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  • #Grèce : les migrants arrivent toujours à Lesbos, sans pouvoir en partir

    4 décembre 2017 Par Elisa Perrigueur

    Plus de 8 500 demandeurs d’asile sont actuellement bloqués sur l’île de #Lesbos, avec interdiction de se rendre sur le continent grec. Alors que le principal camp de l’île, #Moria, est largement surpeuplé, des migrants arrivent chaque jour depuis la Turquie, située à une dizaine de kilomètres.

    Lesbos (Grèce), envoyée spéciale.– Lorsqu’il a voulu traverser la dizaine de kilomètres de la mer Égée qui séparent la Turquie de l’île grecque de Lesbos, l’Irakien Muhammad n’a eu aucun mal à trouver un passeur. Aux frontières de l’Europe, ce business obscur est enraciné. Concurrentiel, selon l’étudiant de 26 ans. « Dans le quartier d’Aksaray à Istanbul, il y en a plein… »

    Muhammad, veste de cuir marron et l’air sûr de lui, a pu choisir son tarif en négociant avec « des Syriens, des Irakiens, de [son] âge, qui travaillent sous pseudo ». Avec toujours la même stratégie commerciale. « Au début, ils étaient sympas avec moi pour me vendre leur trajet, ils m’emmenaient boire du thé, plaisantaient. » Mais une fois l’argent déposé auprès d’une épicerie d’Istanbul, la relation a changé. « Ils ne répondaient plus au téléphone, ils m’ont abandonné près de la plage de Dikili [à l’ouest de la Turquie – ndlr] avec des migrants syriens. » Après avoir dormi plusieurs jours dans une forêt de la côte turque égéenne, le 20 novembre, Muhammad a finalement gagné les rives de Lesbos sur un bateau pneumatique, pour 500 euros.

    En 2015, lorsque près d’un million de migrants avaient franchi cette frontière maritime, la traversée coûtait de 1 500 à 2 000 euros. Juste après la signature de l’accord controversé entre l’Union européenne (UE) et la Turquie, en mars 2016, le nombre des passages avait chuté. Mais ces derniers mois, il repart à la hausse : 26 167 personnes sont arrivées dans le pays en 2017, par la mer pour une majorité d’entre elles, selon l’Organisation internationale pour les migrations. « On enregistre une hausse des venues cet automne, précise Astrid Castelein, responsable au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cela peut s’expliquer par la météo, la mer est très calme. »
    Désormais, chaque jour, comme Muhammad, en moyenne 120 migrants arrivent sur les îles grecques situées en face de la Turquie, notamment Lesbos, Samos ou Chios, indique Georges Christianos, commandant de la garde côtière hellénique et directeur du bureau de surveillance maritime.

    Et les trafiquants prospèrent toujours sur la misère. « Les passeurs sont nombreux. Nous en avons arrêté 800 depuis 2015 dans les eaux territoriales grecques, dont 210 cette année », affirme-t-il. Condamnés sur la base de témoignages de migrants et de flagrants délits, ils écopent de peines allant jusqu’à dix ans de prison et d’une amende de 1 000 euros par migrant transporté. « Ces trafiquants sont souvent des hommes entre 25 et 30 ans. Sur les 800 arrestations, 20 femmes ont été interpellées. Un quart de toutes ces personnes arrêtées sont d’origine turque. » Pour beaucoup, des pêcheurs familiers des rivages montagneux près d’Izmir, Ayvalik, Bodrum, qui connaissent les eaux et maîtrisent leurs courants. Mais les passeurs sont aussi syriens, irakiens, pakistanais et ces deux dernières années, issus d’ex-pays soviétiques comme l’Ukraine.
    Leurs « clients », des Syriens, Afghans, Soudanais, Congolais… payent 300 euros pour une place dans un canot pneumatique surchargé, 1 000 euros pour un passage dans un hors-bord et 2 000 euros pour une traversée sur un voilier de luxe. Certains passeurs restent à terre. D’autres accompagnent les embarcations sur des canots annexes, selon le ministère grec de la marine, pour pouvoir récupérer les moteurs et bateaux après la traversée. Avec la distance pour avantage. « La Grèce et la Turquie sont parfois si proches qu’un passeur peut rejoindre les deux rives en une dizaine de minutes », explique Georges Christianos. Mais une traversée peut aussi durer plus de deux heures, en fonction du point de départ en Turquie.

    Aujourd’hui, ces trafiquants d’hommes doivent être plus stratégiques pour rester invisibles. Car depuis mars 2016, la frontière maritime a été barricadée. Vers 18 heures, le 24 novembre, un voile noir enveloppe les hauteurs de Lesbos. La patrouille portugaise de l’agence Frontex, chargée de surveiller les frontières extérieures de l’Union européenne, largue les amarres du petit port de Molivos, dans le Nord. Les trois agents ainsi qu’un officier de liaison grec longent les montagnes obscures de Turquie, dans les eaux territoriales grecques. Comme cette patrouille, 42 autres, en bateau, avion et hélicoptère, dont 17 de Frontex, arpentent la mer Égée, précise le ministère grec de la marine. Depuis mars 2016, ces équipages arrêtent les passeurs et récupèrent les embarcations de migrants. Mais ces interceptions sont presque indécelables : aucun bateau n’arrive directement sur les plages de galets, comme en 2015. Les opérations de secours ont lieu en mer Égée, le plus souvent au cœur de la nuit.

    Ce soir de novembre, le navire battant pavillon portugais croise, phares éteints. « Sans lumières, nous détectons mieux les embarcations au loin », précise Paulo, le jeune commandant. Alors, dans leur étroite cabine, les agents scrutent durant des heures un radar et un écran où défilent les images des eaux alentour, filmées en caméra infrarouge. Seule une chanson de Marilyn Manson en fond sonore trahit leur présence dans la pénombre. L’étendue d’eau calme paraît déserte, mais deux faibles lumières rouges clignotent : les gardes-côtes turcs. « Dès que Frontex ou les gardes-côtes grecs détectent au loin des embarcations de migrants dans les eaux territoriales turques, nous les prévenons pour qu’ils les ramènent en sécurité en Turquie », indique le responsable grec Georges Christianos. Car si 120 personnes parviennent chaque jour à gagner la rive grecque, dans le même temps, 120 autres sont rapatriées en Turquie par les gardes-côtes turcs. La hantise des candidats à l’Europe.

    Au même moment, un canot d’une capacité de 15 places quitte le rivage turc. Soixante-six personnes à bord. Durant la traversée, un mouvement de panique s’empare du bateau surchargé. Un enfant afghan de 10 ans ne survivra pas. « D’après le témoignage du père, il est mort peu après avoir quitté la Turquie. Le bateau était trop plein, l’enfant était au centre, il a été piétiné », rapporte Georges Christianos. Le bateau a ensuite été récupéré par une patrouille bulgare de Frontex. D’après l’agence de presse grecque ANA, l’arrivée du navire européen a suscité l’affolement. Les passagers ont cru que le navire appartenait aux gardes-côtes turcs. Et imaginé un retour forcé vers la Turquie.

    « On a toujours un doute, on ne sait jamais si ce sont des Grecs ou des Turcs lorsqu’ils arrivent vers nous. » Eddy, pasteur congolais de 40 ans, arrivé à Lesbos en juin, se souvient de la peur qui l’a tétanisé lors de son sauvetage. Parti de la République démocratique du Congo (RDC), celui qui se décrit comme « opposant politique, évadé de la prison de Makala [prison de Kinshasa – ndlr] », a pris la mer de nuit avec 50 personnes. « Il y a eu des mouvements de panique à cause des vagues. Deux hommes sont tombés à l’eau mais ont réussi à remonter. » Après deux heures et demie à dériver seuls, un hélicoptère a survolé leur embarcation. « Un navire a commencé à s’approcher. J’avais tellement peur que ce soit des Turcs. En anglais, des hommes disaient : “Restez calmes, nous sommes là pour vous sauver.” » Peu à peu, le drapeau grec du bateau est apparu à l’horizon. Les passagers ont poussé des cris de joie. « Vous êtes maintenant en sécurité, nous allons à Lesbos », ont répété les gardes-côtes aux exilés. Mais Eddy ne s’attendait pas à une escale interminable. Même s’il avait entendu parler du « piège » du camp de Moria sur l’île grecque.

    Moria, 2 000 places, 6 700 personnes, « Welcome to prison »

    L’étudiant Muhammad, lui, s’était « mentalement préparé » à Moria. Avant de quitter l’Irak, il s’était inscrit dans un groupe Facebook privé « où discutent des passeurs et des Syriens et des Irakiens voulant venir en Grèce ». Et ce nom revenait régulièrement dans les messages. « Je savais qu’ici, certains deviennent fous. Je voyais des vidéos des bagarres, fréquentes à cause de l’alcool, du shit, de la tension. Et je savais que je passerais au moins l’hiver ici », dit-il. Comme une condamnation. Lorsqu’il est arrivé devant les grilles du camp, le 23 novembre, il a lu ce tag le long du mur de béton : « Welcome to prison. »

    Ce lieu illustre l’éternel contraste de Lesbos. Une tragédie humaine au cœur d’un paysage idyllique de mer azur et de collines arborées. Nichée au milieu de cette nature, cette forteresse de barbelés, dans le village de 1 000 âmes de Moria, « loge » désormais 6 700 migrants. De plus en plus confinés, bien au-delà des 2 000 places prévues. Soixante-quinze nationalités rapprochées de force par leur quête d’Europe : des Syriens, Afghans, Irakiens, Érythréens, Éthiopiens, Congolais, Camerounais, Ivoiriens… Hommes, femmes et enfants, répartis par origines.

    L’Irakien Muhammad montre sa petite tente de deux places dans un champ d’oliviers. « Nous dormons à cinq dedans. Les autres sont aussi des Irakiens que je ne connaissais pas avant de venir. » Plusieurs centaines de tentes ont été plantées dans l’urgence autour des containers, hors de l’enceinte de Moria, pour accueillir les migrants qui arrivent régulièrement sur l’île. 67 par jour en octobre, selon un calcul du HCR. Le linge qui pend sur ses grillages ne sèche pas. L’hiver s’approche, l’air est frais. L’odeur de poubelle et d’urine a supplanté celle des oliviers. Au bout d’un sentier d’herbes folles, jonché de préservatifs usagés, de canettes vides et d’excréments humains, coule un filet d’eau sorti d’un tuyau percé. C’est « la douche » pour des milliers de migrants qui n’accèdent pas aux centaines d’installations sanitaires du camp.
    Depuis l’accord UE-Turquie, les migrants restent bloqués dans ce camp avec interdiction de quitter Lesbos dans l’attente du traitement de leur demande d’asile. Mamoudou, 27 ans, espère une réponse depuis sept mois. Cet Ivoirien exhibe sa carte de demandeur, renouvelée chaque mois par le Bureau européen en charge des demandes. Avec toujours cette même inscription en rouge : « Droit de circuler à Lesbos. » Mais nulle part ailleurs. Ce petit papier reste précieux : il lui permet de toucher 90 euros par mois. De fausses cartes circulent parfois dans le camp, d’après une source anonyme interne à Moria… L’Ivoirien a atterri en Turquie avec de faux papiers, avant de gagner les côtes grecques.

    Comme lui, quelques milliers d’Africains désormais bloqués ont pris la route de la Grèce pour rejoindre l’Europe, voulant « éviter la Libye où les Noirs sont réduits à l’esclavage. […] Je l’ai vu sur le Net », explique Mamoudou. Mais pour Sami, autre résident du camp venu de RDC, la Turquie est aussi un « calvaire », raconte-t-il en serrant sa Bible. « Au départ, je voulais rester à Istanbul. Mais à l’aéroport, des policiers turcs m’ont arrêté plusieurs jours et ne m’ont pas laissé prier. Je suis chrétien, et ils étaient musulmans… Puis certaines personnes, dans la rue, se bouchaient le nez sur mon passage », assure le jeune homme de 20 ans.

    À plusieurs reprises, des ONG, comme Amnesty International, ont alerté sur les risques qu’encourent les migrants en Turquie. Assis sur un banc face à Sami, trois visiteurs venus de France, « de passage quelques jours », écoutent son récit avec un air compassionnel. « Nous sommes venus pour apporter notre soutien et la parole de Dieu à ces gens », prêchent ces religieux anonymes, qui disent être venus à titre « personnel ». À quelques mètres, derrière les rangées de barbelés, des policiers épient l’étranger du regard. Un policier contrôle les images d’une journaliste vidéo. L’inscription « No photo » est placardée sur les clôtures.

    L’Europe pourrait oublier Moria et ses âmes égarées, isolées en ses confins. Mais les autorités de Lesbos élèvent la voix. Le 20 novembre, à l’appel de la mairie, des centaines d’habitants grecs ont défilé sur le port aux façades pastel du chef-lieu de l’île, Mytilène. « Il y a au total 8 500 candidats à l’asile bloqués sur l’île. C’est une mauvaise gestion de la crise de l’UE et du gouvernement, dénonce Marios Andriotis, porte-parole de la municipalité. La frustration monte. Des Afghans ont fait une grève de la faim sur la petite place de la ville pendant deux semaines. »

    Lesbos, impuissante et explosive, réclame « le transport des migrants vers le continent [grec] ». En mars 2016, Marios Andriotis se disait pourtant satisfait de l’accord UE-Turquie. « Jamais nous n’aurions imaginé la situation actuelle, nous pensions que les déboutés de l’asile seraient renvoyés en Turquie. » Le politicien ne s’attendait pas à ce que « seules » plusieurs centaines de personnes soient déportées de l’autre côté. « Nous pensions aussi que les demandes d’asile seraient traitées rapidement. » La réponse concernant le droit d’asile s’éternise. Inquiet, Marios Andriotis estime que « les migrants pourront désormais attendre jusqu’à un an pour savoir ce qu’ils deviendront ». Certains ne tiendront pas. Régulièrement, des migrants tentent de rejoindre Athènes en montant illégalement à bord des ferries qui partent chaque jour de Lesbos.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/041217/grece-les-migrants-arrivent-toujours-lesbos-sans-pouvoir-en-partir?onglet=
    #statistiques #chiffres de personnes bloquées sur l’île :

    Ce lieu illustre l’éternel contraste de Lesbos. Une tragédie humaine au cœur d’un paysage idyllique de mer azur et de collines arborées. Nichée au milieu de cette nature, cette forteresse de barbelés, dans le village de 1 000 âmes de Moria, « loge » désormais 6 700 migrants.

    #réfugiés #asile #migrations

  • Macedonia extends Border Emergency until end of year

    The Macedonian Parliament on Monday voted to extend the state of emergency enforced in the areas on the southern and northern borders until 31 December 2016 as a result of the migrant crisis.


    http://macedoniaonline.eu/content/view/29164/45
    #Macédoine #asile #migrations #réfugiés #fermeture_des_frontières #Balkans #urgence #militarisation_des_frontières

    • La Macédoine, vigie des frontières extérieures de l’UE

      Skopje se montre intraitable depuis le début de la crise des réfugiés : alors que la plupart des migrants ne faisaient que passer par la Macédoine, le pays a décidé de fermer sa frontière avec la Grèce. Pendant que le Conseil européen se réunit à Bruxelles pour accoucher d’un nouveau plan, focus sur cette Macédoine qui gère, de facto, une frontière extérieure de l’Union sans en être membre.

      Un nouvel épisode à la frontière gréco-macédonienne, en début de semaine, est venu démontrer s’il était besoin la détermination des migrants et l’absurdité de la politique de fermeture des frontières. Lundi 14 mars, après des heures de marche pour contourner la clôture mise en place par Skopje, plusieurs centaines de migrants ont fini par traverser une rivière en crue pour aller fouler le sol macédonien, où ils ont été cueillis par l’armée. D’après les autorités macédoniennes, ces personnes seront toutes renvoyées en Grèce, sans préciser où, ni les modalités ni le cadre juridique. Certaines ont même déjà été forcées de rebrousser chemin, à pied.

      Cela fait plusieurs semaines maintenant que les migrants sont coincés du côté grec de la frontière, autour de la ville d’Idomeni, en attendant de pouvoir s’engouffrer dans la route des Balkans afin de rejoindre les pays d’Europe du Nord, Allemagne en tête. D’après les autorités hellènes, ils étaient, mercredi 16 mars, plus de 10 500 à Idomeni, et plus de 43 000 en transit dans tout le pays. Déjà, depuis le 18 novembre, une sévère sélection s’était mise en place et seuls les Syriens, les Afghans et les Irakiens pouvaient passer. Le 25 février, l’étau s’était resserré aux Syriens et aux Irakiens, au nombre de 580 par jour. Et depuis la semaine dernière, c’est zéro. À la suite de la Slovénie qui a fermé hermétiquement sa frontière, Skopje a décidé de faire de même, au moins jusqu’à l’issue du conseil européen des 17 et 18 mars : aucun migrant ne passe, en ce moment, au poste-frontière d’Idomeni.

      Lundi 14 mars 2016, des centaines de migrants traversent une rivière en crue pour rejoindre la Macédoine, avant de se faire refouler © Reuters
      Problème : avec cette décision unilatérale, la Macédoine, pays non membre de l’Union européenne, contrôle de facto une frontière extérieure de l’UE et de l’espace Schengen, à savoir celle qui la sépare de la Grèce. Mais c’est aussi la frontière d’entrée dans les Balkans et donc, par ricochets, celle qui permet d’accéder à l’UE, via la Hongrie ou la Slovénie. Skopje fait ainsi reposer tout le poids de la vague d’immigration actuelle sur la Grèce qui, elle, est bien membre de l’UE. Et use de méthodes qui posent question : intimidations, répression policière et intervention de l’armée sont la règle ; et les droits des migrants – et notamment celui de déposer une demande d’asile – ne sont pas respectés.

      Or selon la Convention de Genève, que la Macédoine a signée le 18 janvier 1994, les individus, quelle que soit la manière dont ils entrent dans un pays, ne peuvent en aucun cas être reconduits à la frontière s’ils n’ont pas eu la possibilité de demander l’asile, et l’asile, une fois obtenu, leur garantit une protection. « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », stipule la Convention de 1951, tandis que la Déclaration des Nations unies sur l’asile territorial, adoptée en 1967, précise : « Aucune personne visée au paragraphe 1 de l’article premier ne sera soumise à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière ou, si elle est déjà entrée dans le territoire où elle cherchait asile, l’expulsion ou le refoulement vers tout État où elle risque d’être victime de persécutions. »

      Et ce n’est pas tout. Le 29 février, la police macédonienne allait jusqu’à tirer des gaz lacrymogènes sur des personnes qui tentaient de franchir la frontière afin de les empêcher de passer… Un pays tiers de deux millions d’habitants qui fait la pluie et le beau temps sur la politique migratoire de l’UE et ses frontières : comment en est-on arrivé là ?

      Pour le journaliste Iseni Bashkin, Albanais de Macédoine résident en Suisse, certes, l’attitude de la Macédoine est condamnable et le racisme des autorités « insupportable » : « Ce pays a hérité d’une logique totalitaire dans la manière de gérer les migrants et il y a une réelle incapacité, un manque de savoir-faire en la matière. » Mais l’UE est tout aussi responsable, selon ce fondateur d’un site d’information sur les Balkans. « L’UE se dédouane en stigmatisant ces petits pays qui n’ont ni ressources ni maturité pour gérer ces milliers de personnes. Mais en vérité, cela l’arrange que la Macédoine bloque la frontière ! Et lorsque Donald Tusk [le président du Conseil de l’UE – ndlr ] vient à Skopje pour dire aux réfugiés “ne venez pas en Europe”, c’est à la limite du ridicule ! L’Europe n’est pas à la hauteur de la tâche. D’autant que les Balkans resteront toujours un lieu de passage, donc il faut se donner les outils, en termes de savoir-faire et de droits humains, pour gérer ce problème structurel. Il faut arrêter de le traiter comme si c’était un problème d’urgence. »

      En réalité, explique Erwan Fouéré, du think tank bruxellois Center for European Policy Studies, « la Macédoine a suivi ce qui a été décidé le 24 février à Vienne où le gouvernement autrichien avait invité les pays des Balkans, mais pas la Grèce, ni l’Allemagne, ni les institutions européennes. La décision de Vienne était elle-même unilatérale : elle a été prise en dehors du cadre européen et elle est révélatrice du manque de coordination et de solidarité européennes ». La décision a d’ailleurs fâché tout le monde, et Athènes a aussitôt rappelé son ambassadeur à Vienne.

      Mais l’alignement de Skopje sur les Balkans est aussi lié à la situation politique intérieure macédonienne. Avec un exécutif très contesté dans la rue depuis l’an dernier, qui fait face à des accusations persistantes de fraudes électorales et d’abus de pouvoir, et dont certains anciens membres se trouvent aujourd’hui sous le coup de poursuites judiciaires, la situation est critique pour le parti de droite au pouvoir alors que des élections doivent se tenir en juin prochain. Comme le racontait le Courrier des Balkans la semaine dernière, « l’autoritarisme croissant du régime de Nikola Gruevski [l’ex-premier ministre qui a démissionné en janvier, conformément à l’accord de sortie de crise – ndlr] a littéralement fait main basse sur l’État macédonien. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la décision de la Cour constitutionnelle, rendue il y a quelques jours. Celle-ci permet au président de la République d’élargir le champ d’application de l’amnistie aux personnes soupçonnées de fraude électorale. Une décision tout sauf accidentelle, car elle fait suite à l’acte d’accusation que la Procureure spéciale a déposé il y a quelques semaines contre deux anciens ministres du gouvernement Gruevski, tous deux soupçonnés d’avoir commis des irrégularités durant les élections de 2012. Les juristes ont qualifié cette décision de la Cour constitutionnelle de “coup d’État” ».

      Pour Erwan Fouéré, joint à Bruxelles, la stratégie est claire : « Le gouvernement macédonien utilise la crise des réfugiés à la fois pour essayer de cacher ces accusations de fraude et à la fois pour montrer à l’UE qu’elle fait tout pour mettre fin à cette route migratoire. Elle veut être reconnue pour cela, ce qui lui permettrait de remettre la question de son adhésion à l’UE sur le tapis. »

      Entre Grèce et Macédoine, un lourd passif

      S’aligner sur Vienne et Budapest concernant la question des frontières n’est pas gratuit : pour Skopje, c’est l’occasion d’obtenir, en sous-mains, un soutien non négligeable pour son gouvernement contesté. De fait, aucun de ces deux pays n’a fait de commentaire quant aux scandales qui pèsent sur l’exécutif macédonien, alors que la situation se dégrade à tous les niveaux dans le pays. En six ans, la Macédoine a perdu plus de 80 places dans le classement de Reporters sans Frontières, ce qui la place aujourd’hui au 117e rang, soit la dernière position de la zone UE-Balkans. Vu sous cet angle, on peut comprendre pourquoi le pays a le soutien de la Hongrie de Viktor Orban… Du côté de l’Autriche, ce n’est pas tant une proximité idéologique que des intérêts économiques qui semblent à la manœuvre. Vienne a en effet toujours soutenu la perspective d’une adhésion de la Macédoine à l’UE. Or l’actuel commissaire européen à l’élargissement, Johannes Hahn, est autrichien… Et sa carrière antérieure lui a permis d’établir de solides liens avec Skopje, ainsi que le relatait Le Courrier des Balkans en février. Le commissaire est en effet l’ancien PDG de Novomatik, une entreprise autrichienne de casinos qui, entre autres, loue des machines à sous en Macédoine et se trouve, aujourd’hui, sous le coup d’une enquête en Autriche pour blanchiment d’argent.

      Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’aucune réaction officielle de la Commission n’ait fait suite à la fermeture de la frontière macédonienne et aux méthodes qui y sont employées, pourtant contraires au droit européen. Seul l’usage des gaz lacrymogènes a semblé émouvoir le porte-parole de la Commission. « La Commission est très inquiète de voir ces images, a ainsi déclaré Margaritis Schinas au lendemain des tirs de gaz, début mars. L’ancienne République yougoslave de Macédoine a bien sûr le droit de défendre ses frontières, mais ces images montrent bien que la seule solution possible est une solution européenne, collective. » En définitive, seule Angela Merkel, désormais très isolée sur le plan intérieur comme sur la scène européenne, a critiqué le blocage de cette frontière en s’opposant fermement à la fermeture de la « route des Balkans ».

      Signe que l’attitude de Skopje, dans le fond, ne gêne pas grand monde, la candidature de la Macédoine à l’UE n’est par ailleurs absolument pas remise en cause pour l’instant et les institutions européennes restent partie prenante d’un processus national de sortie de crise engagé l’an dernier. À Bruxelles, la porte-parole « politique de voisinage et négociations d’élargissement » pour les affaires étrangères européennes, Maja Kocijancic, explique : « La question migratoire, ce n’est pas mon dossier, elle est complètement déconnectée du dossier élargissement. » Mais s’il y a violation des droits de l’homme à la frontière ? « Nous ne sommes pas encore au stade où nous discutons des droits de l’homme avec l’ancienne république yougoslave de Macédoine : nous ne sommes pas rentrés dans la phase des négociations. C’est un pays qui est encore en pleine transition politique et économique, la situation est complexe, et nous sommes encore loin d’avoir ouvert les chapitres des négociations. » Le pays a le statut de candidat depuis 2005. « En 2009, la Commission européenne a émis des recommandations préalables à l’ouverture des négociations en vue de l’adhésion, précise la porte-parole. Mais les conditions n’étant pas remplies, le Conseil de l’UE a rejeté, pour l’instant, le processus. L’UE participe toutefois à la mise en œuvre d’un accord politique national. Le commissaire Johannes Hahn lui-même ainsi que trois eurodéputés se sont rendus à Skopje pour aider à la signature de cet accord qui doit permettre la bonne tenue des élections, début juin. » Ces trois députés, ce sont le Slovène Ivo Vajgl, le Slovaque Eduard Kukan, et le Britannique Richard Howitt. Ce n’est pas un hasard : deux sont issus de ces pays d’Europe centrale dont les gouvernement partage les positions de la Macédoine en matière de réfugiés…

      En réalité, l’exécutif macédonien joue sur tous les tableaux. Alliance avec Vienne et Budapest, recherche de soutien à Bruxelles, critique sans vergogne de la Grèce… Tous les arguments sont bons pour se poser en victime de la crise des réfugiés, sans crainte de verser dans la mauvaise foi. Dans une interview à Bild parue la semaine dernière, le président Gjorge Ivanov déclare ainsi que la Macédoine aurait déjà dépensé 25 millions d’euros pour l’accueil des réfugiés tandis qu’elle n’aurait pas touché un centime européen pour la gestion de la frontière (alors que les Grecs « obtiennent tout ce qu’ils veulent »). C’est faux : Skopje a déjà touché dix millions d’euros de la part de la Commission européenne pour améliorer sa gestion des frontières et la situation des migrants. Le chef d’État s’érige par ailleurs en défenseur de l’UE et de Schengen face à une Union incapable de se coordonner et une Grèce considérée comme laxiste, voire favorisant l’arrivée de migrants sur le continent : « Certains prétendus réfugiés voyagent avec de fausses identités à travers le continent et la Grèce leur donne tout simplement le tampon pour continuer le voyage », assure-t-il au quotidien allemand. Ce type d’accusation a redoublé lundi avec le convoi de migrants tentant de se frayer un passage : Skopje insinue que tout cela se fait avec l’aide des autorités grecques…

      Mais jeter la pierre sur les institutions européennes ou sur sa voisine hellène ne convainc guère. Le pays « sait accueillir des réfugiés », fait remarquer Erwan Fouéré, qui fut en poste à Skopje entre 2005 et 2011, comme représentant de l’UE. « Il en a accueilli 320 000 pendant la guerre du Kosovo, il avait très vite mis en place des campements à l’époque. » La demande de financement doit, elle aussi, être relativisée. « Quand on sait que Skopje a dépensé près de dix millions d’euros dans la construction d’une statue d’Alexandre le Grand dans la capitale, il est difficile de croire qu’elle n’a aucun moyen financier... »

      Quant à l’accusation visant la Grèce, elle n’est pas fortuite. Elle est à lire à travers le prisme des antagonismes liant les deux pays depuis la dislocation de la Yougoslavie. Skopje et Athènes se sont en effet opposées dans les années 1990 sur la « querelle du nom », la première revendiquant le nom de Macédoine et l’héritage antique d’Alexandre le Grand tandis que la seconde le lui refusait, faisant valoir que la Grèce comptait déjà une région appelée Macédoine où reposent nombre de vestiges liés à l’empire d’Alexandre. La Grèce a fini par obtenir gain de cause auprès de l’Union européenne : si, en dehors de la Grèce, le nom « Macédoine » s’est imposé dans le langage courant pour cet État des Balkans, reste qu’officiellement, pour les institutions européennes, le pays porte le nom d’« ancienne République yougoslave de Macédoine » (« Fyrom », en grec).

      « Avec cette crise, la Macédoine tient sa revanche sur la Grèce, analyse Pierre Sintès, géographe à l’université d’Aix-en-Provence et spécialiste des Balkans. Certes, la fermeture de cette frontière résulte d’abord d’un enchaînement européen. Mais localement, ce sont d’autres déterminants, d’autres leviers qui s’animent. Et la suspicion mutuelle entre les deux pays liée aux conflits passés rend toute coordination à la frontière impossible. » Signe que cette tension est bien présente, des deux côtés : ce mercredi, le ministre grec délégué à la politique migratoire, Yannis Mouzalas, a parlé de « Macédoine » et nom de « Fyrom » comme il est d’usage en Grèce. Levée de boucliers immédiate à Athènes, dans les rangs de la droite mais aussi chez le partenaire de coalition de Syriza, les souverainistes d’Anel, qui demande la démission du ministre…

      Tous les experts le disent : outre tous les problèmes juridiques, politiques et diplomatiques que pose la fermeture de cette frontière, elle ne résout en rien la crise des réfugiés. « Le blocage d’une route conduit à l’ouverture d’autres itinéraires, rappelle Pierre Sintès. Le passage par la Bulgarie semble compliqué, le gouvernement bulgare ayant annoncé la construction d’une clôture à sa frontière avec la Grèce. Mais le flux peut se déplacer ailleurs : les routes maritimes au départ des ports grecs de Patras et Igoumenitsa, qui desservent l’Italie, peuvent reprendre de l’ampleur. Et la route albanaise va certainement attirer du monde, même si elle est dangereuse en raison de son caractère montagneux et des températures très basses qui règnent encore en cette saison. » Dans les années 1990, des dizaines de milliers d’Albanais avaient emprunté cette route pour venir s’installer et travailler en Grèce, où vit aujourd’hui une communauté de plus de 500 000 personnes. Aujourd’hui, ces Balkans qui ont tant profité de l’ouverture occidentale après la chute du rideau de fer se referment, semblant oublier combien les migrations leur ont été – et leur sont encore – bénéfiques.

      https://www.mediapart.fr/journal/international/170316/la-macedoine-vigie-des-frontieres-exterieures-de-lue?onglet=full

  • Live Ticker Eidomeni

    On the 18th of November 2015, Slovenia closed its borders for refugees who are not from Syria, Afghanistan or Iraq. Just a little later, Croatia, Serbia and Macedonia also adopted this practice of segregation. There is little doubt about that this policy was pushed by the European Union as a starting point for slowing down or even stopping the flow over the Balkan route. Thousands of refugees were stuck in Eidomeni, Greece, and started to protest. The Moving Europe Bus was on the spot and reported live from the 22nd of November to the 11th of December 2015 – when the camp had been evicted. On the 5th of February 2016, we decided to restart our live-ticker as the new year has already seen several attempts from the European Union to slow down the migration movement towards Europe. Macedonia seems to become a key player in this strategy. For several weeks the Macedonian border authorities have slowed down the transit process. The predictable effect of this, given the high arrival numbers to the Greek islands, is that thousands are becoming stuck in Greece. On the 3th of February the Macedonian government announced its plans to strengthen border controls which will further reduce the speed of the transit process. In the meantime, the Greek authorities have established a new buffer zone near to Eidomeni. Since the camp at the border has already become highly overcrowded, there are fears that the violent scenes of last December in Eidomeni will be repeated. Therefore the authorities have decided that people should be kept at bay, at a gas station on the highway that is 20 km far away from the border (at Polykastro). For weeks migrants have had to stay there for hours under miserable conditions. Since the end of January the situation at the Greek border zone has escalated once more. There is only a trickle of people being let through to Macedonia and now people at the gas station have to wait for days before their buses finally leave towards the border. On the 3rd of February 2016 thousands of them decided not to wait any longer at the petrol station and started to walk towards the Macedonian border (#marchofhope 2). Further protests and tensions are to be expected. The Moving Europe Bus is on the spot since the 2nd of February and reports live from Polykastro and Eidomeni.

    http://livetickereidomeni.bordermonitoring.eu

    #Idomeni #Grèce #asile #migrations #réfugiés #Macédoine