person:carlo vercellone

  • Le neurocapitalisme et la nouvelle servitude volontaire
    https://aoc.media/analyse/2018/10/17/neurocapitalisme-nouvelle-servitude-volontaire

    Le capitalisme contemporain n’exploite plus les travailleurs mais leurs émotions : on est entré dans le neurocapitalisme. Nouveaux instruments de la servitude volontaire, les technologies de l’information se font toujours plus addictives et socialement indispensables. Nos vies privées sont ainsi monétisées et c’est notre commune humanité qui s’en trouve menacée.

    Par Giorgio Griziotti

    Le neurocapitalisme est la phase biocognitive de la valorisation : la connexion entre esprit, corps, appareils et réseaux semble inextricableet détermine l’omniprésence envahissante de la médiation technologique.Le sujet, ses désirs, son potentiel, sont entièrement « mis en valeur »dans la dimension d’hyperconnexion mondiale où toute l’humanité, des savanesà la métropole, est maintenant, à des degrés divers, complètement immergée. —Giovanni Iozzoli

    De nombreux textes, études et analyses sur le rôle des réseaux informatiques et des médias numériques soutiennent que le développement du capitalisme contemporain serait le résultat d’une ou plusieurs découvertes technoscientifiques plutôt que celui des conditions matérielles et politiques déjà formées au sein du capitalisme industriel. Cette hypothèse pose ainsi une discontinuité entre les différentes formes du capitalisme.

    La Ford T et Linux, deux objets techniques universellement connus, peuvent ainsi être présentés comme les symboles des deux ères du capitalisme contemporain : l’ère industrielle et l’actuelle, que certains économistes appellent cognitive [1] car elle met au centre de la production l’exploitation de la connaissance. Partir de ces deux objets représentatifs permet de rendre plus clairs, même pour les non-initiés, les chemins et passages qui ont guidé la naissance de réalités comme le logiciel libre, ou qui ont facilité la diffusion si rapide de la téléphonie mobile, une des technologies qui a le plus influencé les changements de subjectivité.

    Le biohypermédia : ce que le numérique fait au cerveau humain et vice-versa

    Le pas suivant dans cette approche nous conduit au concept de « biohypermédia » comme dimension actuelle de la médiation technologique qui nous enveloppe. Les réseaux et les technologies connectées et portables, incluant l’internet des objets, nous soumettent à une perception multi-sensorielle dans laquelle espaces réel et virtuel se confondent, étendant et amplifiant les stimuli émotionnels. Le biohypermédia est alors « le cadre dans lequel le corps, dans son intégralité, se connecte aux dispositifs de réseau de façon si intime qu’ils entrent dans une symbiose dans laquelle se produisent des modifications et des simulations réciproques » (Neurocapitalisme, p. 132).

    Le concept de biohypermedia se construit dans un moment qui voit émerger la déconstruction de l’anthropocentrisme, l’écologie politique, la bioéconomie, la société de contrôle, la subsomption vitale, et le general intellect. Il s’agit aussi bien d’une nouvelle frontière du capitalisme, qui, de cognitif, devient biocognitif, qu’un instrument heuristique de lecture des transformations anthropologiques : « la pression principale de la séduction numérique est, en réalité, neuronale dans la mesure où elle met au premier plan l’interpénétration de la conscience humaine avec le réseau électronique global. Les technologies actuelles de l’information et des communications extériorisent et dupliquent électroniquement le système nerveux humain » (Rosi Braidotti, The Posthuman, Polity Press, 2013, p. 97).

    Conséquence de cette interpénétration, les affects et les sentiments sont également impliqués dans ce continuum entre vivant et machine. Le jeu d’influence exercé par le neurocapitalisme dans le biohypermedia avec les techniques du marketing sensoriel ou celui de « l’expérience client » se concentre alors sur les émotions. Les grandes lignes directrices de ces méthodologies de manipulation neuronale imposent de saturer le quotidien du type d’émotions qui favorisent la consommation, la superficialité, la faiblesse des liens et tentent d’empêcher leur cristallisation dans des sentiments accomplis.

    « La marchandisation, la gamification et la désensibilisation de la réalité nous poussent vers l’état d’organismes simples, capables de se comporter sans processus mentaux ; des émotions mais pas des sentiments » (Neurocapitalisme, p. 167). Il est désormais scientifiquement établi que la rationalité du comportement fait défaut chez les personnes qui ne peuvent pas ressentir pleinement les émotions et les sentiments (Antonio Damasio, L’erreur de Descartes : la raison des émotions, 1995). Des questions troublantes se posent alors sur notre société, dans laquelle ils sont si fortement et continuellement influencés, manipulés et provoqués dans une perspective obsédante de rationalité financière, de méritocratie.

    La servitude volontaire, aubaine du neurocapitalisme

    En l’espace de deux générations une profonde mutation anthropologique a eu lieu, et les liens des appartenances (ouvrières, prolétariennes, locales et de nombreuses autres catégories), qui avaient caractérisé le capitalisme industriel, ont lâché, nous mettant face au grand large où tout est possible. Y a-t-il des chemins et des processus réels et existants, où le commun et la coopération diffuse pourraient retrouver leur autonomie ? Nous voyons émerger une société des traversées qui semble constituée par des nomadismes existentiels, des dérives, des refus d’appartenance qui dessinent le profil d’individus sans port d’attache, vivant dans la sphère biohypermédiatique, leurs sens perpétuellement saturés, dans un espace constamment redéfini par des algorithmes et des automatismes conçus pour classer et valoriser des milliards de singularités et leurs pratiques. Tel le système de crédit social (SCS) mis en place par le pouvoir chinois et qui rappelle Black Mirror ou 1984. Le SCS est un exemple extrême d’un neurocapitalisme (d’État) basé à la fois sur l’assujettissement social et l’asservissement machinique induit par des algorithmes de classement social.

    Mais en Occident la situation n’est pas forcément très différente : Facebook (FB) est un bon exemple du devenir-machine, avec sa capacité de transformer deux milliards d’« amis » en servo-éléments d’une mégamachine mumfordienne [2]. Un endroit où « on travaille et on produit toujours dans et par un agencement collectif. Mais le collectif ne comprend pas que des individus et des éléments de subjectivité humaine. Il inclut aussi des “objets”, des machines, des protocoles, des sémiotiques humaines et non humaines, des affects, des rapports micro–sociaux, pré-individuels et supra-individuels, etc. » (Maurizio Lazzarato, Signs and Machines : Capitalism and the Production of Subjectivity, Semiotexte,2014, p. 29).

    Qui peut nier que FB soit un territoire global de stimulations comportementales, émotionnelles, affectives et neurales qui construit des processus de symbiose entre objet technique et corps humain ? Les jeux vidéo s’inscrivent dans la même dynamique et ont en commun avec FB une auto-adhésion généralisée. Cependant, il existe des différences substantielles et notamment la quasi-obligation des jeunes générations de rejoindre FB en tant que lieu de coopération et de travail, sous peine d’exclusion productive et sociale. De plus aucun des éditeurs des jeux vidéo ne peut prétendre avoir l’influence de Zuckerberg.

    Il y a cinq siècles, La Boétie dénonçait la « servitude volontaire » envers le « tyran » dans un monde où les sujets de cette servitude étaient les courtisans et les couches intermédiaires du pouvoir. La « servitude volontaire » promue par Facebook obéit et amplifie les règles dominantes de la subjectivité.

    Faire ensemble et défaire le neurocapitalisme

    Les mouvements actuels, à la différence de ceux des années soixante-dix ou quatre-vingt, semblent donner la priorité à l’action et au « faire », et cela est aussi une conséquence logique des dynamiques de la traversée, évoquée auparavant. Le « faire » est directement politique et la conviction est très répandue que dans toute entreprise, de l’expression artistique à la recherche de revenus, il est possible de s’exprimer politiquement. D’autre part, les relations au sein de ces mouvements ont développé un morphisme de la structure d’internet, au sens où les entités et les initiatives autonomes qui le constituent sont reliées d’une manière souple et souvent éphémère et constituent un « réseau de réseaux » d’instances de type divers.

    Ce même « faire », en se déployant sur le territoire, est capable d’inventer le futur dans un remixage des objets techniques et des savoirs de la nature globale. Il peut alors fonctionner comme le moyen d’accès privilégié à une reformulation de l’écologie-monde, selon la définition de Jason Moore (Anthropocene or Capitalocene ? 2016), dans la continuité de Gorz et Guattari. « Faire » réinvente les formes de coopération autonome à partir même des résultats les plus avancés de la technologie, pour les soustraire à la domination de l’idéologie néolibérale et au contrôle financier.

    On reproche souvent à ces pratiques sociales et économiques répandues et virales un manque de stratégie politique. Sauf que c’est précisément dans ce manque que réside peut-être une force souterraine. Dans les modestes déploiements d’un large éventail de possibilités, parfois contradictoires entre elles, mais capables de mettre en jeu des tentatives, des hésitations, des peurs ou des petites stratégies pour essayer de recréer cet humus qui peut faire fermenter une nouvelle possibilité (pas une sortie, car en réalité ne sort jamais de rien). Résister à l’entropie, la défaite ultime de notre aventure en tant qu’humain, telle est la question véritablement en jeu dans les tentatives d’affronter le neurocapitalisme.

    –—

    [1] Voir par exemple Carlo Vercellone, « La Thèse du capitalisme cognitif : une mise en perspective historique et théorique », 2009. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00401880/document

    [2] Lewis Mumford, Le Mythe de la machine, Fayard (2 volumes). Mumford a introduit en 1967 le concept de mégamachine en tant que complexe social et technologique qui modélise de grandes organisations et des projets où les humains deviennent des pièces interchangeables ou des servo-unités.

    Giorgio Griziotti a récemment publié
    Neurocapitalisme. Pouvoirs numériques et multitudes, C&F Éditions, 2018
    https://cfeditions.com/neurocapitalisme

    #neurocapitalisme #production_immatérielle #postfordisme

  • Les institutions du welfare comme enjeu de la crise. Vers un welfare du commun | Contretemps
    http://www.contretemps.eu/interventions/institutions-welfare-comme-enjeu-crise-vers-welfare-commun

    Souvent revendiquée par la gauche radicale, la « défense des services publics » dépasse rarement le niveau d’une lutte défensive. Pour Carlo Vercellone, les institutions du welfare sont pourtant au cœur d’une contradiction qui oppose la logique rentière du capitalisme cognitif à la dynamique de l’économie fondée sur la connaissance et la satisfaction des besoins sociaux. Ces institutions présentent à ce titre un potentiel de transformation sociale globale dont le revenu social garanti, inconditionnel et indépendant de l’emploi, pourrait représenter un moment clé.

    • (extrait)

      Une somme fixe d’argent, versée à chaque citoyen, salarié ou pas, de manière automatique, pour mieux accompagner les mutations du monde du travail ? Des expérimentations – encore floues – sont annoncées en Finlande ou aux Pays-Bas. L’Aquitaine veut y réfléchir. Le vieux débat sur le revenu de base reprend de plus belle.

      Si les élections législatives d’avril, en Finlande, ont attiré l’attention des médias étrangers, c’est d’abord en raison de leur dénouement : le parti centriste, vainqueur du scrutin, a choisi de s’allier avec l’extrême droite des Vrais Finlandais pour former un exécutif inédit dans l’histoire du pays. Mais ce n’est pas le seul fait à retenir. Lors des semaines précédant la consultation, le parti centriste de Juha Sipilä (devenu, entretemps, premier ministre) s’était aussi prononcé pour une mesure originale : l’expérimentation d’un revenu de base.

      À Helsinki, une majorité de députés semble aujourd’hui prête à défendre cette promesse. Rien ne dit pour autant que le chef du gouvernement la mettra en œuvre, en particulier parce que ses partenaires de coalition n’y paraissent pas tous très favorables. Mais le débat sur les vertus d’un revenu de base, et ses modalités très controversées, a été relancé.

      En Suisse, un référendum est censé avoir lieu sur le sujet, sans doute en 2016, après le dépôt à Berne de 126 000 signatures exigeant la tenue de cette consultation. En Espagne, la promesse figure, parfois, parmi les revendications du mouvement anti-austérité Podemos. Aux Pays-Bas, la ville d’Utrecht va lancer une expérimentation à partir de janvier 2016, sur un groupe d’environ 300 personnes (on parle d’un forfait de 900 euros par mois pour un adulte, 1 300 pour un couple).

      En France, une association, lancée en 2013, le Mouvement français pour le revenu de base (MFRB), qui revendique 600 adhérents, organise ses journées d’été du 21 au 23 août près d’Annecy. Avec d’autres, elle a lancé fin 2014 un journal gratuit, L’Inconditionnel, qui propose de répondre à cette question aguicheuse : « Et vous, que feriez-vous si vous n’aviez plus à gagner votre vie ? » Dans Liber, un revenu de liberté pour tous (L’Onde, 2014), l’ingénieur Marc de Basquiat (membre du MFRB) et l’essayiste étiqueté libéral Gaspard Koenig militent pour un revenu minimum baptisé Liber (450 euros pour un adulte), financé par un impôt sur les revenus et censé se substituer « au maquis des allocations spécifiques » (en l’occurrence, avant tout, le RSA et la prime pour l’emploi).

      Les défenseurs du revenu de base avaient déjà fait parler d’eux en janvier 2014. Ils avaient alors récolté, à travers toute l’Europe, 285 000 signatures de citoyens qui s’étaient déclarés favorables à un « revenu de base inconditionnel ». L’opération n’avait pas suffi à enclencher une dynamique au sein de l’Union. Il aurait fallu beaucoup plus – rassembler un million de noms en l’espace d’un an – pour contraindre la commission de Bruxelles à s’emparer de ce dossier, souvent qualifié de totalement utopique par ses adversaires.

      Ces initiatives désordonnées prouvent que le débat sur le revenu de base (« RDB »), vieille idée surgie à la fin du XVIIIe siècle (avec les travaux du Britannique Thomas Paine), s’intensifie. « Pourquoi cette idée retrouve-t-elle de l’audience aujourd’hui ? Sans doute parce qu’elle répond à une double préoccupation de notre époque, marquée par la persistance du chômage de masse et du sous-emploi et la montée des inégalités », écrit la journaliste Sandra Moatti dans l’éditorial du dernier numéro de L’Économie politique, qui y consacre un dossier très stimulant (juillet 2015, éditions Alternatives Économiques).

      Suite : http://www.mediapart.fr/journal/economie/300715/de-la-finlande-laquitaine-le-revenu-de-base-en-debat

      http://www.anti-k.org/2015/07/30/de-la-finlande-a-laquitaine-le-revenu-de-base-en-debat

    • (extrait - suite et fin)

      De quoi parle-t-on ? Voilà l’idée générale, qui a rarement dépassé le stade de la micro-expérimentation à travers le monde (sauf quelques exceptions comme l’Alaska) : un revenu fixe, versé à n’importe quel citoyen jusqu’à sa mort, sans aucune condition ou contrepartie (« inconditionnel, universel et forfaitaire », disent les économistes). Qu’on soit riche ou pauvre, avec ou sans emploi, seul ou en ménage, tout le monde touche la même somme. Dans la pratique, il existe des dizaines de manières d’imaginer et de financer cette garantie, théorisée par des économistes de droite (Milton Friedman et son « impôt négatif ») comme des penseurs de gauche (André Gorz et son « revenu d’existence »), des néolibéraux comme des anticapitalistes, et défendue, chez les politiques français, tout à la fois par José Bové et Christine Boutin.

      Pour des esprits façonnés par des décennies d’un État redistributif à la française, l’initiative peut troubler. Tout simplement parce qu’elle revient à découpler la question du travail de celle du versement de prestations sociales. C’est ce qu’explique très bien Julien Dourgnon, ancien conseiller de l’ex-ministre Arnaud Montebourg dans L’Économie politique : « Le RDB, par ses caractéristiques (universalité, inconditionnalité, égalité) entend défaire le monopole et l’emprise de l’emploi sur la construction de la protection sociale. Il se fonde sur une logique où le sous-emploi permanent devient une norme acceptable et acceptée au nom d’un principe de réalité et d’un principe de justice. […] C’est pourquoi le RDB n’est pas un revenu d’exception mais un revenu permanent. »

      Une « étude de faisabilité » lancée en Aquitaine

      L’horizon du plein emploi s’est éloigné. Le travail « en miettes » et les emplois de mauvaise qualité se sont généralisés. Il faudrait donc adapter la protection sociale aux mutations de l’emploi à l’âge du capitalisme financier. Certains se risquent même à imaginer le remplacement à grande échelle des travailleurs par des robots. Dans cette optique, le revenu de base permettrait « le passage d’un modèle de précarité subie à un modèle de mobilité choisie », prédit Carlo Vercellone, maître de conférences à Paris-1 et théoricien, avec d’autres, du « capitalisme cognitif ».

      L’avènement du revenu de base permettrait de mieux prendre en compte ce travail non marchand, difficile à quantifier exactement, mais de plus en plus décisif, sur fond d’essor du numérique et de culture des « communs » (lire, en écho, l’entretien avec Michel Bauwens sur Mediapart). Ce revenu aurait aussi l’avantage de régler les problèmes d’« incitation » redoutés par certains économistes (lorsqu’un chômeur, dit-on, rechigne à prendre un emploi mal payé, pour conserver ses indemnités chômage) : le « revenu plancher » resterait fixe, même si les revenus complémentaires, tirés de l’activité, eux, progressent.

      Au fond, les ambitions des uns et des autres, autour d’un même projet, sont très variables. Pour les libéraux, un revenu de base fixé à des niveaux plutôt faibles, permettrait surtout de simplifier les rouages de l’État social, pour le rendre plus efficace – quitte à rendre plus acceptables les inégalités de la société, sans s’y attaquer pour de bon. Pour les défenseurs d’un modèle alternatif à l’hégémonie néolibérale, le RDB doit être une option plus ample, dans le sillage des travaux, par exemple, d’André Gorz (dès Adieux au prolétariat, 1980) : ce serait « l’un des instruments d’une transformation sociale radicale et émancipatrice », à condition de le combiner avec la réduction du temps de travail et l’essor d’« activités autonomes », explique la sociologue Françoise Gollain, toujours dans L’Économie politique.

      L’extrême variété des approches saute aux yeux dès lors que l’on entre dans la pratique. Les pistes de financement de ce revenu de base sont pléthoriques. Ses avocats en répertorient une petite dizaine (lire ici), de la fiscalité (impôt sur le revenu, taxe sur le capital ou les transactions financières, etc.) à la création monétaire (via des monnaies locales ou une réforme des mandats des banques centrales, par exemple, une piste préférée par de nombreux écologistes). La question du montant exact de ce revenu donne lieu à des réflexions très complexes. Et tout le monde n’est pas d’accord, non plus, sur un autre point décisif : ce RDB vient-il compléter l’existant ou remplace-t-il la plupart des prestations sociales ?

      Dans son éditorial, Sandra Moatti cite les mises en garde du sociologue Robert Castel, qui voit dans ce revenu de base l’exemple même de la « mauvaise utopie » : « D’un montant trop faible pour se passer de travailler, il offrirait au capitalisme une “armée de réserve” où puiser à moindre coût des travailleurs déjà partiellement rémunérés par un médiocre revenu de subsistance. » Le RDB comme un outil d’exploitation d’un nouveau genre ?

      « C’est une crainte exagérée, réagit Jean-Éric Hyafil, un économiste membre du MFRB joint par Mediapart. Dans les années 80 et 90, c’était une idée qui était très associée à l’impôt négatif théorisé par l’économiste américain Milton Friedman. Dans cette configuration, il est prévu de supprimer le SMIC. Mais ce n’est pas du tout ce que l’on défend au sein du Mouvement : il n’est pas question de toucher au SMIC, pour mettre en place ce revenu de base. Puisque le SMIC ne disparaîtrait pas, la crainte exprimée par Robert Castel n’est pas fondée. »

      À l’initiative du groupe EELV, le conseil régional d’Aquitaine a donné son feu vert, début juillet (grâce à une très forte abstention), à la réalisation d’une étude de faisabilité d’un « RSA inconditionnel ». Il s’agirait d’une « première étape vers un revenu de base universel ». Le projet, encore vague, reste modeste : les règles de calcul du RSA ne seraient pas modifiées, mais les ayants droit n’auraient plus aucune démarche à effectuer, en particulier pour prouver qu’ils recherchent « activement » un emploi, pour toucher cette aide.

      « La plupart des travailleurs pauvres qui ont droit au RSA ne le demandent pas, notamment parce que c’est stigmatisant de le demander. De ce point de vue, cette mesure aurait un impact important, assure Jean-Éric Hyafil. Mais il y aurait bien sûr, ensuite, un autre chemin à parcourir pour passer d’un RSA inconditionnel à un RSA inconditionnel, universel et individuel. » En clair, un RSA forfaitaire, versé à tous les citoyens.

      C’est, semble-t-il, la stratégie du Mouvement français pour le revenu de base : ne pas plaider pour un big-bang fiscal du jour au lendemain, mais bien plutôt réformer les prestations sociales existantes et les tirer, au terme d’expérimentations locales, vers un revenu de base plus ambitieux. Pour y parvenir, il faudra encore faire taire les très nombreux sceptiques.

      Lire aussi

      « Faut-il défendre le revenu de base ? - dossier » L’Économie politique, numéro 67, juillet 2015, éditions Alternatives Économiques.
      Michel Bauwens : « L’hégémonie du libéralisme a été cassée par le numérique » - Par Jade Lindgaard
      Michel Bauwens : « Vers une économie post-capitaliste » - Par Joseph Confavreux et Jade Lindgaard
      Fusionner le RSA et la prime pour l’emploi, explications - Par Michaël Hajdenberg
      Le RSA jeunes, total non-évènement - Par Mathieu Magnaudeix

      http://democratie-reelle-nimes.over-blog.com/2015/07/de-la-finlande-a-l-aquitaine-le-revenu-de-base-en

    • Présentation du revenu de base dans La Tribune

      « Un revenu de base pour tous et sans condition ? Une idée au service de l’esprit d’entreprise », entretien avec Jean-Marc Ferry
      http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20130618trib000771011/-un-revenu-de-base-pour-tous-et-sans-condition-une-idee-au-service-de-l-es

      Le revenu de base (1/3) : les fondements
      http://www.latribune.fr/economie/international/le-revenu-de-base-1-3-les-fondements-497079.html

      Le revenu de base (2/3) : comment l’appliquer ?
      http://www.latribune.fr/economie/france/le-revenu-de-base-2-3-comment-l-appliquer-497078.html

    • J’ai pas pris le temps de tout lire, ni du premier article, ni de la série du second. Mais je pense que pour comprendre les enjeux du revenu de base, notamment du point de vue des idées de gauche, le point crucial est que les milliards de pauvres ne sont pas le fond du problème. Partant de là, il sera plus facile de se focaliser vers une direction.

    • @02myseenthis01 vu comme tu écris, je pense que tu as suffisamment de style (ça doit être pareil à l’oral je suis sûr), pour rendre attrayant à un auditoire fermé, obtus, ou récalcitrant le sujet du RdB.

      Un de mes amis en avait parlé à une jeune ingénieure débutant sa carrière et passant des journées parfois interminables à travailler dans le bureau d’études qui l’employait, finissant régulièrement par des réunions tardives. Parfois elle se pleignait de finir tard son boulot, mais elle semblait avoir pris les traits d’une #workaholic (une #travailholic) ; bref une addicte au labeur.

      Du coup, cet ami avait fini par lui refiler sur une clé usb le documentaire Le revenu de base, une impulsion culturelle , en pensant que ce film serait un intermédiaire et une manière d’aborder le sujet avec elle, de manière plutôt délicate. Et c’est à partir de ce moment précis qu’elle n’a plus désiré le revoir.

      Donc je me dis que pour aborder certains sujets il doit y avoir des stratégies ou des techniques, comme l’humour par exemple. Même un documentaire bien expliqué peut être trop frontal, et repousser, comme le documentaire que j’ai cité ci-dessus.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Bourreau_de_travail
      https://www.youtube.com/watch?v=-cwdVDcm-Z0

      #addictions

    • @la_taupe , comment dirais-je ?

      C’est à mon avis une des rares expériences dans notre vie humaine, qui permet une généralisation sans des si et des mais : malgré tous les efforts, sans l’avoir appris dès son enfance on se découvre limité dans un idiome étrangé.

      Ainsi s’explique certainement une tendence à la simplification de la grammaire et du vocabulaire, par laquelle j’arrive néanmoins cahin-caha à manoeuvrer mon navire notoirement trop chargé sur des eaux vastes et périlleux du français, menacé par des brisants grammaticaux et des monstres se levant des abîmes d’orthographe - du même coup et pire encore je me pilote exposé aux sirènes obsédées et vangeresses de la propre langue, qui trompent incessamment le marin errant avec des expressions idéomatiques et d’une syntax intièrement inutilisable.

      Vu ma situation désillusionnante, mais vu aussi, que #Seenthis est une des rares îles bien entretenue et encombrée d’un esprit journalistique expérimenté et généreux, j’éspère que des chastes circonstances d’un naufragé dépourvu se font entendre : tant de fois déjà gîté, qui pourrait s’étonner qu’on préfère de se contenter avec la même brièveté dans le billet introductoire qui m’a leurré irrésistiblement de m’essayer à son ambiguité contextuelle.

      [ #exercice en français écrit]
      (La_taupe, je reviendrai à ton sujet posé si bien caractérisé et circonscrit.)

    • @02myseenthis01 je vais relire ton dernier commetaire à tête reposé, car te lire est pour moi une gymnastique :)

      Par exemple parce que je voudrais être sur de te comprendre sur ce paragraphe :

      C’est à mon avis une des rares expériences dans notre vie humaine, qui permet une généralisation sans des si et des mais : malgré tous les efforts, sans l’avoir appris dès son enfance on se découvre limité dans un idiome étrangé.

      C’est avec plaisir que je te lis (et relis).

    • Surtout avec le paragraphe introductoire, @la_taupe ,je ne suis pas tellement content non plus.

      Est-ce qu’il s’y agit des problèmes avec le pronom du complément direct et avec l’expression « des rares expériences dans notre vie humaine » ?

      a) Le pronom en cause dans « sans l’avoir appris dès son enfance » se réfère à « un idiome étrangé » ; cet emploi pourrait causer quelques irritations, parce que normalement on attendrait d’un antécédant qu’il soit déjà mentionné avant le pronom. En allemand (pour moi : « propre langue » cf. le paragraphe suivant) cette construction serait malgré tout possible, mais demanderait un changement dans la prosodie (l’accentuation dans une phrase ou différent phrases suivantes... cf. les « sirènes » dans le paragraphe suivant).

      b) « des rares expériences dans notre vie humaine » - je voulait éviter « des rares expériences dans notres relations sociales », pour y suivre dès le commencement un style exagérant d’une manière pseudo archaique.

      c) « sans des si et des mais » - je l’ai utilisé pour ironiser et contrecarrer un peu le style choisi.

      Le 1ier paragraphe pourrait alors avoir une solution suivante :

      C’est à mon avis une des rares expériences dans notres relations humaines, qui permettrait une généralisation sans des si et des mais : on se découvre limité dans un idiome qu’on n’a pas appris dès son enfance.

      [ #exercice en français écrit]