• Italie : quand le #profit fait dérailler les trains

    Le secteur des #chemins_de_fer italien est souvent cité comme l’exemple par excellence du succès des politiques de #libéralisation_du_marché. Dans les années quatre-vingt-dix, la division des rôles entre le gestionnaire du réseau (#Rfi, #Rete_ferroviaria_italiana) et le gestionnaire des transports (#Trenitalia) est réalisée avec un double objectif : d’une part, la mise en œuvre des politiques communautaires européennes visant à accroître la #compétitivité, d’autre part la transformation du secteur ferroviaire vers un mode de gestion d’entreprise privée, afin de le rendre rentable. Une vision qui établit une différence manifeste avec toute autre perspective concevant la #mobilité comme un #service_public à garantir, même en l’absence de profit. Par Giorgio De Girolamo, Lorenzo Mobilio et Ferdinando Pezzopane, traduit par Letizia Freitas [1].

    Dans la droite ligne de cette approche, les #conditions_de-travail du personnel ferroviaire et la dimension réglementaire de la Convention collective nationale accusent un retard considérable comparées à d’autres services publics (si l’on tient compte également de la taille de #Fs, #Ferrovie_dello_Stato, l’entreprise ferroviaire publique au statut de société anonyme par actions au capital détenu à 100% par l’État italien, Rfi et Treniralia sont des filiales de FS, ndlr). La recherche constante de #réduction_des_coûts s’est imposée, au détriment des travailleurs de Trenitalia et de Rfi.

    Responsable des infrastructures, Rfi a progressivement réduit sa #masse_salariale, passant de 38 501 employés en 2001 à 29 073 en 2022, un quart de moins en une vingtaine d’années. Une diminution principalement motivée, non pas par une absence de besoin en main d’œuvre, mais par l’#externalisation du travail de #construction et de #manutention, confié à d’autres entreprises à travers un système d’#appels_d’offre et de #sous-traitance.

    Actuellement – selon les estimations des syndicats – 10 000 travailleurs externalisés opèrent sur les chemins de fers italiens. Il apparaît évident que cette gestion de la manutention rend la #sécurité accessoire et les #accidents, non pas des évènements tragiques et occasionnels, mais de tristes et amères certitudes. La stratégie de Rfi basée sur des #coûts_réduits et la rapidité d’exécution des travaux repose sur une dégradation structurelle des conditions de travail, qui se répercute sur la sécurité de tous les travailleurs FS, leur santé et la sécurité du service fourni. Avec des conséquences qui se transforment trop souvent en actualités dramatiques, comme dans le cas de #Brandizzo (accident ferroviaire dans lequel un train de la ligne Turin-Milan, a tué cinq ouvriers qui travaillaient sur les rails, le 31 aout 2023, ndlr).

    Dans cette phase de renouvellement de la Convention collective nationale de travail (Ccnl) – arrivée à échéance le 31 décembre 2023 – une assemblée autogérée de conducteurs de train et de chefs de bord s’est mise en place, avec un rôle de premier plan inédit. Cette assemblée a proposé – à travers deux grèves, dont l’une d’une durée de 24 heures, le 23 et le 24 mars, et une participation supérieure à 65 % au niveau national (et des pics à 90 % dans certaines régions) – une plateforme de renouvellement de la Ccnl alternative à celle formulée par les syndicats signataires.

    Une initiative qui ouvre des pistes de réflexion sur la place centrale du #transport_public_ferroviaire dans un monde se voulant plus durable. Un horizon qui rend également possible une convergence avec les revendications des mouvements écologistes. Cette convergence des mouvements sociaux serait en mesure, et ce ne serait pas la première fois, de redonner de la force à une négociation collective affaiblie.

    Nous en avons discuté avec Lorenzo Mobilio, Rsu (Rappresentanza sindacale unitaria) di Napoli-Campi Flegrei et membre de la coordination nationale de l’Union syndicale de base (Usb) qui participe à ce processus d’assemblée.

    La #grève du rail des 23 et 24 mars, d’une durée de 24 heures, n’est pas la première grève du secteur. En novembre 2023, la restriction du droit de grève demandée par le ministre Matteo Salvini avait fait scandale. Elle avait été réitérée en décembre par ordonnance, puis a été récemment annulée par le Tar Lazio (Tribunale amministrativo regionale de Lazio) pour excès de pouvoir. Ce conflit démarre donc dès 2023. Pourriez-vous préciser les processus qui ont conduit à cette grève, et ses implications en termes de participation ?

    Le mouvement de grève actuel dans le secteur ferroviaire est né de la création en septembre 2023 de l’assemblée nationale PdM (personale di macchina, conducteurs de train) et PdB (personale di bordo, personnel de bord).

    En septembre nous avons fait naître cette assemblée et nous avons conçu des étapes intermédiaires, comme un questionnaire qui a reçu plus de 3 000 réponses. À partir de ce questionnaire, nous avons mis en place une plateforme pour recueillir les revendications, puis nous l’avons transmise à tous les syndicats, qu’ils soient ou non signataires. Seuls Confederazione unitaria di base (Cub), Unione sindacale di base (Usb) et Sindacato generale di base (Sgb) ont répondu à l’appel. Chacun de ces syndicats a ensuite créé sa propre plateforme, ainsi que des assemblées autonomes qui ont tenté de négocier pour faire émerger un projet unique, à même de rassembler toutes les sensibilités présentes autour de la table

    L’assemblée du PdM et du PdB, a alors décidé de lancer la première action de grève de 2024, centrée sur le renouvellement de la convention collective nationale. La première grève a donc eu lieu le 12 février et n’a duré que 8 heures, c’est la règle dans le secteur ferroviaire. En revanche les suivantes peuvent durer vingt-quatre heures. Le premier jour de grève a été très suivi, avec une participation de 50 à 55 % dans toute l’Italie. C’est un nombre significatif si l’on considère que la grève avait été lancée par une nouvelle entité (l’assemblée PdM et PdB), déclarée par trois syndicats, et que de nombreux collègues, en vertu de la loi 146/1990 (définissant les règles sur l’exercice du droit de grève dans les services publics essentiels et sur la sauvegarde des droits protégés par la Constitution, ndlr) considèrent la grève comme un outil peu adéquat.

    Après le 12 février, l’objectif de l’assemblée a été de déterminer une nouvelle date pour une grève de 24 heures. Nous avons retenu un jour férié, car il n’y a pas de service minimum à assurer pour les trains régionaux et les trains de marchandises. En revanche, c’est le cas pour les trains interurbains et à grande vitesse, mais avec un service minimum plus réduit par rapport à un jour de semaine. Un choix qui, selon nous, garantirait une plus grande participation, et en effet les chiffres ont été plus élevés que ceux du 12 février. Le taux de participation était de 65 à 70 % sur tout le territoire national, avec des pics à 90 % dans certaines régions, comme la Campanie.

    Les grèves des derniers mois ont déjà produit des résultats. Il est bon de rappeler que les négociations pour le renouvellement de la Ccnl ont débuté en août 2023. Nous avons vu que les syndicats signataires ont commencé à réviser certaines de leurs demandes, en les adaptant – bien qu’encore très partiellement – à ce qui est ressorti de l’assemblée du PdM et du PdB.

    Sur votre plateforme, il est fait référence aux shifts désormais insoutenables que les conducteurs de train et les chefs de bord sont contraints d’effectuer. Il est clair que des shifts fatigants, ou plutôt épuisants, représentent un problème de sécurité non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour les voyageurs. De quoi parle-t-on ?

    Tout d’abord, il est utile de rappeler que les conducteurs de train et les chefs de bord sont justement responsables de la sécurité du trafic ferroviaire et du convoi. Pourtant ces dernières années, l’entreprise nous a considérés uniquement comme des travailleurs à exploiter jusqu’à la limite de la durée du travail établie par la législation européenne. La loi sur la durée du travail et les directives européennes prévoient une durée de travail maximale de 13 heures, avec 11 heures de repos.

    À ce jour, la réglementation établit une durée de travail quotidienne maximale de 10 heures et jusqu’à 11 heures pour les trains de marchandises. Ces derniers temps, l’entreprise a essayé de nous pousser à travailler jusqu’à la limite. En oubliant qu’il fallait veiller à garantir au personnel garant de la sécurité un certain repos physique et psychologique, afin qu’un train puisse circuler en toute sécurité.

    Ils ne tiennent même pas compte du fait que lorsque vous allez dormir hors site, le temps de repos réel est bien inférieur à 8 heures, avec peut-être 5 heures de sommeil effectif.

    Nos shifts se succèdent sur 24 heures, pour une moyenne de 38 heures de travail hebdomadaire. Cela signifie qu’il peut y avoir des semaines au cours desquelles nous travaillons 44 heures, d’autres pendant lesquelles nous travaillons 30 heures, mais nous ne pouvons pas aller en deçà. Malgré ce que déclarent certains ministres, nous n’avons pas de repos le week-end. En réalité, nous avons droit au repos le week-end une seule fois par mois, car il est généralement calculé sur une base de 6 jours travaillés et parfois nous n’avons même pas deux jours de repos complets à la fin de notre service.

    Au fil des années, nos conditions de travail se sont dégradées et les résultats sont visibles : on constate une augmentation des sauts d’arrêt en gare, qui ne sont donc pas desservis, des passages alors que la signalisation est rouge et d’autres symptômes de distraction. Tout cela se produit lorsqu’il n’y a qu’un seul conducteur de train pendant la journée, alors que la nuit, heureusement, il y en a encore deux. Par nuit, nous entendons la plage horaire allant de minuit à 5 heures du matin. Si un train part à 5 heures, il n’y a qu’un seul conducteur, qui pour pouvoir prendre son poste à cette heure-là, se sera certainement réveillé au moins à 3 h 30. Ce shift – étant de jour – peut durer jusqu’à 10 heures et donc, vous vous réveillez à 3h30 du matin en travaillant peut-être jusqu’à 14h00 ou 14h30. De plus, au lieu d’embaucher, l’entreprise préfère avoir recours aux heures supplémentaires.

    En termes d’horaires, nous avons demandé de travailler 36 heures par semaine au lieu de 38. Pour le travail de jour, nous souhaitons la suppression du maximum de 10 heures par jour, contre un maximum de 8. Nous avons prescrit un maximum de 6 heures de travail la nuit – la nuit s’entendant de minuit à 6h00 et non 5h00- avec un nombre maximum de quatre nuits par mois, des périodes de repos hebdomadaires de 58 heures, deux jours complets de repos et un repos entre un shift et le suivant d’une durée de 16 heures contre 14 actuellement.

    Un autre problème à ne pas sous-estimer : les horaires des repas prévoient seulement 30 minutes pour manger, en comptabilisant le temps nécessaire pour se rendre au restaurant en gare. Par conséquent, de nombreux collègues apportent leur propre repas et ne mangent pas sur site. Dans le cadre des revendications, nous avons demandé une augmentation du temps pour se restaurer qui tiennent compte des horaires d’ouverture des restaurants.

    En référence à la question de la sécurité : comme vous le mentionniez, les trains de jour circulent actuellement avec un seul conducteur, une situation qui, ces dernières années, a conduit à une série d’accidents dus à des malaises soudains. Que proposez-vous ?

    Au sujet du double conducteur, il y a eu une vive discussion sur ce qu’il fallait intégrer à la plateforme. Certains proposaient un retour au double conducteur, d’autres étaient partisans de créer une figure intermédiaire entre le conducteur et le chef de bord, qui serait habilitée à conduire. Ces derniers jours, la question de la sécurité est redevenue centrale, car un conducteur a perdu la vie alors qu’il conduisait.

    Je crois qu’il est important de rappeler que le délai pour porter secours aux conducteurs et au personnel de bord en cas de malaise, a été établi par l’entreprise selon les délais généraux qui prévoient l’arrivée d’une ambulance en 8 minutes en ville et dans les centres urbains, en 20 minutes dans les espaces extra-urbains. Ce sont des délais calculés pour des cas fondamentalement différents. En 20 minutes, le temps nécessaire pour sauver un être humain d’une crise cardiaque, il est peu probable qu’une ambulance parvienne à secourir du personnel dans un train situé en dehors d’un centre-ville.

    Pour cette raison, la présence d’un second conducteur ou d’un autre travailleur autorisé à conduire est cruciale, car en cas de malaise cela permettrait au train d’être amené en toute sécurité jusqu’à la gare, sans interruption soudaine et en réduisant les délais d’intervention du personnel médical.

    Toujours sur le plan de la sécurité et du travail, il nous semble important de souligner que l’espérance de vie des conducteurs de train est actuellement, selon diverses études – dont celle menée par l’Université Sapienza de Rome – égale à 64 ans, donc inférieure à l’âge de départ à la retraite fixé à 67 ans. Quels raisonnements avez-vous conduit sur les aspects liés à la sécurité sociale ?

    Ce nombre provient d’une étude réalisée par la revue des conducteurs de train In Marcia, l’Université Sapienza de Rome, la Région Toscane et l’Asl Toscane (Azienda sanitaria locale de Toscane). Cette étude indépendante, publiée en 2010, a révélé que l’espérance de vie des conducteurs de train était, en effet, de 64 ans. Précédemment en tant que catégorie professionnelle, nous avions droit à la retraite à 58 ans. En 2012, avec la loi Fornero, nous avons été regroupés avec toutes les autres catégories. On n’a même pas reconnu la pénibilité de notre travail, ce qui nous aurait octroyé une réduction de trois ans sur l’âge de départ à la retraite.

    Aucun syndicat n’a appelé à la grève en 2012. De ce fait, depuis il n’y a pas eu d’évolution, la pénibilité de notre travail n’a pas été reconnue et la loi nous permettant de prendre notre retraite à 58 ans n’a pas été rétablie. Aucun gouvernement n’a pris en charge ces questions. Notre exigence – minimale, nous tenons à le préciser – est d’entrer dans la catégorie des métiers pénibles.

    Qu’en est-il du versant économique de la #convention_collective ?

    Sur l’aspect de la #rémunération, nous n’avons pas voulu porter de revendications excessives. Nous avons déjà vécu des renouvellements contractuels avec des syndicats qui, avant la hausse de l’inflation, sont restés sur des augmentations barémiques du salaire minimum de l’ordre de 30 euros bruts par mois. Cependant, la rémunération des conducteurs de train et des chefs de bord se compose de nombreux éléments supplémentaires (et variables, ndlr), ce qu’on appelle les compétences complémentaires, qui une fois additionnées, créent une différence pouvant atteindre 500 euros par mois.

    En réalité, ces compétences complémentaires stagnent depuis près de vingt ans : elles n’ont été ni augmentées ni réévaluées avec l’inflation. Alors que d’autres entreprises, y compris semi-publiques, ont appliqué des augmentations et des ajustements à l’inflation, sans passer par un renouvellement contractuel. Nous n’avons rien eu de tout cela et, bien qu’il y ait une renégociation de la convention en cours qui dure depuis août 2023, ni les syndicats signataires ni l’entreprise n’ont encore parlé de rémunération

    Cela peut sembler être une grosse somme, mais ces compétences font partie de notre salaire et n’ont pas été ajustées depuis vingt ans. C’est le minimum qu’on est en droit d’exiger.

    Les transports publics sont également au cœur des revendications des mouvements écologistes, qui demandent d’y investir beaucoup plus de ressources, notamment en raison des effets positifs sur l’emploi « vert ». En Italie pour tout le secteur, filière industrielle comprise, une étude de Cassa Depositi e Prestiti (Caisse des Dépôts et Consignations) estime un potentiel de 110 000 emplois par an. Les mobilisations de ces mouvements dans des pays comme l’Allemagne les ont amenés à se joindre aux syndicats – notamment avec Ver.di, le premier syndicat du secteur des services – pour le renouvellement des conventions collectives. Partagez-vous l’idée d’un lien étroit entre les transports publics et la transition écologique et pensez-vous qu’une convergence de deux luttes différentes -seulement en apparence­- pourrait servir les deux causes ?

    Nous pensons que le transport ferroviaire pourrait avoir un impact très positif sur l’environnement, en particulier le transport de marchandises, car on peut encourager le transport ferroviaire de marchandises, ce qui réduirait le fret routier. Ce n’est pas ce à quoi on assiste. Il y a encore trop peu d’entreprises dans ce domaine, qui par ailleurs entrent sur le marché avec la même logique de réaliser du profit sur le dos des travailleurs, avec une réglementation moins exigeante que la nôtre.

    Pour le transport de passagers, il est tout aussi important de réaliser des investissements afin de diminuer le nombre de voitures sur les routes, mais dans des régions comme la Campanie, la Sicile, la Sardaigne, etc. nous connaissons le mauvais état du réseau ferroviaire – on pense de manière complètement irrationnelle à construire des infrastructures à la fois nuisibles à l’environnement et inutiles dans l’état actuel des chemins de fer siciliens, comme le pont sur le détroit (projet de pont suspendu sur le détroit de Messine visant à relier la Sicile et la Calabre, ndlr).

    En tant qu’Usb, notre plateforme est plus large que celle de l’assemblée. Parmi nos revendications figure la protection de la fonction du service ferroviaire en tant que service public.

    « Cela signifie investir des ressources dans des zones où il n’y a aucun retour économique : quand votre priorité est d’assurer une mission de service public, vous dépensez cet argent quand même. »

    Lorsque le secteur ferroviaire est orienté vers la privatisation, la gestion privée devient incompatible avec une logique de service public et d’écologie. Le privé essaie d’économiser là où il le peut, en heures de travail, en sécurité, et exprime en amont une préférence pour le transport routier parce qu’il coûte moins cher. Pour l’Usb il pourrait donc facilement y avoir cette convergence. Dans nos revendications, elle existe déjà implicitement. Les opportunités futures ne manqueront pas pour l’expliciter et la mettre en œuvre.

    https://lvsl.fr/italie-quand-le-profit-fait-derailler-les-trains
    #transport_ferroviaire #Italie #trains #infrastructure

  • Covid-19 : ces consultants au cœur de la « défaillance organisée » de l’État - Basta !
    https://www.bastamag.net/Gestion-de-crise-McKinsey-Capgemini-Boston-Consulting-Group-lobbying-RGPP

    Après avoir accompagné et encouragé la réduction du nombre de personnels et la soumission de l’hôpital public aux contraintes gestionnaires, les grands cabinets de conseil – Boston Consulting Group, Capgemini, McKinsey… – se sont assuré un rôle clé auprès du pouvoir exécutif et de l’administration pour façonner la réponse à la crise sanitaire.

    Ce sont des acteurs méconnus de la gestion de l’épidémie du Covid-19. On les retrouve partout : auprès des hôpitaux et des autorités de santé pour les conseiller sur leur organisation, auprès du pouvoir exécutif pour aider à mettre en place le confinement et le déconfinement et à faire face à l’urgence et aux pénuries, auprès du ministère de l’Économie aujourd’hui pour flécher les aides aux entreprises et contribuer à l’élaboration des plans de relance. C’est l’un des grands enseignements du rapport « Lobbying : l’épidémie cachée » que l’Observatoire des multinationales a publié le 3 juin en partenariat avec les Amis de la Terre France.
    https://multinationales.org/Lobbying-l-epidemie-cachee

    « Ils », ce sont le grands cabinets de conseil en gestion : McKinsey basé à New York, Boston Consulting Group (BCG) et Bain à Boston, Accenture à Dublin, Roland Berger à Munich, Capgemini à Paris, ou encore Strategy& (ex Booz, appartenant aujourd’hui à PwC) et Parthenon (filiale d’Ernst & Young). Leur rôle est de conseiller leurs clients – des entreprises, des institutions publiques et privées, et même des États - sur leur stratégie et leur organisation.

    On pourrait les comparer aux « Big Four » de l’audit et de la comptabilité - PwC, Ernst & Young, KPMG et Deloitte –
    https://multinationales.org/Les-grands-cabinets-d-audit-moteurs-de-la-financiarisation-et-de-l-
    auxquels ils sont parfois directement liés. Travaillant comme ces derniers à la fois pour le public et – surtout – pour le privé, ils contribuent à aligner le premier sur le fonctionnement et la vision de monde du second. Très impliqués dans la « révision générale des politiques publiques » de Nicolas Sarkozy, puis dans la « modernisation de l’action publique » de François Hollande, aujourd’hui dans la « transformation de l’action publique » d’Emmanuel Macron, ils sont à la fois les artisans et les profiteurs de la « réforme de l’État », selon l’euphémisme en vigueur pour désigner les politiques de réduction du nombre de fonctionnaires et de repli du secteur public. C’est-à-dire ces politiques mêmes qui apparaissent aujourd’hui comme l’une des principales causes des carences constatées face au Covid-19.

    Quand les consultants organisent la réponse à l’épidémie

    Un exemple, relaté par Mediapart, résume à lui seul le problème. L’un des principaux acteurs de la réforme de l’État depuis des années, le cabinet McKinsey, a été mobilisé en plein pic épidémique pour aider à mettre en place une task force interministérielle en vue du déploiement de tests sur le territoire français. Cette task force a rapidement confié une mission d’évaluation des capacités des laboratoires français à... une autre firme de conseil, Bain. Pendant ce temps, des dizaines de laboratoires publics et privés qui avaient offert leurs services dès le début de la crise attendaient, incrédules, que le gouvernement veuille bien leur répondre. Bref, les firmes qui ont accompagné les politiques d’austérité et de suppressions d’emploi dans la fonction publique se voient aujourd’hui confier la mission de pallier les défaillances qui en résultent. Les résultats ne semblent pas, en l’occurrence, très probants.

    D’après le site spécialisé Consultor, les cabinets ont été très sollicités pendant l’épidémie et ont eux-mêmes volontairement offert leurs services. On les retrouve auprès des hôpitaux parisiens de l’APHP (BCG et Roland Berger), du ministère de la Santé (Strategy& et Bain), et de celui de l’Économie (Roland Berger, EY-Parthenon et Strategy&). Leur rôle auprès de Bercy ? Aider à identifier les vulnérabilités dans l’industrie, élaborer les plans de relance, soutenir les PME, aider à gérer les achats de l’État, mettre en place les conditions d’une plus grande « souveraineté économique »

    Certaines de ces missions semblent avoir été réalisées gratuitement (peut-être pour maintenir les bonnes relations), d’autres ont été rémunérées. Une grande opacité règne sur ces contrats de conseil et leurs tarifs. Ils ne doivent être déclarés qu’à partir d’un certain seuil, et restent pour partie éparpillés entre différentes administrations. On ne dispose donc pas d’un chiffre global sur les montants dépensés chaque année par l’État pour s’acheter les services de ces consultants. D’après les informations recueillies et les estimations de la Cour des comptes, il s’agit pourtant de centaines de millions d’euros. La teneur des « conseils » ainsi livrés à l’État est, elle-aussi, rarement rendue publique.

    #santé_publique #hôpital #cabinets_de_conseil_en_gestion #consultants #Ecole_des_hautes_études_en_santé_publique #économie #RGPP #politiques_publiques #lean_management #management #restructuration_permanente #réforme_de_l’État #réduction_des_coûts #gestionnite #T2A

    • Plus Gala/ENA/HEC, et sans l’Observatoire des multinationales : Des restructurations au coronavirus, l’apport controversé des cabinets de consulting à l’hôpital, Samuel Laurent

      https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/06/05/des-restructurations-au-covid-19-l-apport-controverse-des-cabinets-de-consul

      Durant une décennie, des sociétés comme Capgemini ont accompagné les réductions de lits et les plans d’économies. Le coronavirus leur a donné un nouveau terrain d’exercice.


      AUREL

      « Nous vivons et travaillons dans une période sans précédent » , constate Capgemini sur la page d’accueil de son site. Et le groupe français, leader du consulting dans l’Hexagone avec 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, s’est adapté. Il multiplie les initiatives et il les affiche.

      La société fait partie des groupes qui ont été sélectionnés pour le développement de la fameuse application de « tracking » StopCovid, qui permet de référencer les malades et leurs contacts. Elle a déjà réalisé une application de suivi à domicile pour les patients, Covidom, développée avec l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (#AP-HP).

      Capgemini a aussi mis sur pied durant la crise, toujours pour l’AP-HP, un centre d’appels dédié pour « accélérer le processus de mobilisation des professionnels de santé d’Ile-de-France » . La société réalise aussi de l’analyse de données pour l’Institut Pasteur ou encore une prestation de services auprès de la centrale d’achats hospitaliers RESAH pour « sécuriser les approvisionnements » en masques et autres matériels médicaux cruciaux.

      Ce volontarisme fait grincer des dents chez quelques anciens du groupe, pour qui l’entreprise vient au secours d’hôpitaux dont elle a bien souvent contribué par le passé à réduire les moyens. « On demande à ces personnes de venir résoudre des problèmes qu’elles ont souvent contribué à créer » , résume un ancien consultant.

      « La stratégie de Pénélope »

      Durant une décennie en effet, Capgemini fut, avec d’autres gros cabinets de consulting, une cheville ouvrière de la « transformation » et de la « modernisation » du secteur hospitalier, auquel il proposait ses services pour y appliquer le « lean management » : la réduction des coûts à tous les échelons. « On appelle les mêmes pour faire une chose et ensuite faire son contraire, c’est la stratégie de Pénélope, on tricote puis on détricote » , s’amuse le sociologue des organisations François Dupuy [ou viennent mourir les assoiffés, ndc]. Sollicité par Le Monde, le groupe Capgemini n’a pas souhaité nous répondre : « Il nous est difficile de nous exprimer à la place de nos clients. »

      Cette omniprésence « pose question » , estime Anne Meunier, secrétaire générale du Syncass-CFDT, qui représente les personnels des directions hospitalières, qui a « toujours connu des cabinets de consultants dans le paysage ; leur essor correspond à l’enchaînement des réformes depuis quinze ans. » Pour elle, « les nouvelles techniques de management » imposées pour accompagner les politiques de réduction des coûts sont « très gourmandes en consulting » .

      Le français Capgemini s’est fait une spécialité d’accompagner les hôpitaux dans le cadre de plans de retour à l’équilibre financier, souvent exigés par les Agences régionales de santé (#ARS) en contrepartie d’aide ou de modernisation.

      « Poussés par l’évolution des soins, la démographie médicale et la contrainte financière grandissante qui pèse sur eux, les hôpitaux sont engagés dans de multiples projets de développement ou de restructuration de leur offre de soins : communautés hospitalières de territoire, fusions d’établissements, redéfinition des périmètres de pôles, optimisation d’activités cliniques et médico-technique, etc. » , note l’entreprise dès 2010 dans un document sur la « conduite des projets de transformation à l’hôpital » .

      Le jugement sévère de la Cour des comptes

      Les mises en place, en 1996, de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (#Ondam), de la « tarification à l’activité » renforcée, en 2007, puis de la loi Hôpital patients santé territoires de 2009, qui a créé les ARS, sont autant d’étapes politiques et administratives au service d’une cause : limiter les dépenses de santé.

      Dès 2008, Capgemini qui, selon d’anciens consultants, mettait volontiers en avant « son savoir-faire et sa connaissance des interlocuteurs au ministère » , et particulièrement la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), se voit confier une mission d’ « assistance à la maîtrise d’ouvrage » pour accompagner la création des ARS. Un rôle national qui n’empêche pas la même société de se positionner également sur des marchés plus locaux.

      En 2018, la Cour des comptes se livrait à une synthèse sévère sur cette pratique, « désormais répandue au sein de tous les établissements publics de santé » et qui concerne « la quasi-totalité de l’activité de gestion hospitalière, aussi bien dans les domaines financier, juridique, stratégique, managérial, d’organisation, de ressources humaines que d’investissement » .

      La Cour critique des missions qui « ne donnent que rarement des résultats à la hauteur des prestations attendues. Les études financières sont peu approfondies et leurs appréciations parfois erronées. (…) En matière de conseil stratégique, la qualité des travaux est souvent faible, les préconisations très générales et laconiques et les livrables peu satisfaisants ». Pire encore, « ces nombreux contrats de conseil appauvrissent les compétences internes au sein des établissements, (…) qui parviennent de moins en moins à assurer leur rôle essentiel de maître d’ouvrage, dans la conduite de ces marchés ».

      « Tableaux Excel et diaporamas »

      « On veut bien faire dans toute la chaîne en se faisant aider, et on auto-alimente le système » , estime Mme Meunier, ce qui crée parfois des « rentes de situation » pour les cabinets de consulting, sollicités à la fois pour aider à concevoir des plans de réduction des coûts et pour mettre en place des stratégies d’optimisation de la tarification à l’activité.

      « On est focalisés sur le taux de marge brut des établissements, seul indicateur de performance. Il faut dégager des recettes, donc trouver de l’activité et faire pression sur la masse salariale. Enormément de cabinets de consulting sont mobilisés là-dessus. »

      Nancy est un cas emblématique : mi-2019, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de la ville obtient la mise en place d’un plan de réorganisation massif, validé par le Comité interministériel de performance et de modernisation de l’offre de soins (Copermo).

      Ce plan, qui succède à des années de mesures d’économies, prévoit un effacement de la dette du CHRU ainsi que près d’un demi-milliard d’euros d’investissements venus de l’ARS du Grand Est, principalement dédiés au regroupement des activités hospitalières de la ville sur un seul site. Mais cet investissement a une contrepartie : une réduction de la capacité d’accueil de 174 lits et le non-remplacement de départs en retraite, aboutissant à la suppression de près de 600 postes. Parmi les concepteurs de ce plan de réorganisation, on trouve le cabinet Capgemini Invent Santé, qui s’est fait une spécialité d’obtenir les validations du Copermo.

      Bernard Dupont, directeur du CHRU de Nancy, n’a pas gardé que des bons souvenirs des consultants. Il relate ainsi une intervention de Capgemini en 2015-2016 pour une mission visant à rationaliser l’achat de médicaments : « L’équipe n’était pas terrible, on a fini par les mettre dehors. » Mais Capgemini revient deux ans plus tard, missionné par l’ARS pour accompagner le plan de réorganisation.
      « Ils arrivent avec partout les mêmes tableaux Excel, les mêmes diaporamas, mais ils connaissent mal la réalité du terrain », regrette le directeur, pour qui « on finit par avoir ces boîtes qui ne sont responsables devant personne, mais qui définissent le bon nombre de lits ». « Qu’on se fasse aider, c’est parfois intéressant, cela offre un regard extérieur , poursuit M. Dupont, mais ce qui me gêne, c’est que les consultants finissent par définir la politique publique. »

      Porosités entre public et privé

      Le directeur d’hôpital évoque aussi les « cercles incestueux » entre Agences régionales de santé, ministère, directions hospitalières et sociétés de consulting. Nombre de consultants dans le domaine hospitalier sont ainsi passés par des formations publiques, comme l’Ecole des hautes études en santé publique.

      Le parcours d’Etienne Grass, actuel vice-président exécutif de l’équipe « services aux citoyens » de Capgemini Consulting, est exemplaire de ces porosités : M. Grass fut un camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA, avant d’occuper plusieurs postes dans des cabinets ministériels, notamment auprès de Martin Hirsch, ancien Haut-Commissaire aux solidarités actives et actuel directeur de l’AP-HP. En 2015, M. Grass est nommé dans son sillage directeur de la stratégie de l’AP-HP, un poste qu’il quittera deux ans plus tard pour intégrer Capgemini. Sollicité par Le Monde , ce dernier n’a pas souhaité nous répondre, se contentant de préciser : « Nous réalisons de nombreuses missions pour les acteurs du système de santé, mais notre apport est principalement sur le digital, pas en “rationalisation”. »

      A l’inverse, Philippe Grangeon, ex-directeur de la communication de Capgemini et membre du comité directeur de La République en marche, a rejoint l’Elysée fin 2018 comme conseiller spécial [Sur la réforme des retraites, entre autres, ndc]. Autant de liens de proximité qui aident Capgemini à assurer le succès des plans de réorganisation auxquels la société participe.

      « Quand les boîtes de conseil viennent nous voir, elles nous disent qu’elles connaissent tel ou tel à la DGOS. On reçoit aussi des invitations à des séminaires de ces sociétés de conseil où l’on retrouve des gens des ministères, regrette M. Dupont. Tout cela crée un microcosme de gens qui pensent la même chose et finissent par créer une sorte de #doctrine. »

      Faut-il bannir les consultants de l’hôpital ? Le sociologue François Dupuy est plus nuancé : « Le problème n’est pas qu’ils aillent trop loin, ils font ce qu’on leur demande. Ce sont ceux qui pilotent ces consultants qui sont à blâmer. » Pour lui, « ces grands cabinets de conseil ont une fonction de légitimation, ils permettent d’évacuer sa propre responsabilité derrière un nom connu. Les organisations achètent cette légitimation autant qu’elles achètent du conseil » .

      #coast_killers #managers

  • Quand les Japonais choisissent leurs camarades... de tombe | Geopolis
    http://geopolis.francetvinfo.fr/quand-les-japonais-choisissent-leurs-camarades-de-tombe-38285
    http://geopolis.francetvinfo.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/2014/07/Japon-cimeti-re.jpg?itok=fEWaoUvV

    Choisir de son vivant ses « camarades de cimetière » : c’est ce que font certains Japonais voulant s’éviter le coût exorbitant d’une stèle familiale. Pour mieux vivre la mort ensemble, ils entretiennent des relations avec des inconnus et apprennent à se connaître, notamment au sein d’un club, le « Moyainokai », qui organise des excursions à la campagne ou des sessions de lecture en groupe.

    Ils sont bien vivants, mais ont choisi de vivre l’éternité collectivement. Kumiko Kano est une septuagénaire de Tokyo qui, avec son mari, a opté pour cette solution il y a une dizaine d’années. « Quand mon époux a vu l’argent que son frère aîné engloutissait pour les pierres tombales familiales, on a décidé ensemble qu’on n’avait pas besoin de ça, et qu’on ne voulait pas faire supporter une telle charge à nos enfants », raconte-t-elle.

    Dans le cimetière de Sugamo, dans le nord-est de la capitale, Kumiko se recueille, les mains jointes, face à un long mur de marbre gris foncé brillant sur lequel sont gravés des milliers de noms. C’est la tombe collective où son mari repose depuis 2008 avec 3.000 « voisins ». Et il y a de la place pour 6.000 défunts.

    Pour mieux choisir ses futurs voisins de l’au-delà, Kumiko est membre d’un drôle de club : le Moyainokai, littéralement « travailler ensemble », qui organise des excursions à la campagne ou des activités en groupe comme des sessions de lectures......

    #économie
    #Japon
    #camarades_de_cimetière
    #coût ( exorbitant )
    #réduction_des_coûts
    #éternité_collective