Nous sommes le 2 janvier 2019. Sans surprise, déjà des #violences_de_genre. Mais aussi des articles sur ces violences en ?? Pas des "faits divers" qui tiennent en un paragraphe. En l’occurrence : 2 pages, 817 mots, 3941 caractères.
"Une femme battue et séquestrée 12 heures par son mari à Madrid"
Voilà ce que l’on apprend :
L’homme de 41 ans a été arrêté par la police pour avoir "brutalement" agressé sa compagne de 45 ans et l’avoir maintenue enfermée 12h au domicile conjugal (porte parole de la police)
L’homme, qui avait des antécédents de violence de genre, a été remis en liberté. Des mesures d’éloignement ont été prises. Un bracelet électronique lui a été posé. La femme a été hospitalisée. La journaliste pourrait s’arrêter là, après-tout. Mais non.
Car en Espagne, on ne met pas les cas de violence de genre dans la rubrique des chiens écrasés. La journaliste va donc tenter de nous expliquer ce qui s’est passé, croisant les témoignages des forces de l’ordre qui sont intervenues, des pompiers et de la victime
Nulle part, on ne lira le témoignage d’un voisin ou d’une voisine, et le désormais célèbre : "On ne comprend pas. C’était vraiment un mec bien". Car ces témoignages n’ont absolument aucune valeur et n’apportent rien
Les journalistes espagnol.e.s l’ont bien compris.
Selon la police, intervenue sur les lieux, "après plusieurs heures, la victime a pu s’échapper avec ses 2 enfants, mineurs, témoins de l’agression" Une police qui rajoute les # suivants : #ViolencedeGenre #PasUneEnMoins*
▻https://twitter.com/policiademadrid/status/1080385348428066817#NiUnaMenos, "Pas une en moins", c’est une façon plutôt intelligente de rappeler que "pas une de plus" n’est pas adéquat, puisque si une femme est tuée sous les coups de son conjoint ou ex conjoint, ça fait une femme de moins sur terre. Eh oui. Habile. Hashtag très utilisé ici.
La police a rapporté à la journaliste que l’arrestation s’est produite le 30 décembre dernier (l’article date du 2 janvier) Une amie de la victime a appelé les forces de l’ordre, après avoir reçu des WhatsApp expliquant qu’elle avait été battue, qu’elle était séquestrée...
.. et qu’elle craignait pour sa vie La police a donc envoyé une patrouille puis a prévenu les pompiers pour leur dire qu’ils allaient devoir intervenir en défonçant la porte derrière laquelle la femme était retenue contre sa volonté
Les pompiers n’ont finalement pas eu à intervenir : une patrouille de police municipale est tombée nez à nez avec la victime qui descendait les escaliers, en pleurant, avec les deux enfants. Elle était parvenue à s’échapper
Les agents ont tenté de parler avec la victime mais à ce moment-là, "elle était encore en état de choc" et ne pouvait prononcer un mot.
Elle avait des blessures aux mains, aux jambes et aux lèvres, selon la police.
Plus tard, elle a expliqué que son compagnon l’avait frappée avec un balai en aluminium jusqu’à ce qu’il se casse, qu’il lui avait sauté dessus x fois, genoux joints, alors qu’elle était au sol, mis des coups de pied et des coups de poings "Les enfants y ont assisté" selon police
Elle a ensuite indiqué aux policiers que son agresseur avait commencé à la frapper à 1h du matin (il a été arrêté à 13h45), qu’il l’avait séquestrée dans la chambre puis qu’elle avait réussi à sortir avec les 2 enfants bien des heures plus tard, pendant qu’il était aux toilettes
Les agents de police sont montés à l’étage L’homme leur a ouvert et s’est laisser arrêter Accusé de "mauvais traitements et blessures dans le cadre conjugal", il est passé devant un juge "spécialisé dans les violence de genre" Et là, vous allez me dire : kesako ? Je vous réponds.
En 2004, un système de justice spécialisé a été mis en place
Explications dans ce reportage que j’ai réalisé pour @FRANCE24 / @ActuElles @_51percent
Cela n’est évidemment pas suffisant (voir mon article ici : ▻https://www.france24.com/fr/20181123-focus-espagne-justice-violences-femmes-conjugales-justice-protect)
Les magistrats qui traitent des violences commises contre les femmes ne sont pas assez formés. C’est la vice-présidente du tribunal constitutionnel elle-même qui le dit", explique @PepaBueno, que j’ai interviewée pour ce reportage : ▻https://play.cadenaser.com/audio/001RD010000005280629
Pour exercer dans les tribunaux spécialisés, il suffit en effet de suivre une formation de dix jours, en sus de la forma° initiale. Ce qui interroge en Espagne, où les incidents qui embarrassent le pouvoir judiciaire s’accumulent. En octobre, une vidéo a défrayé la chronique.
On y voyait un juge spécialisé dans les violences faites aux femmes insulter une présumée victime en son absence, juste après son audition. Après l’avoir traitée de "fille de pute" notamment, le juge a fait quelques commentaires à l’attention de ses collègues : "Vous allez voir la tête qu’elle va tirer quand elle s’apercevra qu’elle devra confier ses enfants au père". Depuis, la justice s’est saisie de l’affaire.
▻https://cadenaser.com/ser/2018/10/03/sociedad/1538581619_584708.html
On en revient donc au cas d’agression dont je vous parlais au début : L’homme est donc passé devant la juge spécialisée qui était de garde ce jour-là. Après avoir recueilli son témoignage, elle a décidé de le laisser en liberté provisoire +ordre protection +bracelet électronique.
Je ne suis pas juge, je n’ai donc pas à commenter cette décision de justice. Nombre d’internautes, en revanche, ont fait savoir leur mécontentement, en commentant les articles de @el_pais et de @elmundoes notamment : On peut lire ici :
Trad : "La juge n’a pas estimé que c’était suffisamment grave pour l’envoyer en prison, il est donc libre. Il la séquestre 12h et la frappe devant des mineurs mais ça n’est pas grave, il n’y a aucun risque. Bon. Jusqu’à ce qu’il la tue, pas besoin de prendre des mesures donc."
La #loi espagnole de lutte contre les violences de genre (2004) n’est pas jugée efficace pour éradiquer les violences contre les femmes, par toutes celles et ceux engagé.e.s dans ce combat. Du côté des médias, un travail d’autocritique a été fait pour n’oublier aucune victime.
e vais terminer par des chiffres : En Espagne, en 2018, 47 femmes ont été tuées par leur (ex)conjoint Chiffre le + bas depuis 15 ans :
▻https://www.elmundo.es/espana/2018/12/31/5c2a03f021efa0c25a8b45f4.html
En France, en 2018 ? 130 en novembre 2018
▻https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/11/26/violences-conjugales-109-femmes-tuees-par-leur-conjoint-ou-ex-compagnon-en-2
On est d’accord : les chiffres ne disent pas tout (ou, au contraire, on peut leur faire dire ce qu’on veut) mais cela donne une idée Rajouter aux 130 femmes tuées : 16 hommes tués par leur compagne ou ex-conjointe 25 enfants tués dans le cadre de violences conjugales
@MarleneSchiappa et @CCastaner précisent : « En incluant les suicides et les homicides de victimes collatérales, le nombre total de décès résultant de ces violences [conjugales] s’élève à 247 personnes » Nous, médias, devons arrêter d’en parler comme de simples faits-divers
▻https://twitter.com/MelinaHuet/status/1080568498030555136
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