La contribution éco-socialiste : Il n’y a pas de vague Bleu Marine, par Frédéric Gilli
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Je ne vais pas ici dire que le Front national ne progresse pas, ni qu’il ne gagne pas de nouveaux électeurs, surtout parmi les jeunes et les ouvriers. Les faits sont là : à force d’un patient travail de terrain, ce parti est en train de structurer un nouveau rapport à la politique dans des pans entiers de la population et il est bien possible que, une fois cette « socialisation » effectuée avec les cadres idéologiques qui vont avec, cela installe ces nouveaux électeurs dans un choix politique revendiqué et durable. D’ailleurs, à peine 50 % des #électeurs #FN de ce dimanche disent pouvoir envisager de voter pour un autre parti, c’est bien la preuve d’un ancrage fort.
Ce que l’on peut en revanche prendre avec plus de mesure, c’est l’idée d’une déferlante, voire d’une vague. C’est le problème de toujours regarder les résultats au prisme de pourcentages calculés sur les exprimés : on en oublie des repères fondamentaux comme le nombre de voix effectivement rassemblées ou la part que cela représente dans l’ensemble de la population.
Sans banaliser les résultats de ce week-end, on peut tout de même s’autoriser un peu de recul historique : si les résultats du FN sont numériquement importants, puisque plus de 6 millions de Français ont glissé un bulletin FN dans l’urne, ils ne constituent pas un plus haut historique, celui-ci a été atteint à la présidentielle de 2012, quand les 17 % de Marine Le Pen rassemblaient 6,4 millions de personnes. Ils ne constituent pas non plus un record si l’on rapporte les scores réalisés le 6 décembre à l’ensemble de la population inscrite sur les listes électorales : avec 13,3 % des inscrits rassemblés, c’est le niveau atteint par Le Pen père au premier tour de la présidentielle de 2002, tandis que Le Pen fille avait atteint 14 % en 2012.
Les chiffres
Que nous disent ces chiffres ? Que la forte progression du FN dans les pourcentages de suffrages exprimés tient plus à l’#effondrement_des_partis traditionnels qu’à une forte progression de sa part. C’est comme quand la mer se retire, on voit la vase au fond. Certes la profondeur de vase peut être plus ou moins importante, mais on ne peut pas non plus oublier l’absence des flots supposés la couvrir : le 6 décembre, en rassemblant 14,6 millions d’électeurs et moins d’un tiers des inscrits (32,7 %), les (autres) partis représentés au Parlement (PC, Verts, PS, UDI, LR) ont atteint leur plus bas historique. Au printemps, ils avaient rassemblé 14,9 millions d’électeurs et 35 % des inscrits, ce qui était déjà historiquement très faible. En moyenne, depuis 1997, ces partis rassemblent 50 % des inscrits.
Le Front national n’est donc pas beaucoup plus haut aujourd’hui qu’il ne l’était à la fin des années 1990. La différence est qu’à cette époque les partis politiques traditionnels n’étaient pas encore dans l’état de déliquescence qu’ils connaissent aujourd’hui : plus qu’une progression puissante du FN, le résultat de dimanche est avant tout la déconfiture combinée du PS et de ses alliés potentiels à gauche, et de LR et ses alliés à droite.
On se félicite ainsi de la remontée de la #participation, mais cela permet d’occulter au passage que, avec 22,4 millions d’#abstentionnistes le 6 décembre, nous avons frôlé de très peu le record historique atteint en 2010. Certes, on ne sait pas ce qu’auraient voté les #abstentionnistes, mais on ne peut pas non plus occulter que la progression de l’#abstention dans les vingt dernières années (6 à 7 millions de personnes en plus qui s’abstiennent) s’est produite de manière concomitante avec une baisse significative du nombre des personnes votant pour les partis traditionnels (2 à 3 millions en moins pour la gauche et 2 à 3 millions en moins pour la droite) : peut-être que 1 à 2 millions d’abstentionnistes se répartissent de manière équilibrée entre tous les partis, mais il y a bien un volume important des électorats de gauche et de droite qui s’est volatilisé depuis le début des années 2000.