#dumézil

  • Notes anthropologiques (LI)

    Georges Lapierre

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    Traité sur l’apparence (VI)
    Le naturalisme et la pensée scientifique

    La pensée dite objective (ou pensée positive, ou pensée scientifique) en scellant d’une manière définitive la séparation entre le sujet pensant et son environnement perçu comme non humain se présente comme l’aboutissement de la pensée religieuse. Elle en marque l’accomplissement. Elle entérine la fin de la pensée religieuse, non parce qu’elle en serait la véritable critique, mais parce qu’elle en est l’achèvement, le point final : la séparation entre l’humain et l’au-delà de l’humain dont nous entretenait la pensée religieuse a atteint son aboutissement, l’au-delà de l’humain est tout bonnement le non-humain. Et le non-humain, celui qui n’entre pas comme sujet dans une relation entre sujets, dans une relation subjective, n’a que l’apparence d’un être humain, il est dieu ou esclave. Le marchand est un esclave qui a choisi d’être un dieu, ou, du moins, qui a vu dans l’argent, le dieu tout-puissant à servir. L’au-delà du sujet n’est pas un dieu ou un esprit comme on le croyait communément sans trop réfléchir à la question, mais l’objet, il est l’apparence qui rend l’humain hors de portée (comme l’esclave n’offre que l’apparence de l’humain), qui rend le soi hors d’atteinte, qui rend le soi inaccessible, comme le voulait Kant avec juste raison. (...)

    #anthropologie #idéologie #science #religion #subjectivité #communalisme #Dumézil #esprits #morts #Kenneth_Rexroth #Maître_Eckhart

  • Notes anthropologiques (XLIX)

    Georges Lapierre

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    Traité sur l’apparence (IV)
    Idéologie et cosmovision

    Le pouvoir se conçoit comme l’exercice contraignant d’une volonté, celle d’une minorité sur le plus grand nombre, en fin de compte, sur la société ; l’État est la forme prise par cette séparation à l’intérieur d’une société entre une classe sociale (que j’ai définie comme la classe de la pensée) et la population saisie dans sa dimension sociale, réduite le plus souvent à produire des biens (une richesse) qui seront ensuite échangés par ceux qui se trouvent au centre de l’activité sociale (les marchands). L’activité marchande a envahi à un tel point notre vie qu’elle constitue la seule expérience que nous ayons de l’échange. Le commerce de marchandises (le marché) en étant l’unique expérience que nous avons de la vie sociale a profondément modifié et modelé notre vision du monde. Déjà avec Karl Polanyi, l’idée de l’échange n’avait plus qu’une seule signification, celle d’échange marchand. De nos jours, pour les historiens et les anthropologues (comme Testart), le mot échange n’a plus qu’un sens unique. Les autres formes d’échange se trouvent à tel point subordonnées à l’échange marchand qu’elles sont reléguées dans les marges de la conscience pour y disparaître comme un bateau faisant naufrage. La victoire du point de vue du marchand sur d’autres points de vue ? La victoire du marché sur la société est totale. (...)

    #anthropologie #échanges #apparence #non-être #cosmovision #idéologie #Polanyi #van_Gogh #Artaud #Descola #Castaneda #Mexique #Oaxaca #Dumézil

  • Notes anthropologiques (XLVI)

    Georges Lapierre

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    Traité sur l’apparence (II)
    De la culture à la nature : naissance d’une cosmovision

    Au cours de réflexions antérieures, j’avais mis en relation l’émergence de la nature, c’est-à-dire d’un univers extérieur à l’humain avec la naissance de l’esclavage comme fondement de la société. C’est avec l’esclavage que le non-humain fait son apparition dans le monde de l’humain et qu’il devient ainsi partie intégrante de notre cosmovision opposant l’humain au non-humain, la culture à la nature. Je ne fais que compléter cette réflexion en envisageant la vie sociale que nous connaissons dans son histoire. L’esclavage, la présence du non-humain comme fondement de la société, a eu pour conséquence le surgissement de l’extériorité dans l’intériorité de la pensée. Dans Le Mythe de la raison , j’écrivais : « Le contenu que nous donnons à cette pensée de l’extériorité, ou pensée positive, est celui de l’asservissement. C’est son seul contenu. On croit en général que la pensée objective est neutre et désintéressée, c’est du moins ce qu’elle prétend être ; il n’en est rien, c’est de la pure hypocrisie, elle est, au contraire, tout à fait intéressée. Ce monde qui se trouve hors de l’humanité (de notre humanité, évidemment) n’existe que pour être au service de l’humanité, que pour être asservi à l’humanité ; nous nous y employons avec la plus implacable et la plus franche brutalité… »

    Une idée est née, celle de la nature. Un concept est né, celui de l’extériorité, de ce qui se trouve hors du monde de l’humain, hors de la spiritualité (si nous estimons que le monde humain est un monde spirituel). Pourtant cette extériorité qui s’est imposée à nous avec tant de force n’est pas extérieure à notre monde comme on le croit communément, elle est dedans. (...)

    #anthropologie #apparence #non-humain #spectres #nature #culture #Descola #forêt #Mahābhārata #cosmovision #Dumézil

  • Notes anthropologiques (XLV)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XLV

    Traité sur l’apparence (I)
    La nature de l’argent

    Nous sommes submergés par l’apparence. Elle fait partie de notre vision du monde. Nous nous heurtons à cette dureté des choses, nous ne les traversons plus. Nous errons dans les villes, nous flânons dans les rues piétonnes bordées de vitrines qui s’élèvent comme des falaises vers un ciel étincelant, nous lambinons dans le centre commercial comme dans un décor de vacances musicales, nous remplissons notre caddie de marchandises pour la semaine à venir, pour notre mort à venir. Étrange vie que cette survie dans un monde qui a perdu toute consistance, où tout n’est plus qu’apparence, une surface de choses vidées de leur substance. L’extériorité se donne à voir, elle est devenue notre décor. Nous sommes devenus extérieurs à nous-mêmes. Ce qui constituait notre substance, notre intériorité, s’est dilué dans l’air du temps, nous sommes devenus des êtres suspendus au-dessus du vide et nous nous accrochons désespérément à tout ce qui pourrait nous ramener sur terre. En vain. Comment décrire ce procès de l’âme, ou de l’esprit, qui nous a conduits à une telle vacance de soi ?

    Pour nous, l’apparence est devenue toute la réalité, elle est la seule réalité. Elle est la réalité qui se dérobe toujours. Le décor du supermarché où nous faisons du lèche-vitrine, le paysage devant lequel s’extasient les touristes, la photographie d’un trou noir prise par des télescopes, et tous ces neutrons qui tournent en ellipse autour de leur noyau sont le résultat d’un même mode d’être, d’un mode d’être unique qui débouche sur une cosmovision qui nous amène à voir la réalité comme apparence. (...)

    #anthropologie #apparence #nature #échange #argent #chasseur #cosmovision #Dumézil

  • Notes anthropologiques (XLIII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XLIII

    L’État, l’argent et le sacré (deuxième partie)

    Georges Dumézil, dans l’idéologie des trois fonctions à laquelle il a consacré avec constance tout son temps de chercheur, présente le souverain (lié au clergé) comme juge suprême au-dessus de la classe des guerriers et de celle de la richesse. Cette dernière classe, celle de la richesse, est porteuse d’une certaine ambiguïté puisqu’elle se partage entre ceux qui produisent de la richesse, les agriculteurs, et ceux qui la créent, les marchands. Est-ce pour cette raison qu’elle est représentée par les Asvin qui sont des dieux jumeaux ? Nous ne savons pas ce que nous devons mettre dans cette troisième fonction, les paysans ou les marchands, ou seulement les marchands qui « suppriment en pensée » le travail des paysans et des artisans dans l’échange ? Les producteurs de biens ou ceux qui en tirent une richesse ? Mais cette hésitation est significative par elle-même. À mon sens, cette idéologie des trois fonctions représente la société indienne après l’invasion des Indo-Européens. Le souverain est solidaire de la classe des brahmanes, il est animé par l’esprit de la société — j’ajouterai par l’esprit de la nouvelle société, celle qui se recompose après la pénétration des Indo-Européens —, esprit qui transcende la société réelle et qui repose sur le don sans idée de retour fait à la classe des brahmanes, ou classe de la pensée. (...)

    #anthropologie #Dumézil #Indo-Européens #Véda #Mahabharata #cosmovision #don #échange #aristocratie #capital #banques #prêt #dette #État