• Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques

    Des chercheurs en neurosciences et sociologie mettent en garde contre la thèse, qu’ils jugent scientifiquement infondée, selon laquelle une de nos #structures_cérébrales nous conditionnerait à surconsommer.

    Selon Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux #comportements_individuels déterminés par notre cerveau. Une structure, le striatum, piloterait par l’intermédiaire d’une #molécule_neurochimique, la #dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation, indiquaient-ils récemment dans un entretien au Monde.

    (#paywall)
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/07/pourquoi-detruit-on-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-scientifi

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    Tribune longue :

    Dans un entretien croisé pour Le Monde, Thierry Ripoll et Sébastien Bohler présentent leur thèse commune, développée dans deux ouvrages récents et que Bohler avait résumée dans un ouvrage précédent sous le titre évocateur de « bug humain » : les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux comportements individuels déterminés par la structure même du cerveau. Précisément, le dogme de la croissance viendrait du striatum. Selon lui, cette structure cérébrale piloterait par l’intermédiaire d’une molécule neurochimique, la dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation. Ripoll reprend cette thèse à son compte, et il affirme que la décroissance économique, qu’il appelle de ses vœux pour limiter les catastrophes en cours, bute ainsi sur des limites psychobiologiques.

    Cette thèse est très forte et a des conséquences politiques très préoccupantes : la #nature_humaine, ou plus précisément notre #programmation_biologique, conditionnerait le champ des possibles concernant l’organisation socio-économique. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le #fonctionnement_cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de #décroissance ou de stabilité basés sur la #délibération_démocratique. Cela déresponsabilise également les individus[i] : leur #comportement destructeur de l’#environnement n’est « pas de leur faute » mais « celle de leur #striatum ». Une conséquence logique peut être la nécessité de changer notre nature, ce qui évoque des perspectives transhumanistes, ou bien des mesures autoritaires pour contraindre à consommer moins, solution évoquée explicitement par les deux auteurs. Les neurosciences et la #psychologie_cognitive justifient-elles vraiment de telles perspectives ?

    Nous souhaitons ici solennellement informer les lectrices et les lecteurs de la totale absence de fondement scientifique de cette thèse, et les mettre en garde contre ses implications que nous jugeons dangereuses. Ce message s’adresse également à ces deux auteurs que nous estimons fourvoyés, sans préjuger de leur bonne foi. Nous ne doutons pas qu’ils soient sincèrement et fort justement préoccupés des désastres environnementaux mettant en danger les conditions d’une vie décente de l’humanité sur Terre, et qu’ils aient souhaité mobiliser leurs connaissances pour aider à trouver des solutions. Les arguments déployés sont cependant problématiques, en particulier ceux relevant des neurosciences, notre domaine principal de compétence.

    Tout d’abord, le striatum ne produit pas de #dopamine (il la reçoit), et la dopamine n’est pas l’#hormone_du_plaisir. Le neuroscientifique #Roy_Wise, qui formula cette hypothèse dans les années 70, reconnut lui-même « je ne crois plus que la quantité de plaisir ressentie est proportionnelle à la quantité de dopamine » en… 1997. L’absence de « fonction stop » du striatum pour lequel il faudrait toujours « augmenter les doses » est une invention de #Bohler (reprise sans recul par #Ripoll) en contresens avec les études scientifiques. Plus largement, la vision localisationniste du xixe siècle consistant à rattacher une fonction psychologique (le #plaisir, le #désir, l’#ingéniosité) à une structure cérébrale est bien sûr totalement obsolète. Le fonctionnement d’une aire cérébrale est donc rarement transposable en termes psychologiques, a fortiori sociologiques.

    Rien ne justifie non plus une opposition, invoquée par ces auteurs, entre une partie de #cerveau qui serait « récente » (et rationnelle) et une autre qui serait « archaïque » (et émotionnelle donc responsable de nos désirs, ou « instinctive », concept qui n’a pas de définition scientifique). Le striatum, le #système_dopaminergique et le #cortex_frontal, régions du cerveau présentes chez tous les mammifères, ont évolué de concert. Chez les primates, dont les humains, le #cortex_préfrontal a connu un développement et une complexification sans équivalent. Mais cette évolution du cortex préfrontal correspond aussi à l’accroissement de ses liens avec le reste du cerveau, dont le système dopaminergique et le striatum, qui se sont également complexifiés, formant de nouveaux réseaux fonctionnels. Le striatum archaïque est donc un #neuromythe.

    Plus généralement, les données neuroscientifiques ne défendent pas un #déterminisme des comportements humains par « le striatum » ou « la dopamine ». Ce que montrent les études actuelles en neurosciences, ce sont certaines relations entre des éléments de comportements isolés dans des conditions expérimentales simplifiées et contrôlées, chez l’humain ou d’autres animaux, et des mesures d’activités dans des circuits neuronaux, impliquant entre autres le striatum, la dopamine ou le cortex préfrontal. Le striatum autocrate, dont nous serions l’esclave, est donc aussi un neuromythe.

    Par ailleurs, Bohler et Ripoll font appel à une lecture psycho-évolutionniste simpliste, en fantasmant la vie des êtres humains au paléolithique et en supposant que les #gènes codant pour les structures du cerveau seraient adaptés à des conditions de vie « primitive », et pas à celles du monde moderne caractérisé par une surabondance de biens et de possibles[ii]. Il y a deux problèmes majeurs avec cette proposition. Tout d’abord, les liens entre les gènes qui sont soumis à la sélection naturelle, les structures cérébrales, et les #comportements_sociaux sont extrêmement complexes. Les #facteurs_génétiques et environnementaux sont tellement intriqués et à tous les stades de développement qu’il est impossible aujourd’hui d’isoler de façon fiable des #déterminismes_génétiques de comportements sociaux (et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé). Poser la surconsommation actuelle comme sélectionnée par l’évolution, sans données génétiques, est une spéculation dévoyée de la #psychologie_évolutionniste. Le second problème concerne les très faibles connaissances des modes d’#organisation_sociale des peuples qui ont vécu dans la longue période du paléolithique. Il n’existe pas à notre connaissance de preuves d’invariants ou d’un mode dominant dans leur organisation sociale. Les affirmations évolutionnistes de Bohler et Ripoll n’ont donc pas de statut scientifique.

    Il est toujours problématique de privilégier un facteur principal pour rendre compte d’évolutions historiques, quel qu’il soit d’ailleurs, mais encore plus quand ce facteur n’existe pas. Les sciences humaines et sociales montrent la diversité des modèles d’organisation sociale qui ont existé sur Terre ainsi que les multiples déterminismes socio-historiques de la « grande accélération » caractéristique des sociétés modernes dopées aux énergies fossiles. Non, toutes les sociétés n’ont pas toujours été tournées vers le désir de toujours plus, vers le progrès et la croissance économique : on peut même argumenter que la « religion du #progrès » devient dominante dans les sociétés occidentales au cours du xixe siècle[iii], tandis que le modèle de la #croissance_économique (plutôt que la recherche d’un équilibre) n’émerge qu’autour de la seconde guerre mondiale[iv]. Invoquer la « #croissance » comme principe universel du vivant, comme le fait Ripoll, abuse du flou conceptuel de ce terme, car la croissance du PIB n’a rien à voir avec la croissance des plantes.

    Il peut certes sembler légitime d’interroger si le fonctionnement du cerveau a, au côté des multiples déterminismes sociohistoriques, une part de #responsabilité dans l’état de la planète. Mais la question est mal posée, l’activité de « milliards de striatum » et les phénomènes socioéconomiques ne constituant pas le même niveau d’analyse. Bohler et Ripoll ne proposent d’ailleurs pas d’explications au niveau cérébral, mais cherchent à légitimer une explication psychologique prétendument universelle (l’absence d’#autolimitation) par la #biologie. Leurs réflexions s’inscrivent donc dans une filiation ancienne qui cherche une explication simpliste aux comportements humains dans un #déterminisme_biologique, ce qu’on appelle une « #naturalisation » des #comportements. Un discours longtemps à la mode (et encore présent dans la psychologie populaire) invoquait par exemple le « #cerveau_reptilien » à l’origine de comportements archaïques et inadaptés, alors que cette pseudo-théorie proposée dans les années 60 a été invalidée quasiment dès son origine[v]. Le « striatum », la « dopamine », le « #système_de_récompense », ou le « #cerveau_rapide et le #cerveau_lent » sont en fait de nouvelles expressions qui racontent toujours à peu près la même histoire. Loin d’être subversive, cette focalisation sur des déterminismes individuels substitue la #panique_morale [vi] à la #réflexion_politique et ne peut mener, puisque nous serions « déterminés », qu’à l’#impuissance ou à l’#autoritarisme.

    Les erreurs des arguments développés par Bohler et Ripoll ont d’ores et déjà été soulignées à propos d’ouvrages précédents de Bohler[vii]. Nous souhaitons également rappeler qu’il existe un processus d’évaluation des productions scientifiques (y compris théoriques) certes imparfait mais qui a fait ses preuves : la revue par les pairs. Aucun de ces deux auteurs ne s’y est soumis pour avancer ces propositions[viii]. Il n’est pas sûr que notre rôle de scientifiques consiste à évaluer les approximations (et c’est un euphémisme) qui sont en continu publiées dans des livres ou dans la presse. Notre réaction présente est une exception justifiée par une usurpation des neurosciences, la gravité des enjeux écologiques dont ces auteurs prétendent traiter, ainsi que par la popularité grandissante que ces thèses semblent malheureusement rencontrer[ix].

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    Ce texte n’est pas issu des travaux de l’atelier d’écologie politique mais il résonne fortement avec d’autres travaux de l’atécopol. Il a été rédigé par Etienne Coutureau, chercheur CNRS en neurosciences (Bordeaux), Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS en neurosciences et en écologie politique et membre de l’atécopol (Toulouse), Sébastien Lemerle, enseignant-chercheur en sociologie (Paris-Nanterre), Jérémie Naudé, chercheur CNRS en neurosciences (Montpellier) et Emmanuel Procyk, chercheur CNRS en neurosciences (Lyon).

    [i] Jean-Michel Hupé, Vanessa Lea, « Nature humaine. L’être humain est-il écocidaire par nature ? », dans Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), Paris, Le Seuil, 2022, p. 150-156.

    [ii] Philippe Huneman, Hugh Desmond, Agathe Du Crest, « Du darwinisme en sciences humaines et sociales (1/2) », AOC, 15 décembre 2021.

    [iii] François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

    [iv] Timothy Mitchell, « Economentality : how the future entered government », Critical inquiry, 2014, vol. 40, p. 479-507. Karl Polanyi a par ailleurs montré comment l’économie de marché est une construction socio-historique : La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, (1944) 1983.

    [v] Sébastien Lemerle, Le cerveau reptilien. Sur la popularité d’une erreur scientifique, Paris, CNRS éditions, 2021.

    [vi] Jean-Michel Hupé, Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Effondrement sociologique ou la panique morale d’un sociologue », Politix, n° 134, 2021. Cet article témoigne également que Bohler et Ripoll ne sont pas les seuls intellectuels mobilisant les neurosciences de façon très contestable.

    [vii] Jérémie Naudé (2019), « Les problèmes avec la théorie du "bug humain", selon laquelle nos problème d’écologie viendraient d’un bout de cerveau, le striatum » ; Thibault Gardette (2020), « La faute à notre cerveau, vraiment ? Les erreurs du Bug humain de S. Bohler » ; Alexandre Gabert (2021), « Le cortex cingulaire peut-il vraiment "changer l’avenir de notre civilisation" ? », Cortex Mag, interview d’Emmanuel Procyk à propos de Sébastien Bohler, Où est le sens ?, Paris, Robert Laffont, 2020.

    [viii] Le bug humain de Sébastien Bohler (Paris, Robert Laffont, 2019) a certes obtenu « le Grand Prix du Livre sur le Cerveau » en 2020, décerné par la Revue Neurologique, une revue scientifique à comité de lecture. Ce prix récompense « un ouvrage traitant du cerveau à destination du grand public ». Les thèses de Bohler n’ont en revanche pas fait l’objet d’une expertise contradictoire par des spécialistes du domaine avant la publication de leurs propos, comme c’est la norme pour les travaux scientifiques, même théoriques.

    [ix] La thèse du bug humain est ainsi reprise dans des discours de vulgarisation d’autorité sur le changement climatique, comme dans la bande dessinée de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, Paris, Dargaud, 2021.

    https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/070722/pourquoi-detruit-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-neur
    #neuro-science #neuroscience #critique #écologie #surconsommation #politisation #dépolitisation #politique

  • “Si notre cerveau jubile quand le nombre de contaminés augmente, c’est tout à fait normal !”
    https://www.telerama.fr/idees/si-notre-cerveau-jubile-quand-le-nombre-de-contamines-augmente,-cest-tout-a

    Déni face au danger, obsession d’être informé, achats alimentaires compulsifs… Et si notre cerveau nous jouait des tours en ces temps d’épidémie ? Docteur en neurosciences, Sébastien Bohler, 49 ans, pointe dans son livre Le Bug humain, sorti l’an passé, les limites de nos cerveaux : dopés par une soif du plaisir et du « toujours plus », ils nous pousseraient à détruire la planète. Mais en décryptant nos réactions dans le nouveau contexte de la maladie et de l’enfermement, Sébastien Bohler ouvre aussi une autre perspective : il montre que si nous choisissons de muscler une partie spécifique de notre cerveau (celle qui permet de restreindre la seule satisfaction de nos envies), la situation actuelle pourrait offrir une occasion inédite de changer notre rapport au monde.
    En quoi les neurosciences aident-elles à saisir la situation actuelle ?
    Comprendre la façon dont notre cerveau est constitué est fondamental. Celui-ci est toujours loué comme un organe fantastique, et il l’est ! Mais il a aussi de grands défauts, ambigus, car ils ont permis d’immenses progrès, tout en nous plongeant dans l’impasse actuelle. Ils se logent dans une partie du cerveau appelée le striatum, qui s’est développée il y a des millions d’années. Cette structure nerveuse libère de la dopamine, une molécule du plaisir, pour nous récompenser lorsque nous satisfaisons cinq besoins fondamentaux : la nourriture, le sexe, le statut social, l’information et l’économie d’effort. La particularité d’Homo sapiens tient aussi au développement très poussé d’une autre partie, le cortex, qui, lui, est le siège des connaissances, de la capacité d’abstraction et de la coopération. Au fil du temps, ce cortex est parvenu à des réalisations extrêmement sophistiquées pour satisfaire nos besoins originels (guidés par le striatum) : l’agriculture industrielle, par exemple, afin de prévenir les pénuries alimentaires, ou les sites pornographiques, pour satisfaire nos appétits sexuels. En nous récompensant par du plaisir, le striatum est une formidable machine à survie… mais qui nous pousse à en vouloir toujours davantage car il s’est forgé au cours de la préhistoire, dans un environnement de rareté, et n’est pas programmé pour connaître la notion de limite. Des dizaines de milliers d’années ont beau avoir passé, il nous réclame toujours les mêmes choses, motivant notre surconsommation et notre destruction de l’environnement. Or l’actuelle épidémie montre que les flux mondialisés se retournent contre nous, car il suffit désormais d’un grain de sable pour enrayer la machine.

    #Dopamine #Neurosciences #Striatum

  • Réseaux sociaux : flux à lier - #DATAGUEULE 95 - DataGueule
    https://peertube.datagueule.tv/videos/watch/b69424ee-33c8-4f7e-a47c-5c33d9c30b71

    Ils sont attirants, attachants … et rapidement indispensables. Les #réseaux_sociaux nous appâtent à coup de likes et nous bercent dans leurs « infinite scroll ». Et rapidement leurs #interfaces nous poussent à la consommation jusqu’à l’overdose. Et ce n’est pas un hasard. Ils ont bâti leurs empires sur notre #addiction à la #dopamine.

    #twitter #facebook #tinder #whatsapp #youtube #captologie #psychologie #smartphone #publicité_ciblée #monétisation_des_liens_sociaux #design #framasoft #mastodon #diaspora #logiciel_libre #culture_libre #société_libre

  • Addicted to Screens? That’s Really a You Problem - The New York Times
    https://www.nytimes.com/2019/10/06/technology/phone-screen-addiction-tech-nir-eyal.html

    Nir Eyal does not for a second regret writing Silicon Valley’s tech engagement how-to, “Hooked: How to Build Habit-Forming Products,” even as he now has a new book out on how to free ourselves of that same addiction.

    In his original manual for building enthralling smartphone apps, Mr. Eyal laid out the tricks “to subtly encourage customer behavior” and “bring users back again and again.” He toured tech companies speaking about the Hook Model, his four-step plan to grab and keep people with enticements like variable rewards, or pleasures that come at unpredictable intervals.

    “Slot machines provide a classic example of variable rewards,” Mr. Eyal wrote.

    Silicon Valley’s technorati hailed “Hooked.” Dave McClure, the founder of 500 Startups, a prolific incubator, called it “an essential crib sheet for any start-up looking to understand user psychology.”

    But that was 2014. That was when making a slot-machinelike app was a good and exciting thing. When “seductive interaction design” and “design for behavior change” were aspirational phrases.

    “Nir Eyal’s trying to flip,” said Richard Freed, a child psychologist who supports less screen time. “These people who’ve done this are all trying to come back selling the cure. But they’re the ones who’ve been selling the drugs in the first place.”

    “I’m sure the cigarette industry said there’s just a certain number of people with a propensity for lung disease,” he added.

    Mr. Eyal said he was not reversing himself. His Hook Model was useful, certainly, and he believed in the tactics. But it was not addicting people. It’s our fault, he said, not Instagram’s or Facebook’s or Apple’s.

    “It’s disrespectful for people who have the pathology of addiction to say, ‘Oh, we all have this disease,’” he said. “No, we don’t.”

    #Médias_sociaux #Addiction #Dopamine #Mir_Eyal

  • #Dopamine sur #ARTE : quelques notes sur la propagande contre la propagande.

    Après avoir regardé toute la série Dopamine d’Arte je reste partagé sur l’utilité de cette petite série documentaire critique des technologies et de la manipulation cognitive. J’ai rédigé rapidement quelques notes à ce propos avant d’oublier, désolé si c’est un peu brouillon à lire.

    ~

    D’abord il y a de bonnes choses à prendre dans chaque épisode, de nombreuses références (même si balancées trop rapidement sans distance critique ni citation des sources), et si on prend le temps de mettre sur pause et de chercher plus de documentation et d’articles il faut bien dire que ça donne accès à une très bonne première base de critique et de recherche, notamment au sujet des expériences menées sur des groupes d’utilisateur⋅ices par les réseaux sociaux, ainsi que des études cognitives préalables (valables ou pas) qui les ont inspirées.
    C’est un sujet nécessaire à aborder, crucial, et flippant, puisque ces expériences se font à notre insu, sans contrôle extérieur, et qu’elles ont une influence sur une très large population.

    Mais pour avoir accès à ce genre de contenu critique vulgarisé faut-il pour autant laisser tomber nos propres exigences sur la qualité de l’information  ?

    # Difficile de faire abstraction du contexte parfois...

    Déjà première chose, pour situer un peu mon point de vue et le contexte, je ne suis pas fan des émissions télé, que je regarde peu et essentiellement en replay sur internet. Ça explique déjà une certaine réticence aux programmes formatés grand public.
    Dopamine est un format grand public, et court (moins de sept minutes).

    Habitué aux « programmes » Youtube, je ne suis pas non plus allergiques aux formats courts et montés assez « cut ». Mais je reste conscient qu’il s’agit d’une habitude de visionnage comme une autre, et j’essaie de ne pas devenir complètement désensibilisé à tout ce qui s’éloigne de la « monoforme », en regardant de tout, avec curiosité. (Même des plans interminables sur un dîner de famille ou une usine en friche. Même des comédies américaines grand public.)

    Le premier truc un peu désagréable pour une émission télé comme Dopamine, qui se veut une sorte de bouclier contre la manipulation, c’est qu’elle prend pour cibles les grandes icônes, ces GAFAM, forcément américains, qui sont devenus l’image accessible mais réductrice des dérives techno-scientistes, la Némésis des technologies quoi.

    Bien sûr c’est justifié, parce que l’ emprise de ces GAFAM s’étend dangereusement, que nos habitudes sont transformées en profondeur, très vite, sans que nous ayons le temps de prendre du recul, et que tous les domaines sont touchés par ces changements profonds, en particulier le travail où la précarité augmente en général avec les plateformes et la paupérisation du travail de création de contenu.

    Mais chaque fois que les vieux médias s’en prennent aux nouvelles technologies je ne peux pas m’empêcher de me demander à quel point les auteur⋅es de programmes sont de bonne foi.
    L’exemple le plus aberrant étant sans doute la critique de Youtube. La télévision aime se plaindre de youtube, le Uber de l’audiovisuel. Youtube serait responsable de toute la désinformation du monde, avec son méchant algorithme de recommandation (qui n’est pas une bonne chose selon moi non plus). Mais au final même une émission qui se veut critique comme celle-là, Dopamine, se retrouve à faire du format Youtube, court et sans grande rigueur scientifique ni journalistique.
    À croire que le 21e siècle a accouché des applis et des plateformes de consommation de contenus comme ça d’un coup, sans transition, et sans formatage audiovisuel préalable.

    J’aurai personnellement presque envie de renvoyer à l’émission sa propre critique (pourtant nécessaire) avec l’intitulé suivant, sur le même ton que celui de la série Propaganda du même réalisateur :

    « La télévision a été un des principaux moteurs culturels de l’expansion du capitalisme et du soft-power au 20e siècle. Vous pensiez qu’Arte était une gentille chaîne pour utopiste libérés des diktats publicitaires  ? Découvrez comment elle répond aussi à ses propres critères de logique spectaculaire et de marketing de validation sociale, tout comme les autres grands médias traditionnels »

    Arte a peut-être (de moins en moins  ?) la réputation d’être plus intellectuelle, plus lente, donc moins soumise aux lois du marché, il y a bien de fortes logiques marketing derrière.
    Et l’audience, mesure incontournable du PAF est l’outil pour parvenir à conserver les gros budgets, les salaires de direction, les carrières.
    Si ça parait moins machiavélique que de manipuler le taux d’engagements pour augmenter la valeur d’une société en bourse ça n’en reste pas moins une forme de manipulation à grande échelle aussi.

    J’ai conscience aussi qu’il y a toujours des électrons plus ou moins libres dans ces rédactions et des réalisateur⋅ices ou producteur⋅ices qui font des choses instructives, édifiantes. Je garde moi-même quelques docs Arte qui valent le coup et m’ont appris plein de choses.

    Mais concernant Dopamine je crois que j’aimerais aussi voir le réalisateur nous expliquer sur un ton ironique et sans appel que les patrons de chaînes du service publique manipulent leurs téléspectateur⋅ices en les rendant addict à un mode de vie télévisuel passif.

    # La véracité vient d’en haut

    Un des principaux problèmes de forme que j’ai trouvé en regardant Dopamine découle peut-être directement de cette absence d’auto-critique.
    L’émission utilise le canal de diffusion Arte pour se poser en autorité dans la discussion aux sujets des réseaux sociaux et des applis. Et c’est à peu près tout.
    C’est encore assez soft grâce au ton ironique et à la durée courte, mais les mécanismes qui devraient permettre de prendre du recul et du temps pour réfléchir au sujet complexe sont malheureusement absents de l’émission. Il y a un manque de rigueur plus ou moins grand et gênant suivant les épisodes, et ce malgré la présence de cautions en expertise scientifique au générique.

    Comme pour d’autres formats lancés par des grands médias ou des institutions censés nous apprendre à nous désintoxiquer ou à mieux « décoder » l’information, sortir du complotisme, etc.., c’est toujours un problème d’utiliser le canal officiel comme un validateur suffisant pour les propos tenus.
    Avec Dopamine il y a plusieurs éléments de validation utilisés, celui de la caution implicite de la chaîne « Arte », celui de la science, et celui du bon sens commun qui sous-tend l’écriture et ses raccourcis parfois abrupts, son ironie pas toujours très utile.

    Les arguments scientifiques seraient a priori le moins pire de ces trois facteurs, mais le problème qui me crispe rapidement en regardant les épisodes c’est qu’il n’y a pas assez de distanciation avec l’argument simpliste « Il y a une étude, c’est scientifique ».

    Les études qui sont citées pour avoir servi de références de recherche dans le développement de nouvelles fonctions de telle ou telle appli sont systématiquement énoncées comme des faits établis et incontournables du fonctionnement cognitif humain. C’est tout. À prendre ou à laisser. Le père de l’anthropologie française dit que tout don appelle un contre-don  ? OK, ça doit être une règle sociale immuable alors. Les souris aiment les spectacles son et lumière ? Nous sommes prisonniers des notifications visuelles et sonores. Pas d’autres références, de sous-titres, de contexte critique.
    Attention je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais simplement que le fait de ne pas différencier l’inspiration et le défrichage scientifique d’une part et les lois présentées comme universelles d’autre part est assez décevant. Surtout que dans le champ cognitif, des études il y en a pas mal il me semble, parfois même en contradiction les unes avec les autres. Certains thèmes et idées de recherches peuvent même être très intéressants mais tout de même partiellement biaisés ou revus par la suite (exemple la pyramide de Maslow).
    Tout ne tient pas uniquement dans la réussite d’expériences simples avec des souris ou des chimpanzés. Si ?

    Donc avant de citer toutes les hypothèses scientifiques qui servent aux méchants GAFAM à faire plus d’argent comme des vérités scientifiques absolues, pour justifier à tout prix l’axe de la série (les influx de dopamine), quelques précautions seraient peut-être nécessaires.

    # Les sources

    On arrive a un autre problème : la citation des sources. Je suis le premier enclin à croire tout ce que l’émission me raconte sur les recherches et les intentions des réseaux sociaux, et cela vient toujours conforter un peu ma vision (paranoïaque L.o.L ) des choses, mais à la longue je trouve vraiment que ça dessert le propos de ne jamais avoir le moindre élément de source, pour savoir « comment on sait » justement.

    Est-ce que ce sont les entreprises qui parlent ouvertement de leurs recherches  ? Des anciens employés qui témoignent  ? Y’a t’il eut des vérifications de ces recherches et historiques de développement quelque part que l’on peut consulter  ?

    À l’heure où l’on nous parle sans arrêt de la désinformation par les fausses news qu’on s’échange sans vérifier sur Facebook, simplement parce que ça conforte notre opinion, il serait peut-être temps d’utiliser d’autres méthodes. Ah mais j’oubliais que le canal officiel Arte avait pour effet de valider implicitement toutes les informations qui y passe. Je suis donc bête de demander les sources.

    # Format trop court ?

    Finalement est-ce que le vrai problème ne serait pas la durée trop courte de l’émission (environ 6 minutes) qui empêche de faire tout comme il faut ?
    Je veux bien le croire, pas facile de faire court, concis, et juste.

    Mais après avoir regardé aussi Propaganda du même réalisateur, j’ai comme un doute sur l’emploi des conclusions hâtives et des clichés, propres à faciliter le déroulement rythmé du programme (comment ça comme sur Youtube ?)

    Utiliser un raccourci est un choix, un cliché aussi, qui a un effet sur l’état de nos connaissances mobilisées pour la compréhension du propos.
    Quand on dit sur un ton ironique un peu douteux que « la Corée est un pays tout pourrit » de la même façon qu’on a dit précédemment des vérités communément admises (mais toujours de façon ironique), ou quand on assène sous prétexte d’aller droit au but que « l’inconscient pour faire simple c’est l’enfance », chez moi en particulier (puisque ce texte ici n’est que ma propre vision subjective des choses) il y a à la longue une sorte de méfiance qui se met en place vis-à-vis du propos en général. Allez savoir pourquoi...

    # Bonne petite compilation malgré tout

    Il y a quand même des choses intéressantes évidemment, et je garde les épisodes de Dopamine comme une compilation pour y revenir et faire des recherches plus en détails sur certains mécanismes ou stratégies marketing.
    Par exemple, ne jouant pas à Candy Crush je ne m’étais pas rendu compte que l’entreprise vendait tout simplement la possibilité de réussir les niveaux avancés trop difficile.
    Et l’épisode sur Uber fait du point de vue du conducteur avait enfin un ton un peu plus politique, avec des infos intéressantes sur le positionnement parfois désavantageux des courses proposées automatiquement dont je n’étais pas non plus au courant. Mais encore une fois, il serait bon d’avoir ne serait-ce qu’une idée des sources de ces informations.

    PS : Je suis beaucoup plus sévère sur la série Propaganda par contre qui me donne vite l’impression d’être moi-même manipulé tant les raccourcis sont simplistes et peu étayés.

    • J’y ai beaucoup réfléchi car je l’ai utilisé en classe. Il y a deux choses importantes : à qui s’adressent les formats de 7 mns surdynamités. Pas à moi qui ait besoin de profondeur, qui n’en peut plus de l’internet des plateformes. Mais aux usagers de ces plateformes. Comme toi, j’y ai appris des choses n’ayant jamais été usagere de certaines applis presentées. Je suis vraiment contre la forme, sachant que j’essaye de faire lire des études detaillées sur le sujet à mes élèves et que lire c’est une torture pour eux en debut d’année, sachant que l’analyse des mediums 2.0 nécessite une base de connaissances larges : neurosciences, psychologie, sociologie, histoire, communication etc.qu’ils n’ont pas forcément. Donc, ces capsules sont problématiques mais utiles, j’ai retenu leur attention, on va pouvoir creuser.

    • Je suis d’accord avec l’essentiel de ce que tu dis, d’ailleurs je n’utiliserai pas propaganda...
      Il y a aussi Abstract, the art of design, sur le designer de l’interface d’instagram qui apporte des éléments argumentés avec une esthétique et des procédés pas complètement engageants. J’aurai aimé en savoir plus sur l’inventeur de l’infinite scroll et ses remords par exemple. Le truc c’est que des textes qui parlent de la même chose ça donne ça https://www.cairn.info/revue-multitudes-2017-3-page-60.htm

    • @supergeante j’imagine que si je devais apporter un support vidéo pour lancer la discussion avec des jeunes ou des gens qui n’ont pas l’habitude de cette critique, je pourrais faire pareil que toi et utiliser certains épisodes de Dopamine. Du moment qu’on peut en discuter après c’est déjà ça.
      Un autre support, mais qui demande bcp plus de travail, ce sont toutes ces interview d’anciens développeurs de telle ou telle appli ou réseau social qui ont plus ou moins de remords. Il faudrait en faire une compilation. Mais c’est moins fun à regarder (vu que c’est de la lecture en général).
      Le lien de cairn.info est un peu rude c’est vrai ;)

  • #dopamine
    https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017841/dopamine
    8 épisodes de 7 mns sur l’#internet_des_plateformes et #cerveau.

    La forme me dérange pas mal, comme la série de reportages sur la propagande (https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017871/propagande), mais bon, les capsules sont claires et édifiantes (c’est aussi ça la propagande, mais je m’égare). #attention #cognition

    Tu es accro à tes applis ? Tous les matins après Twitter, tu checkes tes flammes sur Tinder. Pas de métro sans YouTube ou Candy Crush. Instagram est irrésistible, Facebook addictif, t’es accro à Snapchat... et tu pètes les plombs quand t’as plus de batterie pour Uber. T’inquiète pas c’est normal. Toutes ces applis sont conçues pour te rendre complètement addict en activant dans ton cerveau la molécule responsable du plaisir, de la motivation et de l’addiction... la dopamine !

  • Réseaux sociaux, sucre... les Occidentaux accros à la dopamine, propos recueillis par Stéphane Foucart, Le Monde science et techno, 30.01.2018

    Pour le médecin américain Robert Lustig, cette quête du plaisir, fondée sur la dopamine, est l’ennemie du bonheur, qui dépend, lui, de la sérotonine.

    Cette fugace piqûre de bien-être, cette satisfaction éphémère, ce goût de ­reviens-y… De l’utilisation des réseaux sociaux à la consommation de sucre et d’aliments transformés, le plaisir bon marché n’a jamais été aussi pervasif, suscité en permanence par une multitude de nouveaux produits et de services, marketés comme autant de conditions sine qua non au bonheur.
    Plaisir, bonheur : ces deux mots sont au centre de The Hacking of the American Mind (Penguin, 2017, non traduit), le dernier livre du pédiatre et neuroendocrinologue américain Robert Lustig, tout juste paru aux Etats-Unis. Célèbre pour ses travaux académiques sur le sucre – détaillés dans un ouvrage qui vient d’être traduit (Sucre, l’amère vérité, Thierry Souccar éditions, 400 pages, 19,90 €) –, le professeur de l’université de Californie à San Francisco (Etats-Unis) y expose une réflexion scientifique saisissante, aux implications majeures pour la société occidentale.

    Non seulement le bonheur n’est pas la conséquence naturelle de l’accumulation du plaisir, explique-t-il, mais la recherche effrénée de celui-ci pourrait au contraire inhiber le sentiment de plénitude et de contentement.
    Robert Lustig exploite la littérature scientifique récente sans faire mystère de la difficulté à, parfois, établir avec certitude certains liens de causalité entre des comportements et certaines réactions biochimiques. Mais il n’en développe pas moins un ­argumentaire révélant l’un des plus graves malentendus de notre temps, en montrant que le plaisir peut être l’ennemi du bonheur. Entretien.

    Pour de nombreuses personnes, la recherche du plaisir est un préalable au bonheur, ou l’une de ses conditions. Pourquoi penser que ­bonheur et plaisir sont à ce point différents ?

    Le bonheur et le plaisir ne sont en effet pas identiques. Ce sont des phénomènes distincts, très dissemblables, et si nous ne le percevons pas, c’est ­essentiellement parce que l’industrie vend ses produits ou ses services en faisant passer l’un pour l’autre. Je compte sept grandes différences entre les deux, que chacun peut comprendre aisément.
    Le plaisir est de courte durée, le bonheur de longue durée ; le plaisir est viscéral, le bonheur est spirituel ; le plaisir s’obtient en prenant, le bonheur a plutôt à voir avec donner ; le plaisir peut s’obtenir seul, le bonheur est généralement ­atteint au sein d’un groupe social ; le plaisir peut s’obtenir grâce à des substances, mais ce n’est pas le cas du bonheur. Le plaisir extrême peut conduire à l’addiction – c’est par exemple le cas pour l’alcool, la cocaïne, la nicotine et d’une manière générale pour les comportements susceptibles de procurer un plaisir ­ immédiat comme l’utilisation des réseaux ­sociaux ou des jeux vidéo, le shopping, le jeu, la pornographie… Pour tout cela, il existe une forme d’addiction, mais il n’y a rien qui ressemble à une addiction au bonheur.
    Enfin, la septième et dernière différence est que plaisir et bonheur dépendent de deux neurotransmetteurs distincts : dopamine pour le plaisir, sérotonine pour le bonheur. Le plaisir et le bonheur sont localisés dans deux sites distincts du cerveau, mobilisent deux modes d’action différents, deux types de récepteurs différents…

    Pourquoi la dopamine peut-elle conduire à l’addiction ?

    Pour comprendre, il faut savoir qu’un neurotransmetteur, une fois qu’il a été libéré par un neurone, franchit la synapse et se fixe sur un récepteur du neurone suivant. Là, il peut agir de deux ­façons : soit il excite le neurone qui le reçoit, soit il l’inhibe.
    La dopamine est un neurotransmetteur exclusivement « excitateur ». Bien sûr les neurones sont faits pour être excités – et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont des récepteurs ! Mais ils aiment être chatouillés, pas brutalisés : lorsqu’un neurotransmetteur excitateur est fourni à des hautes doses chroniques, il devient neurotoxique.
    Lorsqu’un neurone est chroniquement sur-stimulé, il a donc tendance à mourir. La dopamine, à des hautes doses chroniques, tue les neurones post-synaptiques – c’est le nom qu’on donne aux neurones qui reçoivent l’information. Mais ceux-ci, pour éviter de mourir, peuvent aussi activer un mécanisme d’autodéfense en régulant leurs récepteurs. En gros, lorsqu’un neurone se trouve sous les assauts constants d’un neurotransmetteur, il peut « éteindre » certains de ses récepteurs pour atténuer son ­excitation et éviter la mort.
    Du coup, pour produire le même effet, il faut une quantité supérieure de neurotransmetteurs. C’est un mécanisme universel, appelé « tolérance », qui est propre à de nombreux types de cellules et pas uniquement aux neurones. Dans le cas particulier de la dopamine, en termes humains, cela ­signifie qu’il faut toujours plus de ce qui procure du plaisir pour obtenir la même satisfaction. Il en faut toujours plus pour produire le même effet. C’est ainsi que le plaisir intense et chronique conduit à l’addiction.

    Mettre sur un même plan tout ce qui procure du plaisir – le sexe, l’alcool, le shopping, le sucre ou les réseaux sociaux – est plutôt contre-intuitif…

    Toutes ces activités provoquent en effet des sensations différentes, parce qu’elles passent par des voies différentes. C’est pour cela que nous ne faisons pas le lien. Mais le cerveau, lui, ne s’y trompe pas. Il les interprète et les comprend de la même manière, comme une ­« récompense ». Or la clé du « circuit de la récompense », c’est la dopamine. C’est un mécanisme fondamental, essentiel à la survie de notre ­espèce : il est impliqué dans la motivation, le moteur de nos actions.
    Le titre de mon livre fait référence au « piratage » [hacking en anglais] de notre esprit : c’est précisément ce mécanisme de la récompense qui a été « piraté » par les industriels, pour induire toujours plus de consommation… le tout en organisant, grâce au marketing, la confusion entre plaisir et bonheur (happiness en anglais). Il suffit de lire les slogans publicitaires : « Happy Meal » pour McDonald’s, « Open Happiness » pour Coca-Cola, « Happy Hour » lorsque vous entrez dans un bar…

    Mais en quoi tout cela peut-il entraver ­l’accès au bonheur ?

    Le neurotransmetteur impliqué dans le sentiment de plénitude et de contentement, la sérotonine, a un fonctionnement beaucoup plus complexe que la dopamine. Néanmoins, il est possible de mettre en avant un certain nombre de ­mécanismes par lesquels le niveau de sérotonine dans le cerveau est susceptible de baisser.
    Par exemple, la synthèse de sérotonine ne se fait, dans les tissus cérébraux, qu’à partir d’une brique élémentaire, un acide aminé appelé tryptophane. Or deux autres acides aminés, la tyrosine et la phénylalanine, sont les briques élémentaires de la dopamine et sont en compétition avec le tryptophane pour être, eux aussi, transportés dans le cerveau.
    Pour schématiser : plus les transporteurs d’acides aminés sont occupés à amener les briques élémentaires de la dopamine dans le cerveau, moins ils sont disponibles pour y acheminer le tryptophane… Il y a donc là une sorte d’antagonisme biochimique potentiel entre ­dopamine et sérotonine.
    Il y a d’autres voies de réduction potentielle de la sérotonine. Par exemple, lorsque vous avez une interaction sociale avec quelqu’un, l’échange de regards avec cette personne active vos neurones dits « miroirs » – les neurones de l’empathie. Ce type d’interaction induit la synthèse de sérotonine. Mais si cette interaction se fait par le biais d’un réseau social comme Facebook, à travers les « likes » par exemple, elle active le circuit de la récompense, mais l’absence de contact visuel laisse les neurones miroirs de marbre… D’où, là encore, une baisse potentielle des niveaux de sérotonine et une moindre capacité au contentement.

    D’autres phénomènes conduisent-ils à une baisse de la sérotonine ?

    Oui. C’est en particulier le cas du stress chronique, associé à l’omniprésence de certaines technologies, en particulier le téléphone… Le stress se manifeste par la libération de cortisol. Cette hormone est nécessaire mais lorsque les niveaux de cortisol sont élevés en permanence, le fonctionnement du cortex préfrontal est inhibé.
    Or il s’agit de la zone du cerveau qui vous permet de faire des arbitrages et des choix raisonnés. En gros, c’est ce qui vous empêche de faire n’importe quoi… En ­situation de stress, vous êtes ainsi plus enclin à ­céder face à la tentation du plaisir et vous êtes plus vulnérable à l’addiction. Attention toutefois : l’addiction et la dépression ne sont pas identiques. Des personnes souffrant de dépression ne souffrent pas nécessairement d’addiction, mais ­disons qu’il y a une forte superposition entre ces deux phénomènes. Il est fréquent que les personnes souffrant d’addiction soient déprimées.
    En outre, des expériences sur les animaux ont montré que le niveau de cortisol baisse lorsqu’on s’élève dans la hiérarchie d’un groupe. Plus vous êtes au bas de l’échelle, plus vous êtes stressé. Des recherches indiquent que chez des singes auxquels on laisse la possibilité de s’autoadministrer de la cocaïne, les individus hiérarchiquement inférieurs deviennent plus probablement accros que les mâles « alpha ».
    On retrouve des indices de cela dans les populations humaines : ce sont généralement les plus #pauvres qui souffrent le plus des maladies chroniques associées à certaines addictions alimentaires (obésité, diabète de type 2…). Stress chronique et dopamine : voilà ce qui a le plus changé dans les sociétés modernes au cours des quarante dernières années.

    Vous avez surtout travaillé jusqu’à présent sur l’alimentation et le sucre, pourquoi vous êtes vous penché sur cette question, bien plus vaste, des liens entre plaisir et bonheur ?

    J’ai commencé à travailler il y a longtemps sur les liens entre sérotonine et dopamine. C’était au début de ma carrière et il y avait surtout des données animales. Le temps a passé, j’ai beaucoup travaillé sur le sucre et les addictions alimentaires, et j’ai vite réalisé que nous avions aujourd’hui autant, sinon plus, de données sur le lien entre le régime alimentaire et la santé mentale qu’entre le régime alimentaire et la santé physique ! Mais il fallait remettre ensemble toutes les pièces du puzzle.

    Et puis, en 2014, j’ai visité les installations d’une université et la personne qui organisait la visite était une ancienne héroïnomane. Elle avait arrêté. Je lui ai demandé ce que cela voulait dire, pour elle, d’être clean. Elle m’a fait une réponse que je n’oublierai jamais tant c’était étonnant. Elle m’a dit : « Quand je me droguais j’étais heureuse, mais ma nouvelle vie me donne du plaisir. » Elle avait tout faux. Dans son esprit, tout était inversé. Elle confondait le plaisir avec le bonheur, et le bonheur avec le plaisir. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait écrire ce livre.

    #médecine #marketing #dopamine #réseaux_sociaux #sérotonine #cerveau #addiction #dépression #plaisir #bonheur #stress #hiérarchie

  • Réseaux sociaux, sucre... les Occidentaux accros à la dopamine
    http://abonnes.lemonde.fr/sciences/article/2018/01/29/reseaux-sociaux-sucre-l-occident-sous-dopamine_5248802_1650684.html

    Plaisir, bonheur : ces deux mots sont au centre de The Hacking of the American Mind (Penguin, 2017, non traduit), le dernier livre du pédiatre et neuroendocrinologue américain Robert Lustig, tout juste paru aux Etats-Unis. Célèbre pour ses travaux académiques sur le sucre – détaillés dans un ouvrage qui vient d’être traduit (Sucre, l’amère vérité, Thierry Souccar éditions, 400 pages, 19,90 €) –, le professeur de l’université de Californie à San Francisco (Etats-Unis) y expose une réflexion scientifique saisissante, aux implications majeures pour la société occidentale.

    Non seulement le bonheur n’est pas la conséquence naturelle de l’accumulation du plaisir, explique-t-il, mais la recherche effrénée de celui-ci pourrait au contraire inhiber le sentiment de plénitude et de contentement.

    Robert Lustig exploite la littérature scientifique récente sans faire mystère de la difficulté à, parfois, établir avec certitude certains liens de causalité entre des comportements et certaines réactions biochimiques. Mais il n’en développe pas moins un ­argumentaire révélant l’un des plus graves malentendus de notre temps, en montrant que le plaisir peut être l’ennemi du bonheur. Entretien.

    #Dopamine #Médias_sociaux

  • « Islamo-racaille » : le droit de haïr ? | Vincent Cespedes
    http://www.huffingtonpost.fr/vincent-cespedes/-islamo-racaille-le-droit-de-hair-charlie-hebdo_b_6434686.html

    L’expression « islamo-racaille » est fièrement revendiquée par le rappeur Médine, qui appelle à « [crucifier] les #laïcards » dans son titre Don’t Laïk. En livrant des noms en pâture (de Caroline #Fourest à Nadine Morano), sa plume trempe dans tous les encriers de l’intolérance : celui de la propagande djihadiste et des appels au meurtre de l’État islamiste ("J’mets des fatwas sur la tête des cons", « Au croisement entre le voyou et le révérend / Si j’te flingue dans mes rêves je te demande pardon en me réveillant », « On ira tous au #paradis, enfin seulement ceux qui y croient ») ; celui, insidieux, des doctrinaires qui donnent mine de rien des éléments d’explication-justification aux crimes fanatiques ("Pour repousser les nazislamistes, on ferme les portes de l’éducation", se plaint Médine).

    Au sortir de ce n’importe-quoi diabolisateur, un jeune exclu, mal dans sa vie et mal dans sa peau, a des chances de se sentir à la fois victime d’un vaste complot antimusulman fomenté par la #République (ça, c’est le côté « islamo »), et légitimé d’user de la violence et de la délinquance pour se défendre (ça, c’est le côté « racaille »). Le rappeur résume son prêche en une formule finale : « Islamo-racaille, c’est l’appel du muezzin ». Tout est là : le gangsterisme et le sacré, l’appel à la prière et l’appel à la violence, mixés en un flow assassin qui ne veut pas dire grand-chose, mais qui autorise de se réclamer de Dieu pour faire couler le sang.

    C’est pas, comme l’union nationale d’hier et de demain, l’#opium_du_peuple, mais une toute autre #chimie. Et celle là non plus n’est pas notre meilleure amie...

    #culture_populaire #rap #le_passé_ne_passe_pas #présent_néantifié #nihilisme_généralisé #analgésique #dopamine #épouvante

    • @mona, oui la période est et sera révélatrice. Pas seulement des positionnements (plus ou moins craignos), mais aussi de l’aptitude à prendre en compte une réalité profondément #contradictoire, et des différences, singulières, non dialectisables (?). Comment est on forcé à penser ?

      Je connais pas ce Cespedes, et ai pas d’a priori favorable, mais suis pas sûr qu’il s’agisse d’un glissement de sa part. Oui, il y a la laïcarde Fourest qui vend sa came raciste, et il y a d’autres marchands du temple, tel ce rapeur qui exploite un humus spirituel et une situation de relégation, la hogra (voir le Je suis l’ouest, http://seenthis.net/messages/329590).

      Un trait commun ? Il me semble que cela se fonde sur une #angoisse fondamentale, à la fois terrible et banale. Commune. le besoin de chercher à répondre (et donc de prétendre chercher à répondre) au nihilisme généralisé de « nos » sociétés.

      Autre cas : il y a (?) des pratiques islamiques révolutionnaires et démocratiques, et il y a, dans la révolution, une contre révolution islamiste, (voir l’entretien avec Pierre Torres sur Lundi matin http://lundi.am/spip.php?article27).

    • Je comprends pas @Mona. Il ne défend pas Fourest ou Morano, si ?

      En tous cas sinon je le rejoins sur la question de la responsabilité. La liberté d’expression est un concept creux qu’il va falloir remplir en réfléchissant à l’impact de l’expression publique, avant que la censure ne le fasse à notre place, et j’ai peur qu’on soit bien en retard...

      Six jours après l’arrivée de ce clip sur les réseaux surviennent les attentats à Charlie-Hebdo. Médine n’est bien sûr pas responsable de ces crimes. Mais Médine s’est justement montré irresponsable -en tant qu’artiste diffuseur de mots, d’idées, d’images et d’émotions saturés de rage et de glorifications du pire. De la même irresponsabilité que ces médias qui font tourner en boucle les prêcheurs de haine plutôt que de donner la parole aux jeunes, de contextualiser les enjeux, d’élever les débats au-delà des polémiques odieuses et des hystéries tueuses d’avenir.

    • Bon, mon premier message était un peu elliptique. J’observais simplement le subtil changement de positionnement de quelqu’un que j’ai connu proche de Rokhaya Diallo (il a été son éditeur) et qui semble décider tout à coup de changer de motifs d’indignation prioritaires. C’est très sage de sa part, je ne dis pas le contraire.