Féminisme : pourquoi le transfert de la bibliothèque Durand inquiète les syndicats - Libération
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La bibliothèque Marguerite-Durand est un « trésor », estime l’historienne spécialisée dans l’histoire des femmes et présidente-fondatrice de l’association Archives du féminisme Christine Bard. Car elle rassemble des dizaines de milliers de documents qui retracent l’histoire du féminisme depuis ses débuts en France, « mais aussi l’histoire des femmes ». Parmis eux, des livres universitaires qui témoignent des enjeux et combats féministes des deux derniers siècles, des photos de femmes, des caricatures. Des manuscrits, aussi, dont celui des Histoires de ma vie de l’enseignante et illustre communarde Louise Michel. Ou encore des dossiers de presse, sortes de mémoires de l’époque, comme par exemple celle, pas si lointaine, du combat des femmes pour l’obtention du droit de vote. Bref, une mine pour les chercheurs, d’où leur ressentiment lorsqu’ils ont entendu parler de l’hypothèse du déménagement de la bibliothèque.
L’idée d’un transfert est apparue publiquement pour la première fois en octobre 2016 dans le cadre du « budget participatif » de la mairie de Paris, avec la mise au vote des Parisiens d’un projet de « nouvelle bibliothèque » dédiée à l’histoire des femmes, qui faisait suite à la proposition d’un citoyen sur la plateforme participative. Dans une tribune publiée dans Libération, des universitaires avaient alors émis des premières craintes pour un projet qui, sur le papier, pouvait emporter leur adhésion, « mais par son imprécision » se révélait « au contraire un projet dangereux », signant ni plus ni moins que l’arrêt de mort de l’actuelle bibliothèque. En outre, ils s’offusquaient qu’un tel projet soit simplement soumis au vote des citoyens, là où il aurait fallu un dialogue avec les principaux concernés et une vraie volonté politique. Selon la CGT, soumettre ce projet au vote populaire aurait surtout servi de caution à la mairie pour faire accepter sa décision de déménager l’actuelle bibliothèque.
Quoi qu’il en soit, la tribune n’a abouti à rien, pas plus que les demandes de rencontre à la mairie de Paris, ni la pétition lancée en ligne dans la foulée avec ses 1 800 signatures, ou les tentatives de discussions engagées par le groupe communiste–Front de gauche au Conseil de Paris, lequel a adopté en novembre un projet de déménagement pour un lieu « plus grand et plus fonctionnel », bien loin de ce qui semble se profiler.
Une idée avait circulé à la fin de l’année, de créer une Maison des femmes à Paris, comme cela se fait dans d’autres grandes villes, où pourrait se loger une bibliothèque féministe. On ne sait pas à l’heure actuelle si la mairie étudie ou non cette option. Interrogée sur ce point par Libération, elle n’a pas répondu. En revanche, elle s’est voulue rassurante quant à l’intérêt que pourrait susciter pour le public le transfert à la BHVP. La bibliothèque sera ouverte « quarante-huit heures par semaine », contre vingt actuellement, assure-t-elle. La municipalité mise également sur la complémentarité des collections de la BHVP et celles de Marguerite-Durand : « Cette réunion de fonds [d’archives, ndlr] dans un même bâtiment permettrait de former une véritable bibliothèque consacrée à l’histoire des femmes et du féminisme. »
Le débat sur le devenir de Marguerite-Durand dépasse la sphère universitaire. La bibliothèque est également un lieu de découverte, fréquenté par de simples curieux ou de fervents passionnés, que l’allongement des délais pour obtenir des documents (du fait d’un éventuel stockage ailleurs) risque de décourager. Régulièrement, la bibliothèque prête ses documents pour les besoins d’un film ou d’une exposition, même à l’étranger.
L’image féministe de la ville de Paris écornée ?
Plus symboliquement, cette affaire pourrait écorner l’image féministe de la ville de Paris. Selon Christine Bard, il s’agit d’une décision « qui va à contre-courant des ambitions de la ville de Paris, qui par ailleurs lance des actions pour dénoncer les inégalités hommes-femmes. Si l’on n’est pas capable à Paris d’avoir un lieu autonome pour la recherche sur les questions féministes, qu’est-ce que ça veut dire ? » L’historienne balaye aussi l’argument avancé par Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris chargé de la Culture, selon lequel la fréquentation serait trop basse à cause de son manque de visibilité : « C’est de la mauvaise foi. Par définition, il y a moins de lecteurs dans une bibliothèque de recherche. Et depuis plus de vingt ans, avec Internet, de plus en plus d’archives sont numérisées. La baisse de fréquentation, ce n’est pas un critère, c’est un fait qui touche toutes les bibliothèques. »
Christine Bard se dit prête à créer un comité de défense de la bibliothèque Marguerite-Durand, ouvert à tou-te-s : « La seule chose qui pourrait impressionner la mairie, c’est la mauvaise image que ça lui donne. » En attendant, en juin 2018, le bâtiment entier de la médiathèque Melville, bibliothèque Marguerite-Durand comprise, doit être fermé pour travaux pour une durée d’au moins un an. Pendant ce temps, les archives de la bibliothèque Durand seront transférées dans des entrepôts en proche banlieue.