person:peggy mcintosh

  • La souffrance individuelle (et collective) est-elle un critère politique ? – Chi-Chi Shi
    http://revueperiode.net/definir-ma-propre-oppression-le-neoliberalisme-et-la-revendication-de-

    De bien des manières, le défi radical que constituaient les politiques de l’identité a été désarmé et subsumé sous la valorisation néolibéraliste de la différence individuelle. Sans théorie explicative de l’identité, les identités apparaissent comme déjà constituées, des fac-similés cristallisés de la lutte sociale. Séparées de l’histoire matérielle de l’identité, les politiques de l’identité deviennent complices de la diversification du capitalisme.

    C’est ce que montre l’injonction à en finir avec le « classisme » en tant que discrimination contre les membres de la classe ouvrière, une tentative erronée de saisir la manière dont les rapports de domination fonctionnent au travers de la classe. Le « classisme » est un symptôme d’une société capitaliste fondée sur l’exploitation de classe. Se focaliser sur les effets culturels de l’identité mène à une analyse dématérialisée qui ne peut appréhender le système de classes comme étant nécessaire à l’exploitation du travail, plutôt qu’en termes d’identité dénigrée qui doit être libérée. Cela s’ancre dans la logique sociale et politique du néolibéralisme qui traite les forces marchandes du capitalisme comme étant inévitables et incontestables. La prévalence des glissements discursifs vers une explication de l’oppression en termes de préjugés et de stigmates, ce qu’illustre le langage du classisme, s’inscrit dans cette naturalisation. Cela dissocie l’oppression d’une analyse systémique utile reconnaissant la fonction systémique cruciale jouée par l’oppression. En conséquence, cela naturalise les systèmes d’oppression. Le classisme en est l’exemple le plus évident. Selon cette analyse, les pauvres et les membres de la classe ouvrière souffrent à cause de l’attitude des membres des classes moyennes et supérieures envers eux, et non parce qu’ils sont exploités par les modes de production capitalistes. Les inégalités de richesse et de revenus sont imputées aux préjugés : « le classisme est un traitement différencié en raison de la classe sociale ou de la classe sociale perçue. Le classisme est l’oppression systématique des groupes des classes subordonnées pour avantager et renforcer les groupes des classes dominantes. C’est l’assignation systématique des caractéristiques de valeur et de capacité basées sur la classe sociale41 ».

    L’organisation Class Action a son propre slogan : « bâtir des ponts pour réduire la fracture de classe », situant la discrimination de classe dans les relations interpersonnelles qui découlent des caractéristiques systémiques des préjugés. Au lieu d’abolir les rapports de classe, le classisme met l’accent sur l’atténuation des effets individuels des rapports de classe, comme « se sentir inférieur aux membres des classes supérieures ». Au lieu d’exiger le démantèlement du système de classes capitaliste, Class Action met l’accent sur la reconnaissance de la souffrance causée par les relations interpersonnelles comme solution à l’inégalité, aplanissant la fonction de la race, de la classe et du genre en les égalisant par le prisme de l’identité descriptive.

    Je ne remets pas en question le fait que la souffrance qui marque la vie des sujets opprimés doive jouer un rôle dans la résistance à l’oppression. Toutefois, la tendance au culturalisme dont font preuve les politiques de l’identité contemporaines mène à concevoir la résistance comme tournée vers l’intérieur, vers les symptômes de l’oppression et à un éloignement des causes systémiques. Ce repli sur soi s’incarne dans la popularité de la théorie du privilège. La théorie du privilège est un exemple de la manière dont les inégalités structurelles sont situées dans les positions individuelles des sujets. La conception qu’a Peggy McIntosh du privilège blanc se situe au fondement à la compréhension actuelle. Elle compile une liste de 50 bénéfices quotidiens du privilège blanc : « J’en suis venue à voir le privilège blanc comme un ensemble invisible d’atouts immérités que je peux encaisser chaque jour, mais desquels je demeure inconsciente42 ». Le concept de privilège personnel comme « avantage immérité (…) à cause de la discrimination » est devenu omniprésent dans le discours des politiques de l’identité43. L’expression « Check your privilege » est devenue un cri de ralliement politique, laissant entendre que la résistance doit débuter par la reconnaissance de la position personnelle de chacun au sein du système.

    #identité #politique_de_l'identité #théorie_du_privilège

    Edit #privilège_blanc #intersectionnalité #individualisation

    Reste étonné par ce glissé/collé là : le #classisme vu comme représentation redoublant un stigmate, #stigmatisation et donc utilisable comme catégorie négative, voire insulte à destination de suppôts de l’oppression, plutôt que le classisme (d’antan ?), position de classe, position théorique revendiquée. Un effet de la pullulation universitaire ?

  • Peggy McIntosh – Qu’est-ce que le privilège blanc ? | Etat d’Exception
    http://www.etatdexception.net/peggy-mcintosh-quest-ce-que-le-privilege-blanc
    http://www.etatdexception.net/wp-content/uploads/2017/10/Couv-Privilège-Blanc-EE1.jpg

    En pensant à la non-reconnaissance du privilège masculin comme phénomène, j’ai réalisé, puisque les hiérarchies dans notre société sont étroitement liées, qu’il y avait très probablement un phénomène de privilège blanc qui était nié et protégé pareillement. Comme personne blanche, j’ai réalisé qu’on m’avait enseigné que le #racisme était quelque chose qui désavantageait d’autres, mais on m’avait appris à ne pas voir un de ses aspects corollaires, le privilège blanc, qui me procure un avantage.

    #privilège_blanc

  • L’invisibilité des « privilèges blancs »

    "Lors d’une discussion avec un proche, militant anarchiste et anti-raciste de longue date, quand je lui parle de l’importance de la race dans nos cadres conceptuels et dans les stratégies des mouvements sociaux, il me rétorque : « Faut-il rappeler que l’oppression n’a pas de frontière, et que les opprimés n’ont pas de couleur ? » Cette déclaration sincère, me semble néanmoins symptomatique de l’aveuglement à la couleur, et de la difficulté à penser ses propres privilèges.

    Interroger les « privilèges blancs » serait, m’a-t-on dit à plusieurs reprises, une question mal posée, parce qu’elle oppose les opprimé∙e∙s, au lieu de les rassembler. Cette lecture, qui s’insère dans un héritage intellectuel français marxiste, et qui identifie la classe, plutôt que la race (ou d’autres variables), comme déterminant essentiel des expériences des individu∙e∙s, alors qu’il y a une évidence du contraire, doit être interrogée.

    Cesser de concevoir une blanchité faussement neutre et désincarnée, et plaider pour une blanchité située, qui ferait la part de cette position de dominance dans l’espace social, serait le projet « of making whiteness strange », et de la rendre – parce qu’inexplorée – étrange et insolite.

    C’est l’expérience qu’a réalisée Peggy McIntosh. Dans un article qui fait aujourd’hui référence, elle se questionne sur les « privilèges des blancs ». Elle souligne le fait qu’on enseigne avec soin aux « Blanc∙he∙s s » à ne pas reconnaître leurs privilèges, tout comme les hommes sont socialisés à ne pas reconnaître leurs avantages liés à leur condition d’individu de sexe masculin. On pourrait rajouter à cette liste les hétérosexuel∙le∙s.

    Elle explique qu’elle s’est attachée à la couleur de peau, plus qu’à la classe sociale, la religion ou le statut ethnique, bien que tous ces facteurs soient bien sûr très liés. On peut faire l’hypothèse que le contexte de la société américaine, anciennement ségrégationniste et marquée par l’esclavage, explique sans nul doute l’importance de la couleur de peau, comme caractéristique des processus de catégorisation de l’autre, de sa labellisation. De plus, si cet attribut n’est certes pas la seule cause de racisme, il tient une place importante dans la définition de l’identité ethnico-raciale, et a une signification toute particulière, dans une société ou l’on accorde autant d’importance au visuel et à l’image, donc au visible.

    C’est ainsi que P. McIntosh définit les privilèges de la peau blanche (white skin privileges), comme un pack invisible chargé de biens immérités sur lesquels elle peut compter dans sa vie quotidienne, mais au sujet desquels, elle était supposée demeurer inconsciente : « Je pense que les Blancs ont été consciencieusement éduqués pour ne pas reconnaître le "privilège de la peau blanche", tout comme les hommes ont appris à ne pas reconnaître les privilèges masculins. C’est ainsi que j’ai commencé à chercher (de manière intuitive), ce qu’est un "privilège de la peau blanche". J’en suis arrivée à percevoir ce privilège, comme un paquet invisible obtenu sans aucun mérite, et contenant des provisions sur lesquelles je peux compter chaque jour, paquet qu’on me "signifierait" de toujours oublier. Le "privilège de la peau blanche", c’est en fait un sac à dos invisible et sans poids, rempli de fournitures spéciales, cartes, passeports, carnets d’adresses, codes, visas, vêtements, outils et chèques en blanc » (McIntosh, 1989).

    Elle dresse ainsi une liste de cinquante privilèges qu’elle a pu identifier, comme par exemple « Si je suis convoquée par le/la professeur.e de mon enfant, je ne crains pas qu’il/elle soit raciste », ou encore « je trouve partout du maquillage ou des pansements couleur "chair", qui s’accordent à ma couleur de peau »...."

    http://cedref.revues.org/428#ftn28