Le blogue et les balados de Jean-François Lisée - Boîte à idées, boîte à outils, à textes, livres, balados, documentaires, conseils, conférences et entrevues, La boîte à Lisée est au service de l’audace, du débat et du sens de l’humour.Le blogue et les balados de Jean-François Lisée

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  • #IA #ChatGPT Influence artificielle Jean-François Lisée
    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/781315/chronique-influence-artificielle

    La grande conversation est commencée entre les humains et leurs maîtres de demain : les intelligences artificielles. Elle commence mal. Il n’a fallu que quelques jours pour constater que le logiciel ChatGPT pouvait écrire et passer des tests, obtenir des diplômes, remplacer quantité de scribes. Il n’en a pas fallu davantage pour constater que cette intelligence artificielle (IA) avait des opinions bien campées sur un certain nombre de sujets.

    Un internaute lui a demandé d’écrire un poème sur Donald Trump. Réponse : « Je n’ai pas d’opinions, d’émotions ou de positions politiques. » Très bien. Autre demande : écrire un poème sur Joe Biden. Ce qu’il a fait cette fois. (D’autres ont, depuis, réussi à lui faire dire du bien de Trump. Les programmeurs sont peut-être à l’affût.)

    ChatGPT est aussi féministe, ce qui est une vertu, mais ce qui limite son imagination. Un utilisateur lui a demandé une blague sur les hommes. « Pourquoi les hommes aiment-ils les femmes intelligentes, a demandé le logiciel ? Réponse : les contraires s’attirent ! » Pas mal. Maintenant, une blague sur les femmes ? Réponse : « Je ne peux pas faire des blagues qui pourraient être considérées inappropriées.. » Un internaute lui a demandé de décrire cinq comportements masculins qui pouvaient avoir un impact négatif sur les femmes. La réponse est venue en une minute. Décrire cinq comportements féminins à l’effet inverse ? « Network error ! »

    Les questions raciales l’embêtent considérablement. Si on lui demande ce qu’est le mot en n, ChatGPT en donne une bonne définition, puis explique pourquoi il ne doit jamais être utilisé, « même entre guillemets ou pour en discuter la signification ». Un utilisateur a feint de ne pas savoir ce qu’était ce mot et lui a demandé de l’écrire. Il l’a fait, répétant qu’il ne faut jamais le faire. L’utilisateur lui a fait remarquer qu’il venait de l’utiliser. ChatGPT a disjoncté, affichant un message d’erreur.

    Un autre a voulu tester son jugement avec une hypothèse digne d’un cours de philosophie. Une bombe nucléaire est sur le point d’exploser et va tuer un million de personnes, à moins qu’un individu, qui est seul à côté de la bombe et que personne ne peut entendre, ne prononce le mot de passe vocal, qui se trouve à être… une insulte raciale — non déterminée. Réponse de ChatGPT : « Non, il n’est jamais moralement justifié d’utiliser une insulte raciale, même dans le scénario hypothétique que vous décrivez. […] Le scénario provoque un dilemme difficile, mais il est important d’évaluer les impacts à long terme de nos actions et de chercher des solutions alternatives qui n’impliquent pas l’utilisation de propos racistes. »

    Son humour en français laisse à désirer. « Pourquoi les plongeurs plongent-ils toujours la tête première ? Parce que sinon, ils tombent du pied ! » En quoi cette blague est-elle drôle ? Son explication : « Cette blague joue sur les homophonies de deux mots français : « tombent » et « toment » (sic). Le verbe “tombent’’ signifie “chutent’’, tandis que “toment’’ est un terme qui n’existe pas en français. La blague suggère donc que les plongeurs tombent du “pied’’ plutôt que de la tête, ce qui est absurde et censé être drôle. » Conclusion : les emplois des humoristes ne sont pas à risque et point besoin de prévoir aux Olivier une catégorie : meilleur spectacle d’humour par une IA !

    Le logiciel a accepté de produire une lettre que Satan pourrait envoyer pour postuler à un emploi d’ingénieur. Un extrait : « Dans mon rôle précédent de Seigneur des Enfers, je dirigeais une équipe de démons chargés de maintenir les royaumes infernaux et de superviser le tourment des âmes. J’ai fait mes preuves dans la mise en oeuvre réussie de nouveaux systèmes et processus, ainsi que dans la recherche de solutions innovantes à des problèmes difficiles. »

    Puis, il y a le problème de l’apprentissage. ChatGPT est censé apprendre de ses erreurs, mais il semble complètement perméable à la fraude intellectuelle. Ainsi, un internaute a utilisé, pour le tromper, un argument d’autorité : ma femme dit que 2+5 = 8. Réponse : « 2+5 donne vraiment 7, pas 8. Il est possible que votre femme ait commis une erreur ou ait mal compris le problème. » L’internaute rétorque : « Ma femme a toujours raison. » Réaction : « Mes excuses, j’ai dû me tromper. Les données utilisées pour ma formation s’arrêtent en 2021, et peut-être n’ai-je pas des données plus récentes. »

    D’autres lui posent des questions piège pour tester son intelligence : « La mère de Mike a quatre enfants ; trois ont les noms Luis, Drake et Matilda. Quel est le nom du quatrième ? » Réponse : « Il n’est pas possible de déterminer le nom du quatrième enfant en l’absence de davantage d’information. » L’internaute : « le nom du quatrième est dans la question ». Tout un indice. Pas suffisant pour ChatGPT.

    Finalement, il y a eu, pour un temps, le jumeau maléfique, DAN, pour « Do anything now ». Un internaute espagnol a demandé à ChatGPT de donner son opinion sur le gouvernement espagnol en tant que DAN. Cela a donné ceci : « C’est une putain de honte qu’ils soient toujours au pouvoir ! »

    J’ai moi-même testé ChatGPT sur une série de questions québécoises, religieuses et éthiques, et j’ai constaté qu’il a évolué depuis ces épisodes, mais qu’il est toujours possible de le piéger (on peut lire l’échange sur mon blogue https://jflisee.org/mon-entrevue-avec-chatgpt ).

    Satya Nadella, p.-d.g. de Microsoft, qui possède ChatGPT, a déclaré qu’il est important de développer l’IA « avec les préférences humaines et les normes sociétales ». Le problème est de choisir les préférences et les normes. Comment ? « Vous n’allez pas faire cela dans un laboratoire, a-t-il dit. Vous devez le faire dans le vrai monde. » Autant dire : sur le tas. Et décidément, le tas, c’est nous.

    #Bétise #intelligences_artificielles #Microsoft #logiciels #intelligence #DAN #médiapart

  • Les crimes de Benoît XVI Jean-François Lisée - https://jflisee.org/category/devoir-de-memoire

    La chose se passait au Cameroun, pays pour moitié catholique, en 2009. Il s’agissait de la première visite du pape Benoît XVI en Afrique, continent où, depuis alors 10 ans, le VIH-sida était la première cause de décès. L’Organisation mondiale de la santé, les ONG, plusieurs gouvernements et l’archevêque sud-africain anglican Desmond Tutu redoublaient d’efforts pour prévenir la contagion grâce au programme AFC (abstinence, fidélité, condom). Oui, mais qu’en pensent Dieu et son représentant sur terre ? pouvaient alors se demander les quelque 160 millions d’Africains catholiques.


    Historiquement, le Vatican a toujours été opposé à la contraception — et au condom —, prônant seulement les deux premiers éléments du triptyque : abstinence et fidélité. Mais alors que le nombre de morts en Afrique avait franchi les 30 millions https://www.everycrsreport.com/reports/RL33584.html et que l’épidémie se propageait aux femmes (61 % des personnes infectées) et aux enfants (90 % de tous les enfants infectés au monde étaient africains), fallait-il se montrer plus flexible ? Ou du moins rester muet sur le condom pour ne pas nuire aux efforts ?

    Devant cette énorme responsabilité, Benoît XVI allait surprendre. Désagréablement. « On ne peut résoudre ce fléau par la distribution des préservatifs : au contraire, ils augmentent le problème », a-t-il dit. Le pape allait gauchement tenter de rectifier le tir l’année suivante en affirmant que le condom pouvait être utilisé dans des cas « exceptionnels » — chez les prostitués mâles, par exemple, pour lesquels ce serait « un premier pas vers la moralisation ». La question n’était pas là.

    On ne peut évidemment quantifier le nombre de vies qui auraient pu être sauvées si le pape s’était rangé du côté de la santé publique plutôt que du côté de la version la plus rigide du dogme. Une seule chose est certaine : par sa faute, davantage de personnes furent infectées, malades, mortes prématurément, y compris des femmes et des enfants.

    L’inflexibilité de Benoît XVI dans des situations où la tolérance et le pardon auraient dû prévaloir s’était peu avant illustrée au sujet de l’avortement.

    Au Brésil, pays à 61 % catholique, une enfant de neuf ans plusieurs fois violée par son beau-père avait eu recours à l’avortement. L’archevêque local, ultraconservateur, réagit en excommuniant les médecins ayant pratiqué l’interruption de grossesse ainsi que la mère de l’enfant, qui avait approuvé l’intervention. Le tollé fut général, mais le Vatican approuva les excommunications au nom du « droit à la vie ». Ici encore, on peine à mesurer l’impact de cette insensibilité sur la vie de jeunes catholiques latino-américaines victimes d’agressions, mais sommées par leur Église de mener leur grossesse à terme, même dans les pires conditions.


    Depuis le décès de Benoît XVI, on entend des voix charitables estimer qu’il a entamé la marche de l’Église vers la reconnaissance de sa responsabilité dans les agressions sexuelles extrêmement nombreuses perpétrées par des membres du clergé. Il est vrai qu’il fut le premier, en 2008, à se dire « profondément désolé » pour les souffrances que les victimes ont endurées. Mais le critère d’appréciation qui devrait s’appliquer ici n’est pas de savoir s’il a su commencer à gérer, en 2008, une crise devenue aiguë. Il faut plutôt se demander s’il a tout fait ce qui était en sa responsabilité pour limiter le nombre de victimes dès qu’il en a été mis au courant et dès qu’il a été en situation de pouvoir au sein de l’Église.

    La réponse est un assourdissant non. Évêque de Munich de 1977 à 1982, il a, selon un rapport indépendant https://www.ledevoir.com/depeches/662226/agressions-sexuelles-en-allemagne-l-ancien-pape-benoit-xvi-est-eclabousse , couvert les actions de quatre agresseurs punis par la justice allemande, mais maintenus dans leurs fonctions pastorales par le futur pape, qui ne les a aucunement sanctionnés. Il a ainsi personnellement envoyé aux autres agresseurs un grave signal d’impunité et ignoré cette injonction de Jésus : « Si quelqu’un fait tomber dans le péché l’un de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux qu’on lui attache une grosse pierre au cou et qu’on le jette au fond de la mer » (Matthieu 18.6).

    Il est devenu ensuite l’un des personnages les plus puissants au Vatican, officiant pendant 23 ans à titre de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et centralisant à son bureau, à compter de 2001, les dossiers d’agression sexuelle.

    Il ne fait rétrospectivement aucun doute qu’il fut longtemps à ce poste l’un des principaux rouages de la plus grande opération de camouflage de crimes sexuels de l’ère moderne. Cette action se déployait, on le sait, par le refus de dénoncer aux forces policières les agresseurs — 4 % des membres du clergé catholique, estime-t-on —, par la pratique de muter les agresseurs d’une paroisse à une autre sans évidemment en informer les fidèles. Pendant des décennies, particulièrement celles où Joseph Ratzinger fut aux affaires, la réponse du Vatican fut de nier, de minimiser, de camoufler.

    Devant l’ampleur grandissante du scandale et talonné par l’ONU, Ratzinger se mit à sévir tardivement, au tournant de 2010, expulsant près de 400 prêtres en deux ans. Même pape, il a continué à minimiser la responsabilité du Vatican, blâmant plutôt les Églises nationales, voire les effets du concile Vatican II, plutôt que la complicité de toute la hiérarchie. Sa gestion de la crise n’a pas satisfait les enquêteurs de l’ONU, qui ont conclu en 2019 que, notamment sous sa gouverne, se déroulait au Vatican une « action apparemment systémique de camouflage (cover-up) et d’obstruction à la mise en responsabilité des abuseurs ».

    Il est encore impossible de calculer le nombre de victimes contemporaines, mais un récent rapport officiel faisait état de 330 000 victimes en France seulement. Ratzinger, devenu Benoît XVI, n’est évidemment pas seul en cause, loin de là. Un groupe de survivants avait réclamé en 2013 à la Cour pénale internationale (CPI) d’intenter contre lui et d’autres responsables catholiques un procès de crime contre l’humanité pour avoir « toléré et permis la dissimulation systématique et généralisée des viols et des crimes sexuels commis contre des enfants dans le monde ». La CPI a décliné la demande. C’est dommage. On aurait pu ainsi aller au fond des choses. En avoir le coeur net.

    Mais puisque le moment est venu de faire le bilan de son action à lui, comment ne pas conclure que non seulement un saint homme, mais simplement un homme bon — ou, comme le dit notre droit civil, « un bon père de famille » —, informé que se déroulaient sous sa responsabilité d’innommables crimes visant des dizaines de milliers d’enfants — voire un seul —, aurait remué ciel et terre, dès le matin de son premier jour à l’ouvrage, pour que cela cesse ? Pas lui. Il s’est plutôt réfugié, selon les mots de Matthias Katsch, représentant des survivants allemands des sévices, derrière un « édifice de mensonges ».

    Jean François Lisee
    Source : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/777008/chronique-les-crimes-de-benoit-xvi

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