@gonzo : je pense que ton sentiment (« on a tout de même un peu l’impression que l’opération… ») qu’il s’agit de dédouaner les pauvres pétromonarchies injustement montrées du doigt vient de cette façon dans l’article de vouloir absolument rattacher la question de la domesticité aux « pays exportateurs de pétrole et de gaz faiblement peuplés », ce qui permet de mettre dans un même sac (ici explicitement dans une même liste très bizarre) les pays du Golfe, la Norvège, le Danemark, la Malaisie, Brunei, les Pays-Bas et le Canada :
À l’inverse, les gouvernements des pays exportateurs de pétrole et de gaz faiblement peuplés proposent des cadres juridiques particuliers pour que des travailleurs étrangers temporaires (généralement asiatiques pour des raisons économiques), travaillent pour des salaires parfois dérisoires en toute légalité. C’est ce que l’on peut aujourd’hui observer dans les pays du Golfe, mais aussi en Norvège, au Danemark, en Malaisie, à Brunei, aux Pays-Bas ou encore dans certaines provinces faiblement peuplées du Canada : les effets locaux des pétrodollars se manifestent souvent par des flux de milliers de travailleurs temporaires et bon marché, le plus souvent asiatiques.
[…]
Derrière ces statistiques, il y a une grande dynamique économique et sociale internationale longtemps ignorée qui révèle, au sein des pays exportateurs d’hydrocarbures, une division du travail et de la société assez radicale : d’un côté, les populations nationales, bénéficiant de divers avantages et prestations sociales, et de l’autre, les travailleurs temporaires étrangers, qui n’y ont pas droit.
On pourrait déjà remarquer que certains de ces pays ne sont pas « faiblement peuplés » (Malaisie et Arabie séoudite ont chacun 30 millions d’habitants). Mais surtout que les problèmes de la domesticité ne semblent pas se limiter du tout aux pays producteurs de pétrole. Par exemple (message précédent) : le Liban. La question de la domesticité se pose également en Afrique, peut-être avec des conditions différentes – souvent, semble-t-il, des ressortissants du même pays –, mais où la racialisation des rapports de domination n’est pas forcément absente. Par exemple, en Afrique du Sud, un million de femmes employées domestiques :
▻http://www.equaltimes.org/les-travailleurs-domestiques-en
Les Sud-africains blancs travaillent rarement en tant que domestiques, et encore moins les hommes de peau blanche. Mais depuis des générations, des femmes noires et de couleur (métisses) se sont occupées des enfants et des maisons des autres – souvent aux dépens de leurs propres ménages.
Approximativement un million de femmes sont employées en tant que main-d’œuvre domestique en Afrique du Sud.
Il y aussi l’Asie, par exemple ici 300.000 employées domestiques étrangères à Honk Kong (qui n’est pas non plus exportateur d’hydrocarbures) :
▻https://www.amnesty.org/fr/countries/asia-and-the-pacific/china/report-china
Plusieurs milliers des quelque 300 000 employés domestiques étrangers de Hong Kong – des femmes en quasi-totalité – étaient victimes de traite à des fins d’exploitation et de travail forcé, et se retrouvaient lourdement endettés du fait de frais d’agence excessifs ou illégaux. La « règle des deux semaines » (selon laquelle les employés de maison étrangers dont le contrat de travail est terminé doivent trouver un nouvel emploi ou quitter Hong Kong dans les 15 jours qui suivent) et celle selon laquelle ces employés étaient logés au domicile de leur employeur les rendaient d’autant plus vulnérables à de possibles atteintes aux droits humains et aux droits en matière de travail. Violences physiques et verbales, restriction du droit de circuler librement, interdiction de pratiquer sa foi, salaires inférieurs au minimum légal, privation de périodes de repos suffisantes, cessations arbitraires de contrat, souvent en collusion avec les agences de recrutement, étaient autant de pratiques courantes chez les employeurs. Les autorités de Hong Kong ne contrôlaient pas correctement les agences de recrutement et ne sanctionnaient pas de manière appropriée celles qui se mettaient en infraction avec la loi.
Et dans les pays où le choix des employées de maison n’est pas immédiatement racialisé, une bonne dose de mépris de classe ou d’autre structure d’aliénation/domination fera certainement parfaitement l’affaire. Ainsi en Inde (pas vraiment un pays « faiblement peuplé ») :
▻https://fr.globalvoices.org/2013/12/26/159017
L’Inde compte plus de quatre vingt dix millions d’employés domestiques, soit 20% de la population active, qui constituent une main d’oeuvre vitale pour le développement du pays mais qui disposent de très peu de droits. Les avantages tels que le salaire minimum fixe, le paiement des heures supplémentaires, le congé maternité, les soins médicaux et d’autres droits de base demeurent illusoires pour eux, en l’absence d’une législation nationale. Ils sont vulnérables face aux abus et à la pauvreté. La nature de leur travail, la relation informelle employé-employeur et leur lieu de travail demeurant un foyer privé, tous ces éléments font qu’ils ne sont concernés par aucune des lois du droit du travail indien.
On pourrait continuer ainsi longtemps… l’idée de lier la domesticité aux pays exportateurs d’hydrocarbures apparaît donc totalement artificielle, d’où le doute sur l’intention derrière ce choix qui permet de mettre la Suède dans la même liste que le Qatar et l’Arabie séoudite.