#bloc_bourgeois

  • Julien Gossa : « [#VeilleESR] 904 M€ de crédits supprimés pour la MIRES (Mission Interministérielle Recherche et Enseignement Supérieur) www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORF... » — Bluesky
    https://bsky.app
    https://bsky.app/profile/michelbessiere.cpesr.fr/post/3klym4gm7cs2d

    Plus de 20% des annulations de crédit (2,2Md€) portent sur le programme Écologie, développement et mobilité durables.

    500M€ d’annulations portent sur les dépenses de personnel de l’enseignement scolaire.

    Tout un programme politique.

    Les 15 programmes les plus touchés.

    Le programme 172 (Recherche = CNRS, etc.) arrive en 6e position avec 383M€ annulés.

    Commentaire de Michel Bessière
    https://bsky.app/profile/michelbessiere.cpesr.fr/post/3klym4gm7cs2d

    Dormez braves gens ac la LPR plein de moyens et on va atteindre 3% du PIB pour la recherche
    – 80M€ sur pgm 150 (enseignement supérieur et recherche universitaire)
    – 383M€ sur pgm 172 (recherche)
    – 125M€ sur pgm 231 (vie étudiante)
    – 192M€ sur pgm 193 (recherche spatiale)

  • Catalyse totalitaire

    Il y a une économie générale de la #violence. Ex nihilo nihil : rien ne sort de rien. Il y a toujours des antécédents. Cette économie, hélas, ne connaît qu’un principe : la #réciprocité – négative. Lorsque l’#injustice a été portée à son comble, lorsque le groupe a connu le #meurtre_de_masse et, pire peut-être, l’#invisibilisation du meurtre de masse, comment pourrait-il ne pas en sortir une #haine vengeresse ? Les rationalités stratégiques – faire dérailler la normalisation israélo-arabe, réinstaller le conflit israélo-palestinien sur la scène internationale –, si elles sont réelles, n’en ont pas moins trouvé parmi leurs ressources le carburant de la vengeance meurtrière.

    « #Terrorisme », mot-impasse

    La FI n’a pas commis les erreurs dont on l’accuse. Mais elle en a commis. Une – et de taille. Dans un événement de cette sorte, on ne se rend pas directement à l’analyse sans avoir d’abord dit l’#effroi, la #stupeur et l’#abomination. Le minimum syndical de la #compassion ne fait pas l’affaire, et on ne s’en tire pas avec quelques oblats verbaux lâchés pour la forme. Quand bien même ce qui est donné au peuple palestinien ignore jusqu’au minimum syndical, il fallait, en cette occurrence, se tenir à ce devoir – et faire honte aux prescripteurs de la compassion asymétrique.

    Ce manquement, réel, a cependant été saisi et déplacé pour se transformer dans le débat public en un point de sommation, d’abjuration même, sur lequel la FI, cette fois, a entièrement raison de ne pas céder : « terrorisme ». « Terrorisme » devrait-il être, comme l’affirme Vincent Lemire, « le point de départ du #débat_public » ? Non. Il n’en est même pas le point d’arrivée : juste le cul-de-sac. « Terrorisme » est un mot impasse. C’est ce que rappelle Danièle Obono, et elle a raison. Fait pour n’installer que la perspective de l’éradication et barrer toute analyse politique, « terrorisme » est une catégorie hors-politique, une catégorie qui fait sortir de la #politique. La preuve par Macron : « unité de la nation » et dérivés, 8 occurrences en 10 minutes de brouet. Suspension des conflits, neutralisation des différends, décret d’unanimité. Logiquement : les manifestations de soutien au peuple palestinien sont des manifestations de soutien au terrorisme, et même des manifestations terroristes, en conséquence de quoi elles sont interdites.

    Concéder « terrorisme », c’est annuler que ce qui se passe en Israël-Palestine est politique. Au plus haut point. Même si cette politique prend la forme de la #guerre, se poursuivant ainsi par d’autres moyens selon le mot de Clausewitz. Le #peuple_palestinien est en guerre – on ne lui a pas trop laissé le choix. Une entité s’est formée en son sein pour la conduire – d’où a-t-elle pu venir ? « On a rendu Gaza monstrueux », dit Nadav Lapid. Qui est « on » ?

    Sans avoir besoin de « terrorisme », « guerre » et « #crimes_de_guerre » sont hélas très suffisants à dire les combles de l’horreur. Très suffisants aussi à dire les #massacres abominables de civils. Si dans la guerre, qui est par principe #tuerie, on a forgé sans pléonasme la catégorie de « crimes de guerre », c’est bien pour désigner des actes qui font passer à une chose atroce en soi d’autres paliers d’#atrocité. C’est le moment de toute façon où il faut faire revenir l’#économie_générale_de_la_violence : des #crimes qui entraînent des crimes – des crimes qui ont précédé des crimes. L’acharnement à faire dire « terrorisme » ne satisfait que des besoins passionnels – et aucune exigence intellectuelle.

    En réalité, « terrorisme » et « crimes de guerre » sont deux catégories qui ne cessent de passer l’une dans l’autre, et ne dessinent aucune antinomie stable. Hiroshima est, à la lettre, conforme à la définition ONU du terrorisme : tuer des civils qui ne sont pas directement parties à des hostilités pour intimider une population ou contraindre un gouvernement à accomplir un certain acte. A-t-on entendu parler de terrorisme pour la bombe d’Hiroshima ? Et pour Dresde ? – comme Hiroshima : terroriser une population en vue d’obtenir la capitulation de son gouvernement.

    Mais pour ceux qui, dans la situation présente, en ont fait un point d’abjuration, « terrorisme » a une irremplaçable vertu : donner une violence pour dépourvue de #sens. Et de #causes. Violence pure, venue de nulle part, qui n’appelle rigoureusement aucune autre action que l’extirpation, éventuellement dans la forme relevée de la croisade : le choc des civilisations, l’axe du Bien, à laquelle il n’y a aucune question à poser. Il est vrai qu’ici nous naviguons en eaux vallsiennes où #comprendre est contradictoire avec s’émouvoir, et vient nécessairement en diminution du sentiment d’horreur, donc en supplément de complaisance. L’empire de la bêtise, comme une marée noire, n’en finit plus de s’étendre.

    La #passion de ne pas comprendre

    Surtout donc : ne pas comprendre. Ce qui demande un effort d’ailleurs, car l’évidence est massive et, avoir les yeux ouverts suffit – pour comprendre. Un peuple entier est martyrisé par une #occupation, ça fait bientôt 80 ans que ça dure. On les enferme, on les parque à les rendre fous, on les affame, on les tue, et il n’est plus une voix officielle pour en dire un mot. 200 morts depuis dix mois : pas un mot – entendre : qui se comparerait, même de loin, aux mots donnés aux Israéliens. Des témoignages vidéos à profusion des crimes israéliens encore frais : pas un mot. Des marches palestiniennes pacifiques à la frontière, 2018, 200 morts : pas un mot. Des snipers font des cartons sur les rotules, 42 en une après-midi, pas mal : mais pas un mot – si : « l’armée la plus morale du monde ». D’anciens militaires de l’armée la plus morale du monde expriment le dégoût, l’inhumanité de ce qu’on leur a fait faire aux Palestiniens : pas un mot. À chacune des #abominations du Hamas ce week-end, on en opposerait tant et plus commises par les militaires ou les colons – à peine quelques rides à la surface de l’eau. Les tragédies israéliennes sont incarnées en témoignages poignants, les tragédies palestiniennes sont agglomérées en statistiques. En parlant de statistique : on voudrait connaître la proportion des hommes du Hamas passés à l’attaque ce week-end qui ont tenu dans leurs mains les cadavres de leurs proches, des corps de bébés désarticulés, pour qui la vie n’a plus aucun sens – sinon la vengeance. Non pas « terrorisme » : le métal en fusion de la vengeance coulé dans la lutte armée. L’éternel moteur de la guerre. Et de ses atrocités.

    En tout cas voilà le sentiment d’injustice qui soude le groupe. Une vie qui ne vaut pas une autre vie : il n’y a pas de plus haute injustice. Il faut être épais pour ne pas parvenir à se représenter ça – à la limite, même pas par humaine compréhension : par simple prévoyance stratégique. Qu’un martyre collectif soit ainsi renvoyé à l’inexistence, que les vies arabes se voient dénier toute valeur, et que ceci puisse rester indéfiniment sans suite, c’était une illusion de colonisateur.

    Bloc bourgeois et « importation »

    Maintenant le fait le plus frappant : tout l’Occident officiel communie dans cette illusion. En France, à un degré étonnant. On s’y inquiète beaucoup des risques d’« #importation_du_conflit ». Sans voir que le conflit est déjà massivement importé. Bien sûr, « importation du conflit » est un mot à peine codé pour dire indifféremment « Arabes », « immigrés », « banlieues ». Mais le canal d’importation réel n’est pas du tout celui-là, il est sous nos yeux pourtant, large comme Panama, bouillonnant comme une conduite forcée : le canal d’importation-du-conflit, c’est le bloc bourgeois (Amable et Palombarini ©). Tout son appareil, personnel politique, éditocratie en formation serrée, médias en « édition spéciale », s’est instantanément déclenché pour importer. Pourquoi le point de fixation sur le terrorisme ? Pour la FI bien sûr – nous y revoilà. Cette fois-ci cependant avec un nouveau point de vue : le point de vue de l’importation intéressée. Le bloc bourgeois quand il fait bloc derrière Israël à l’extérieur saisit surtout l’occasion de faire bloc contre ses ennemis à l’intérieur.

    Il faudrait ici une analyse de la solidarité réflexe du #bloc_bourgeois avec « Israël » (entité indifférenciée : population, Etat, gouvernement) et des affinités par lesquelles elle passe. Des affinités de bourgeois : le même goût de la démocratie frelatée (bourgeoise), la même position structurale de dominant (dominant national, dominant régional), les mêmes représentations médiatiques avantageuses, ici celles d’Israël comme une société bourgeoise (start-ups et fun à Tel Aviv). Tout porte le bloc bourgeois à se reconnaître spontanément dans l’entité « Israël », partant à en épouser la cause.

    Et le bloc bourgeois français est plus israélien que les Israéliens : il refuse qu’on dise « #apartheid » alors que des officiels israéliens le disent, il refuse de dire « Etat raciste » alors qu’une partie de la gauche israélienne le dit, et qu’elle dit même parfois bien davantage, il refuse de dire la #responsabilité écrasante du gouvernement israélien alors qu’Haaretz le dit, il refuse de dire la politique continûment mortifère des gouvernements israéliens alors qu’une kyrielle d’officiers supérieurs israéliens le disent, il refuse de dire « crimes de guerre » pour le Hamas alors que l’ONU et le droit international le disent. Gideon Levy : « Israël ne peut pas emprisonner deux millions de Palestiniens sans en payer le prix cruel ». Daniel Levy, ancien diplomate israélien à une journaliste de la BBC qui lui dit que les Israéliens sur le point d’annihiler Gaza « se défendent » : « Vous pouvez vraiment dire une chose pareille sans ciller ? Ce genre de #mensonges ? » Le bloc bourgeois : « Israël ne fait que se défendre ». Il dit « Terreur » quand les Russes coupent toute ressource à l’Ukraine, il ne dit rien quand Israël coupe toute ressource à Gaza. Le bloc bourgeois vit un flash d’identification que rien ne peut désarmer.

    Il le vit d’autant plus intensément que la lutte contre les ennemis du frère bourgeois au dehors et la lutte contre les adversaires du bloc bourgeois au-dedans se potentialisent l’une l’autre. C’est comme une gigantesque résonance inconsciente, qui prend toute son ampleur dans une situation de crise organique où le bloc bourgeois contesté est devenu prêt à tout pour se maintenir.

    Le bloc regarde autour de lui, il ne se voit plus qu’un seul ennemi significatif : la FI. PS, EELV, PC, il a tout neutralisé, plus aucune inquiétude de ce côté-là, ces gens ne représentent aucun danger – quand ils ne sont pas de précieux auxiliaires. La FI, non. Une occasion se présente pour l’anéantir : ne pas hésiter une seule seconde. Comme avec Corbyn, comme avec Sanders, les affabulations d’antisémitisme, connaissaient déjà leur régime de croisière, mais une opportunité pareille est inespérée. Providentiel loupé inaugural de la FI : tout va pouvoir s’engouffrer dans cette brèche : le mensonge ouvert, la défiguration éhontée des propos, les sondages bidons sur des déclarations ou des absences de déclarations fabriquées, les accusations délirantes. La BBC s’abstient de dire « terroriste » mais la FI doit le dire. Des universitaires incontestables produisent de l’analyse sur les plateaux, mais la même analyse fournie par la FI est un scandale. La FI a une position somme toute fort proche de l’ONU, mais elle est antisémite. « Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? A cautionner le terrorisme islamiste ? » s’interroge avec nuance La Nuance.

    #Cristallisation

    La violence du spasme que connait la vie politique française n’a pas d’autre cause. L’événement a œuvré comme un puissant réactif, révélant toutes les tendances actuelles du régime, et les portant à un point que même les émeutes de juillet ne leur avaient pas fait atteindre. L’effet de catalyse est surpuissant. Crise après crise, la dynamique pré-fasciste ne cesse de prendre consistance et de s’approfondir. Le terme en a été donné par Meyer Habib député français d’extrême-droite israélienne : « Le RN est entré dans le camp républicain ».

    Les moments de vérité recèlent toujours quelque avantage : nous savons désormais en quoi consiste le #camp_républicain. C’est le camp qui interdit le #dissensus, qui interdit l’#expression_publique, qui interdit les #manifestations, qui impose l’#unanimité ou le #silence, et qui fait menacer par ses nervis policiers tous ceux et toutes celles qui seraient tentés de continuer à faire de la politique autour de la question israélo-palestinienne. C’est le camp qui fait faire des signalements par des institutions universitaires à l’encontre de communiqués de syndicats étudiants, qui envisage tranquillement de poursuivre des organisations comme le NPA ou Révolution permanente, qui doit sans doute déjà penser secrètement à des dissolutions.

    C’est bien davantage qu’un spasme en fait. Par définition, un spasme finit par relaxer. Ici, ça cristallise : une phase précipite. Et pas n’importe laquelle : #catalyse_totalitaire. « Totalitaire » est la catégorie qui s’impose pour toute entreprise politique de production d’une #unanimité_sous_contrainte. L’#intimidation, le forçage à l’alignement, la désignation à la vindicte, la déformation systématique, la réduction au monstrueux de toute opinion divergente en sont les opérations de premier rang. Viennent ensuite l’#interdiction et la #pénalisation. Témoigner du soutien au peuple palestinien est devenu un #délit. Arborer un #drapeau palestinien est passible de 135€ d’amende – on cherche en vain une base légale présentable. « Free Palestine » est un graffiti antisémite – dixit CNews, devenu arbitre des élégances en cette matière, signes de temps renversés où d’actuelles collusions avec des antisémites distribuent les accusations d’antisémitisme, et d’anciennes collusions avec le nazisme celles de nazisme. Sous l’approbation silencieuse du reste du champ politique et médiatique. Dans les couloirs de toute la galaxie Bolloré, on ne doit plus en finir de se tenir les côtes de rire, pendant qu’à LREM, à France Inter et sur tous les C Trucmuche de France 5, on prend la chose au tout premier degré. Le camp républicain, c’est le camp qui suspend la politique, les libertés et les droits fondamentaux, le camp soudé dans le racisme anti-Arabe et dans le mépris des vies non-blanches.

    Le monde arabe, et pas seulement lui, observe tout cela, et tout cela se grave dans la #mémoire de ses peuples. Quand la némésis reviendra, car elle reviendra, les dirigeants occidentaux, interloqués et bras ballants, de nouveau ne comprendront rien. Stupid white men .

    https://blog.mondediplo.net/catalyse-totalitaire
    #à_lire #7_octobre_2023 #Palestine #Israël #Gaza #Frédéric_Lordon #médias

  • Livre de #Cagé et #Piketty : les #data sont un sport de combat | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/politique/120923/livre-de-cage-et-piketty-les-data-sont-un-sport-de-combat?userid=554f9cc5-

    dommage de ne pas parler de la théorie du #bloc_bourgeois de #bruno_amable et #stefano_palombarini, qui étudient ces sujet et avaient identifié une large série de résultats de cette étude il y a plus de 10ans, et dont la primauté n’est rappelé dans aucun média...

    • oups, merci @rastapopoulos

      le voici :

      Livre de Cagé et Piketty : les data sont un sport de combat
      L’essai de la rentrée s’intitule « Une histoire du conflit politique ». Constats implacables fondés sur des données inédites, formulation de propositions, mais aussi limites politiques et méthodologiques. Recension critique.

      Joseph Confavreux

      12 septembre 2023 à 16h52


      SortiSorti en librairie vendredi 8 septembre, Une histoire du conflit politique (Le Seuil), signé Julia Cagé et Thomas Piketty, caracole déjà en tête des ventes de « non-fiction ». Pourquoi ce pavé aride de géographie électorale rencontre-t-il un tel succès, bien que ses conclusions ne soient que rarement contre-intuitives et qu’une partie du monde de la recherche fasse la fine bouche, en jugeant que beaucoup d’éléments synthétisés dans ce livre sont déjà connus ?

      La réponse ne tient qu’en partie à la notoriété de ses auteurs et à la mécanique bien huilée d’une promotion qui réserve au groupe Le Monde et à Radio France le droit de briser l’embargo avant parution auquel les autres journalistes sont prié·es de se tenir.

      Le succès public et médiatique du livre tient avant tout à ce qu’il existe peu de chercheurs et de chercheuses n’espérant rien de moins que trouver des solutions concrètes aux dysfonctionnements de la démocratie française, aux impasses de la vie politique du pays et aux inégalités qui en sapent les contours. L’ouvrage prolonge d’ailleurs souvent certaines analyses et propositions déjà élaborées dans Le Capital au XXIe siècle pour Thomas Piketty et Le Prix de la démocratie pour Julia Cagé.

      Il existe encore moins de chercheurs et de chercheuses qui élaborent à l’appui de leurs démonstrations – en en ayant les moyens financiers et humains – des bases de données aussi volumineuses qu’inédites. L’ouvrage de Cagé et Piketty, avec le site exceptionnel d’accessibilité et d’exhaustivité qui lui est adossé (unehistoireduconflitpolitique.fr), constitue en effet un outil qui dépasse parfois ceux de la statistique publique.

      Un des plus grands mérites du projet est ainsi d’avoir numérisé les résultats de toutes les élections, à l’échelle communale, en France métropolitaine, depuis la Révolution. Et de saisir ainsi une histoire politique en profondeur, alors que nous avons collectivement tendance à nous contenter des évolutions depuis l’après-Seconde Guerre mondiale.

      Cette profondeur historique permet notamment, jugent Cagé et Piketty, de mieux saisir la tripartition politique actuelle entre un bloc de gauche, un bloc social-libéral et un bloc national-patriote, qui ne peut « être correctement analysée qu’en remontant deux siècles en arrière », et notamment à la répartition en trois blocs ayant déjà existé entre 1848 et 1910. De ce fait, « au-delà de son intérêt historique et de la nouvelle base de données qu’il propose, cet ouvrage permet d’apporter un regard neuf sur les crises du présent et leur possible dénouement », vantent les deux chercheurs.

      Et il est vrai qu’en analysant les « déterminants socioéconomiques des comportements politiques » ou, dit plus simplement, « qui vote pour qui et pourquoi », Julia Cagé et Thomas Piketty proposent avec cette large enquête historique un socle pour penser plusieurs éléments essentiels de la politique contemporaine.

      La « régression » démocratique
      Le premier constat documenté est celui d’« une crise d’une ampleur inégalée de notre système démocratique ». Ce constat n’est pas neuf, mais il se révèle vertigineux sous la plume de Julia Cagé et Thomas Piketty. Il s’observe notamment par la chute de la participation électorale au cours des dernières décennies et par le fait qu’elle « s’accompagne d’un écart croissant de participation entre les territoires riches et pauvres, écart qui n’existait pas (ou beaucoup moins nettement) au cours des périodes précédentes, que ce soit au XXe siècle ou au XIXe siècle ».

      Nous avons donc sous les yeux une « régression démocratique particulièrement inquiétante. La démocratie se fonde en effet sur une promesse de participation du plus grand nombre aux décisions publiques, or, deux siècles après la Révolution française, les classes populaires semblent se retirer du jeu électoral dans des proportions inédites. »

      La participation législative, qui oscillait entre 70 % et 80 % de 1848 jusqu’aux années 1980-1990, a ainsi dévissé pour se retrouver à tout juste 50 % en 2017 et 2022. Un déclin étroitement corrélé à la pauvreté puisque, aux dernières élections législatives, le taux de participation moyen dans les 10 % des communes les plus aisées a été supérieur de près de 11 points à celui observé dans les 10 % des communes les plus pauvres.

      En première approche, on pourrait penser que « la montée des inégalités pourrait avoir contribué à nourrir un sentiment d’abandon et un découragement politique au sein des communes les plus pauvres ». Mais, notent Cagé et Piketty, les « écarts de richesse entre communes étaient encore plus élevés au XIXe siècle ou au début du XXe siècle que ce qu’ils sont en ce début de XXIe siècle, et pourtant les écarts de taux de participation n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui. La perception d’une forte injustice ne nourrit pas nécessairement l’abstention : dans l’absolu, elle peut tout aussi bien alimenter une forte mobilisation, suivant la nature de l’offre politique qui est proposée ».

      Le facteur déterminant est donc l’offre politique et sa capacité de représenter des territoires et des populations. Alors que la participation aux élections est généralement plus forte dans le monde rural que dans le monde urbain pendant quasiment deux siècles, de 1848 à 2022, il existe une exception importante entre 1920 et 1970, en lien avec une forte mobilisation ouvrière en direction du Parti communiste qui se concentre dans les villes et banlieues.

      Le fait que les ouvriers participent relativement moins aux élections est certes un résultat connu. Mais ce que permet de mettre au jour l’approche historique sur plus de deux siècles est « la nouveauté de ce phénomène et son aggravation » aussi récente que massive.

      De ce fait, le vote pour le « bloc central libéral-progressiste » enregistré lors du scrutin de 2022 apparaît comme le plus « bourgeois » de toute l’histoire électorale française depuis la Révolution…

      Les contours de la classe géo-sociale
      Le second enjeu majeur de l’ouvrage consiste, à la suite d’autres chercheuses et chercheurs, à complexifier la notion de classe afin d’inscrire les inégalités de richesse dans les territoires. Pour les auteurs, « la classe sociale existe et n’a jamais cessé de jouer un rôle déterminant dans la confrontation politique, mais pour être féconde, elle doit être envisagée dans une perspective multidimensionnelle et spatiale ».

      Ils reprennent la notion de « classe géo-sociale », proposée par le philosophe Bruno Latour, mais « comprise de façon plus large dans ses dimensions socio-économiques », comprenant notamment la question des inégalités d’accès aux transferts sociaux et aux services publics (écoles, hôpitaux, équipements sportifs et culturels…), la détention des moyens de production, la hiérarchie des salaires et des revenus, l’accès à la propriété et au logement…

      Soucieux de s’adresser à un « lecteur-citoyen », Julia Cagé et Thomas Piketty exposent les différences de comportements électoraux dans des unités territoriales qui parlent à tout le monde : les métropoles, les banlieues, les bourgs et les villages.

      Les principales conclusions de cette lecture socio-spatiale de deux siècles d’élections sont d’abord que les inégalités territoriales, qui avaient connu une réduction significative depuis le XIXe siècle, sont reparties à la hausse depuis les années 1980-1990, d’une façon encore plus prononcée que les inégalités de revenus ou de patrimoine. En 2002, le revenu moyen des 1 % des communes les plus riches est ainsi plus de huit fois plus élevé que celui des 1 % des communes les plus pauvres, alors que cet écart était à peine supérieur à cinq au début des années 1990.

      Toutefois, la « convergence vers le bas des banlieues pauvres et des bourgs pauvres », sous l’effet de la polarisation spatiale accrue du territoire français et de la concentration des richesses dans les métropoles, est à mettre en regard du fait que « les comportements politiques de ces différents territoires ont profondément divergé au cours des dernières décennies ». Tout l’ouvrage vise à comprendre ce paradoxe et les conditions de son possible dépassement.

      Le rapport déterminant à la propriété
      Ces analyses socio-spatiales permettent ensuite de mettre au centre du conflit électoral et politique le rapport à la propriété. L’ouvrage insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de différencier les inégalités face aux revenus et à la propriété parce qu’elles « sont imparfaitement corrélées et ont toutes deux un impact majeur sur les conditions de vie, et d’autre part car elles nourrissent des imaginaires, des visions du monde et des comportements politiques » qui ne sont pas exactement les mêmes.

      Depuis 1990-2000, une des variables les plus significatives pour expliquer les différentiels de participation est la proportion de ménages propriétaires de leur logement, alors qu’il n’existait aucun effet significatif de ce type auparavant. L’impact de la proportion de propriétaires sur le vote pour les différents courants politiques est également patent, « avec en l’occurrence un effet de plus en plus net sur le vote FN-RN depuis 2000-2010 ».

      La proportion de ménages propriétaires de leur logement a toujours été plus élevée dans les villages et les bourgs, puis dans les banlieues et enfin dans les métropoles. Or, écrivent Piketty et Cagé, le fait de « se retrouver durablement endetté pour rembourser son pavillon, avec les efforts d’épargne et de stabilité professionnelle et personnelle que cela implique, contribue en outre à forger des valeurs et des identités qui se définissent en partie par opposition à d’autres groupes qui ne sont pas lancés dans une telle trajectoire ».

      Que ces « différences soient en partie artificielles », parce qu’un loyer peut aussi demander des efforts contraignants, n’enlève « rien à leur force, dans un monde où la connaissance des autres classes socio-spatiales et de leurs expériences concrètes de vie est par nature relativement limitée ».

      Si les partis de gauche et écologistes souhaitent regagner du terrain auprès des classes populaires des villages et des bourgs [...], il faudra également soutenir les aspirations populaires à la propriété individuelle.

      Julia Cagé et Thomas Piketty
      Pour Cagé et Piketty, une des raisons de la croissance du vote FN-RN (Front National-Rassemblement national) est à chercher là. Avec le diplôme, la « seconde distinction extrêmement marquée entre le vote de gauche et le vote FN concerne la relation à la propriété », dans la mesure où le bulletin Le Pen serait largement un vote de « petits-moyens » accédants à la propriété.

      Ce qui expliquerait notamment pourquoi le RN a proposé, lors des élections de 2022, une importante extension du PTZ (prêt à taux zéro), où chaque famille pourrait désormais bénéficier de la part de l’État d’un prêt de 100 000 euros sans intérêts, et ajouté que ce prêt ne serait plus remboursé à partir de la naissance du troisième enfant, mêlant ainsi deux éléments clés du discours lepéniste : l’accession à la propriété et la thématique nataliste.

      « Si les partis de gauche et écologistes souhaitent regagner du terrain auprès des classes populaires des villages et des bourgs, jugent donc les auteurs, il ne suffira pas de défendre les services publics. Il faudra également soutenir les aspirations populaires à la propriété individuelle, aussi bien d’ailleurs dans le monde rural que dans le monde urbain. »

      Tripartition politique et division spatiale des classes populaires
      Ces données socio-spatiales aident ainsi à saisir la dynamique de certains partis, comme le RN, ou au contraire les difficultés d’autres organisations, notamment à gauche. Julia Cagé et Thomas Piketty y lisent aussi la source de la tripartition politique contemporaine, le bloc centriste-libéral au pouvoir profitant de la division entre les classes populaires rurales et urbaines, que les forces de gauche étaient parvenues à réduire à plusieurs époques du XXe siècle.

      Cette impasse structurelle du bloc de gauche n’est soluble, pour les auteurs, qu’à une condition : briser la « tendance répétée à considérer le monde rural comme structurellement conservateur, éternellement soumis aux puissants et perpétuellement rétif au progrès et à la démocratie, alors que le monde urbain serait porteur de valeurs de modernité et de changement ».

      Si tant de paysans ont tourné le dos à la Révolution française, rappellent Piketty et Cagé en reprenant les études fondatrices de Paul Bois et de Charles Tilly, « ce n’est pas parce qu’ils seraient subitement devenus conservateurs. C’est parce qu’ils ont été profondément déçus dans leur espoir d’accéder à la propriété et de cesser de travailler pour les autres ».

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      La configuration actuelle est similaire, dans la mesure où le monde des villages et des bourgs perçoit, à juste titre, l’évolution des inégalités non comme « la conséquence de forces naturelles ou exogènes », telles que la mondialisation ou le progrès technique, mais comme découlant de choix politiques : priorité donnée aux TGV sur les TER, choix de localisation des hôpitaux et des écoles…

      La difficulté supplémentaire est que le creusement du clivage politico-spatial a, tout récemment, été préempté par le FN-RN et catalysé par un phénomène d’ampleur, à savoir la « ruralisation » du vote pour le FN-RN. L’évolution est « spectaculaire » puisque lors des législatives de 1986-1988, le vote FN est concentré dans les banlieues et les métropoles.

      Lors des législatives de 2017-2022, la situation « a changé du tout au tout » : le bloc social-écologique rassemblant les partis de gauche et écologiques est beaucoup mieux implanté dans le monde urbain que dans le monde rural, alors qu’à l’inverse le bloc national-patriote réalise des scores près de deux fois plus élevés dans les villages et les bourgs que dans les banlieues et les métropoles.

      © Infographie Mediapart
      Contre l’idée d’une progression inéluctable du parti de Marine Le Pen, les auteurs rappellent toutefois que le vote FN a pu baisser, passant au premier tour des législatives de 15 % en 1997 et 11 % en 2002 à 4 % en 2007. En 2007-2012, le score ne s’est pas envolé par rapport à 1986-1988 mais « le profil territorial s’est complètement inversé ».

      Autre enseignement : lors des législatives de 1988, le vote FN n’est pas seulement urbain, « il est concentré au sein des communes urbaines ayant la plus forte proportion d’étrangers ». Une relation avec la présence étrangère qui disparaît presque complètement en 2017-2022…

      Cet élément fait partie du troisième enjeu crucial du livre : sa volonté de montrer que, même si les thématiques identitaires saturent l’espace médiatique et politique, elles ne structurent pas pour autant les comportements électoraux, qui demeurent déterminés, en premier lieu, par les conditions socio-économiques.

      Le faux-nez des thématiques identitaires
      Les auteurs reconnaissent bien qu’il est difficile de séparer « ce qui relève du conflit identitaire et du conflit classiste » car ces dimensions sont imbriquées, hier comme aujourd’hui : « À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, le conflit religieux est intiment lié à la question de la redistribution des terres de l’Église et de leur accaparement par les élites urbaines, puis à la question du système scolaire et particulièrement de la scolarisation des jeunes filles, largement oubliées par le système public et étatique. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le conflit migratoire est étroitement imbriqué avec la question des territoires et des services publics et les perceptions croisées d’abandon et de favoritisme qui se sont développées à ce sujet, notamment entre bourgs et banlieues. »

      Mais, en dépit de la nouvelle diversité des origines qui composent la société française et d’une diversité religieuse inédite, l’un des principaux résultats de l’enquête est que « les variables sociologiques liées à la richesse, à la profession ou au diplôme sont des déterminants autrement plus importants de vote que les variables liées aux origines ». Pour les auteurs, « le fait que le débat public se focalise souvent sur les questions identitaires témoigne avant tout de l’oubli de la question sociale et de l’abandon de toute perspective ambitieuse de transformation du système économique ».

      On voit à quel point un système rigide de catégories ethno-raciales du type blanc / noir / maghrébin / asiatique inspiré de celui appliqué aux États-Unis pourrait avoir des effets pervers dans le contexte français.

      Julia Cagé et Thomas Piketty
      La France demeure certes le pays « où l’écart entre la perception et la réalité est le plus élevé » concernant la présence de l’islam, puisque les personnes interrogées répondent en moyenne que les musulman·es représentent 31 % de la population, soit 23 points de plus que la réalité (8 %) ! Toutefois, l’interpréter comme « le signe d’une peur de submersion culturelle et migratoire et de “grand remplacement” à laquelle aucun argument rationnel et aucune tentative ne pourraient s’opposer » serait d’un pessimisme excessif, jugent les auteurs. Pour au moins deux raisons.

      D’abord, le processus de métissage « se déroule beaucoup plus rapidement que ce que l’on imagine parfois, au sens où les origines mixtes deviennent ultra-majoritaires dès la troisième génération ». L’enquête TeO organisée par l’Ined (Institut national d’études démographiques) et l’Insee montre par exemple que la proportion d’intermariages atteint 30-35 % pour les personnes ayant une origine nord-africaine à la génération précédente, soit le même niveau que pour celles ayant une origine portugaise.

      Compte tenu de cette prépondérance des origines mixtes, estiment Julia Cagé et Thomas Piketty à propos d’un débat récurrent, « on voit à quel point un système rigide de catégories ethno-raciales du type blanc / noir / maghrébin / asiatique inspiré de celui appliqué aux États-Unis pourrait avoir des effets pervers dans le contexte français. Il obligerait chacun à devoir choisir une identité principale au détriment des autres et pourrait contribuer à rigidifier ainsi les frontières entre groupes et à exacerber les antagonismes ».

      Ensuite, ces thématiques identitaires portées médiatiquement et politiquement ne « prennent » pas vraiment électoralement. « Les facteurs liés à la religion ou aux origines jouent un rôle non négligeable, écrivent les auteurs. Simplement, ce rôle est quantitativement beaucoup moins important que celui de la classe géo-sociale et tend à être absorbé par cette dernière. Ces résultats s’inscrivent en faux contre l’idée d’une “ethnicisation” du conflit politique français et d’une inexorable montée en puissance des clivages “communautaires”, très diffusée dans le débat public. »

      Les scores désastreux aux dernières élections législatives de personnages comme Manuel Valls ou Jean-Michel Blanquer, qui en ont fait leur fonds de commerce, pourraient constituer d’autres signes de ces affirmations.

      Ces éléments structurants posés, les auteurs formulent plusieurs propositions et hypothèses qui, davantage que leurs analyses, prêtent le flanc à la discussion ou à la critique.

      Une tripartition politique instable ?
      La plus importante est leur idée que la tripartition politique actuelle serait suffisamment instable pour envisager sa disparition prochaine. Ce qui serait, selon eux, une bonne nouvelle dans la mesure où la bipolarisation, « particulièrement forte entre 1910 et 1992, a eu un impact déterminant et largement positif pour le développement démocratique, social et économique du pays au cours du XXe siècle ».

      Néanmoins, la dimension prédictive des sciences sociales étant quasiment nulle, si l’on excepte peut-être la démographie, il est délicat de se fonder sur l’histoire pour éclairer l’avenir. Il y a certes des leçons à tirer du fait que la « première tripartition » entre 1848-1910 avait comme point commun avec l’actuelle « la division des classes populaires urbaines et rurales entre bloc de gauche et de droite » et qu’un retour de la gauche au pouvoir implique de mettre fin à cette division.

      Ou encore, en cette période de cacophonie à gauche, du fait que « ce sont avant tout les contradictions au sein de l’alliance des trois partis progressistes (communistes, socialistes, radicaux-socialistes) autour du contenu du socialisme démocratique et du régime de propriété qu’ils souhaitent mettre en place » qui ont limité la capacité de ce bloc de gouverner durablement le pays.

      Mais la fin de la tripartition actuelle pourrait mener, comme ils l’évoquent, non à une bipolarisation gauche/droite porteuse de progrès social et démocratique, mais à une bipolarisation entre un bloc libéral et un bloc national-patriote, à l’instar de ce qui se passe en Pologne, où le PiS (Droit et justice) a réussi à conquérir le pouvoir sur la base d’une plateforme sociale axée sur la défense des retraites et la création d’importantes allocations familiales, complétée par un violent discours nationaliste, et se trouve désormais comme seul rival face à un bloc libéral-progressiste.

      On peut aussi estimer que si la tripartition peut effectivement se « lire comme une forme de rente permettant à un bloc opportuniste de se maintenir au pouvoir à moindre risque tout en arrêtant le mouvement vers l’égalité sociale », il demeure optimiste de penser que cette « tripartition est structurellement instable et n’est pas appelée à perdurer sous sa forme actuelle », tant les divisions actuelles de la gauche et son inaptitude à réunir les classes populaires urbaines et rurales sont aujourd’hui flagrantes.

      La possibilité d’une victoire d’une « classe écologique » qui réponde à la fois aux attentes des classes populaires et à la transformation, aussi nécessaire que radicale, du système productif, semble ainsi demeurer lointaine, et impossible si les plus défavorisé·es ne sont pas convaincu·es au préalable que la répartition des efforts et des bénéfices est la plus juste possible.

      Des pistes pour la gauche
      Il n’en reste pas moins que les deux chercheurs font des propositions susceptibles de constituer le socle d’une gauche unie. Comme mettre en place « un système de parité sociale contraignant les partis à présenter au moins 50 % d’ouvriers et d’employés (soit approximativement leur part dans la population active actuellement) sous peine de sanctions dissuasives », sur le modèle de la parité hommes-femmes qui a montré son efficacité.

      Ou encore empêcher qu’en matière scolaire les « établissements privés échappent entièrement » aux « procédures communes », alors que « les questions éducatives ont joué un rôle structurant dans le conflit politique et électoral au cours des deux derniers siècles » et qu’il « en ira certainement de même à l’avenir ».

      Surtout, les auteurs proposent d’agir sur la répartition des richesses pour redistribuer « la propriété en général », au-delà même de la question de l’accès au logement. La gauche pourrait pour cela, jugent les auteurs, « proposer de mettre en place un héritage minimum pour tous à 25 ans, qui, pour fixer les idées, pourrait être à terme de l’ordre de 120 000 euros (environ 60 % du patrimoine moyen par adulte actuellement) ».

      Celui-ci serait financé par les impôts sur le revenu et les patrimoines. À titre d’exemple, rappellent-ils, il suffirait d’introduire « un taux de CSG de 2 % sur les plus grandes fortunes du pays pour rapporter 20 milliards d’euros par an, soit deux fois plus de ressources que toutes les économies réalisées par le projet de réforme des retraites qui a mis le pays à feu et à sang en 2023 ».

      Cette action sur les richesses est sans doute le meilleur moyen de contrer la progression du parti lepéniste, qui a toujours « autant de difficultés à formuler des propositions explicites de mise à contribution des plus riches ».

      Le vote comme expérience subjective
      Une seconde réserve est d’ordre méthodologique. Elle tient en partie au projet lui-même qui est de proposer une « histoire des comportements électoraux et des inégalités socio-spatiales en France de 1789 à 2022 ». La puissance du livre risque, en cherchant à dégager des grandes structures du vote sur le long terme, de se retourner en faiblesse pour penser une partie de la politique contemporaine.

      Par exemple, le soulagement de constater que les crispations identitaires demeurent aujourd’hui des facteurs négligeables du vote par rapport aux inégalités socio-spatiales sera-t-il encore valable demain, alors que les « guerres culturelles » atteignent une intensité rarement égalée dans la structuration des débats publics ?

      Plus généralement, en étudiant sur le long terme les raisons du vote, les auteurs ne manquent-ils pas une large part de celui-ci ? Julia Cagé et Thomas Piketty le reconnaissent : une des « limitations importantes de [leur] démarche et des données [qu’ils ont] rassemblées » est d’avoir observé les élections « au niveau de communes et de territoires, et non au niveau des électeurs individuels ». Peut-on à cette échelle rendre compte de ce qu’ils désignent eux-mêmes comme « la complexité des expériences et des subjectivités individuelles » ?

      Le vote est volatil et les représentations personnelles peuvent influer fortement sur une élection. Et ce jusqu’au tout dernier instant – qu’on se rappelle l’effet de l’affaire « Papy Voise » sur l’élection de 2002 ayant pour la première fois propulsé le FN au second tour de l’élection présidentielle. Ne pourrait-il pas en être de même demain à propos de la guerre en Ukraine ou d’une catastrophe écologique majeure, même si la déflagration climatique peine à se traduire dans les urnes ?

      Un « bloc national-patriote » hétérogène
      Une autre limite méthodologique est que le projet du livre vise, au fond, à donner des éléments pour contrer la progression du bloc « national-patriote » en dénonçant les effets délétères de la mainmise sur le pouvoir du « bloc centriste libéral » et en donnant pour cela quelques outils au bloc de gauche.

      Mais la définition du bloc « national-patriote » qui agrège RN, Reconquête et Les Républicains (LR) est-elle suffisamment solide ? Julia Cagé et Thomas Piketty reconnaissent que « le “bloc national-patriote” n’est pas véritablement un bloc politique au sens où ses différentes composantes auraient bien du mal à gouverner ensemble ».

      Ses trois principales composantes se caractérisent en effet par des bases sociales, territoriales et programmatiques extrêmement différentes, voire totalement opposées. Que les droites soient aujourd’hui en fusion est une réalité largement établie, en France comme en Europe. Mais sur quelles bases distinguer le bloc centriste libéral macroniste de LR, quand le président de la République parle de « décivilisation » et prépare des mesures migratoires que le RN aurait bien du mal à renier ? En outre, dans certains territoires particuliers, une droite encore républicaine ne constitue-t-elle pas encore un rempart contre le RN ?

      Les limites du « conflit politique »
      Une dernière critique conjugue réserves politiques et méthodologiques. En donnant une définition étroite du conflit politique, limité à l’affrontement électoral, Julia Cagé et Thomas Piketty prennent un risque dont ils sont conscients. « L’expérience des années 1920 montre que le basculement institutionnel peut s’opérer très vite et rappelle l’importance décisive du contexte historique et des luttes sociales, au-delà des résultats électoraux obtenus par les différents blocs », écrivent-ils par exemple.

      Dans ces années, « l’ironie veut que ce soit l’une des chambres parlementaires les plus à droite de l’histoire de la République [...] qui a mis en place l’impôt progressif sur les très hauts revenus le plus élevé que le pays n’ait jamais connu ». Un changement de pied qui n’est pas seulement lié aux conséquences de la guerre ou à la révolution de 1917 en URSS, puisqu’il se manifeste aussi aux États-Unis, où l’influence de ces événements est moindre, mais où la demande d’égalité portée par des structures syndicales et partidaires est tout aussi puissante qu’en Europe, surtout après la crise de 1929 perçue comme une faillite des élites libérales.

      Cette réduction du « conflit politique » au cadre électoral est fondée avant tout sur un choix scientifique et méthodologique. Mais n’exprime-t-elle pas aussi une approche du politique qui risque d’être trop mesurée ?

      À propos, par exemple, de la question déterminante de savoir si l’État social forgé au XXe siècle peut continuer à croître, les auteurs notent bien qu’il est « frappant de constater à quel point le développement de l’État social s’est interrompu dans l’ensemble des pays européens depuis 1980-1990 ». Pourtant, écrivent-ils aussi, cela ne doit pas empêcher d’entendre les critiques sur « l’efficacité de l’action publique », voire sur les risques d’augmenter la contribution fiscale des plus mobiles et entreprenants.

      Cagé et Piketty balayent ainsi par exemple d’un revers de main l’idée que « la création monétaire » serait la « solution miracle permettant de financer l’État social et de définir un nouveau modèle économique pour le XXIe siècle », alors que celle-ci est pourtant portée par une partie de la gauche européenne et états-unienne.

      La volonté des deux auteurs de convaincre un public large en restant raisonnables et en mettant la focale sur le cadre électoral est compréhensible, mais elle risque de laisser certains lecteurs et certaines lectrices désemparé·es. Leur analyse de l’accélération et du durcissement des inégalités socio-spatiales peut en effet laisser penser que la priorité, comme les auteurs le rappellent à plusieurs reprises, est certes la reformulation d’une offre politique ambitieuse susceptible d’ébranler les structures du vote mises au jour. Mais que cette reconfiguration électorale risque aussi d’avoir du mal à exister sans quelques coups de béliers politiques portés hors des isoloirs.

      Julia Cagé et Thomas Piketty,
      Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022,
      Éditions du Seuil,
      864 pages, 27 euros

    • Une histoire du conflit politique. Elections et #inégalités_sociales en #France, 1789-2022

      Qui vote pour qui et pourquoi ? Comment la structure sociale des élec­torats des différents courants politiques en France a-t-elle évolué de 1789 à 2022 ? En s’appuyant sur un travail inédit de numérisation des données électorales et socio-économiques des 36 000 communes de France couvrant plus de deux siècles, cet ouvrage propose une his­toire du vote et des inégalités à partir du laboratoire français.

      Au-delà de son intérêt historique, ce livre apporte un regard neuf sur les crises du présent et leur possible dénouement. La tripartition de la vie politique issue des élections de 2022, avec d’une part un bloc central regroupant un électorat socialement beaucoup plus favorisé que la moyenne – et réunissant d’après les sources ici rassemblées le vote le plus bourgeois de toute l’histoire de France –, et de l’autre des classes populaires urbaines et rurales divisées entre les deux autres blocs, ne peut être correctement analysée qu’en prenant le recul historique nécessaire. En particulier, ce n’est qu’en remontant à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, à une époque où l’on observait des formes similaires de tripartition avant que la bipolarisation ne l’emporte pendant la majeure partie du siècle dernier, que l’on peut comprendre les tensions à l’oeuvre aujourd’hui. La tripartition a toujours été instable alors que c’est la bipartition qui a permis le progrès économique et social. Comparer de façon minutieuse les différentes configurations permet de mieux envisager plusieurs trajectoires d’évolutions possibles pour les décennies à venir.

      Une entreprise d’une ambition unique qui ouvre des perspectives nouvelles pour sortir de la crise actuelle. Toutes les données collectées au niveau des quelques 36 000 com­munes de France sont disponibles en ligne en accès libre sur le site unehistoireduconflitpolitique.fr, qui comprend des centaines de cartes, graphiques et tableaux interactifs auxquels le lecteur pourra se reporter afin d’approfondir ses propres analyses et hypothèses.

      https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-du-conflit-politique-julia-cage/9782021454543
      #histoire #élections

    • Manuel Bompard - Cagé, Piketty : à la conquête du 4ème bloc ?
      https://tendanceclaire.org/breve.php?id=43582

      Cela permet d’abord de tordre le cou à une première idée forte, très largement diffusée ces dernières années : non, ce n’est pas l’obsession identitaire qui structure les comportements électoraux mais bien la situation sociale. C’est une mise à distance claire des thèses d’un Christophe Guilly ou d’un Jérôme Fourquet voulant transposer dans notre pays la thèse du choc des civilisations présentée dans le cadre des relations internationales par Samuel Huttington et les néoconservateurs américains.

      Non, la gauche n’a pas perdu le vote populaire

      L’analysé de Cagé et Piketty confirme la structuration du champ politique en 3 blocs distincts que l’on a pu observer lors des élections présidentielles et législatives de 2022. On y retrouve un bloc libéral autour d’Emmanuel Macron : Cagé et Piketty démontrent que le vote pour Emmanuel Macron est « le vote le plus bourgeois de l’histoire. » En effet son volume croît de manière très forte en même temps que le niveau de richesse des individus. A droite, si l’on regroupe l’électorat de Marine le Pen, d’Éric Zemmour et de Valérie Pécresse dans un même bloc « nationaliste », on voit aussitôt combien il est marqué par une très forte contradiction sociale. Car si le vote pour Marine le Pen est davantage populaire que bourgeois, les votes pour Zemmour et Pécresse sont au contraire largement surreprésentés parmi les électeurs les plus riches du pays. Enfin, le bloc social-écologiste qui rassemble les partis de la NUPES se caractérise par des scores plus importants que la moyenne parmi les plus bas revenus et des scores beaucoup plus faibles que la moyenne parmi les plus hauts revenus.

      La présentation de la « composition sociale » des votes des différents blocs permet d’écarter une deuxième idée fausse. Non, la gauche n’a pas « perdu les catégories populaires » : son électorat reste très largement déterminé par le niveau de revenu et c’est dans le vote Mélenchon en 2022 que l’on trouve la plus grande surreprésentation des 10% les plus pauvres du pays. L’électorat traditionnel de l’ancienne gauche s’est désarticulé, sa composante bourgeoise convergeant avec la composante bourgeoise de droite dans le bloc macroniste, tandis que sa composante populaire s’est reportée sur la nouvelle gauche incarnée par la France insoumise. Autrement dit, les classes populaires se sont détachées de « la gauche d’avant », mais elles l’ont fait pour se tourner vers les insoumis.

  • Sur la retraite en #Suisse, les femmes de droite veulent aussi faire entendre leur voix
    https://www.rts.ch/info/suisse/12737766-sur-lavs-les-femmes-de-droite-veulent-aussi-faire-entendre-leur-voix.ht
    ( AVS : droits à la retraite en Suisse )

    Les femmes du camp bourgeois soutiennent la réforme de l’AVS, malgré la hausse de l’âge de la retraite des femmes. Elles s’irritent de la récupération de la cause des femmes par la gauche et les syndicats.

    Entérinée la semaine dernière par le Parlement, la réforme de l’AVS et sa hausse de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans vont être combattues en référendum. Gauche et syndicats refusent une révision sur le dos des femmes. Mais ce combat en leur nom déplaît à celles de droite et du centre, qui approuvent la réforme.


    Cette réforme doit se faire. Des compensations pour cette augmentation de l’âge de la retraite ont été trouvées et il faut penser aux générations futures : c’est l’avis de la majorité des femmes du camp bourgeois. A l’image de la conseillère aux Etats du Centre Marianne Maret. « On met toujours toutes les femmes sous la même enseigne, et en termes d’égalité, ça m’interroge, parce que tous les hommes ne sont pas mis ’dans le même sac’ - passez-moi l’expression », a-t-elle souligné mercredi dans La Matinale de la RTS.

    Et d’ajouter que « dans le cadre de cette votation sur l’AVS, nous sommes un peu prises en otage, et il faudra que toutes les femmes analysent à l’aune de leurs propres valeurs ce projet qui n’est pas si catastrophique pour les femmes ».

    Combattre la précarité
    A gauche, on rappelle se battre pour éviter des situations de précarité. « Nous parlons au nom des femmes qui se mobilisent dans la rue, qui ne sont pas d’accord avec la réforme proposée », explique Martine Docourt, co-présidente des femmes socialistes.

    Parce que, selon elle, « on voit quand même que ce sont toujours les femmes qui ont le moins à la retraite. Et c’est dans ce sens-là que notre voix est légitime ».

    Comité de femmes de droite ?
    Les femmes du centre-droit créeront-elles un comité commun pour soutenir la révision ? Il faudra attendre encore pour le savoir. Mais elles ne laisseront pas le champ libre à la gauche. Lucie Rochat, présidente des femmes UDC romandes, estime que « ces femmes ne doivent pas oublier qu’elles parlent en leur nom propre et qu’elles ne peuvent pas prétendre parler au nom de toutes les femmes de Suisse ».

    A ses yeux, c’est une bonne chose que ce référendum soit lancé, « parce que cela permet à chacun de s’exprimer. Et les femmes étant majoritaires dans la population, on verra bien dans les urnes ce que les femmes pensent de cette réforme », 

    Une votation qui pourrait intervenir au second semestre de l’an prochain. Et ce qui est sûr, c’est que le vote des femmes sera particulièrement scruté.
    Sujet radio : Marie Giovanola : https://www.rts.ch/audio-podcast/2021/audio/sur-l-avs-les-femmes-de-droite-veulent-aussi-faire-entendre-leur-voix-25788085.h

    #retraites #Femmes #travail #en_vedette #retraite #santé #femmes #économie #inégalités #précarité #politique #pauvreté vs #richesse #UDC #bourgeoisie

  • Ils ont choisi la défaite 2022. Par Bibi
    http://www.pensezbibi.com/categories/pensees-politiques/ils-ont-choisi-la-defaite-2022-22140

    ils ? Qui ça, « ils » ? Pas de tergiversations : il s’agit du Bon Bourgeois du Bloc Bourgeois, (B.B.B.B) de ce « socialiste moderne » comme l’écrit ironiquement Frédéric Lordon, dans son dernier billet. https://blog.mondediplo.net/france-inter-comme-les-autres

    Comment reconnaître un B.B.B.B.?
    « Depuis quarante ans, on lui a répété, envers et contre toute évidence, que le parti socialiste était « de gauche ». C’est en ce point qu’on mesure la difficulté de défaire les investissements imaginaires dans une identité politique. Une fois qu’on s’est dit de gauche à la manière PS, et qu’on y a été confirmé répétitivement par France Inter, ni les traités européens successifs, ni les privatisations, ni le CICE, ni les démolitions du code du travail, ni finalement aucun des alignements sur les desiderata du capital ne peuvent conduire à quelque reprise de soi politique : on est de gauche, c’est évident ».  Frédéric Lordon.

    Il est des nôtres ? Repérages.
    Ce Bourgeois, nous le connaissons tous, mais trop souvent, nous faisons comme s’il n’avait guère d’importance et de responsabilité dans le désastre présent. Nous haussons les épaules, nous laissons courir, nous le laissons discourir. Il est une de nos bonnes connaissances, un type bien qui est régulièrement présent aux réunions des Parents d’élèves, un type honorable qui dit que Blanquer est insupportable mais qu’il verrait bien Luc Ferry à sa place « à tout prendre, hein ? », il fait ses courses à la supérette, sa femme est au Club de Marche, ils ont la soixantaine approchante. Lui, il avoue que Michel Onfray a dit de jolies choses dont « la Gauche devrait s’inspirer », il dit encore qu’au réveillon du Jour de l’An, il espère manger au restaurant car l’histoire du Covid (« tous vaccinés, on y arrivera ») sera bientôt du passé. (« Tous comptes faits, Macron a bien mené son affaire »)

    Quand on lui demande si le confinement a eu des effets négatifs. « Non financièrement nos fins de mois ont été assurées. C’est surprenant mais rien de changé. Pour nous, c’est comme avant ».

    Ne pas effacer l’historique (de son habitus politique).

    En 1981, notre B.B.B.B sautait dans la fontaine des Cordeliers à Lyon pour fêter l’ère Mitterrand. Il a conservé la Une du Libération tout rose d’alors. Qu’en 1983, Mitterrand ait finalement mis à jour ce qu’il avait caché en manoeuvrant habilement. « Je clame Vive le Programme Commun » mais je fonce dans le libéralisme-façon-Bernard-Tapie » ne lui a jamais posé problème. Nous étions en pleine fascination des Nineties. Les entreprises étaient au Top, le miel de l’argent coulait à flots, le CAC 40 montait, les petites économies placées en bourse lui avaient fait gagner 2%. Même Chirac et ses pommes, Bernadette et ses pièces jaunes, c’était sympa. Sa conscience politique aiguë lui disait que la Cohabitation (on ne disait pas « Collaboration ») c’était finalement une bascule nécessaire dans « L’Epoque Moderne ». Il était toujours de Gauche bien sûr car cette dernière s’était modernisée, il continuait à soutenir le combat avec les Valls, Elkhomry, le futur Macron, Montebourg, Batho et Taubira. Plus de danger avec les Communistes car le Parti de Robert Hue et de Pierre Laurent s’était modernisé, lui aussi, dans le bon sens. C’est sûr : on allait rester la 5ème puissance mondiale comme tous les économistes l’écrivaient. Là-dessus, aucun doute puisque Terra Nova lui envoyait régulièrement ses analyses impeccables. Et il rajoutait : « A l’Institut Montaigne aussi, les études sont vraiment très sérieuses« .

    Et puis, reste le souvenir d’avril 2002.
    Un Jospin à la dérive et un Le Pen au second tour. « Hein ? Quoi ? Catastrophe ! Les gueux sont entrés dans la Ville. Dieu du Ciel, des français manipulés, inconscients, enfoirés sont venus foutre la merde ! Ah l’esprit français, parlez moi z-en ! On a le pire de l’Esprit français, jamais content, rouspéteur. L’esprit de 1940. Populo avachi ». La forme contestataire – via les taux d’abstention majoritaire qui vont suivre – sont ignorés. Et le Non au Référendum 2005 sera, lui aussi, vite dénié, vite refoulé, vite contourné politiquement.


    Va t-il « se défaire de ses investissements imaginaires ? » (Lordon)

    Si l’on était en cours avec Bourdieu, on dirait : « habitus incorporé ». Si l’on a souvenance de certains écrits d’Althusser, on retiendra ceci :

    « Pour passer sur les positions de classe prolétarienne, l’instinct de classe a seulement besoin d’être éduqué. En revanche, l’instinct de classe des petits bourgeois et donc des intellectuels doit être révolutionné ». Pas pour demain cette Révolution.

    Pour notre B.B.B.B et les Droites, le Mal, c’est le même.

    Les déclassés, les antivax, les dans-la-rue-chaque-semaine, les islamo-gauchistes, les gilets-jaunes-trop-jaunes, voilà le Mal. Oh, le B.B.B.B garde encore un restant d’humanisme (« Il faut les aider et rester quand-même bienveillant. C’est qu’on est quand-même en République ») mais c’est pour rajouter « Mais hélas, il faut bien le dire, ils sont « bêtes », « abrutis », « irrécupérables » ou encore « Oui, il faut travailler plus, que voulez-vous, c’est la mondialisation. Le monde a changé ». Pire encore : « Filous et profiteurs, oui quand-même, c’est un peu vrai et, avouons-le, ils sont quelque peu antisémites. J’ai vu une pancarte à la télé (il hausse le ton) « c’est in-to-lé-ra-ble »).

    Chaque matin, le B.B.B.B écoute « France Inter ».
    Mais pas uniquement. Il sait d’avance qu’il partage les opinions inamovibles de L’Obs, de Liberation (qu’il achète assez régulièrement), du Monde (A son travail, le boss laisse traîner des numéros), de Marianne le Mag (« Super leurs Unes ! »). Madame, elle, s’est réabonnée à Télérama. Hier elle s’est ralliée à l’avis de Fabienne Pascaud, l’éditorialiste qui garde de l’espoir pour la Culture avec la nomination de Roselyne Bachelot.

    Le B.B.B.B est un inconditionnel de France Inter. Certes, il n’était pas toujours d’accord avec Bernard Guetta mais « Thomas Legrand et Dominique Seux qui l’ont remplacé disent de belles choses ». Il ignore évidemment ce qu’avait relevé Fakir dans un ancien numéro…


    Liberation et Politiquemedia.

    Et, hier, il est tombé sur cet article de Liberation qui a commandé et approuvé le travail de cet Officine (PolitiqueMedia probablement très influente) sur lequel il faut s’arrêter. Un article qui dit tout du Choix de la Défaite sous des dehors neutres, objectifs.
    Un de mes tweets a suffi à repérer l’esbrouffe, c’est-à-dire les catégorisations acceptées et imposées par le quotidien favori de « gauche » de notre B.B.B.B. Des catégorisations d’évidence of course.


    Notre Bourgeois gentilhomme se dit toujours de gauche.

    Il est persuadé que sa version Droite-Gauche existe toujours. « En 2017, c’est vrai, il fallait bien s’y résoudre : entre le totalitarisme et Macron, y avait pas à hésiter ». Et notre B.B.B.B n’a pas hésité. D’ailleurs, il n’hésite jamais. Il n’hésite pas car – contrairement aux gens de l’Ultra-Extrême-Gauche (un concept trouvé à Liberation et psalmodié par les Fabienne Sintès, Demorand, Salame, Duvic, Dely, Achilli and Co) – ,lui il a réfléchi, il a pris en compte les bouleversements mondiaux, les Chinois, les pays émergents, les Talibans, Bachar, Bolsonaro, Poutine et ses pipe-lines mais aussi les scandaleux paradis fiscaux et les méfaits du « Grand Capital » (il rit en disant ces deux mots façon Georges Marchais). Et donc, y a pas à hésiter. Il sait que la Droite (LR, RN) continue à être très vilaine. Ses opinions se fondent exclusivement dans son horreur du populisme. Horreur de la droite dure. De l’extrême-droite, de tous ces abrutis qu’on manipule. Mais, point nodal tout aussi incontournable : pour lui, Macron, ce n’est ni la Droite, ni des relents d’extrême-droite. « Faudrait pas exagérer, hein ? »

    Parfois – mais il évacue vite – il se dit que certains, à droite, n’ont pas tout à fait tort. Il y trouve des gens intelligents qui disent des choses sensées sur l’islamo-gauchisme, sur le migrant, sur les frontières insuffisamment protégées, sur l’Europe (qui s’affaiblit à cause des râleurs), sur les banlieues (« Ah oui, les banlieues ») et les jeunes qui traînent dans les rues à point d’heure. Mais de la violence symbolique et réelle de la police castanerienne et darminesque, il ne voit rien. Il anônne toujours « je suis de gauche ». Des preuves ? Il est révulsé par les millions que va gagner Messi, par les viols, par Darmanin et les femmes (« Je verrais bien un retour de Cazeneuve, il était bien »), il maudit le Texas qui a interdit d’avorter, il se désole du Climat et de la dégradation de notre environnement (« Perso, j’ai appris à fermer les robinets »). Il est plus-que-jamais pour la solidarité (« j’amène mes vieux habits à Emmaüs »).

    L’Esprit de Communauté comme pilier.

    Mais ces positions-là (acceptons-les) ne le feraient pas tenir debout longtemps si elles n’étaient que personnelles. Si son for intérieur reste indestructible et inébranlable dans ses fondations imaginaires, c’est qu’il peut compter à tout moment sur l’Esprit de Communauté. Une Communauté qui existe car elle écoute – comme lui – France Inter et France Info, elle lit Le Monde, L’Obs, Marianne etc. Il s’offusquerait si on lui disait que sa Communauté n’est Une et n’existe que parce qu’elle pointe les boucs emissaires, qu’elle ne tient debout que grace à ces rejets, qu’elle applaudit fièrement Lallement etc. Un Esprit de Communauté dont les piliers inavoués, refoulés, non-dits sont : la Peur animale de Vivre tous ensemble, l’horreur du Conflit, la Haine de Ceux-Qui-Résistent. Et ceux qui résistent et dont notre B.B.B.B ne veut pas appartiennent à l’extrême. Enfin à « l’extrême-gauche » catégorisé ainsi par Liberation.

    Cette Propagande-Médias rassure notre BBBB. Elle lui dit : « En bon Français qui votera en mai 2022, la bonne Communauté nationale que tu souhaites ne peut pas se soumettre à un extrême, être dirigé par lui, hein ? » Comment s’étonner dès lors que notre B.B.B.B reste indécrottablement accroché à sa propre vision du Monde : « Oui, oui, oui : je suis toujours à gauche ».

    Ils ont choisi la défaite 2022.

    De cette gauche présente à 4% dans les micros des radios publiques, nos BBBB n’en veulent pas. Mélenchon est leur homme à abattre. Je les vois tous fiers de l’avoir écarté en mai prochain. Ce qui change chez nos B.B.B.B, pour aujourd’hui et pour demain, c’est qu’ils disent désormais ouvertement vers qui, vers quoi, prioritairement, ils écument de rage.

    Et pendant tout ce temps, l’ouragan version MEDEF continuera de tout détruire. Et foin de « défaite », nos B.B.B.B se consoleront avec une promotion ministérielle post-2022 (un Enthoven, un Finkielkraut, un Ferry, une Pécresse, un Barnier augmentés de quelques crétins de la Société Civile). Soupçon de culpabilité vite réprimé, j’entends déjà le B.B.B.B d’â côté me dire : « Bah ! Il fallait bien en passer par là ». Et puis, dans une accolade : « Dis-moi, tu as écouté la Matinale de France Inter sans Léa Salame ? Quand-même bien… non ? »

    #bourgeois #bloc_bourgeois #ps #gauches #bachelot #roselyne_bachelot #fabienne_pascaud #Fakir #france_info #france_inter #institut_montaigne #léa_salame #liberation, #lordon #mélenchon #politiquemedia #telerama #blanquer #luc_ferry #michel_onfray #terra_nova #bernard_guetta #thomas_legrand #dominique_seux #Jean_Luc_Mélenchon #enthoven #finkielkraut #luc_ferry #valérie_pécresse #covid #covid_19 #macron #pandémie

    • Très bien dit :

      Et c’est parmi eux qu’on trouve le concentrat de tous ceux qui ont droit à la parole à grande échelle : entrepreneurs complaisamment interviewés, experts, journalistes, qui bourrent les crânes à longueur de journée — avec le bon fourrage.

      À propos des bourgeois du bloc, des bourgeois intellectuels et héréditaires.

      Ne serait-ce pas dans ce livre de Pierre Rimbert dont il est question dans ce blog, qu’est démontré que les personnes qui s’opposent beaucoup, donne des leçons d’écologie, se permettent de faire des leçons sur la nourriture ou les lois injustes etc. sont en grande partie (tous ?) des bourgeois héréditaires ?

      Finalement que ceux qui critique aussi les mouvements anti quelque-chose ou pour quelque-chose, qui prennent tant de temps à écrire dessus, sont en réalité des bourgeois intellectuels héréditaires ?

  • Bruno #Amable : « Une partie de l’opposition de #Gauche pense toujours à l’ancien monde » (2/2)
    https://lemediapresse.fr/idees/bruno-amable-une-partie-de-lopposition-de-gauche-pense-toujours-a-lanc

    Dans la seconde partie de notre entretien, l’économiste Bruno Amable pointe les contradictions de l’écologie de marché, alerte contre les prochaines réformes du gouvernement et évalue les stratégies de la gauche.

    #Idées #ADP #Bloc_bourgeois #Classes_sociales #EELV #Elections #FI #FN #Garrido #Hollande #Jadot #Moscovici #Palombarini #populisme #RN

  • Bruno #Amable : « Économiquement, le programme du #Bloc_bourgeois réside dans une transformation très radicale du modèle français » (1/2)
    https://lemediapresse.fr/idees/bruno-amable-economiquement-le-programme-du-bloc-bourgeois-reside-dans

    L’économiste Bruno Amable revient sur la genèse du concept de « bloc bourgeois » et analyse le moment politique, en France et en Europe. Les dernières échéances électorales confirment-elles l’hypothèse d’un nouveau bloc social dominant qui exclue les classes populaires ? Comment le combattre ? Réponses dans la première partie de cet entretien.

    #Idées #Classes_sociales #Elections #FI #FN #Gauche #Palombarini #populisme #RN

  • Gramsci, Gilets jaunes et perspectives pour une alternative au capitalisme néolibéral
    https://www.revolutionpermanente.fr/Gramsci-Gilets-jaunes-et-perspectives-pour-une-alternative-au-c
    #palombarini
    #revolutionpermanente(npa, Site d’information du Courant Communiste Révolutionnaire du...)

    Pour prendre encore une fois les sondages, dans le cas où il y aurait une liste Gilets jaunes aux européennes et qu’on regarde comment voteraient les gens qui soutiennent le mouvement, on se rend compte que seulement 10% voteraient pour la liste Gilet jaune, alors que 35% choisiraient le Rassemblement National, 15% DLF ou LR, et 15% la France Insoumise.

    [...]

    c’est un peu désolant de voir la gauche politique non seulement soutenir le mouvement, ce qui est bien sûr très important, mais d’une certaine façon se fondre en lui, en espérant récupérer une partie de l’énergie qu’il dégage et en oubliant, pour le dire avec Gramsci, que son rôle est d’exercer une capacité de direction sur ce qui se passe. C’est à la gauche d’exercer une hégémonie sur les Gilets Jaunes, et non pas le contraire.

    [...]

    Pour en revenir à la responsabilité de la gauche, il me semble précisément que le rôle d’un parti politique, c’est non seulement d’appuyer le mouvement, mais aussi de lui offrir un débouché politique, et donc de poser les questions gênantes. Se contenter de se dire « tous Gilets jaunes » ce n’est pas suffisant…

    [...]

    La construction d’un bloc hégémonique implique de partir des revendications et des aspirations des électeurs et de chercher à les articuler. Cette articulation se fait autour d’un projet politique et idéologique qui doit être construit par le politique. Et c’est dans la mesure où un projet arrive à convaincre qu’il sera soutenu. C’est cet aller-retour qui est au cœur de la politique.

    [...]

    La médiation politique se joue pour partie sur le terrain de l’idéologie. Médiation, c’est peut-être un terme trompeur car il fait penser à la recherche d’un juste milieu entre des demandes différentes. Or, il ne suffit pas de répondre un peu à chaque demande pour arriver à une synthèse. La médiation politique, surtout celle qui réussit, est un processus plus complexe qui correspond à l’élaboration d’un projet qui doit avoir une cohérence interne, mais dans lequel des groupes porteurs d’attentes diversifiées puissent simultanément se reconnaitre. Là encore il s’agit d’une opération hégémonique.

    Aujourd’hui il me semble que les composantes sociales qui provenaient de l’ancien bloc de gauche lui ont fait défaut. Macron a pris conscience de la faiblesse du bloc bourgeois et il fait le pari de profiter de la crise de Les Républicains pour aller vers la constitution d’un bloc de droite plus traditionnel. Contrairement à ce que pensent certains, il me semble que ses phrases méprisantes, par exemple, correspondent plus à une stratégie politique qu’à un trait de caractère : en oubliant complètement son profil progressiste, dont on peut mesurer clairement le contenu hypocrite et trompeur, et en droitisant son discours, il compte gagner des secteurs de la vieille droite républicaine en perdition. Mais ce qui est difficile pour lui, c’est que le bloc de droite qu’il cherche à recomposer était lui-même en crise... En même temps, en face, il n’y a pas encore un autre bloc à vocation hégémonique qui se dessine.

    [...]

    De mon côté, je considère qu’il n’y aura pas de solution à cette crise historique sans regarder en face les fractures des blocs traditionnels, je pense en particulier à celui de gauche. Il faut constater la profondeur de ces fractures, non pas pour affirmer qu’il est temps de passer à autre chose, un autre chose destinée à conduire à des impasses, mais pour essayer de les recomposer. C’est un processus ni simple ni rapide, mais la construction d’une hégémonie radicalement alternative au néolibéralisme passe par là.

    #amable
    #bloc_bourgeois

  • #stephano_palombarini, coauteur du #bloc_bourgeois avec bruno #Amable

    Les gilets jaunes, le néolibéralisme et la gauche | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/stefano-palombarini/blog/211218/les-gilets-jaunes-le-neoliberalisme-et-la-gauche

    Le mouvement des Gilets Jaunes (GJ), bien qu’inattendu, n’est pas vraiment surprenant. Avec Bruno Amable et Elvire Guillaud, nous avons identifié de bonne heure, dès 2012 [1], le profil du bloc bourgeois qui a ensuite permis à Macron d’accéder au pouvoir, et les politiques qui en assuraient la formation et la cohérence. Une coalition sociale centrée sur la partie la plus favorisée de la société, et l’accélération des réformes néolibérales qu’elle impulse, étaient destinées à susciter des souffrances sociales qui tôt ou tard devaient s’exprimer. De plus, on sait que – par sa composition – le bloc bourgeois ne peut être socialement majoritaire : c’est la fragmentation de l’offre politique, et notamment la crise des blocs de gauche et de droite, qui lui ont permis de s’imposer. Là encore, il n’est alors pas bien compliqué d’expliquer le soutien très vaste rencontré par les GJ dans la population française.

    L’identification des causes de ce mouvement ne pose donc pas de problème majeur. Plus compliqué, par contre, est de comprendre comment l’émergence d’une protestation sociale si forte et diffuse modifie le paysage politique, et quelles perspectives elle ouvre. C’est à ces questions que je vais essayer d’esquisser des premières réponses dans ce billet, dont j’espère on excusera la froideur analytique. Car bien évidemment, pour les raisons que je viens d’évoquer, parce qu’ils expriment la souffrance ressentie par la partie la plus pauvre et fragile de la population, directement exposée à la violence des politiques du pouvoir macronien, les GJ ne peuvent que susciter de la sympathie ; mais qui ne doit pas faire obstacle à l’analyse concrète de la situation et de ses évolutions possibles.

    Le mouvement des Gilets Jaunes (GJ), bien qu’inattendu, n’est pas vraiment surprenant. Avec Bruno Amable et Elvire Guillaud, nous avons identifié de bonne heure, dès 2012 [1], le profil du bloc bourgeois qui a ensuite permis à Macron d’accéder au pouvoir, et les politiques qui en assuraient la formation et la cohérence. Une coalition sociale centrée sur la partie la plus favorisée de la société, et l’accélération des réformes néolibérales qu’elle impulse, étaient destinées à susciter des souffrances sociales qui tôt ou tard devaient s’exprimer. De plus, on sait que – par sa composition – le bloc bourgeois ne peut être socialement majoritaire : c’est la fragmentation de l’offre politique, et notamment la crise des blocs de gauche et de droite, qui lui ont permis de s’imposer. Là encore, il n’est alors pas bien compliqué d’expliquer le soutien très vaste rencontré par les GJ dans la population française.

    L’identification des causes de ce mouvement ne pose donc pas de problème majeur. Plus compliqué, par contre, est de comprendre comment l’émergence d’une protestation sociale si forte et diffuse modifie le paysage politique, et quelles perspectives elle ouvre. C’est à ces questions que je vais essayer d’esquisser des premières réponses dans ce billet, dont j’espère on excusera la froideur analytique. Car bien évidemment, pour les raisons que je viens d’évoquer, parce qu’ils expriment la souffrance ressentie par la partie la plus pauvre et fragile de la population, directement exposée à la violence des politiques du pouvoir macronien, les GJ ne peuvent que susciter de la sympathie ; mais qui ne doit pas faire obstacle à l’analyse concrète de la situation et de ses évolutions possibles.

    Un premier pas vers l’unification des classes populaires ?

    D’un point de vue analytique, le premier constat est celui d’un mouvement d’une certaine façon symétrique au bloc bourgeois. Ce dernier réunit les classes favorisées « au-delà de la droite et de la gauche » ; les GJ semblent faire de même, mais du côté des classes populaires.

    [...]

    Bref, les GJ pourraient préfigurer le bloc anti-bourgeois dont nous avions discuté la possible formation dans L’illusion [3] en soulignant cependant qu’une politique de médiation en mesure de satisfaire l’ensemble des classes populaires nous semblait bien difficile à concevoir, compte tenu de la distance qui marquait les attentes, par exemple, des salariés à faible qualification par rapport à celles des ‘petits patrons’, des artisans ou des commerçants.

    [...]

    Cependant, force est de constater que les GJ expriment une certaine unification politique des classes populaires ; dont il faut ainsi se demander sur quels ressorts elle repose.

    [...]

    En poussant, et même en obligeant les classes défavorisées à délaisser le conflit contre le patronat sur le partage de la valeur ajoutée et à se concentrer entièrement sur la demande de transferts monétaires de la part du gouvernement ou sur celle d’une baisse des impôts, le néolibéralisme se nourrit de la misère sociale qu’il engendre.

  • Le programme « lunaire » de Mélenchon critiqué par le martien Dominique Seux - Arrêt sur images
    http://www.arretsurimages.net/chroniques/2017-04-10/Le-programme-lunaire-de-Melenchon-critique-par-le-martien-Dominique-

    Donné désormais troisième dans les sondages, Jean-Luc Mélenchon fait peur aux « milieux économiques » comme on dit. Et, partant, à bien des journalistes économiques, gardiens du temple. Lundi 10 avril, le directeur de la Rédaction des Echos, Dominique Seux, a donc dû descendre dans l’arène dans le cadre de sa chronique sur France Inter pour combattre ce qu’il a nommé le « projet lunaire » de la « France insoumise ». Une critique « martienne », juge Romaric Godin, journaliste économique, dans sa première chronique sur notre site.

    La question n’est pas ici de défendre le programme de Mélenchon. Ce dernier, comme tous les programmes économiques des candidats comporte des faiblesses qu’on est fort avisé de pointer pour éclairer le public. Mais Dominique Seux s’est, ce lundi matin, un peu emballé, oubliant quelque peu sa prudence pourtant légendaire.

    Pour lui, le projet de relance de 273 milliards d’euros du candidat signerait la fin de l’euro. Pourquoi ? Parce que, selon le directeur des Echos, Mélenchon veut faire du « financement monétaire » de ces dépenses. Autrement dit, faire créer par la banque centrale de l’argent que l’Etat utilisera pour financer ces dépenses. Or, proclame le chroniqueur, ceci est impossible puisque « l’indépendance de la BCE est dans l’ADN des Allemands depuis l’hyperinflation des années 1930 ». Avant de revenir sur la question du financement monétaire, soulignons ce lapsus fort révélateur d’un certain état d’esprit.

    L’Allemagne n’a pas connu d’hyperinflation dans les années 1930, bien au contraire : elle a été en pleine déflation, causée par la politique d’austérité fanatique du chancelier Heinrich Brüning, un centriste soutenu par une « grande coalition » (cela ne vous rappelle rien ?) qui a conduit le pays directement au nazisme. C’est au début des années 1920 que l’Allemagne a connu une forte hyperinflation alimentée d’ailleurs moins par la dépense publique elle-même que par les pressions des Alliés pour le remboursement des indemnités de guerre prévues par le traité de Versailles. Cette hyperinflation n’a pas débouché sur une défaite de la démocratie, mais sur celle des insurrections communistes et fascistes .

    Romaric est désormais chez ASI !

    Mais... désolé, y-a #paywall :-/

    • Le Hareng de Bismarck – Les bonus du livre
      http://melenchon.fr/le-hareng-de-bismarck-les-bonus-du-livre

      Mon nouveau livre, Le Hareng de Bismarck (Le Poison allemand), est en librairie. Cette page regroupe les « bonus » du livre : émissions et interviews où il est évoqué, vidéos promotionnelles décalées, articles de presse sur l’antimodèle allemand, visuels à partager sur les réseaux sociaux… Tout est là. Pour un approfondissement sur l’Allemagne, vous pouvez également consulter cette page qui regroupe dix ans de contributions sur le sujet.

      Jean-luc Mélenchon

      #Dominique_Seux #Bloc_bourgeois #Illusion

    • L’article est intéressant non pour Mélenchon, mais pour le point de vue sur la crise des années 30, et la façon de l’envisager. Ce point de vue de Romaric est tellement plus complexe (et juste) que ce qu’on entend à longueur de temps dans le poste que c’en est tout à fait rafraichissant.

      Ceci dit, je suis d’accord, j’vois pas de raison que ça ne finisse pas en méchante eau d’boudin, ces présidentielles... S’il ne passe pas, on va pouvoir se mortifier de la bêtise de ceux qui seront passés... et s’il passe, on va pouvoir se mortifier de l’hystérie du système à chacune des étapes de l’application de son programme...

    • L’Illusion du bloc bourgeois pour comprendre la crise politique française

      La tentation du « bloc bourgeois »

      Désormais, l’ambition « modernisatrice » ou « réformatrice » doit nécessairement assumer sa base sociologique. C’est ce qu’une partie du PS tente de faire depuis plusieurs années en revendiquant le « divorce » avec les classes populaires définies comme désormais « intellectuellement de droite » puisqu’elles rejettent la construction européenne. En réalité, cette identité est bien là aussi le fruit de ce choix de l’identification de la construction européenne avec le néolibéralisme. Alors que les classes populaires n’ont d’abord rejeté que ce dernier, et les orientations néolibérales de l’Europe, elles ont fini par accepter cette identification imposée par les « modernistes » et sont devenues eurosceptiques.

      Ce divorce oblige désormais les « modernistes » à trouver des alliés ailleurs, principalement sur leur droite où une partie de la classe moyenne accepte les « réformes » et l’Europe telle qu’elle est. C’est celle alliance que les deux auteurs appellent le « bloc bourgeois ». Ce « bloc » est aujourd’hui clairement incarné par Emmanuel Macron qui a appelé à « dépasser le clivage droite-gauche » et qui tente la synthèse entre les « modernistes » des deux camps. Pour les auteurs, ce bloc bourgeois n’est cependant pas la solution, car sa base sociologique est assez faible, de l’ordre d’un quart de l’électorat. Elle doit donc s’élargir par des promesses envers des couches sociales qui vont se retrouver « victimes » de la politique menée. D’où de futures déceptions.

      Le clivage gauche-droite persiste

      Dans la logique du « bloc bourgeois », la vie politique se restructurerait autour de la seule question de la souveraineté, comprise comme la quintessence de tout le reste. On aurait donc des pro-européens favorables aux « réformes » s’opposant à des souverainistes favorables au maintien de l’Etat-providence. On voit, au reste, au sein des équipes d’Emmanuel Macron, comme au sein des milieux proches du FN, cette volonté de tout réduire à la souveraineté et d’organiser un face-à-face de ce type dès le premier tour. Mais, estiment les auteurs, la division droite-gauche est encore pertinente. Les souverainistes de droite ne rejettent en effet nullement les « réformes » libérales, ce qui leur aliènent leurs homologues de gauche. Même au sein du FN, la conversion à l’Etat-providence, qui nie l’essentiel de l’histoire du parti, semble surtout relever d’un « transformisme », nom italien de l’opportunisme politique pur. Même chose au sein du pôle pro-européen où une partie de la gauche n’a pas renoncé à changer ou refonder l’Europe. La primauté donnée à la question de la souveraineté ne règle pas le problème social.

      Jeu complexe à quatre

      L’offre politique française s’organise donc autour de quatre pôles a priori irréconciliables : le souverainisme de gauche ; le souverainisme de droite ; l’européisme de gauche et l’européisme de droite. Certes, l’offre politique peine encore à s’organiser autour de ces pôles au cours de cette élection présidentielle. Si le « bloc bourgeois » vise à fusionner le deux dernières composantes, la distance entre Benoît Hamon, François Fillon et Emmanuel Macron, tous trois, « pro-européens » prouve les limites de l’exercice. Pour autant, à droite comme à gauche, la question européenne empêche toute reformation des anciens « blocs ». L’avenir du pays dépendra de la capacité de ces quatre pôles à trouver une base sociale suffisante pour former une majorité stable dans le pays, autrement dit une majorité qui ne soit pas une majorité de circonstance, comme en 2002, ni une majorité éphémère comme en 2012. Tant qu’une telle base ne sera pas trouvée, la crise politique perdurera.

      Les faiblesses du « bloc bourgeois »
      Il n’est pas certain que le « bloc bourgeois » d’un Emmanuel Macron soit capable de relever seul un tel défi. Certes, la France a connu un tel bloc sous la quatrième république, lors, pour bloquer les voies du pouvoir aux Communistes comme aux Gaullistes, Socialistes, Radicaux et Chrétiens-démocrates pouvaient s’allier. Mais la base sociale de ce « bloc bourgeois » d’alors était bien plus large et elle se définissait dans une vision également plus large : celle de la « défense du monde libre » dans un contexte de guerre froide et de persistance à l’ouest de régimes autoritaires. La fonction sociale du « bloc bourgeois » du 21e siècle qu’examinent les auteurs est très différente et c’est ce qui explique qu’il pourrait bien n’être qu’illusion.

      Une grille de lecture utile
      Ce petit livre est en tout cas d’une densité qui invite à la réflexion sur la situation actuelle de la politique française. Il rend limpide quelques réalités de cette campagne comme l’échec du PS ou le caractère impossible de la reformation du « bloc de gauche » derrière une alliance entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Il est aussi un élément de réflexion nécessaire pour ce qui suivra cet épisode électoral et qui sera, sans aucun doute, un moment crucial de la crise politique française. La grille de lecture proposée ici pour la France mériterait, du reste, d’être élargie à d’autres pays européens où l’évolution du capitalisme moderne a provoqué des décompositions politiques avancées, toutes singulières, mais assez souvent marquées par la disparition de la social-démocratie et l’affaiblissement de la droite traditionnelle.

      Romaric Godin

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      #Dominique_Seux #Bloc_bourgeois #Illusion