• La « troisième voie » du gouvernement français, un pari risqué pour contrôler l’épidémie de Covid-19
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/24/la-troisieme-voie-du-gouvernement-francais-un-pari-risque-pour-controler-l-e

    Pour les épidémiologistes, la campagne vaccinale ne va pas assez vite dans un contexte épidémique inquiétant.

    « Freiner sans enfermer », « Dedans avec les miens, dehors en citoyen »… Les éléments de langage du gouvernement pour décrire les nouvelles mesures appliquées depuis le 20 mars pour maîtriser l’épidémie de Covid-19 en France sont à l’image du manque de lisibilité de la stratégie actuelle. A trop vouloir ménager l’ensemble des acteurs de la crise, le risque est de n’obtenir aucun résultat satisfaisant sur le plan sanitaire, craignent les épidémiologistes. « Il est difficile de prendre des décisions qui soient comprises de tous, et on obtient des solutions qui ne satisfont personne », résume Yves Buisson, président de la cellule Covid-19 de l’Académie nationale de médecine.

    La stratégie actuelle de la « troisième voie », pour reprendre la formule du chef du gouvernement, Jean Castex, ne répond à aucune des trois options recommandées par les épidémiologistes – le « vivre avec », la circulation minimale ou le « zéro Covid ». « Le gouvernement français n’a pas de stratégie explicite : on ne sait pas où il veut aller », analyse Antoine Flahault, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale (université de Genève). A la fin octobre 2020, le président Macron affichait pourtant un objectif clair : atteindre une circulation minimale du virus en atteignant la barre des cinq mille nouveaux cas de contamination quotidiens. « Sauf qu’on n’y est jamais arrivé, et cet objectif est depuis passé à la trappe », rappelle l’épidémiologiste.

    Le cas de la France n’est pas une exception en Europe. Si les Britanniques, les Irlandais et les Portugais connaissent une forte décrue épidémique après des mesures de confinement strict et prolongé, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Belgique ou encore au Danemark, « on a un peu partout des dirigeants dans un entre-deux, qui n’est plus le “vivre avec”, mais pas encore la circulation minimale », observe le professeur Flahault.

    La situation épidémique a pourtant de quoi inquiéter. Au niveau national, le taux d’incidence est de 308 nouvelles contaminations pour 100 000 habitants par semaine, avec une forte hétérogénéité territoriale. La plupart des départements d’Ile-de-France et des Hauts-de-France dépassent les 400 et la Seine-Saint-Denis, particulièrement, connaît un pic à 693. Donnée inquiétante, le taux d’incidence des plus de 80 ans repart légèrement à la hausse après des semaines de baisse dues en partie à l’impact de la vaccination chez cette population prioritaire.

    • Avec le variant britannique, « une nouvelle épidémie est née »

      « Aujourd’hui, la situation sanitaire en Ile-de-France est comparable à celle de la deuxième vague, mais en pire : le taux d’hospitalisation depuis les urgences sur les pathologies habituelles hors Covid est élevé, l’épuisement des équipes est également plus important, et il n’y a pas de renforts en provenance de la province, explique Renaud Piarroux, épidémiologiste à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Par ailleurs, avec le variant britannique, les transferts sont souvent impossibles, car les malades sont très instables. »

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      Cette tension à l’hôpital risque de durer, car les gens qui se contaminent aujourd’hui pourraient se retrouver en réanimation dans les trois à quatre prochaines semaines. « On s’attend à ce que la situation hospitalière soit plus compliquée à gérer que lors des deux premiers confinements », anticipe le docteur Piarroux, regrettant que le gouvernement n’ait pas pris de décision plus tôt : « Il aurait fallu freiner fort en janvier avec un confinement, allonger les vacances d’hiver et imposer le #télétravail chaque fois que possible. »

      Le tableau actuel est également très noir pour Arnaud Fontanet. Membre du conseil scientifique, il a plaidé, mardi, sur BFM-TV, pour une extension à de nouvelles régions des mesures de restriction prises dans les seize départements reconfinés. « Ces mesures seraient très pertinentes dans des régions qui, aujourd’hui, sont encore dans un état à peu près maîtrisé, mais qui, d’ici trois à quatre semaines (…), vont se retrouver dans une situation critique », estime l’épidémiologiste de l’Institut Pasteur.

      « Le variant anglais a complètement changé la donne, avec sa transmissibilité et sa létalité accrues (…), une nouvelle épidémie est née », estime M. Fontanet. Selon lui, ce variant représentera « 90 % [des nouveaux cas] fin mars, 100 % en avril »_ [c’est déjà 100% dans le 93, ndc]. Pour le moment, il en représente plus des trois quarts (75,9 %, selon les chiffres de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France, portant sur la période du 13 au 19 mars).

      Le pari de la vaccination

      Désormais, au-delà des mesures de restriction, l’exécutif parie avant tout sur la vaccination pour espérer parvenir à une situation d’équilibre au cours du printemps. Le ministère de la santé espère passer le cap des 400 000 injections par jour à la fin de la semaine, afin d’atteindre l’objectif des dix millions d’adultes ayant reçu au moins une dose de vaccin d’ici à la mi-avril. Et ce, malgré les retards de livraison d’ores et déjà annoncés par AstraZeneca, qui n’aura, au mois de mars, honoré qu’un quart des volumes de doses prévus dans son contrat avec les Etats membres de l’Union européenne.
      Pour le moment, la couverture vaccinale n’est pas encore suffisante pour espérer réduire massivement les hospitalisations. Au 22 mars, 9,5 % de la population totale a reçu au moins une injection et 3,7 % les deux, selon le ministère de la santé.

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      « On réclame depuis longtemps d’accélérer la #campagne_vaccinale, car c’est grâce à la vaccination qu’on pourra sortir de l’épidémie. Mais cette stratégie seule ne suffit pas, il faut aussi contenir les contaminations », plaide Mylène Ogliastro, vice-présidente de la Société française de virologie. « Si on lâche la pression sur la maîtrise des contaminations, on crée des circonstances favorables à l’émergence de nouveaux #variants_résistant aux vaccins », explique la virologue. Les virus suivent en effet les lois de l’évolution des espèces : ils mutent en permanence, et certaines de ces variations peuvent se révéler avantageuses, favorisant leur résistance ou leur reproduction.

      « Si un confinement strict se met en œuvre en France, on a la possibilité de revenir à un été serein, mais, pour ça, il faudrait avoir une stratégie autre que celle de contenir l’épidémie bon an mal an, et des objectifs clairs », acquiesce le professeur Flahault.

      « D’abord une responsabilité individuelle »

      « Ce qui est compliqué, c’est le timing », complète Rodolphe Thiébaut [l’idiot utile de l’article, ndc], professeur de santé publique à Bordeaux. Sous-entendu, plus on attend, plus cela nécessitera que les restrictions soient fortes. La stratégie actuelle est donc « risquée » si on se place au seul plan du contrôle de l’épidémie, mais imposer un confinement strict à une population lasse et épuisée psychologiquement au bout d’un an, « est plus difficile et plus complexe » [L’habituelle légitimation du "pari" par l’opinion]
      .
      « On revient à cette nécessité de compréhension et de pédagogie où c’est d’abord une responsabilité individuelle et de bon sens de chaque citoyen. Et il n’y a sans doute rien de plus difficile… », souligne l’épidémiologiste. D’où le choix du gouvernement de recourir à ce que le professeur Thiébaut et ses confrères nomment une « santé publique de précision », en confinant certains territoires, mais pas d’autres.

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      Il faudra encore attendre quelques semaines avant de savoir si le pari du gouvernement sera payant, selon Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistique à l’Ecole des hautes études en santé publique, à Rennes. _« On ne mise pas que sur le confinement. L’arrivée des beaux jours et l’avancée de la vaccination vont peut-être compenser la moindre efficacité de ce confinement. Il faut attendre deux à trois semaines pour voir si l’incidence continue d’augmenter », conclut-il.

      Ce soir ça claironne que, oui, il faut être dehors mais les rassemblement de plus de 6 personnes sont interdits. On va pouvoir montrer que c’est pas le bordel, non mais ! et distribuer des amendes.

      Pour ce qui est de la « pédagogie » et de la « compréhension », on a toujours pas entendu ou lu le mot aérosol ailleurs qu’à la marge (experte ou non).

      #covid-19 #crise-sanitaire #pari

    • L’épidémie de Covid-19 ne fait qu’empirer, mettant en péril la « troisième voie » d’Emmanuel Macron
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/24/la-troisieme-voie-d-emmanuel-macron-menacee-par-la-saturation-des-reanimatio

      Jean Castex a reconnu que la possibilité existe de « durcir » les mesures « en fonction de l’évolution de la pandémie » et de la saturation des hôpitaux. Une évolution devrait être décidée jeudi : l’élargissement des restrictions à l’Aube, le Rhône et la Nièvre.

      Jean-François Delfraissy fuit les médias depuis qu’il a recommandé en vain, fin janvier, de recourir à un nouveau confinement national. Après coup, le président du conseil scientifique soupirait devant un proche : « Chaque mot que je prononce, en ce moment, c’est une tuerie… » « Si nous continuons sans rien faire de plus, nous allons nous retrouver dans une situation extrêmement difficile, comme les autres pays[Le Vietnam ?], dès la mi-mars » , alertait alors l’immunologiste, qui se montrait inquiet de la diffusion du variant britannique du Covid-19, plus contagieux que la souche originelle du virus. Une sortie publique qui avait suscité la polémique, Emmanuel Macron souhaitant à tout prix éviter de remettre la France sous cloche.

      Les graphiques : comment les contaminations évoluent-elles dans votre département ?

      Près de deux mois plus tard, pourtant, « les faits lui donnent totalement raison », estime le sénateur écologiste de Paris Bernard Jomier, président de la mission d’information du Palais du Luxembourg sur la gestion de la crise sanitaire. « L’exécutif l’a dénigré et a écarté ses préconisations », a regretté l’élu dans un tweet, le 18 mars. C’était au soir de l’annonce du premier ministre, Jean Castex, d’un confinement allégé dans 16 départements pour répondre à ce qu’il qualifie de « troisième vague ». Depuis, la situation ne fait qu’empirer, mettant en péril la « troisième voie » du gouvernement, dont l’objectif est de « freiner sans enfermer ».

      Lire notre récit : « C’est kafkaïen » : dans les coulisses du cafouillage au sommet de l’Etat sur le « vrai-faux » confinement

      Mercredi 24 mars, le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, a envoyé un courriel au ton alarmiste à ses équipes. « Nous n’avions pas connu un nombre d’entrées [dans les services de l’AP-HP] aussi haut en vingt-quatre heures depuis la première vague », a-t-il souligné dans ce message, rendu public sur le compte Twitter de l’institution [673 admissions hier : https://seenthis.net/messages/907670#message907861].

      Avec plus de 4 600 patients placés en réanimation au total, la France se rapproche du pic de la deuxième vague, qui était de 4 903 malades, le 16 novembre 2020. « Nous ne tiendrons pas longtemps à ce rythme ou pire s’il continue de s’accélérer. Je ne vois pas d’autres options qu’un vrai confinement », a prévenu, mercredi, Rémi Salomon, président de la commission médicale de l’AP-HP. « On est dans le mur. Il fallait freiner avant. C’est plein comme un œuf. Le prochain mois va être infernal », a déploré, pour sa part, sur France Inter, Jean-François Timsit, chef du service de réanimation de l’hôpital Bichat, à Paris.

      Après avoir indiqué pendant des mois qu’il voulait à tout prix préserver de l’engorgement les services de réanimation, l’exécutif compte aujourd’hui se laisser un peu de temps avant de recourir à un éventuel tour de vis supplémentaire. « On a besoin de quinze jours pour vérifier si les mesures prises sont efficaces sur les territoires concernés », a soutenu Emmanuel Macron, mardi, lors d’un déplacement à Valenciennes (Nord). Recours au télétravail [Ou ça ? ndc], limitation des rassemblements privés à son domicile… « Si ces mesures sont pleinement appliquées, elles auront un effet », a voulu croire le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, qui s’est exprimé, mercredi midi, à l’issue du conseil des ministres.


      YOAN VALAT / EPA VIA AFP

      « Pas de totem » [quand au nombre de malades et de morts, juste quelques tabous dont l’aérosolisation]

      Au cours de l’après-midi, Jean Castex a néanmoins évoqué la possibilité de « durcir » [contre qui cette fois ?] les mesures « en fonction de l’évolution de la pandémie ». « Nous avons un devoir de nous adapter, comme nous l’avons toujours fait », [sic] a assuré le premier ministre lors des questions au gouvernement au Sénat, évoquant « une troisième vague particulièrement violente ». (...) Le ministère de l’intérieur a par ailleurs rappelé que les rassemblements de plus de six personnes en extérieur sont interdits sur tout le territoire sauf dans certaines situations comme les manifestations déclarées par exemple, mais l’interdiction est stricte dans les 16 départements en très forte tension virale.

      Reste une question cruciale en suspens, celle des écoles. Depuis plusieurs jours, le nombre de contaminations explose dans les établissements scolaires, posant l’éventualité de nouvelles restrictions, voire d’une fermeture pure et simple. « Nous n’excluons pas que les écoles doivent refermer », a affirmé Gabriel Attal, mercredi, dans un entretien au quotidien régional L’Union. « Tout est possible, pas de totem », confirme un conseiller de l’exécutif. Une telle décision représenterait un véritable camouflet pour le chef de l’Etat, qui a fait du maintien de l’ouverture des écoles un marqueur politique dans sa gestion de la crise sanitaire. « Tout est toujours possible mais ce n’est pas le choix que l’on fait là », élude un proche de M. Macron.

      Pendant ce temps-là, Jean-François Delfraissy est sorti de sa réserve : il était interrogé, mercredi matin, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en vue de son renouvellement comme président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Ce qui ne l’a pas empêché de prendre un détour par la case Covid-19, ce « virus qui nous domine », selon lui. « Cette crise n’est pas finie. Les vaccins vont nous sortir en partie de cela, pas complètement. On a une vision d’atterrissage qui pourrait être l’été » [létale ?], a-t-il estimé, avant de se montrer pessimiste sur l’état moral d’une société secouée par un an de pandémie : « Fondamentalement, ce qui nous manque en ce moment, c’est le climat de confiance. La confiance vis-à-vis de la science, vis-à-vis du politique. » Et peut-être, aussi, entre la science et le politique.

      Entre l’accélération de la circulation du virus et l’arrivée des test dans les écoles, voilà qu’ils finissent par trébucher grave sur le "cas mouflets" :

      Delphine_V*, TZR un jour, TZR toujours. Prof d’HG lancée dans la coopération, académie de Versailles. Passionnée et curieuse de tout. #ICEM #HG2DPF, touiteur

      Hier c’était journée dépistage au collège. Aujourd’hui c’est fermeture.

    • Oui, c’est ce qui se dit par ailleurs, notamment suite à la « fuite » de Guérini qui se serait indigné que Blanquer ait menti sur les chiffres des tests. D’aucuns en concluent que Blanquer va prochainement servir de fusible.

    • « L’équivalent d’un crash d’avion chaque soir » : les morts du Covid-19 s’accumulent, l’indifférence s’installe
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/25/covid-19-les-morts-s-accumulent-l-indifference-s-installe_6074385_3232.html

      Le coronavirus aura bientôt tué 100 000 personnes en France. Pourtant, le gouvernement ne veut pas prendre de mesures trop strictes, et n’agit que dos au mur. Un consensus inavoué s’est instauré pour tolérer des centaines de décès quotidiens.

      Analyse. C’est une sorte de mystère. Depuis le début du mois de décembre 2020, l’épidémie de Covid-19, qui s’était un peu calmée, est repartie de plus belle, en particulier en région parisienne. En trois mois et demi, le nombre de nouveaux cas recensés sur sept jours y est passé de 100 à 560 pour 100 000 habitants. Au fil des semaines, tous les seuils d’alerte ont été franchis. L’Ile-de-France est devenue la région où le virus circule le plus activement. Les hôpitaux sont saturés. Les services de réanimation débordent. Les morts s’accumulent. Bientôt près de 100 000 dans l’ensemble du pays depuis l’apparition du virus, selon les chiffres officiels.

      Et pourtant, rien ne se passe, ou si peu. Le dos au mur, Jean Castex a fini par annoncer, jeudi 18 mars, de nouvelles mesures de freinage dans les 16 départements les plus touchés, dont toute l’Ile-de-France et les Hauts-de-France. Trois départements ont été ajoutés mercredi 24 mars. Mais à peine le premier ministre avait-il achevé sa déclaration au ton grave que les Français réalisaient à quel point le tour de vis était en réalité modeste. Cette fois-ci, pas de « confinement », mot récusé par le gouvernement. Pas de télétravail obligatoire, pas de fermeture des écoles ni des lycées, pas d’obligation de rester chez soi, pas d’attestation nécessaire pour sortir dans la plupart des cas, ni de limitation de durée. Le couvre-feu est au contraire retardé d’une heure.

      Freinage limité

      Au bout du compte, ce « confinement aéré » aboutit essentiellement à réduire les déplacements entre régions et à fermer des magasins supplémentaires. Relativement peu, en réalité, puisque les coiffeurs, les fleuristes, les chocolatiers, les libraires et les vendeurs de voitures ont été considérés comme de « première nécessité » et autorisés à rester ouverts. Résultat : le trafic automobile dans Paris, bon indicateur de l’activité, n’a reculé que d’environ 5 % par rapport à la période précédente. Freinage limité, donc.

      Le gouvernement revendique lui-même cette « approche pragmatique » , qui entend lutter contre le Covid-19 tout en évitant de trop peser sur l’économie et le moral des Français. Plutôt que de vouloir éradiquer l’épidémie, comme le premier confinement y était pratiquement parvenu, et comme de nombreux scientifiques le réclamaient, l’exécutif accepte depuis des mois de laisser circuler le virus. Misant sur une future vaccination de masse, il refuse les mesures trop dures, ne suit pas les recommandations du conseil scientifique, et ne muscle – mollement – son dispositif qu’en dernier recours, lorsque l’épidémie commence à échapper à tout contrôle.
      Entre 250 et 350 par jour en moyenne depuis le début de 2021, c’est l’équivalent d’un crash d’avion chaque soir. Un crash discret, qui ne fait plus la « une »

      Clairement, Emmanuel Macron estime que la France doit pour le moment « vivre avec » le virus, selon sa propre formule. Cela signifie aussi vivre avec les malades. Et les morts. Entre 250 et 350 par jour en moyenne depuis le début de 2021. L’équivalent d’un crash d’avion chaque soir. Un crash discret, qui attire de moins en moins l’attention et ne fait plus la « une ». Non seulement il n’amène pas le gouvernement à agir drastiquement, mais cette approche modérée, qui ne donne pas la priorité absolue à l’urgence sanitaire, n’est guère contestée, si ce n’est par des médecins comme le généticien Axel Kahn. Le conseil scientifique le constate dans sa dernière note, datée du 11 mars : « La lassitude a gagné nos concitoyens et nos soignants. Une certaine indifférence face aux chiffres des décès s’installe ».

      D’où vient cette « indifférence » face à la mort ? D’une forme d’accoutumance, sans doute. D’autant que, depuis le début de la deuxième vague, le nombre de décès attribués au Covid-19 a rarement dépassé 500 par jour, alors qu’il avait culminé au-delà de 1 000 au printemps 2020. Dans la durée, la vague actuelle se révèle néanmoins beaucoup plus meurtrière que la première, qui n’avait tué « que » 30 000 personnes. En outre, le Covid tue avant tout des personnes âgées, fragiles, dont l’espérance de vie était limitée. Certaines d’entre elles « seraient de toute façon décédées » d’une autre cause, relève une étude publiée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) le 17 mars.

      Pas de lobby des endeuillés

      Au-delà, un parallèle peut sans doute être établi avec le chômage. En 1994, Denis Olivennes avait publié dans Le Débat un article resté fameux sur « La préférence française pour le chômage ». L’ex-conseiller de Pierre Bérégovoy (1925-1993) y avançait l’hypothèse que le chômage de masse constaté en France ne relevait pas d’une fatalité, mais « d’une préférence collective, d’un consensus inavoué ». « Les syndicats, par construction, représentent les intérêts des actifs occupés ; le patronat gère la paix sociale dans ses entreprises en négligeant les intérêts des chômeurs ; le gouvernement dialogue avec les partenaires sociaux et soigne un électorat composé d’actifs occupés et d’assurés sociaux », expliquait-il. Personne ne représentant les chômeurs, le pays avait opté, selon lui, pour le pouvoir d’achat des actifs, au détriment du nombre d’emplois.

      Il est tentant, aujourd’hui, d’esquisser une analyse du même type pour le Covid. Là aussi, le gouvernement, les syndicats et le patronat discutent en permanence des choix à effectuer pour piloter la crise économique et sanitaire. Les fleuristes, par exemple, ont souligné qu’« ils font la moitié de leur chiffre d’affaires pendant cette période de printemps », un argument repris par le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Et là encore, les principales victimes ne sont pas dans la boucle. Pas de syndicats des malades, pas de fédération des morts, pas de lobby des endeuillés. Leurs voix ne sont guère portées que par les médecins et les scientifiques, dont les messages, parfois discordants, peinent à être entendus. Cette absence de relais contribue sans doute au « consensus inavoué » actuel, selon lequel la France, comme d’autres pays, tolère un « plateau haut » de malades, et un nombre de morts qui aurait paru inacceptable il y a peu.

      Ce journal a beau être ce qu’il est (...), ça fait longtemps qu’il publie des éléments critiques (par exemple sur les discordances entre conseil scientifique et gouvernement, ou même en documentant ce qui s’est passé dans les hôpitaux) sur un ton "neutre" et poli.

      Ici, il reprend l’image du crash d’avion qui a court depuis des mois, par ailleurs, il laisse de plus en plus à d’autres le soin de dire les choses de façon très étayée avec une netteté :

      C’est comme rouler en voiture vers un mur et affirmer qu’en freinant le plus tard possible on gagnera du temps.

      https://seenthis.net/messages/908051

      #acceptabilité

  • Vaccination contre le Covid-19 : une faille béante dans le secret médical, Antton Rouget
    https://www.mediapart.fr/journal/france/270121/vaccination-contre-le-covid-19-une-faille-beante-dans-le-secret-medical

    Par manque d’anticipation, l’assurance-maladie n’a eu qu’un mois et demi pour développer le système informatique de suivi de la campagne de vaccination. Selon nos informations, celui-ci souffre de plusieurs failles : il permet à un médecin d’accéder à tous les dossiers des Français tandis que la procédure de signalement des effets indésirables a été mise en œuvre a minima.

    C’est un nouveau raté de taille dans la gestion de la crise sanitaire. Le système d’information (SI-Vaccin Covid) mis en place par la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) pour le suivi de la campagne de vaccination en France présente d’importantes brèches et insuffisances, selon les éléments réunis par Mediapart.

    Ces loupés sont la conséquence d’une mise en route tardive du système après plusieurs mois d’inertie des autorités, malgré les mises en garde de spécialistes de vaccination depuis le printemps dernier. À l’époque, alors que les labos s’engageaient à toute vitesse dans la course aux vaccins, les professionnels alertaient sur les enjeux liés à l’anticipation d’une campagne de vaccination d’envergure.

    Il a pourtant fallu attendre l’automne 2020 pour que le projet de SI soit mis en route au ministère de la santé. Et encore : il a continué à prendre du retard en étant ballotté pendant des semaines de décision en contre-décision. 

    Ces problèmes ont eu une incidence importante sur le déroulé des opérations. D’un point de vue de la sécurité des données, d’abord, puisque le SI-Vaccin Covid qui tourne depuis le 4 janvier s’apparente à une véritable passoire.

    Concrètement, le système permet le suivi de la campagne de vaccination en enregistrant toutes les consultations, les numéros de lots utilisés, les dates et lieux des injections, le nom du praticien, etc. Pour ce faire, les vaccinateurs doivent s’identifier sur le portail de la Cnam avec leur carte de professionnel de santé (CPS ou e-CPS) pour enregistrer chaque acte, pour lequel ils sont ensuite remboursés.

    Mais, une fois à l’intérieur du système, ils peuvent aussi accéder au dossier de n’importe quel patient sans autorisation particulière, ainsi que nous avons pu le vérifier. Pour cela, il leur suffit de renseigner le numéro de Sécurité sociale de la personne concernée, un numéro que l’on peut reconstituer facilement à partir des données d’état civil. Des applications accessibles à tous permettent même de générer ces numéros automatiquement.

    Dès lors, un professionnel de santé peut consulter la fiche d’un proche, d’un voisin ou même d’une personnalité publique, et accéder à ses données de vaccination sans être son médecin traitant ni recueillir son consentement.

    Interrogés sur cette situation, les services de la Cnam ont nié toute « faille » dans le système en estimant qu’« il appartient au médecin de procéder à une recherche ou à un enregistrement uniquement et exclusivement pour ses patients ». « Il s’agit là des règles courantes relatives à l’exercice professionnel de médecins qui sont soumis au secret médical et dont l’encadrement de la profession est très strict. Estimer que cela relève d’une faille de sécurité consisterait donc à considérer que, par nature, les médecins ne respectent pas leurs obligations, ni la déontologie à laquelle ils sont réglementairement soumis », ajoute la Cnam, qui rappelle que les accès sont tracés.

    Dans son avis du 10 décembre sur le SI-Vaccin Covid, alors en projet, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait estimé nécessaire de rappeler que les données traitées dans le cadre du système seraient protégées par le secret médical. À cet égard, la commission insistait sur le fait que « seules les personnes habilitées et soumises au secret professionnel doivent pouvoir accéder aux données du SI “Vaccin Covid”, dans les strictes limites de leur besoin d’en connaître pour l’exercice de leurs missions ». En clair, la Cnil réclamait un cloisonnement strict des données accessibles par les professionnels de santé.

    « Il appartient donc au responsable de traitement de définir pour chaque destinataire des profils fonctionnels strictement limités aux besoins d’en connaître pour l’exercice des missions des personnes habilitées », ajoutait d’ailleurs la Cnil, en réclamant que soient prises des mesures « dès que possible » afin que les personnes habilitées ne « puissent accéder aux différentes données relatives aux personnes concernées que lorsqu’elles en ont effectivement besoin ».

    Alors que ce cloisonnement technique au « besoin d’en connaître » n’est aujourd’hui pas assuré, la Cnil précise à Mediapart que ses contrôles « seront conduits dans les prochaines semaines » et qu’ils se « poursuivront tout au long de la période d’utilisation des fichiers, jusqu’à la fin de leur mise en œuvre et la suppression des données qu’ils contiennent ». « Dans ce cadre, prévient la commission, la sécurité des données, notamment les profils d’habilitation et permissions d’accès, fera l’objet d’une vigilance particulière. »

    De l’aveu de plusieurs sources, ce dysfonctionnement est la conséquence du calendrier extrêmement serré pour la mise en œuvre du système. Pour le déployer dans une version « dégradée » (a minima) en janvier, les équipes de la Cnam ont charbonné pendant tout le mois de décembre. Mais le retard était impossible à combler. « On ne peut pas sérieusement monter un système de cette importance, avec tous les audits nécessaires, en quelques semaines », gronde un expert.

    De fait, difficile de blâmer les équipes au cœur du projet. Le problème se situe bien en amont, tout en haut de la chaîne de décision, prenant sa source dans un défaut d’anticipation comparable à celui sur les commandes de masques ou sur la campagne de dépistage.

    La réunion de « lancement et d’organisation du projet » ne s’est tenue au ministère des solidarités et de la santé que le 17 novembre, moins d’un mois et demi avant le lancement de la campagne de vaccination, selon des documents internes consultés par Mediapart.

    À l’ordre du jour : une présentation globale du périmètre du système informatique, un macro-planning et l’organisation de la gouvernance d’un projet qui rassemble plusieurs acteurs. Sont en effet associées à l’initiative la Cnam, la délégation ministérielle du numérique en santé (DNS), mais aussi Santé publique France (SPF, pour les aspects logistiques), l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, pour le suivi des effets indésirables), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi, pour la partie sécurité) ou encore la Haute Autorité de santé (HAS, pour les recommandations vaccinales). Autant d’acteurs que d’enjeux à maîtriser et coordonner.

    Les équipes du ministère de la santé n’ont pas caché, lors de cette réunion du 17 novembre, la réalité « des risques opérationnels principalement liés aux délais de mises en œuvre techniques et juridiques » du dispositif. À cette difficulté s’ajoute alors le « fort besoin d’intégration entre plusieurs SI », en particulier celui que développait au même moment Santé publique France (SPF) pour la distribution des doses de vaccin.

    Pour essayer de tenir les délais, plusieurs points quotidiens sont ensuite organisés, en fin de journée, pour le pilotage du projet et la coordination opérationnelle. Il faut faire vite, car l’État est déjà en retard sur tous ces objectifs, même les moins ambitieux.


    Exemple de fiche patient (anonymisée) consultable par n’importe quel praticien. © Document Mediapart

    En octobre, la DNS est déjà consciente que les délais seront difficiles à tenir alors qu’elle table à l’époque sur un lancement du système au 15 janvier seulement (le SI sera finalement ouvert le 4 janvier).

    Le ministère de la santé envisage à cette période de s’appuyer sur l’expertise de prestataires privés, sélectionnés sans publicité ni mise en concurrence, au motif de l’urgence impérieuse. Un directeur de projet est recruté en toute hâte. Problème : aussi bon soit-il sur les aspects numériques, il ne connaît rien à la vaccination et aux enjeux qui lui sont propres, puisqu’il vient d’un groupe hôtelier. L’homme travaille pendant quelques semaines, avec une adresse Gmail fournie par Google (et non une adresse officielle), avant de quitter ses fonctions.

    Au cours de ce même mois d’octobre, tout reste à faire : la DNS en est encore à préciser qu’il faut « prendre contact avec nos homologues européens pour benchmark, et étudier la possibilité d’une action conjointe ». Il convient d’« inscrire le sujet SI » à l’agenda du groupe de contacts mis en place par une inspectrice des finances au sein de la « Task Force Vaccination » que vient de créer le premier ministre Jean Castex, demande-t-on alors au ministère de la santé.

    L’entreprise américaine de conseil Accenture des deux côtés du marché

    Pour trouver un prestataire capable de porter le SI français, la DNS auditionne dans le même temps trois candidats, qui se sont volontairement manifestés auprès d’elle. S’affrontent sans le savoir le laboratoire américain Baxter, la multinationale du conseil informatique Accenture et une solution française MesVaccins, portée par la PME Syadem, basée à Bordeaux.

    La proposition de Baxter est rapidement écartée : sa solution paraît « peu adaptable » aux besoins français, sans compter les dégâts que provoquerait dans l’opinion le fait de confier la gestion de données médicales à une entreprise de l’industrie pharmaceutique…

    La candidature d’Accenture pose aussi question : la délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) reconnaît que l’entreprise est bien implantée dans les SI, même s’il y a des « développements à effectuer pour adaptation aux besoins de la France ». Mais il y a surtout un « sujet » sur la protection des données personnelles. Accenture travaille par exemple en partenariat avec Microsoft, à qui le ministre de la santé Olivier Véran veut justement retirer l’hébergement des données du Health Data Hub pour les confier à une entreprise européenne.


    Atouts et inconvénients d’Accenture, selon le ministère de la santé. © Document Mediapart

    Reste l’offre MesVaccins qui présente des atouts, selon la DNS : il s’agit d’une « entreprise experte des SI de vaccination » qui est « proche des acteurs publics », avec une « équipe motivée et réactive », et des « données hébergées en France » et non commercialisées.

    Créé en 2009, MesVaccins est un carnet de vaccination électronique (CVE) permettant à chaque patient de gérer gratuitement ses vaccinations. Le dispositif intègre aussi un « système expert » d’aide à la décision vaccinale prenant en compte les caractéristiques individuelles et l’historique vaccinal de chaque personne pour l’aider à évaluer le bénéfice/risque.

    En août 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a aussi recommandé son système de pharmacovigilance renforcée (détection proactive des effets indésirables) dans le cadre du déploiement du vaccin contre le virus Ebola. Des discussions pour intégrer MesVaccins au dossier médical partagé (DMP) mis à disposition du public par la Cnam sont également en cours depuis plusieurs années.

    Au mois d’octobre 2020, le ministère de la santé a malgré tout un doute concernant la taille de Syadem, l’entreprise qui développe cette solution : la PME est une « petite structure » ; sa « capacité de montée en charge » sur un projet aussi stratégique que le SI-Vac reste donc « à investiguer », estime la DNS.

    Pour s’assurer que la PME a bien les reins suffisamment solides, le ministère décide, le 3 novembre, d’auditer l’entreprise. Elle confie curieusement cette tâche à… Accenture, qui passe ainsi subitement de candidat au marché à assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) du même marché.

    Interrogée sur le périmètre exact de son contrat avec le ministère de la santé, la firme américaine n’a pas souhaité répondre « pour des raisons de confidentialité ». Le 21 janvier, le ministère de la santé avait simplement signifié, sans plus de détails, à France Info qu’il « a été fait appel au cabinet Accenture pour le lancement, l’enrichissement et l’accompagnement de la mise en œuvre du SI vaccination ».

    Sollicitée par Mediapart depuis le 12 janvier, la direction générale de la santé (DGS) nous a finalement répondu, juste après la publication de cet article pour nous préciser sa relation contractuelle avec Accenture. Dans le cadre d’un contrat cadre de 2018 à 2022 (permet à chaque ministère, de ne pas avoir à remettre en concurrence les titulaires sélectionnés initialement), le ministère a commandé une première mission d’« étude stratégique autour du lancement du SI Vaccination », dont l’assistance « aux choix structurants » et à la « mise en œuvre de la phase initiale » pour un montant de 388 500 euros TTC.

    Ce contrat a été notifié le 20 novembre 2020, pour une date de fin au 8 janvier 2021 La date de signature de la mission est étonnante, puisqu’elle est postérieure au début de l’audit mené par Accenture auprès de MesVaccins, ce qui signifie donc que le cabinet a travaillé pendant plusieurs semaines pour le ministère sans contrat...

    Pendant deux semaines, le géant américain a passé au peigne fin les capacités de la PME bordelaise. Tous les voyants sont au vert. Et le 17 novembre, Accenture présente deux options au ministère de la santé.

    Un premier scénario dans lequel MesVaccins vient en renfort de l’État et apporte des « services spécifiques » à la campagne de vaccination (questionnaire pré-vaccinal, détermination de l’éligibilité vaccinale et des contre-indications vaccinales, aide à la décision vaccinale, gestion d’éventuelles interférences entre différents vaccins, etc.). La partie « pharmacovigilance renforcée » et l’analyse des données restent du domaine exclusif de l’État. Dans le second scénario, MesVaccins devient un acteur central de la chaîne de vaccination, même si les dossiers patients, le suivi vaccinal et les certificats de vaccination sont encore gérés par l’État.

    Les équipes du ministère n’ont pas le temps de se prononcer sur ces deux options qu’au même moment, à un échelon supérieur, tout le travail préparatoire est balayé d’un revers de main. La « Task Force Vaccination » qui fonctionne sous l’autorité du premier ministre vient de changer brutalement de cap : plus question de faire appel à un prestataire spécialisé, il faut maintenant que le SI soit développé par les développeurs de la Cnam en interne.

    Quels sont les motifs de ce revirement, et pourquoi n’a-t-il pas été anticipé ? Matignon ne nous a pas répondu.

    La Cnam invoque pour sa part des raisons techniques en indiquant qu’au terme d’un « sourcing » qui aurait été réalisé à « l’été 2020 », aucune « solution n’était en mesure d’apporter les garanties suffisantes ». Dans ce cas-là, pourquoi le ministère de la santé a-t-il organisé des consultations avec plusieurs candidats en octobre, puis demandé à Accenture d’auditer MesVaccins, et qu’a-t-il été fait des conclusions favorables du rapport d’audit ? Relancée sur ce point, la Cnam admet juste que les « échanges se sont poursuivis à l’automne » avec des prestataires, sans en dire plus.

    Le cabinet Accenture est pour sa part revenu dans la boucle avec une mission d’« enrichissement et accompagnement à la mise en œuvre du SI Vaccination », signée le 23 décembre 2020, et qui court jusqu’au 26 mars 2021, pour un montant de 594 540 euros, selon les chiffres communiqués par la DGS.

    « Quand il est sous pression, l’État craint toujours de faire appel à une PME. Il y a toujours quelqu’un qui dit : “Mais attendez, est-ce qu’ils sont vraiment fiables ?” Si ça ne marche pas, on nous tombera dessus en disant : “Pourquoi vous avez pris ces zozos ?” Par sécurité, l’État se tourne donc automatiquement vers de gros acteurs », interprète un entrepreneur du numérique, qui fut notamment mobilisé sur l’application StopCovid.

    Début 2020, les PME spécialisées dans l’import-export de masques depuis la Chine avaient vécu la même déconvenue. Malgré leur connaissance du marché et leur réactivité, elles avaient été ignorées par l’État, lequel avait préféré faire appel à des grandes entreprises, qui pour certaines ne connaissaient rien aux dispositifs médicaux.
    Les revirements entre le ministère de la santé et la Task Force ont en tout cas fait perdre de précieuses semaines, et suscité l’incompréhension de plusieurs parties prenantes. « Après avoir mobilisé 100 % de nos équipes pendant six semaines et répondu à toutes les attentes, on n’a plus eu de nouvelles du jour au lendemain », déplore Jean-Louis Koeck, le fondateur de MesVaccins.

    Des alertes depuis le printemps

    « Nous avions entre les mains une solution disponible, dont l’intégration au dossier médical partagé de l’assurance-maladie est en cours, mais on a préféré repartir de zéro », s’étonne un ancien responsable SI Santé, qui note que Nicolas Revel, le puissant directeur de cabinet Jean Castex, connaît d’autant mieux le sujet qu’il a dirigé la Cnam de 2014 à juillet 2020.

    Le gouvernement a-t-il simplement craint de confier une partie, même minime, de l’expertise à un acteur privé ? « Mais, dans ce cas-là, pourquoi l’État refuse-t-il un partenariat avec une PME comme MesVaccins alors qu’il ouvre grand les portes à Doctolib pour la prise de rendez-vous ? », interroge un autre spécialiste.

    Le médecin Marcel Garrigou-Grandchamp, de la cellule juridique de la Fédération des médecins de France (FMF), abonde : « L’argument de ne pas voir entrer le privé ne tient avec le contre-exemple Doctolib. » Lui « pense que d’autres acteurs privés plus gros que MesVaccins veulent lui barrer la route en attendant d’imposer leur solution, c’est bien dommage ».

    « On a la chance d’avoir en France un système très précurseur, toutes les associations de médecins qui l’utilisent en sont très contentes », précise l’épidémiologiste Yves Buisson. Le président du groupe Covid-19 à l’Académie de médecine insiste notamment sur les performances du « système expert » de MesVaccins, qui traduit les recommandations scientifiques pour le grand public, et est d’ailleurs utilisé par l’agence Santé publique France.

    Le professeur Buisson loue aussi son « système de pharmacovigilance très poussé » (avec des relances des patients pour retracer les effets indésirables). « Au lieu de cela, on a préféré bricoler un truc incomplet en quelques semaines. Je ne comprends pas. Comme si on n’avait rien d’autre de mieux à faire… », cingle Yves Buisson.

    Lors de la réunion de travail avec la Cnam le 17 novembre, les agents du ministère de la santé ont expliqué à quel point le calendrier pour la mise en place du nouveau SI était « extrêmement contraint ».

    La première version du système devait ainsi comporter « les fonctionnalités minimales nécessaires au démarrage avec deux vaccins simultanés et ciblant quelques millions de personnes », seulement. La version ne comprend par exemple qu’une redirection vers le site de signalement des effets indésirables (pour relais à l’ANSM, qui coordonne la pharmacovigilance) alors que ce sujet avait été identifié comme un enjeu important par la DNS dans l’architecture du système.

    La plateforme SI-Vac sera progressivement « enrichie » au fil des semaines en fonction des « enseignements tirés de la fonction minimale », a-t-il été convenu le 17 novembre. Le déploiement de la version « complète » du système, qui « devra pouvoir gérer des campagnes de vaccination à l’échelle de la population française et l’intégralité des vaccins mis sur le marché », étant alors programmé à « horizon printemps 2021 ».

    Du côté du Syndicat de la médecine générale (SMG), on déplore que la question des données ait été « totalement écartée » de la discussion par les autorités. « Cela ne m’étonne pas du tout qu’on en soit là », avec la possibilité pour un praticien de consulter tous les dossiers dans le SI-Vac, fait part l’une des représentantes du SMG, Mathilde Boursier, en déplorant « une grande opacité autour de tout ce qui entoure les données en santé ». La praticienne défend une approche de santé publique, une médecine préventive et l’innovation en santé, mais estime que cela « ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des données personnelles ».

    Proche d’Emmanuel Macron, le directeur de cabinet de Jean Castex, Nicolas Revel a dirigé la CNAM de 2014 à 2020. © Assurance maladie
    Le 17 décembre, dans une tribune publiée dans Libération, l’ancien directeur général de la santé (DGS) William Dab, Alain-Michel Ceretti, président de l’association de patients « Le Lien », ou encore Didier Seyler, membre du Comité d’orientation et de dialogue avec la société de Santé publique France, ont tiré la sonnette d’alarme en indiquant qu’il « serait incompréhensible » à leurs yeux qu’un effort ne soit pas engagé par l’État « pour améliorer la pharmacovigilance portant sur ces nouveaux vaccins ».

    Co-signataire de cette tribune, Pierre-Jean Ternamian, président de l’Union régionale des professionnels de santé de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ne décolère pas. « J’ai martelé à toutes les réunions depuis le printemps, à l’échelon régional comme au niveau national, l’impérieuse nécessité de se préparer à la vaccination. On n’avait pas de nouvelles, on se disait : “Ils vont nous faire n’importe quoi”, et d’un coup on a vu surgir “SI-Vac”… Là on s’est dit qu’ils étaient en train d’inventer l’eau chaude, en pensant reproduire en deux mois dix ans d’expertise », peste ce médecin radiologue, qui a promu MesVaccins dans sa région et a même contribué à son développement.

    Pierre-Jean Ternamian avait écrit sur le sujet à Jean Castex avant l’explosion de la seconde vague, le 17 août 2020. Le chef de cabinet du premier ministre lui a répondu un mois et demi plus tard, dans un courrier daté du 1er octobre 2020, en renvoyant vers le conseiller technique pour la santé du cabinet, qui « ne manquera pas de vous contacter prochainement par téléphone ». « Je n’ai jamais eu de nouvelles », constate M. Ternamian.

    D’autres professionnels avaient aussi prévenu les autorités, dès le printemps, sur la nécessité d’anticiper la question du système d’information liée à la campagne de vaccination. « Mi-avril, nous avons écrit à nos interlocuteurs de la DNS pour évoquer les enjeux de la mise en place d’une future campagne de vaccination contre le Covid-19 », explique Jean-Louis Koeck de MesVaccins. Début mai 2020, une réunion a été organisée avec plusieurs membres de la Délégation ministérielle du numérique en santé (DNS), sans suite jusqu’au mois d’octobre.

    Le 9 juillet 2020, au creux de l’été, les membres du Conseil scientifique, du Care et du Comité Vaccin Covid-19, les trois groupes formés par Emmanuel Macron pour le conseiller dans ses décisions, ont rendu un avis important sur la question. « De nombreuses inconnues persistent sur le plan scientifique, mais il est indispensable d’avancer vers l’élaboration d’une stratégie vaccinale afin d’anticiper des questions aussi fondamentales que “qui vacciner et comment ?” dès qu’un vaccin sera disponible », prévenaient-ils alors, en indiquant que « l’occasion de diffuser/généraliser la mise en place d’un carnet électronique de vaccination doit être envisagée ». Lancée en plein remaniement ministériel, cette recommandation est restée lettre morte.

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