L’école de Kharkiv, l’angle mort de l’empire soviétique
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Tous ont en commun un goût de la satire et une envie de montrer l’ordinaire de leurs vies minuscules : les files d’attente dues aux pénuries alimentaires, les cités-dortoirs toutes grises, les chairs molles et les corps informes. « Ce qui nous caractérisait, c’était une forme de brutalité », résume Evgeniy Pavlov, visage fermé de joueur de poker, regard bleu glacé.
Les tirages sont rarement soignés. « Dans un pays jugé sans qualité, la photo se devait aussi de l’être », ajoute Roman Pyatkovka, qui, après une carrière de chef éclairagiste au théâtre de Kharkiv, décida de se consacrer à la photographie, vers 1983.
A l’époque, le simple fait de détenir un appareil photo peut entraîner l’accusation d’espionnage. « Le mot “groupe” était mal vu de la part des autorités soviétiques », rappelle Evgeniy Pavlov. Le KGB, qui envoyait ses agents de l’ombre dans les universités, avait aussi infiltré le club de photo de Kharkiv. Oleg Malevany, l’un des membres de Vremya, est pris en filature. « Personne n’a été emprisonné, comme ce fut le cas dans les années 1930, mais on sentait toujours une présence invisible, c’était très troublant », confie Boris Mikhaïlov.