• S’exprimer en public, un défi encore plus grand pour les femmes
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/05/08/s-exprimer-en-public-un-defi-encore-plus-difficile-pour-les-femmes_6079610_4

    Moins encouragées et moins valorisées que les garçons lorsqu’elles prennent la parole en classe, les filles arrivent dans l’enseignement supérieur avec moins d’aisance à l’oral. Un désavantage qui se ressent ensuite dans le monde professionnel.

    Les femmes, ces jacasseuses, de vraies pipelettes ! Les clichés ont la peau dure. Ils cachent cependant une réalité tout autre, du monde scolaire à l’univers professionnel, mesurée par de multiples études : celle d’un espace sonore public largement dominé par les hommes et de femmes moins encouragées et moins valorisées dans cet exercice depuis le plus jeune âge. Une question aux enjeux multiples, alors que les oraux prennent une place de plus en plus cruciale dans les processus de sélection et d’évaluation, du bac à l’enseignement supérieur.

    « Dès la crèche, on a schématiquement des filles qui demandent la parole et des garçons qui la prennent », explique Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève. A l’école, « divers travaux montrent que les garçons sont ensuite à l’origine d’environ deux tiers des prises de parole en classe ». Si ce phénomène a eu tendance à se corriger au primaire ces dernières années, les études dans le secondaire attestent d’un déséquilibre toujours marqué. En 2015, la chercheuse a mené une enquête au sein de neuf classes suisses, lors de « cours dialogués » dans différentes matières, et observé scrupuleusement les prises de parole des élèves. En moyenne, les garçons sont intervenus 2,3 fois plus que les filles et étaient deux fois plus sollicités par les professeurs. En outre, ils avaient presque trois fois plus d’interventions orales « hors sujet ».
    « Sages et discrètes »

    « Les bébés de sexe féminin sont pourtant plus amenés que leurs homologues masculins à développer une communication verbale. Mais ces capacités langagières précoces ne leur donnent pas accès à la prise de parole en public par la suite. Car le problème n’est pas de parler, mais de s’autoriser à être visible par la parole », analyse Isabelle Collet. On ne les incite pas à cette visibilité, abonde la sociologue Marie Duru-Bellat, chercheuse à l’Institut de recherche en éducation, autrice de La Tyrannie du genre (Presses de Sciences Po, 2017) : « Les filles ont intégré qu’on attend d’elles qu’elles soient sages et discrètes. On leur apprend aussi très tôt à faire attention aux autres, à écouter et à prendre en compte le point de vue des camarades. »

    #paywall #sexisme #silenciation #invisibilisation #femmes #manterruping #mansplanning #manspreanding

    • En classe, les garçons, eux, ne vont pas hésiter à occuper l’environnement sonore et à interrompre le professeur. « Ils prennent plus souvent la parole de façon spontanée, d’ailleurs pas toujours en lien avec le cours dispensé », remarque la sociologue. C’est accepté, voire valorisé comme un attribut de virilité. « Il y a dans l’imaginaire collectif l’idée que les garçons sont plus turbulents, qu’ils ont besoin de s’exprimer, et que c’est bien normal. On le tolère, tout comme on les laisse salir leurs habits. Les filles sont, elles, plus vite rabrouées quand elles transgressent les règles », observe-t-elle.

      Alors que les enseignants eux-mêmes ont tendance à interroger moins souvent les filles que les garçons, comme l’ont montré plusieurs études, le contenu des interactions a aussi tendance à différer selon le genre de l’élève. « Les filles sont davantage sollicitées pour rappeler les notions précédentes, une forme d’assistance pédagogique, puis les garçons sont appelés à faire avancer le cours, à créer du neuf », observe Isabelle Collet.

      Les enseignants encouragent aussi davantage ces derniers, soulevait la professeure en sciences de l’éducation Nicole Mosconi, dans son article « Effets et limites de la mixité scolaire » (Travail, genre et sociétés, n° 11, 2004). « Ainsi, les garçons apprennent à l’école à s’exprimer, à s’affirmer, à contester l’autorité, et les filles à être moins valorisées, à prendre moins de place physiquement et intellectuellement, et à supporter, sans protester, la dominance du groupe des garçons, en somme à rester “à leur place” », écrivait-elle.
      Véronique Garrigues, enseignante d’histoire dans un collège classé REP du Tarn, a pris conscience de ce déséquilibre il y a quelques années. « Comme dans la cour de récré, les garçons prennent la place qu’on leur laisse très volontiers, constate-t-elle. Alors, quand au bout de trois réponses, je n’ai entendu que des élèves masculins, je fais en sorte que ce soit ensuite une fille. Mais ce n’est pas parce que je les interroge qu’elles acceptent de répondre. » Le stress est patent : tête baissée, mains tripotant ses affaires, phrases écourtées. « Prendre la parole, c’est s’exposer au regard des autres. Une angoisse pour certaines. »

      « Bastion masculin »

      Parler en public est en effet un exercice qui engage pleinement le corps et l’esprit, et qui demande une bonne dose de confiance en soi. « Or, à l’école comme en réunion, les femmes ont tendance à plus se demander : ce que je pense vaut-il le coup d’être dit ? », pointe Marie Duru-Bellat. Pourtant détentrices de meilleurs résultats scolaires, elles se mettent très jeunes à douter de leurs compétences. Ainsi dès 6 ans, lorsqu’on leur présente un personnage comme « intelligent », les petites filles y associent plutôt le sexe masculin, montre une étude américaine publiée en 2017 dans la revue Science.
      Rien d’étonnant quand on sait que leur expression peut être déjà jugée illégitime seulement quelques mois après la naissance. C’est ce que révèlent des chercheurs de l’Institut des neurosciences Paris-Saclay basé à Saint-Etienne. En 2016, ils ont mesuré la perception des pleurs de bébés : ceux attribués à des filles – d’ailleurs souvent à tort – étaient alors jugés moins justifiés, ne relevant pas d’une véritable souffrance. « A divers niveaux, la société ne cesse de renvoyer aux femmes que leur parole compte moins », souligne Marie Duru-Bellat.

      Le poids des représentations et de l’histoire n’est pas étranger au sentiment d’illégitimité que beaucoup ressentent en la matière. « L’art oratoire est traditionnellement un bastion masculin, observe Christine Bard, spécialiste de l’histoire des femmes. Pendant des siècles, les occasions pour les femmes de prendre la parole dans les lieux publics religieux ou laïcs étaient rares : elles étaient exclues des tribunes et n’ont accédé à l’université que sur le tard. Cet héritage laisse des traces. » Aujourd’hui, les modèles de voix féminines sont encore peu nombreux – ainsi du faible taux d’expertes entendues dans l’audiovisuel (de 38 %, la proportion est tombée à 20 % avec la pandémie de Covid-19, selon le Conseil supérieur de l’audiovisuel).

      « L’oreille qu’on porte sur la parole des femmes a été et reste très cruelle, ajoute Christine Bard. Les travaux montrent que le public écoute moins les femmes et déprécie leur voix, trop perchée, trop aiguë. » Leurs paroles sont vite disqualifiées. « Exposées, elles sont d’abord jugées par le regard, sexualisées avant même d’être entendues. Pour Rousseau, la femme qui parle en dehors de son foyer est d’ailleurs du côté de l’impudeur. » Point trop ne faut d’assurance pour celle qui s’y risque : une étude de Yale publiée en 2012 montre que, alors que les hommes qui parlent abondamment sont perçus comme des leaders de qualité, les femmes qui font de même sont au contraire rejetées par l’audience chargée de les noter.

      Une parole dévalorisée, peu écoutée, souvent coupée… « En classe aussi, les garçons qui veulent tout le temps la parole peuvent se montrer très désagréables contre ceux qui leur volent la scène, surtout les filles, constate Isabelle Collet. Quand elles tentent de le faire et qu’elles ne sont jamais interrogées, comme les garçons parlent spontanément, ou bien moquées, elles finissent par lâcher l’affaire. »

      Quelles conséquences sur leur parcours ? Dans le secondaire, « ce moindre accès à la parole ne pose pas problème aux filles en termes de compétences didactiques », observe-t-elle. Même pour les oraux du baccalauréat, qui sont surtout, dit-elle, une « validation de ces compétences ». Mais cela les prive d’acquérir les techniques sociales de mise en valeur de leurs capacités et de leurs succès nécessaires par la suite. « Dès l’enseignement supérieur, les règles du jeu changent. Il faut promouvoir son travail, se distinguer, se rendre visible. Ce que, incitées à rester en retrait, les filles n’ont pas appris à faire », regrette la chercheuse.

      Des épreuves pénalisantes

      Si bien que « leurs meilleurs résultats ne leur ouvrent pas les portes de certaines filières sélectives et qu’elles rentabilisent moins, à diplôme égal, leur bagage scolaire », écrit-elle. Dans certains oraux de concours notamment, les écoles recherchent de plus en plus ces dernières années « l’expression d’une motivation mais aussi d’une individualité, d’une certaine personnalité. Il y a tout un travail de mise en scène sous-jacent auquel les jeunes femmes adhèrent moins », rappelle la sociologue et spécialiste des concours Annabelle Allouch, qui souligne également l’interférence de « biais de genre » inconscients lors de ces oraux, « même chez des jurys avertis ».

      A l’Ecole nationale d’administration, un rapport interne relevait, en 2012, ce traitement défavorable aux femmes qui, avec un taux de réussite similaire à celui des hommes aux écrits anonymisés, étaient évincées à l’issue du grand oral. En 2020, à l’Ecole normale supérieure, avec la suppression des oraux due à la crise sanitaire, la part d’admises a, là, bondi de 54 % à 67 % dans les filières littéraires. Difficile de démêler l’impact de la disparition de l’oral et celui des conditions de préparation particulières pendant la pandémie – ou encore de l’absence des mécanismes de rééquilibrage qui, à l’oral, viennent favoriser le sexe minoritaire (étudiés par l’économiste du travail Thomas Breda). Mais le résultat a interpellé nombre d’enseignants.

      Emma Bouvier, 21 ans, a bien senti un tournant en entrant à Sciences Po. Alors que participer en classe ne lui posait pas de problème au lycée, cela a changé dans le supérieur, où « la prise de parole prend beaucoup de place, en classe comme en dehors ». En quête de clés, elle s’est renseignée sur l’association d’art oratoire de l’école. « J’avais l’image d’un espace réservé aux hommes, les figures prises pour parler d’éloquence étant quasiment toutes masculines. Puis j’ai vu que la présidente était une femme, cela m’a ouvert une porte. » Depuis, l’étudiante s’investit dans L’Oratrice, un groupe qui promeut l’égalité dans l’éloquence et organise des formations à destination des étudiantes.

      Chez celles qui s’y inscrivent, « ce qui ressort le plus est l’autocensure et une déstabilisation face aux comportements désagréables récurrents, comme se faire couper la parole, décrit-elle. Beaucoup viennent aussi après un premier stage et racontent s’être senties effacées, regrettant de ne pas avoir réussi à s’imposer. On les aide à prendre confiance. » L’enjeu est majeur dans le monde du travail, « où on vous demande de bien faire mais surtout d’aller le faire savoir », souligne Isabelle Collet. Pour Emma Bouvier, même si c’est à pas de souris, on avance toutefois dans la conquête de la prise de parole en public : les deux dernières éditions du prix d’éloquence Philippe-Seguin de Sciences Po ont été remportées par des femmes.

      #école #évaluation

  • Confronting racism is not about the needs and feelings of white people

    Too often whites at discussions on race decide for themselves what will be discussed, what they will hear, what they will learn. And it is their space. All spaces are.

    I was leaving a corporate office building after a full day of leading workshops on how to talk about race thoughtfully and deliberately. The audience for each session had been similar to the dozens I had faced before. There was an overrepresentation of employees of color, an underrepresentation of white employees. The participants of color tended to make eye contact with me and nod – I even heard a few “Amens” – but were never the first to raise their hands with questions or comments. Meanwhile, there was always a white man eager to share his thoughts on race. In these sessions I typically rely on silent feedback from participants of color to make sure I am on the right track, while trying to moderate the loud centering of whiteness.

    In the hallway an Asian American woman locked eyes with me and mouthed: “Thank you.” A black man squeezed my shoulder and muttered: “Girl, if you only knew.” A black woman stopped me, looked around cautiously to make sure no one was within earshot, and then said: “You spoke the truth. I wish I could have shared my story so you’d know how true. But this was not the place.”

    This was not the place. Despite the care I take in these sessions to center people of color, to keep them safe, this still was not the place. Once again, what might have been a discussion about the real, quantifiable harm being done to people of color had been subsumed by a discussion about the feelings of white people, the expectations of white people, the needs of white people.

    As I stood there, gazing off into the memory of hundreds of stifled conversations about race, I was brought to attention by a white woman. She was not nervously looking around to see who might be listening. She didn’t ask if I had time to talk, though I was standing at the door.

    “Your session was really nice,” she started. “You said a lot of good things that will be useful to a lot of people.”

    She paused briefly: “But the thing is, nothing you talked about today is going to help me make more black friends.”

    I was reminded of one of the very first panels on race I had participated in. A black man in Seattle had been pepper-sprayed by a security guard for doing nothing more than walking through a shopping center. It had been caught on camera. A group of black writers and activists, myself included, were onstage in front of a majority-white Seattle audience, talking about the incident. Fellow panelist Charles Mudede, a brilliant writer, film-maker and economic theorist, addressed the economic mechanisms at work: this security guard had been told that his job was to protect his employers’ ability to make a profit. He had been told that his job was to keep customers who had money to spend happy and safe. And every day he was fed cultural messages about who had money and who didn’t. Who was violent and who wasn’t. Charles argued that the security guard had been doing his job. In a white supremacist capitalist system, this is what doing your job looked like.

    Well, at least he was trying to argue that point. Because halfway through, a white woman stood up and interrupted him.

    “Look, I’m sure you know a lot about all this stuff,” she said, hands on hips. “But I didn’t come here for an economics lesson. I came here because I feel bad about what happened to this man and I want to know what to do.”

    That room, apparently, wasn’t the place either. According to this woman, this talk was not, or should not have been, about the feelings of the man who was pepper-sprayed, or those of the broader black community, which had just been delivered even more evidence of how unsafe we are in our own city. She felt bad and wanted to stop feeling bad. And she expected us to provide that to her.

    At a university last month, where I was discussing the whitewashing of publishing and the need for more unfiltered narratives by people of color, a white man insisted that there was no way we were going to be understood by white people if we couldn’t make ourselves more accessible. When I asked him if all of the elements of white culture that people of color have to familiarize themselves with just to get through the day are ever modified to suit us, he shrugged and looked down at his notebook. At a workshop I led last week a white woman wondered if perhaps people of color in America are too sensitive about race. How was she going to be able to learn if we were always getting so upset at her questions?

    I’ve experienced similar interruptions and dismissals more times than I can count. Even when my name is on the poster, none of these places seem like the right places in which to talk about what I and so many people of color need to talk about. So often the white attendees have decided for themselves what will be discussed, what they will hear, what they will learn. And it is their space. All spaces are.

    One day, in frustration, I posted this social media status:

    “If your anti-racism work prioritizes the ‘growth’ and ‘enlightenment’ of white America over the safety, dignity and humanity of people of color – it’s not anti-racism work. It’s white supremacy.”

    One of the very first responses I received from a white commenter was: “OK, but isn’t it better than nothing?”

    Is it? Is a little erasure better than a lot of erasure? Is a little white supremacy leaked into our anti-racism work better than no anti-racism work at all? Every time I stand in front of an audience to address racial oppression in America, I know that I am facing a lot of white people who are in the room to feel less bad about racial discrimination and violence in the news, to score points, to let everyone know that they are not like the others, to make black friends. I know that I am speaking to a lot of white people who are certain they are not the problem because they are there.

    Just once I want to speak to a room of white people who know they are there because they are the problem. Who know they are there to begin the work of seeing where they have been complicit and harmful so that they can start doing better. Because white supremacy is their construct, a construct they have benefited from, and deconstructing white supremacy is their duty.

    Myself and many of the attendees of color often leave these talks feeling tired and disheartened, but I still show up and speak. I show up in the hopes that maybe, possibly, this talk will be the one that finally breaks through, or will bring me a step closer to the one that will. I show up and speak for people of color who can’t speak freely, so that they might feel seen and heard. I speak because there are people of color in the room who need to hear that they shouldn’t have to carry the burden of racial oppression, while those who benefit from that same oppression expect anti-racism efforts to meet their needs first. After my most recent talk, a black woman slipped me a note in which she had written that she would never be able to speak openly about the ways that racism was impacting her life, not without risking reprisals from white peers. “I will heal at home in silence,” she concluded.

    Is it better than nothing? Or is the fact that in 2019 I still have to ask myself that question every day most harmful of all?

    https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/mar/28/confronting-racism-is-not-about-the-needs-and-feelings-of-white-people
    #racisme #inégalité #subalternité #silence #pouvoir #trauma #traumatisme #safe_place #porte-parole #espace_public #parole_publique #témoignage #liberté_d'expression #Noirs #Blancs #USA #Etats-Unis
    #can_the_subaltern_speak?

    • La #répartition_des_tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la #conversation (Première partie)

      Contrairement à l’impression première que l’on a, la conversation n’est pas une activité à laquelle on se livre spontanément ou inconsciemment. Il s’agit d’une activité structurée, ne serait-ce que par son ouverture, ses séquences et sa fermeture, et elle a besoin d’être gérée par les participant-e-s. Nous parlerons indifféremment de conversations, de dialogues ou de discussions pour faire référence à tout échange oral. Nous les caractériserons par le fait qu’aucun scénario n’en a été fixé à l’avance et que ces conversations sont en principe égalitaires, à la différence des entretiens dirigés, des cérémonies ou des débats. Nous allons donc nous intéresser à la gestion du dialogue mixte au regard du genre des personnes impliquées. Ainsi, nous verrons que les pratiques conversationnelles sont dépendantes du genre et nous en chercherons les conséquences sur le déroulement de la conversation.

      La conversation est une forme fondamentale de communication et d’interaction sociale et, à ce titre, elle a une fonction des plus importantes. Elle établit et maintient des liens entre les personnes, mais c’est aussi une activité « politique », c’est-à-dire dans laquelle il existe des relations de pouvoir. Dans une société où la division et la hiérarchie des genres est si importante, il serait naïf de penser que la conversation en serait exempte. Comme pratique sur laquelle nous fondons notre vie quotidienne, elle ne peut que refléter la nature genrée de la société. Nous nous demanderons si, au-delà du fait d’être un miroir de la société, elle ne réactive et ne réaffirme pas à chaque fois les différences et les inégalités de genre.

      La longueur des contributions

      Nous nous référerons constamment au modèle de conversation décrit par Sacks H., Schegloff E. et Jefferson G. en 1974. Selon ce modèle, les systèmes d’échange de parole sont en général organisés afin d’assurer deux choses : premièrement, qu’une seule personne parle à un moment donné et deuxièmement que les locutrices/teurs se relaient. La/le locutrice/teur peut désigner la/le prochain-e mais en général, ce sont les conversant-e-s qui décident de l’ordre des prises de parole. Le dialogue idéal suppose donc que l’un-e parle pendant que l’autre écoute, puis vice-versa et ainsi de suite, sans qu’il y ait de chevauchements de parole, d’interruptions ou de silence entre les tours. L’hypothèse est que ce modèle doit être valable pour tou-te-s les locuteurs/trices et toutes les conversations. Il devrait donc tendre dans son application à une symétrie ou à une égalité. Ce modèle est décrit comme indépendant du contexte, c’est-à-dire des facteurs tels que le nombre de personnes, leur identité sociale ou les sujets de discussion. Une fois mis en application, il devient toutefois sensible au contexte et s’adapte aux changements de circonstances dus aux facteurs évoqués plus haut.

      La première question sur laquelle nous nous interrogerons à propos du dialogue mixte concerne le temps de parole que chacun-e s’octroie. On présuppose généralement que les deux personnes aient un temps de parole assez similaire pour qu’elles puissent toutes deux exprimer leur point de vue, leurs sentiments, intentions ou projets de façon égalitaire. Le dialogue est perçu couramment par une majorité de personnes comme un lieu de partage et d’échange permettant de promouvoir une compréhension mutuelle où un-e interlocuteur/trice n’est pas censé-e prendre une plus grande partie de ce temps que l’autre.

      Selon l’opinion communément admise, ce sont les femmes qui parleraient plus que les hommes. Le stéréotype de la femme bavarde est certainement, en ce qui concerne la différence des sexes et la conversation, l’un des plus forts et des plus répandus. Paradoxalement, c’est aussi celui qui n’a jamais pu être confirmé par une seule étude. Bien au contraire, de nombreuses recherches ont montré qu’en réalité, ce sont les hommes qui parlent le plus. Déjà en 1951, Strodtbeck a mis en évidence que dans des couples hétérosexuels mariés, les hommes parlaient plus que les femmes.

      Mais comment expliquer un tel décalage entre le stéréotype et la réalité ? Comment se fait-il que, bien que tou-te-s nous nous soyons retrouvé-e-s dans des situations où il était clair que les hommes monopolisaient la parole, si peu d’entre nous en aient profité pour questionner le bien fondé de cette croyance ?

      Dale Spender s’est penchée sur ce mythe de la femme bavarde afin d’en analyser le fonctionnement. Ce stéréotype est souvent interprété comme affirmant que les femmes sont jugées bavardes en comparaison des hommes qui le seraient moins. Mais il n’en va pas ainsi. Ce n’est pas en comparaison du temps de parole des hommes que les femmes sont jugées bavardes mais en comparaison des femmes silencieuses (Spender, 1980). La norme ici n’est pas le masculin mais le silence, puisque nous devrions toutes être des femmes silencieuses. Si la place des femmes dans une société patriarcale est d’abord dans le silence, il n’est pas étonnant qu’en conséquence, toute parole de femme soit toujours considérée de trop. On demande d’ailleurs avant tout aux femmes d’être vues plutôt qu’entendues, et elles sont en général plus observées que les hommes (Henley, 1975).

      On voit bien déjà ici que ce n’est pas la parole en soi qui est signifiante mais le genre. Une femme parlant autant qu’un homme sera perçue comme faisant des contributions plus longues. Nos impressions sur la quantité de paroles émises par des femmes ou des hommes sont systématiquement déformées. Je recourrai ici au concept toujours aussi pertinent du double standard utilisé par les féministes pour expliquer nombre de situations en rapport avec le genre. Un même comportement sera perçu et interprété différemment selon le sexe de la personne et les assignations qu’on y rapporte. Quel que soit le comportement en question, le double standard tendra à donner une interprétation à valeur positive pour un homme et négative pour une femme. Nous verrons que si les hommes peuvent donc parler autant qu’ils le désirent, les femmes, elles, pour la même attitude, seront sévèrement sanctionnées. De nombreux travaux se servent de l’évaluation différentielle des modes de converser des femmes et des hommes, nécessaire à l’étude de la communication genrée. Une étude faite lors de réunions mixtes dans une faculté montre la différence énorme de temps de parole entre les femmes et les hommes (Eakins & Eakins, 1976). Alors que le temps moyen de discours d’une femme se situe entre 3 et 10 secondes, celui d’un homme se situe entre 10 et 17 secondes. Autrement dit, la femme la plus bavarde a parlé moins longtemps que l’homme le plus succinct ! Beaucoup d’études à ce propos portent sur des contextes éducationnels, comme des classes. Bien que ceci dépasse le cadre du dialogue, il me semble intéressant d’en dire quelques mots. Sans faire une liste des différences de socialisation selon le sexe, qui sont déterminantes pour l’accès à la parole, je vais juste m’arrêter sur celles qui concernent plus spécifiquement l’espace de parole laissé à l’école aux filles et aux garçons.

      Les enfants n’ont pas un accès égal à la parole (Graddol & Swann, 1989). Dans les interactions de classe, les garçons parlent plus que les filles. Les enseignant-e-s donnent beaucoup plus d’attention aux garçons. Elles et ils réagissent plus vivement aux comportements perturbateurs des garçons, les renforçant de ce fait. Elles/ils les encouragent aussi beaucoup plus. Les échanges verbaux plus longs se passent majoritairement avec les garçons ainsi que les explications données. Et l’on sait combien il est difficile d’agir égalitairement, même en faisant des efforts. Une étude de Sadker & Sadker (Graddol & Swann, 1989) portant sur cent classes montre que les garçons parlent en moyenne trois fois plus que les filles. Qu’il est aussi huit fois plus probable que ce soient des garçons qui donnent des réponses sans demander la parole alors que les filles, pour le même comportement, sont souvent réprimandées.

      S’il me semblait important de commencer par la remise en question de ce premier mythe, c’est parce que parler plus longtemps que les autres est un bon moyen de gagner du pouvoir et de l’influence dans un dialogue. Ceci est d’ailleurs bien perçu par tout le monde. Chez Strodtbeck citée plus haut par exemple, les couples interrogés, et autant les femmes que les hommes, associaient à une plus grande quantité de parole une plus grande influence. Il s’agit maintenant de voir concrètement comment s’exerce cette influence et de montrer en quoi la quantité de paroles émises est un indicateur de dominance conversationnelle. En effet, le temps de parole est fonction de nombreux facteurs interactionnels, parmi lesquels le fait de pouvoir terminer son tour de parole sans interruption de la part de son interlocuteur semble être un des plus importants.

      http://lmsi.net/La-repartition-des-taches-entre

      Deuxième partie : Les pratiques conversationnelles des hommes
      http://lmsi.net/La-repartition-des-taches-entre,702

  • « Il y a une crise des politiques publiques et du dialogue public, qui ont été confisqués par les plus riches »
    https://www.bastamag.net/Les-justices-sociale-fiscale-et-climatique-valent-beaucoup-mieux-qu-un-dia

    Depuis l’élection présidentielle, ce ne sont que des consultations de façade qui sont menées par le gouvernement, préférant écouter les intérêts des lobbies privés plutôt que les organisations de la société civile et les citoyens. Résultat : les #Inégalités s’aggravent, la transition écologique se fait contre les classes populaires et moyennes, et les orientations économiques et sociales néolibérales se poursuivent. Face à ce constat, le Crid, collectif de 50 organisations de solidarité internationale appelle à (...)

    #Débattre

    / Démocratie !, #Climat, Inégalités

    #Démocratie_ !