Fin du droit du sol à Mayotte : une rupture fondamentale | Mediapart
▻https://www.mediapart.fr/journal/france/110224/fin-du-droit-du-sol-mayotte-une-rupture-fondamentale
En annonçant vouloir réviser la Constitution pour mettre fin au droit du sol à Mayotte, Emmanuel Macron prend une décision contraire à notre histoire, dangereuse pour nous tous et inefficace au regard de son objectif de limiter l’immigration irrégulière.
Carine Fouteau
11 février 2024 à 21h12
[...]
Comme l’anticipait Patrick Weil dans un entretien à Mediapart en 2008, on reviendrait à un « régime colonial » à Mayotte, où le droit de la métropole ne s’appliquerait plus aux outre-mer. « Faire un droit différencié – dans une partie du territoire donnée – en matière de nationalité, c’est tout à fait exceptionnel en République, régime fondé sur l’égalité des citoyens et l’unité du territoire. Mayotte a un statut de département, c’est une rupture très importante que de lui appliquer un statut différent », s’alarme aujourd’hui l’historien auprès l’AFP, tout en doutant de l’efficacité de la mesure.
« Il faudrait qu’il [Gérald Darmanin – ndlr] prouve aux parlementaires et aux Français que cela va avoir des effets, indique-t-il. Aujourd’hui, quand une femme comorienne arrive et accouche à Mayotte, son enfant n’est pas français. Est-ce qu’une telle mesure la dissuadera de venir ? […] J’en doute et il ne le démontre absolument pas. Vu le différentiel de richesses entre Mayotte et les Comores, les gens viendront […]. Ce sont les conditions de vie qui les attirent. C’est le devoir du président de la République, garant de l’indivisibilité de la République et de son unité, que de chercher d’abord d’autres solutions pour répondre à la crise migratoire qui touche Mayotte. »
Une brèche dans le droit de la nationalité
Le danger est peut-être plus grave encore : en touchant au droit du sol à Mayotte, Emmanuel Macron ouvre une brèche dans l’ensemble du droit de la nationalité, tant on sait que les départements et territoires d’outre-Mer servent de laboratoire à des politiques générales.
De fait, il ne faut pas regarder bien loin pour trouver un autre coin que l’exécutif cherche à enfoncer. Lors du débat sur la loi immigration, cet hiver, les parlementaires ont en effet tenté de mettre fin à l’automaticité de l’accès à la nationalité pour l’ensemble des mineur·es né·es en France de parents étrangers (lire notre article). Cette disposition ayant été rejetée par le Conseil constitutionnel, sans doute qu’une réforme de la Constitution pourrait y remédier.
Là encore, il s’agissait de limiter l’immigration, car, on l’observe depuis plusieurs années, la question de l’immigration a envahi celle de la nationalité française. L’exposé des motifs de l’amendement concerné était explicite, estimant que le régime de l’automaticité, jugé trop favorable, pouvait « constituer un facteur d’attractivité pour les étrangers et contribuer à l’augmentation des flux migratoires ». Et les débats auxquels ce texte a donné lieu dans l’hémicycle sont édifiants.
« Un veau qui naît dans une écurie ne fera jamais de lui un cheval », a par exemple déclaré le sénateur Reconquête des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier. Cette sortie raciste lui a valu un rappel au règlement, mais elle a eu le mérite de dire tout haut ce que nombre d’élu·es de la droite, et désormais peut-être de la Macronie, pensent tout bas : la nécessité de privilégier la filiation, soit le droit du sang, pour transmettre la nationalité.
À Mayotte, comme partout en France, l’idée est de faire le tri entre les jeunes, en les renvoyant à leurs origines et à leur ascendance. Et l’on voit revenir en pleine lumière l’idéologie du « grand remplacement », selon laquelle l’augmentation du nombre d’immigré·es dans la population française remet en cause l’« identité nationale ». Marine Le Pen, qui, dans son programme présidentiel, a inscrit et la fin du droit du sol à Mayotte, et la fin de l’automaticité de l’accès à la nationalité, le formule sans barguigner : « La nationalité française s’hérite ou se mérite. »
Les principes d’égalité des droits et d’unicité du territoire n’ont pourtant pas été inventés pour rien. Il est grand temps de dénoncer les relents de xénophobie et de racisme découlant de leur mise en cause et de prendre conscience des risques que de tels accrocs font prendre à notre République, qui en plus d’être indivisible est plurielle, rappelons-le. Et, ce faisant, du danger qu’ils nous font prendre à nous tous et toutes en tant que citoyens et citoyennes.
Carine Fouteau