La littérature fantastique moderne est-elle née à Cologny en mai 1816 ? L’exposition 2016 de la Fondation Martin Bodmer, qui montrera des documents autographes et des éditions rares de livres « fantastiques », s’intéressera aux multiples facettes de ces incroyables jours-nuits continus qui accompagnèrent la naissance de la « Créature ». Ce phénomène météorologique insolite (un nuage de cendres volcaniques produisit un effet à l’échelle planétaire, plongeant l’Europe dans un hiver sans fin) fut en effet d’une importance déterminante.
Séjournant alors près de la Villa Diodati, Mary Shelley, plus inspirée que son futur mari ou leur ami commun Byron (autres participants de cette expérience littéraire), invente, dans le cadre d’un amical concours d’écriture, une histoire d’horreur originale, à la fois rationnelle et surnaturelle. Apparaît ainsi le docteur Frankenstein donnant la vie à partir d’un puzzle cadavérique et de l’électricité, ce qui renvoie aux fantasmes, aux craintes et aux espoirs des pouvoirs de la médecine et de la science. La première édition de Frankenstein, or The Modern Prometheus verra le jour en 1818.
Autre concurrent de ce jeu littéraire de Cologny, Polidori, un homme de lettres toscan devenu médecin à Londres et spécialiste du somnambulisme, rédige pour sa part la nouvelle « Le Vampire » (publiée en avril 1819) proche des personnages « morts au monde » chers à Lord Byron : ce « vampyre » colognote est le premier à figurer dans une œuvre de fiction (le Dracula de Stoker paraîtra en 1897). Le lien étroit unissant pulsions de vie et de mort est aussi important que celui qui unit disposition scientifique ambivalente (bibliophilie et biophilie morbides) et désir ardent d’amour absolu. L’exposition retracera également le contexte où de nombreux aristocrates anglais, artistes et intellectuels, se rendent en Suisse pour éprouver des émotions propres à la disposition d’esprit romantique.