• « Il y a une telle impunité que les artistes se croient au-dessus de tout, comme s’ils faisaient partie d’une société à part : le monde de l’art »

    https://www.streetpress.com/sujet/1612782917-metoo-harcelement-sexuel-beaux-arts-etudiantes-professeur-ag

    Le monde de l’art... Je me grille définitivement tout de suite ou j’essaie de m’y faire une place ? Je ne plaisante pas, c’est une question permanente dans mon esprit.

    Il y a quelques années maintenant chez un ami avocat, j’ai croisé un peintre catégorie « art contemporain ». Quand je lui ai demandé de quel catégorie d’art contemporain il se réclamait, il m’a répondu « de celle qui se vend. »

    Il y un truc que les gens comprennent mal de moi, c’est que je suis une personne qui essaie à chaque instant de ne pas sortir d’une ligne de conduite. J’ai des croyances, des certitudes, sur ce que la société doit être pour qu’on y soit bien. Féminisme, écologie par exemple. Mais pas seulement. J’ai un rapport à l’argent très compliqué. C’est simple, on se déteste lui et moi. Et moi plus que lui je pense car à chaque fois que je m’en éloigne, il revient à la charge. Bref...

    Donc un « artiste » s’était présenté à moi comme le font les représentants de commerce. T’imagines si je n’en avais jamais rencontré d’autres avant lui ? Déjà que d’être un working class hero c’est pas facile, alors si en plus il faut devenir un enfoiré pour en sortir, ça désabuse vite fait.

    Bon, lui c’est pas le pire. Lui il m’a seulement parlé de pognon. Un cran au-dessus il y en a une ribambelle d’autres qui t’expliquent leur technique en long, en large et en travers. C’est une façon comme une autre de combler le vide de leur message. Je les apprécie à leur juste valeur, du peintre sur parquet vernis jusqu’au sculpteur sur chewing-gum mastiqué. Mais bon, déjà ceux-ci ne parlent plus d’argent, c’est appréciable.

    Il y a l’immense marécage de ceux qui peignent des culs, des teuchs et des teubs. « C’est ce qui ce vend le mieux. » m’a dit un jour l’un de ceux qui les exposent. Je comprend bien. Ça vous explique pourquoi on voit des culs partout : c’est vendeur.

    Je vais pas être courtois ; ça participe à l’abrutissement des masses. J’ai mis des siècles à le comprendre mais yo la tengo maintenant. Si t’es seulement cap’ de peindre des culs, ton travail ne m’éduque pas à penser à autre chose qu’à mon propre cul. Et à être malheureux plus tard quand je serai trop frippé.

    Et puis voilà, on a fait presque tout le tour, il reste les autres. Les autres qui sont un peu tout ça mais beaucoup autre chose. Et là, tu peux tranquillement écrire au féminin. Et comme je suis feignant et que j’ai pas envie de donner de leçons essaie de comprendre tout seul le lien entre mon verbiage et la citation du départ

    François Isabel, artiste.

    PS : En France, une étudiante sur 10 est victime d’agression sexuelle

    • Le monde de l’art... Je me grille définitivement tout de suite ou j’essaie de m’y faire une place ? Je ne plaisante pas, c’est une question permanente dans mon esprit.

      Ne t’en fait pas ce n’est pas en critiquant le coté mercantil de l’art que tu va te grillé dans l’art, à mon avis c’est un lieu commun de la profession pour exhibé sa pureté sacrée (l’art est à la croisée du religieux et du mércantilisme) mais en fait l’art dans un monde capitaliste est de l’art capitaliste et c’est pas une activité détachée du matérialisme, c’est une activité qui fait semblant d’en être détaché. Il y a beaucoup de mondes de l’art, ou de milieux artistiques et ils ne sont pas tous aussi spéculatifs les uns que les autres, même si il s’agit tout de même d’un milieu marchand. Il y a une idéalisation de l’art et de la culture comme si c’etait une activité noble et qui élevait l’esprit, mais il ne s’agit peut être au fond que de signes appartenance de classe (art spéculatif, art institutionnel, art brut, art naïf, art et de propagande capitaliste. Dans un monde patriarcale, l’art dominant sera de la propagande patriarcale, d’ou ton impression que le cul fait vendre, mais c’est pas vraiment le cul qui fait vendre, c’est l’humiliation sexuelle des groupes dominés qui l’est. Je te recommande cet entertiens de G. de Lagagnerie que j’ai mis plusieurs fois sur seenthis mais qui m’a beaucoup apporté en prescision sur ces questions
      https://www.youtube.com/watch?v=FH5liBXAMIY

    • Pour le coté faussement détaché de l’argent de l’art, je suis toujours épatée par la question que les gens me posent systématiquement lorsque je dit que je suis artiste.
      Immanquablement on me demande si j’en vie, et là selon les réponses
      A- Oui, on me questionne sur ce que c’est comme art et on poursuit sur le sujet avec intérêt.
      B-Non, la personne n’en a plus rien à fiche et change de sujet, car si tu fait pas d’argent avec ton art alors il n’a aucune valeur et plus la peine de perdre du temps à en discuté.
      Et c’est pas le milieu qui réagit ainsi, c’est la grande majorité de la population. En somme c’est que la grande majorité ne s’interesse qu’à la création artistique « de celle qui se vend. » mais ils te le dirons de manière plus détourné que ton exemple.

    • Merci @mad_meg :)

      C’est vrai que j’ai commencé par l’aspect capitaliste du « monde de l’art » et que je n’ai abordé que le coté mercantile de ceux qui peignent des zizis et des zezettes. Mais j’aurais peut-être du insister sur les peintres en zizis. C’est surtout ceux-là qui m’agacent. Je me retiens d’écrire des noms, ça ne serait pas correct, il ont le droit de manger après tout.
      J’imagine que la vocation leur est venue tôt, sur les bancs de l’école en dessinant des bites à la point du compas sur leur table. Ils ont transformé ce loisir en activité lucrative. Moi, pauvre naze, j’envoyais des poèmes à une fille de ma classe, ça n’a jamais rapporté un centime la poésie.
      Souvent ce sont les mêmes qui te disent qu’ils n’aimaient pas l’école. En fait ils devraient plutôt dire qu’ils n’avaient pas le temps de l’aimer, leur bite les occupait beaucoup trop.
      Ce sont les mêmes que tu retrouves dans tous les milieux/mouvements politico-culturels, les mêmes qui se disent « hors systèmes » ou « esprits libres ». Tu parles... Ce sont juste des obsédés derrière un masque d’artiste militant. Je les déteste vicéralement parce qu’ils prennent la place d’autres bien moins tarés.

      ça fait 4 ans que je fréquente un peu certains auxquels je pense. Je commence à les voir s’empoisonner d’avoir trop mangé le foie de leurs amis. C’est bien. Karma !

    • les dessinateurs de kiki vendent bien ; mais à qui ?

      ça serait intéressant de savoir qui c’est qui aime tant les images de kiki qu’ils/elles les affichent qui dans leur salons et qui dans leur bureaux.

      et encore plus hilarant de savoir ce que ça dit d’eux

    • Ca a l’air interessant @val_k
      je colle ici le texte pour archivage

      Laurent Cauwet
      La domestication
      de l’art
      Politique et mécénat

      Les poètes et les artistes sont comme tout le monde, ils doivent se nourrir et se loger, ils ont besoin d’argent. Mais la marchandisation générale a bouleversé la relation qu’ils avaient nouée avec le pouvoir politique et les mécènes depuis le temps des Médicis. La culture – le ministère de la Culture, mais pas seulement – est devenue une entreprise, explique Laurent Cauwet. Les poètes et les artistes sont ses employés, qui ont des comptes à rendre à leur employeur. « La prolétarisation des savoir-faire de l’art et de la pensée oblige à pratiquer avec plus ou moins de subtilité l’autocensure et le formatage des œuvres commandées. » L’entreprise culture, qui prône un humanisme universel, va exporter le bon art et la bonne parole dans les quartiers populaires pour éduquer la plèbe – dès lors, on peut se demander « quelle peut être la place d’un artiste ou d’un poète, rémunéré par ce même État qui rémunère les policiers qui insultent, frappent, emprisonnent et tuent ? »

      Le mécénat privé est l’autre face de l’entreprise culture : Vuitton (LVMH, Bernard Arnault) et son « grand oiseau blanc » au bois de Boulogne, « cadeau aux Parisiens » ; Benetton et son projet Imago Mundi, collection de petites œuvres commandées à des artistes du monde entier, mais pas aux ouvrières d’Asie, d’Afrique et d’Europe de l’Est qu’il exploite, ni aux indiens Mapuches de Patagonie qu’il chasse de leurs terres ; la fondation Cartier s’opposant à ce que Frank Smith lise un texte où il est question de Gaza (« On ne peut pas aborder un tel sujet à la fondation »), etc.

      La culture, qu’elle soit une commande publique ou un investissement privé, est devenue une « entreprise » de pacification tout à fait profitable.

      « L’art reste avant tout une industrie qui participe à la pacification sociale. » Zones Subversives, janvier 2018

      « L’écoute du monde par l’art est devenu un bruit où résonnent les discours de politiques économiques et culturelles qui aliènent l’art et perdent le monde. » Diacritik, septembre 2017
      Laurent Cauwet

      Laurent Cauwet est responsable de la cellule éditoriale Al Dante (publication de livres, journaux d’interventions poétiques et/ou politiques, organisations de rencontres, festivals et autres manifestations, ouverture de l’espace culturel autonome Manifesten/ Marseille...) depuis 1994.

    • Je repasse par ici et ton dernier message me pose pas mal de question @fsoulabaille
      Je croi pas qu’il y a eu une époque dans laquelle les artistes étaient des femmes, et je parle de croyances car ca me semble pas possible d’avoir de certitude sur ce point. Je ne croie pas à un matriarcat originel. Je me demande si cette image, fort belle, est vraiment comparable à ce qu’on appelle de l’art en occident dans la période moderne. Définir ce qu’est l’art est en soi une question insoluble. Admettons que ca soit des silhouettes de mains de femmes. Dans ce cas ca pourrait très bien etre les traces faites par des femmes juste après qu’on les aient excisées et j’y verrai pas l’expression d’une age ou les femmes étaient artistes même si les traces de leur souffrances sont très décorative, mystérieuses et émouvantes pour nous aujourd’hui.

    • @mad_meg Sincèrement, j’admire ton pessimisme. J’ai beau me forcer je n’y arrive pas :) J’ai toujours envie de croire à d’autres sociétés moins horribles.
      Sinon, je pense aussi qu’à aucune période les artistes étaient uniquement des femmes. Ces mains par exemple sont un mélange de maines de femmes et d’hommes (à priori car on n’en a aucune certitude). Je pensais faire un peu d’humour sur les artistes non domestiquéEs, c’est tout.

  • La colère monte aux Beaux-Arts de Paris
    1 mars 2020 Par Antoine Perraud
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/010320/la-colere-monte-aux-beaux-arts-de-paris
    L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, avant de rejoindre le mouvement de grève prévu le 5 mars dans l’enseignement supérieur, s’est livrée à une performance protestataire symptomatique, ce dimanche 1er mars.

    Pour ceux qui ont la faiblesse de ne pas être au courant, Paris accueille – depuis le 24 février et jusqu’au 3 mars – la semaine de la mode (« Fashion Week », dit forcément ce petit monde franglaisant). Ça défile à tout-va (le matraquage n’est que publicitaire) dans la capitale française, après des présentations déjà menées dollar battant à New York, Londres et Milan : 70 marques et 5 000 visiteurs d’un milieu où le paraître a supplanté l’être, du berceau à la tombe.

    Dimanche 1er mars à 14 heures, le styliste américain Thom Browne envahissait l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba), écrin dévolu à ses collections automne-hiver 2020-2021. Mais voilà, certains étudiants ne l’entendaient pas de cette oreille et ont proposé, sous la pluie, une performance devant leur établissement fermé à la canaille pour accueillir les déesses et les dieux de la mode.

    Déjà mardi 25 février, à l’occasion d’un « événement Louboutin » très talon rouge, des étudiants et quelques professeurs s’étaient manifestés pour protester contre cette privatisation à outrance de l’espace public, menée par les Beaux-Arts et son directeur, Jean de Loisy.

    Pour ceux qui occupent une position de pouvoir avec pour tout bagage leur vision comptable – en notre Ve République où tout semble à louer ou à vendre –, la tentation est grande de rentabiliser un site si prestigieux : entre le quai Malaquais et les rues Bonaparte, Jacob et des Saints-Pères, en cette partie du VIe arrondissement de Paris où les appartements se négocient 30 000 € du mètre carré.

    Que font encore là ces chenapans d’étudiants – pourquoi ne pas les envoyer au-delà du périphérique, comme naguère les salariés voisins de La Documentation française, qui avaient l’outrecuidance de travailler face à la Seine ?

    Jérôme Espitalier, l’un des porte-parole du mouvement, explique à Mediapart que la direction a tenté de diviser les étudiants qui se partagent le site : les artistes d’une part, les architectes de l’autre. La réponse fut une triple revendication commune. Les étudiants, unis, réclament d’avoir leur mot à dire sur la pédagogie, l’avenir du site et ses privatisations intempestives.

    Le site des Beaux-Arts, où tout le monde est à l’étroit, est menacé d’une amputation de locaux à la suite de l’action menée par François Pinault contre un bâtiment qui fait de l’ombre à son hôtel particulier de la rue des Saint-Pères. Le Conseil d’État a donné raison au milliardaire en décembre 2019 et ledit bâtiment doit être rasé d’ici la fin de l’année, privant les étudiants en architecture d’infrastructures essentielles (laboratoires de recherche des doctorants, salles de cours et ateliers de fabrication).

    « Nous ne sommes pas contre la destruction de ce bâtiment provisoire installé en 2001, à condition qu’il soit remplacé par un autre, qui témoigne de la vitalité architecturale contemporaine dans un site en évolution, tout en dotant étudiants et enseignants de locaux dignes de ce nom et cessant donc de perpétuer la précarité dans laquelle nous vivons », précise Jérôme Espitalier.

    Se sentant défiée, humiliée, négligée, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris entend donc se joindre au mouvement général de grève lancé pour le 5 mars dans l’enseignement supérieur et la recherche.

    • L’Ecole des beaux-arts aimerait se libérer du fait du prince
      9 juillet 2015 Par Antoine Perraud
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/090715/lecole-des-beaux-arts-aimerait-se-liberer-du-fait-du-prince?onglet=full
      Les étudiants de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris entendent profiter du limogeage de Nicolas Bourriaud pour négocier une nomination de leur prochain directeur, en vertu d’un processus enfin transparent et participatif consenti par le ministère de la culture : pas gagné d’avance !

      L’étudiante peste : « Regardez le bazar du démontage d’une soirée Dassault ! » Le pandémonium est patent : caisses noires et chromées regorgeant de matériel, au milieu de débris verriers, de détritus et autres reliefs festifs jonchant le sol de la cour vitrée du Palais des études. Nous sommes à Paris, au cœur de l’École nationale supérieure des beaux-arts, qu’un acronyme idiot désigne parfois comme l’Ensba.

      Le désordre ne résulte pas du bal des Quat’z’Arts – remis au goût du jour en 2012 par l’établissement, après de mémorables éditions entre 1892 et 1966. La dégradation du lieu, éphémère mais violente, résulte d’un processus qui reste en travers de la gorge de l’étudiante : « Le désengagement de l’État oblige notre école, sous-financée, à s’offrir comme un écrin. De gros intérêts sont prêts à verser leur obole pour bénéficier d’une enclave patrimoniale à deux pas de la Seine, là où déjà le luxe colonise à tour de bras : la Samaritaine, l’hôtel de la Monnaie, la grande poste de la rue du Louvre… »

      Ce mercredi 8 juillet 2015 au matin, l’étudiante se rend à une petite assemblée générale inopinée dans l’amphithéâtre d’honneur. Elle fait partie des délégués de l’an dernier, qui ont demandé à rencontrer ceux de cette année. Les aînés reprochent à leurs puînés d’avoir inconsidérément pris la défense du directeur de l’École, Nicolas Bourriaud, mis à pied le 2 juillet par Fleur Pellerin.

      Lire aussi

      Beaux-Arts : encore un sale tour de la monarchie culturelle ? Par Joseph Confavreux

      Les représentants actuels ont en effet écrit à la ministre de la culture, le 6 juillet, pour exiger le maintien du limogé à son poste, avec la phrase de trop, selon les représentants d’antan : « Les objectifs que vous fixez à l’éventuel nouveau directeur sont déjà des priorités pour Nicolas Bourriaud et ont tous été réalisés ou sont en cours de résolution en accord avec les différents corps actifs à l’école, donnant un bilan positif à l’institution. » Voilà des arguments martelés dans la presse, de Télérama à Mediapart, par le remercié soi-même, qui s’est livré à une campagne éclair d’interviews.

      Les contempteurs de Nicolas Bourriaud le condamneraient-ils à une double peine : être viré puis réduit au silence ? Marc Pataut, professeur notoirement opposé au directeur congédié, relativise pour Mediapart, d’une formule cinglante : « Bourriaud est parti comme il est arrivé. » Traduction : en bénéficiant de l’arbitraire puis en le subissant ; il fut un ayant droit du fait du prince, avant que de s’en retrouver la victime…

      La nomination de Nicolas Bourriaud à la direction des Beaux-Arts intervint au déclin de l’ère Sarkozy, en octobre 2011. Frédéric Mitterrand et son cabinet de la rue de Valois cherchaient quelqu’un de plus pimpant que l’excellent Henry-Claude Cousseau, dandy policé, en place depuis onze ans à l’Ensba. M. Cousseau faisait preuve d’une retenue rare. Il avait été échaudé par l’affaire de l’exposition « Présumés innocents », accueillie au musée de Bordeaux qu’il dirigeait. C’était en 2000. Le maire, Alain Juppé, avait refusé d’inaugurer cet événement culturel qu’une campagne dénonçait comme « pédophile » et « pornographique », avant qu’une association, La Mouette, n’estât en justice contre le conservateur, exfiltré vers les Beaux-Arts à Paris.

      Le circonspect Cousseau n’a pas démérité, comme en témoigne le catalogue d’une exposition récapitulative de 2011 : « Soudain déjà ». Mais le vibrionnant Nicolas Bourriaud a profité de la discrétion décennale qui précéda son surgissement sur place, pour se poser en lumière après les ténèbres. À l’entendre, il aurait réveillé une École aux allures de belle endormie : discours que serait en droit de tenir le philosophe Yves Michaud, nommé directeur des Beaux-Arts par Jack Lang en 1984, qui, lui, releva une institution véritablement vétuste et nécrosée.

      Cependant Nicolas Bourriaud s’est posé, avec un culot d’acier, en réformateur signalé, singulier et suprême. Il prétend avoir ouvert l’École à des professeurs étrangers : l’ancienne direction a beau jeu de nous rappeler que des enseignants venus du Japon, d’Italie, ou de Cuba avaient été recrutés avant 2011. Il se pose en créateur d’une cafétéria pour les étudiants, mais un ancien délégué, Clément Boudin, le récuse pour Mediapart : « Bourriaud voulait à l’origine créer un restaurant de luxe donnant sur la rue Bonaparte, où nous aurions eu quelques facilités. Nous avons refusé un tel schéma en exigeant un lieu qui nous soit dévolu et non un endroit où nous aurions été tolérés. Il a cédé, transformant ensuite sa défaite en initiative et défendant à contrecœur notre idée, tout en ayant l’habileté de se l’approprier ! Surtout, il n’a jamais été capable de présenter un projet, à part une liste de mécènes pour épater la galerie. »

      Charlotte Novaresio, déléguée des étudiants élue cette année, ne l’entend pas de cette oreille et nous confie son exaspération : « Nos représentants de l’an dernier n’avaient qu’une idée en tête : virer le directeur. Ils refusaient le dialogue, opposaient un non de principe à tout ce qui venait d’en haut, au nom de leur conviction idéologique que l’art et le marché ne vont pas de pair et que la seule place des artistes est la place du Tertre ! Moi, je pense qu’il faut construire plutôt que de faire continuellement la guerre : accepter le dialogue, passer des compromis, savoir se montrer diplomate… »
      Tralala bling-bling

      Comment, d’une année sur l’autre, les vues estudiantines peuvent-elles se montrer si diamétralement opposées ? Les anciens déléguées, combatifs, ont été élus par plus de 120 étudiants sur les quelque 500 que comptent les Beaux-Arts – une participation apparemment faible mais exceptionnelle dans une école où prime l’individualisme légendaire d’artistes en herbe souvent déjà sur leur Aventin, qui se double d’une inquiétude quant à l’avenir virant à l’angoisse démobilisatrice.

      Un événement s’était montré fédérateur à l’automne 2013 : la façon qu’avait eu Ralph Lauren de s’accaparer le site en mécène un rien prédateur, évinçant les étudiants de leurs ateliers pour les besoins de son tralala bling-bling : défilé de mode, dîner fin, autosatisfaction à tous les étages. Avec Nicolas Bourriaud en bateleur et passe-plats…

      La magie du défilé aux Beaux-Arts de Ralph Lauren © Paris Match

      À l’époque, Paris-Match vantait l’événement dans un déchaînement de crinolines, tandis que regards.fr, site propre à la gauche alternative, critiquait ce raout déraisonnable, relayant la colère étudiante avec des vidéos probantes. En janvier 2014, l’élection des délégués, dans la foulée de la lutte contre l’invasion de Ralph Lauren, avait poussé sur le devant de la scène les éléments les plus politisés : des contestataires au verbe haut, capables de mener la vie dure à Nicolas Bourriaud.

      Celui-ci sut faire profil bas. Il opéra un recul tactique passant pour reconnaissance de ses torts. Puis il sut diviser pour régner. Résultats : en janvier 2015 de nouveaux délégués étudiants sont désignés par une vingtaine de votants seulement, tant l’amertume et le découragement avaient gagné les rangs.

      Et voici donc qu’après le renvoi du directeur, en ce 8 juillet 2015, se retrouvent face à face les élus de l’année, qui s’estiment raisonnables, et ceux de l’an dernier, qui les jugent manipulés. Dans l’amphithéâtre d’honneur bien défraîchi – Ralph Lauren avait promis de le rénover mais retira ses billes après son fiasco événementiel de l’automne 2013 –, sous la peinture à la cire de Paul Delaroche représentant soixante-quinze figures dominantes de l’art grec, romain, gothique et renaissant, une douzaine d’étudiants tentent de trouver un terrain d’entente. Quelles revendications présenter au ministère de la culture, dont des représentants ont promis de les recevoir, rue de Valois, en fin d’après-midi ?

      La petite troupe traversée d’antagonismes décide de ne pas se focaliser sur Nicolas Bourriaud, pomme de discorde toujours vive, qui revient néanmoins par inadvertance sur le tapis : il savait nous écouter, geignent les nouveaux délégués ; non, grognent les anciens, il n’obéissait qu’aux rapports de force que nous parvenions à instaurer. Il a été chassé comme un malpropre, plaident les uns ; nenni rétorquent les autres, il avait été reconduit pour un an seulement par Aurélie Filippetti l’été dernier.

      Le groupe convient toutefois que ceux qui s’offusquent du dégommage du directeur comme ceux qui s’en réjouissent, doivent nouer un pacte quant à la suite des événements : plus question d’accepter une nomination opaque conduisant au parachutage d’un copain ou d’un affidé du pouvoir, forcément accueilli dans la défiance, quelles que soient ses possibles qualités.

      Urbain Gonzalez, leader historique de la contestation d’octobre 2013 contre Ralph Lauren, donne le la : « Le ministère de la culture a un scandale médiatique à répétition dans les pattes. Les journalistes ne s’intéressent qu’aux intrigues de sérail : Nicolas Bourriaud sera-t-il remplacé par Éric de Chassey, poussé par Julie Gayet ? Ne cédons pas à de tels leurres et battons-nous pour que notre parole soit entendue. La parole des étudiants a beaucoup plus de poids que celle des professeurs, qui défendent leur bout de gras et tournent pour la plupart comme des girouettes selon le vent. Or c’est à nous tous de choisir qui prendra la tête de l’École, en concertation avec le personnel administratif qui a aussi son mot à dire. Exigeons la concertation et la transparence pour que les préférés du pouvoir ne puissent plus débouler. Que la ministre comprenne que si elle nous colle encore une fois un directeur selon les vieilles méthodes, ça va être la merde dans l’École ! À l’heure où l’eau fuit dans les ateliers, ne nous bernons plus sur la capacité de Nicolas Bourriaud à lever des fonds de façon magistrale. Si nous nous battions pour sauver la tête du directeur, nous serions infantilisés par le ministère. En revanche si nous nous battons pour sauver l’École, c’est pas désespéré ! »

      Faux nez du marché

      Le groupe dépasse ses divisions et se soude, jusqu’à trouver une résolution à faire valoir auprès du ministère : suspendre le processus de nomination du successeur de Nicolas Bourriaud tant que n’est pas réécrit le décret de 1984, qui fixe dans le plus grand flou la désignation du directeur des Beaux-Arts – aucune durée de mandat n’est par exemple précisée. « Nous exigeons que tous les acteurs de l’École soient partie prenante de cette réécriture », affirme ainsi la petite assemblée dans une note qu’elle remettra dans quelques heures rue de Valois.

      Faut-il du reste un directeur ? Les discussions reprennent de plus belle, entre ceux qui ont un besoin d’incarnation et ceux qui croient en un modèle collectif et collégial, à l’allemande, ayant notamment prévalu à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf. Là encore, le cénacle estudiantin trouve une façon de transformer ses divergences en proposition, prenant au mot l’humeur délibérative affichée par Fleur Pellerin. L’AG pose ainsi ses exigences : « Conformément à la volonté exprimée par la ministre de mettre en place une gouvernance plus collaborative de l’école, nous demandons que celle-ci soit dirigée par un conseil ad hoc composé en nombre égal de membres du personnel, des professeurs et des étudiants, ainsi que de l’équipe administrative, jusqu’à la validation du décret écrit dans ces conditions de concertation. »

      Dans l’amphithéâtre d’honneur, impression d’assister à l’an I de la démocratie aux Beaux-Arts de Paris. Avec ces fusées ou ces ornières qui, depuis 1789, caractérisent de telles sessions où se mêlent l’action, la réflexion, le possible et l’utopie. Tout cela va-t-il se fracasser, rue de Valois, sur quelques cerveaux reptiliens de la bureaucratie française autoproclamés « serviteurs de l’État » ?

      En attendant ce choc de l’idéal démocratique et de la raison administrative, finalement prévu à 18 heures au ministère de la culture le mercredi 8 juillet 2015, nous interrogeons l’un des rares enseignants qui ose s’exprimer en ces temps incertains : Jean-François Chevrier. Il a tenté de s’engager dans la vie des Beaux-Arts avant de comprendre qu’il s’était trompé sur Nicolas Bourriaud. Celui-ci, selon lui, envisageait la transparence et la concertation telles de simples concessions tactiques entre deux nominations de suppôts – tel Jean-Luc Vilmouth, dont il fit son bras droit et qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

      Pour Jean-François Chevrier, l’ancien directeur pratiquait une sorte de bonneteau qui mystifiait son monde : il délaissait la mission pédagogique de l’École au profit d’un prétendu « centre d’art », qui n’était en définitive que le faux nez du marché. Le marché, qui soudoie déjà certains étudiants inquiets pour leur avenir et qui pensaient trouver en Nicolas Bourriaud un futur facilitateur en raison de ses liens avec le milieu. Le marché, qui menace, l’air de rien et même l’air de se poser en vecteur de modernité, le pluralisme de l’art actuel.

      Chez les étudiants activistes de l’automne 2013 contre Ralph Lauren, Jean-François Chevrier a trouvé des pionniers « en avance sur le corps enseignant » : « Cette minorité d’étudiants est consciente de la menace qui pèse sur leur liberté de pensée, donc sur leur créativité. Cette minorité protège ses instruments, y compris l’institution publique des Beaux-Arts. Les bonnes idées viennent toujours de peu de gens et je regarde leur lutte comme très encourageante dans la misère ambiante. Cette nouvelle génération sait qu’il y a place pour autre chose que ce que propose le marché. Mais cet autre chose que Jeff Koons, pour dire vite, cet affranchissement précaire, doit être défendu bec et ongles, fût-ce avec ce que d’aucuns considèrent comme des naïvetés déplacées. Pour ma part, je tiens simplement à dire que je trouve ces jeunes gens remarquables. »

      Une telle impression n’a sans doute pas même effleuré, de 18 heures à 18 h 30, ceux qui reçurent la délégation de douze étudiants des Beaux-Arts rue de Valois : Pierre Oudart, directeur adjoint chargé des arts plastiques à la Direction générale de la création artistique, flanqué d’Arthur Toscan du Plantier, ancien conseiller en communication de Bertrand Delanoë puis d’Aurélie Filippetti, devenu auprès de Fleur Pellerin « conseiller chargé des relations avec les acteurs culturels et institutionnels ».

      La même étudiante qui pestait contre le bazar du démontage de la soirée Dassault, le matin aux Beaux-Arts, rive gauche, soupire en fin de journée, au ministère de la culture, rive droite : « Ils nous ont dit qu’ils n’avaient pas pour mandat de débattre mais de transmettre. »

    • Merci pour le rappel de l’enfarinage de ce gros misogyne de Bustamente. Pour Nicole Esterolle c’est drole de savoir qu’il dit pique-pendre sur les étudiantes des beaux arts mais pourtant il a selectionner mon travail d’ex étudiante des beaux-arts pour le montrer sur son site comme art Esterollo-compatible.