évoluer. Nicolas Béniès a trouvé sa propre définition : « Écoutez les 12 premières secondes de « West End Blues », de Louis Armstrong. Le jazz, c’est ça ».
En 1944, la chanson « In the Mood » marque un nouveau tournant dans le répertoire jazz
FAUX
Interprétée par les Andrew Sisters, la chanson swing-jazz In the Mood débarque en Europe dans les paquetages des soldats américains et devient l’hymne de la Libération. « Or, c’est un courant de jazz déjà passé de mode aux USA », indique Nicolas Béniès. Outre-Atlantique, les oreilles sont déjà tournées vers un nouveau style : le be-bop dont les pionniers ont pour nom Thelonious Monk, Charlie Parker ou Dizzy Gillespie.
Du 8 mai 2024 au 5 janvier 2025, exposition L’aube du siècle américain 1919-1944. Under the Red, White and Blue, au Mémorial de Caen. De mai à septembre : 9 h - 19 h, d’octobre à janvier : 9 h 30 - 18 h (fermé les mercredis de novembre et décembre).
La playlist chronologique de l’exposition « L’aube du siècle américain, 1919-1944 »
1. Jim Europe’s 369 th Us Infantry Band : Saint-Louis Blues (1914).
2. Original Dixieland Jazz Band : Livery Stable Blues (1917)
3. James P. Johnson : Carolina Shout (1921)
4. Fletcher Henderson : Shanghaï Shuffle (1924)
5. Bix Beiderbecke and The Frankie Trumbauer Orchestra : Singin’The Blues (1927)
6. Louis Armstrong : West End Blues (1928)
7. Mary Lou Williams : Night Life (1930)
8. Duke Ellington : Clouds in my Heart (1932)
9. Blanche Calloway - I Gotta Swing (1935)
10. Billie Holiday : Summertime, composée par Gorge Gershwin (1936)
11 Jimmie Lunceford : For Dancers Only (1936)
12. Benny Goodman Quartet : I Got A Heartful Of Music (1937)
13. Glenn Miller : In The Mood (1939)
14 Tommy Dorsey Band & Frank Sinatra : How About You ? (1941)
15. Bing Crosby : Miss You (1942)
16. Tiny Grimes & Charlie Parker : Red Cross (1944)
Jean-Philippe GAUTIER. Ouest-France