Ce texte se veut une réponse à la publication d’un tract contre la manif pour tous et contre la reproduction artificielle de l’humain par Escudero et PMO. Il multiplie les critiques de mauvaise foi, caricature les propos des auteurs pour mieux les attaquer, et répond à côté de la plaque. Démontage en 4 points, citations à l’appui.
1- « La PMA n’est donc pas exactement une solution miracle et peu fatigante destinée uniquement à la caste des bourgeois riches et eugénistes pressés d’obtenir l’enfant idéal par catalogue et aucune femme n’y a recours parce qu’elle trouve cela plus agréable que d’avoir une relation sexuelle avec son conjoint. Si des dérives eugénistes existent, elles ne justifient ni de généraliser hâtivement sur des situations complexes, ni de mépriser les souffrances de personnes qui ont été contraintes de recourir à cette béquille technologique »
PMO ou Escudero n’ont jamais prétendu que la PMA était une partie de plaisir. Dans le livre d’Escudero, on trouve notamment ce témoignage :
« J’ai deux enfants, deux bébés nés par ICSI (fécondation in vitro [FIV] avec injection intracytoplasmique de spermatozoïdes) nés en 2008 et 2011. Mon parcours d’AMP a commencé en 2004 et j’ai eu mon premier enfant au bout de 11 tentatives : 5 inséminations, 1 FIV qui n’a pas produit d’embryon, 5 ICSI. Au fil des mois, l’AMP c’est une vie rétrécie, rythmée par les injections quotidiennes, les prises de sang, les transferts et les règles qui, inéluctablement, arrivent. Les règles peuvent arriver n’importe quand, avant un rendez-vous professionnel important, un 31 décembre chez des copains, et c’est à chaque fois un chagrin sans nom. Chaque jour de règles est une punition. »
Et cette citation d’Agacinski :
« Dans bien des pays où prospère l’industrie des bébés, on laisse largement dans l’ombre le fait que le “don d’ovocyte” n’a rien d’une partie de plaisir : il suppose d’abord un blocage des ovaires grâce à un traitement spécial (leuroprolide) qui peut provoquer des effets secondaires, comme la tacchycardie ou la baisse de densité osseuse. On pratique ensuite des injections quotidiennes pendant au moins dix jours pour stimuler les ovaires et produire suffisamment d’ovocytes (une femme n’en délivre normalement qu’un par cycle). Ce traitement est dangereux puisqu’il est capable de provoquer un syndrome d’hyperstimulation ovarienne (OHSS) dont les formes peuvent être légères, mais aussi sévères, voire mortelles. Les femmes qui subissent ce traitement à des fins personnelles, pour augmenter une fertilité insuffisante ou dans le cadre d’une fécondation in vitro, ne cherchent pas à obtenir plus de 7 ou 8 ovocytes, mais celles qui vont vendre leurs cellules à Kiev ou à Chypre savent qu’elles auront droit à une prime si elles produisent davantage. »
D’ailleurs, pour certaines camarades féministes le fait que ces souffrances soient toujours supportées par des femmes, et infligées par une institution médicale patriarcale constitue à lui seul un réquisitoire contre la reproduction artificielle.
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2- « Mais refuser la pilule parce qu’elle produit des déchets toxiques et provoque la féminisation de la population ou refuser la PMA parce qu’elle suppose l’utilisation de la génétique, c’est prôner un retour en arrière dangereux au lieu d’envisager une réappropriation des outils confisqués par l’industrie pharmaceutique. »
Ni PMO ni Escudero n’ont prétendu qu’il fallait refuser la pilule parce qu’elle provoquerait la féminisation de la population. Escudero mentionne les hormones de synthèse « utilisées chez l’humain (traitements médicaux, traitements de l’infertilité), mais surtout dans l’élevage industriel. » Il n’est pas question de la pilule. Et pour cause, l’article cité en source et intitulé : « Are Oral Contraceptives a Significant Contributor to the Estrogenicity of Drinking Water ? » explique justement que la pilule n’a qu’une influence négligeable dans la pollution hormonale. Ce sont – si l’on en croit cette étude - les hormones utilisées dans l’élevage qui posent problème.
Venons en à la « réappropriation des outils confisqués par l’industrie pharmaceutique ». Si vous parlez de l’insémination artificielle : allons-y gaiement : c’est la technique du pot de yaourt et sa médicalisation est une aberration. Escudero n’y est a priori pas opposé puisqu’il précise en introduction que l’insémination à domicile n’est pas la PMA. En revanche, je vous souhaite bien du courage pour vous réapproprier la fécondation in vitro. Précisons d’abord que ces outils n’ont jamais été « confisqués » par l’industrie pharmaceutique : ils ont été pensés et mis au point par elle pour elle. Ils n’ont jamais été à la portée des sans pouvoir. La FIV et le diagnostic pré-implantatoire nécessitent des laboratoires, des outils technologiques, des savoir-faire qui ne sont pas appropriables par le commun des mortels. Ils nous condamnent à la soumission aux experts pour pouvoir procréer. Des experts en blouse blanche, généralement masculins, et qui au final prendront toujours les décisions à la place des couples, et des femmes en particulier.
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3- En matière de parentalité, rien n’est naturel. Faire des enfants au sein d’un couple hétérosexuel, les élever, les aimer et en tirer une satisfaction suprême ; c’est une injonction sociale, pas le rêve uniformément partagé de l’espèce humaine. Il s’agit donc là d’un construit social, d’un fait culturel. Si de nombreuses personnes souffrent du fait de ne pas pouvoir avoir d’enfants et dramatisent leur stérilité ou si d’autres ont sans cesse besoin d’expliquer qu’elles n’ont pas envie d’en avoir et que cela ne fait pas d’elles des êtres égoïstes, c’est aussi parce qu’on nous intime quotidiennement l’ordre de procréer pour être des êtres épanouis et qui se réalisent (en ce sens le fameux « désir d’enfant » dont nous rebat les oreilles n’est pas une aspiration biologique et personnelle mais une réponse socialement construite à une injonction culturelle).
Vous laissez entendre que PMO et Escudero ignorent cela. Mais c’est exactement ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent « d’injonction sociale à la maternité/paternité » ou disent que « Faire des enfants n’est ni un droit, ni une obligation. ». PMO expliquait cela – et mieux que vous - il y a 10 ans déjà :
« On reste perplexe devant tant d’acharnement procréateur. Devant ce désespoir des bréhaignes. Peut-on suggérer qu’il n’y a nulle honte à la stérilité, nulle gloire à la génération, nul impératif moral ou physique à se reproduire ? Que l’infécondité n’entraîne ni douleur, ni dégâts corporels ? Que des dizaines de maux autrement cruels nous harcèlent, ne serait-ce que du point de vue médical, qui exigeraient les moyens gaspillés dans ces hautes technologies populatoires ? Que la civilisation, enfin, n’est pas un haras ?
On ne fait plus, en Occident du moins, d’enfants bâtons de vieillesse. On en fait peu pour les allocations. On n’invoque plus guère la nécessité de transmettre l’héritage, de perpétuer le nom ni la lignée - plus souvent la volonté de sceller le couple -, mais " La Vie" , " l’Amour de la Vie ", " des Enfants" , côtent au plus haut de la bourse des valeurs.
Ce que disent en fait les géniteurs, c’est que pour cet acte au moins, ils se replient en deçà de l’intellect, dans l’instinct animal, voire dans le mécanisme végétal. Ils font des enfants comme les arbres portent des fruits, et les animaux, des petits. Cékomça. Et questionner cette pulsion inéluctable les « agresse » jusqu’au sacrilège, tant le sacré, ultima ratio , finit toujours par ressortir. Dans la plus technifiée des sociétés, ils affectent ainsi avec cette nature à qui ils payent leur dû à bon compte, un lien privilégié, ineffable et prestigieux.
Vous pensiez vous faire vous même ? Qu’on ne naissait point mère, père, voué à l’instinct génésique ? Repentez-vous. Le prêchi-prêcha New Age (Mère Terre, Gaïa), mâtiné d’éco-féminisme (la " nature féminine" ), revigore le radotage religieux. Votre corps décide pour vous. Que dis-je votre corps ! Vos gènes, dont votre corps n’est que l’éphémère véhicule, imposent leur transmission. Vous voici en dette, somme de rendre la Vie que vous avez reçue, au motif de perpétuer celle-ci, l’espèce, ou de faire à un inconnu (l’Enfant), le don que des inconnus (les parents), vous ont fait. Et quand bien même vos gènes défailleraient, que votre corps se refuserait à la reproduction, on a vu que la technologie volerait à votre secours pour remédier à cette terrible souffrance psychique : le mal d’enfant. »
(▻http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article19)
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4- « Séparer ces comportements entre ceux qui seraient naturels et ceux qui seraient culturels pour sous-entendre que les premiers sont bons et les seconds mauvais, que cela soit au nom du refus de la tyrannie technologique ou d’une quelconque morale religieuse est tout aussi réactionnaire et, surtout, dangereux. »
Encore une fois, ce n’est pas du tout ce que fait Escudero. Pas plus que PMO. Vous travestissez leur propos. Escudero ne cesse de répéter que la nature n’est ni bonne ni mauvaise, et que la nature n’est pas un critère qui doit intervenir dans les choix politiques. Voyez ce passage du livre :
« Dans le sillage des Lumières, la gauche avait fait sienne l’idée qu’un ordre naturel, quasi-divin, devait céder la place à la Raison « la faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal2 », pour organiser la société des hommes. Elle pensait à juste titre que le caractère naturel ou non d’un objet – sa « naturalité » – ne constituait pas un critère moral et politique pertinent pour décider de l’organisation de la cité. »
C’est tout de même assez clair non ? Relisez aussi cet extrait de son interview dans la décroissance (publiée sur le site du Monde à l’Envers) :
« La gauche confond nature et idée d’ordre naturel. La nature c’est ce qui naît, l’inné, ce qui est donné à chacun à la naissance et n’est le produit ni de la construction sociale, ni d’un quelconque artifice. Cette nature existe évidemment et nous impose de nombreuses contraintes : une femme ou un homme seul ne peut pas faire d’enfants, deux hommes ou deux femmes non plus. L’ordre naturel en revanche est un fantasme, qui légitime les inégalités sociales au nom de la nature.
La gauche libérale jette la nature avec l’eau du bain. Croyant couper l’herbe sous le pied de la droite et des réactionnaires, elle rejette en bloc les contraintes biologiques et physiologiques qui s’imposent à nous (pour le pire et pour le meilleur), et qui font de nous des êtres humains, des animaux politiques. Elle développe une conception de la liberté exclusivement libérale, individuelle et consumériste, qui fait de l’abolition de la nature son unique critère. Est bon ce qui est artificiel, est mauvais ce qui est naturel. Évidemment, le recours au marché et à la technologie est l’unique horizon de cette fausse liberté.
Or la nature n’est ni bonne ni mauvaise, et l’abolition de la nature n’est pas synonyme d’émancipation. A l’ère du capitalisme technologique, la lutte pour l’émancipation de la nature qui fut facteur d’émancipation, se paye désormais au centuple en soumission au capitalisme et à la technologie. »
En somme : Escudero explique que s’émanciper de la nature n’est pas en soi un progrès. Pas plus que de se conformer à la nature n’est quelque chose de positif. Tout est question de choix politique : préfère t-on accepter certaines contraintes biologiques ou physiologiques ou nous soumettre à l’État, au marché et à la technologie ? Dire cela, ce n’est pas être naturaliste ou réactionnaire.
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En somme : que de « raccourcis, extrapolations, décontextualisations et amalgames » produisant « un discours paranoïaque » dans votre article ! Ce que vous reprochez à Escudero s’applique à l’essentiel de votre propos.
J’espère que vous saurez en tenir compte. Car ces précisions apportées, un vrai débat peut commencer. Il y a en effet de gros désaccords entre vos positions et celles de PMO/Escudero. Pour ne citer que les plus importants :
→ Vous semblez faire confiance à l’État, pour réguler le marché de la PMA et limiter les dérives eugénistes de la PMA. PMO et Escudero non.
→ Vous invoquez l’égalité pour justifier l’ouverture de la PMA aux lesbiennes et femmes seules – en somme aux femmes fertiles. Escudero dirait que vous confondez égalité politique et identité biologique, et que cette conception ouvre la voie au transhumanisme.
→ Vous semblez penser que la technologie est neutre, et que les sans-pouvoir pourraient se la réapproprier. Escudero et PMO, c’est tout le contraire.
C’est de cela qu’il faut parler. Mais avec un minimum d’honnêteté.