Le retour de l’État néo-industriel ? | #Cédric_Durand
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Sur un plan très général, ce néo-industrialisme devrait être salué puisqu’il implique que le poids relatif de la décision d’investissement prise par délibération politique s’accroisse légèrement. Cependant, dans son déroulement historique concret, il y a des raisons de s’inquiéter. Au moins quatre aspects problématiques peuvent être soulignés
Tout d’abord, l’ampleur de ce virage est elle-même discutable. Bien que les montants soient significatifs, ils ne sont pas à la hauteur des énormes défis de l’époque, notamment en ce qui concerne la restructuration complète de l’économie rendue nécessaire par la crise écologique. Cela est particulièrement vrai en Europe, confrontée à une vulnérabilité structurelle de long terme en raison des normes d’austérité qu’elle s’est elle-même infligées (actuellement présentées sous le nom de « trajectoires d’ajustement budgétaire ») et du fossé croissant entre le centre et la périphérie.
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Deuxièmement, la substance même du néo-industrialisme doit être interrogée. Les choix effectués en termes d’orientation des financements façonnent la structure productive pour des décennies. Sur le plan écologique, le principal problème est qu’ils sont presque exclusivement conçus comme des subventions à l’écologisation des processus existants plutôt qu’à une refonte globale de la structure économique vers la durabilité. L’industrie automobile est à cet égard paradigmatique. [...]
Un autre problème qualitatif renvoie à l’augmentation des dépenses militaires et à l’hostilité à la Chine [▻https://seenthis.net/messages/1006567] qui nourrit le néo-industrialisme. Faute d’un engagement diplomatique approprié pour permettre ce qu’Adam Tooze appelle « un nouvel ordre de sécurité fondé sur la prise en compte de la montée en puissance historique de la Chine », nous nous trouvons au cœur d’une nouvelle guerre froide qui, outre son potentiel effrayant d’escalade au-delà du théâtre ukrainien, implique un scandaleux gaspillage de ressources et de créativité humaine. [...]
L’équilibre entre les classes est le troisième sujet d’inquiétude. [...]
Une politique industrielle ambitieuse pourrait aggraver les biais de la politique fiscale en faveur des entreprises. Outre les entreprises industrielles, les gestionnaires d’actifs sont également désireux de profiter des nouvelles opportunités de rente offertes par les investissements dans les infrastructures soutenues par l’État. Sans augmentation de l’impôt sur les sociétés et/ou des revenus du capital et/ou de la propriété publique directe, les subventions et les garanties de l’État impliquent un transfert de ressources du travail et du secteur public vers le capital, ce qui, en fin de compte, accroît encore les inégalités de revenus et de richesses.
La quatrième question concerne la capacité du néo-industrialisme à tenir ses promesses de modernisation et à rendre les processus de production respectueux des équilibres écologiques. Les entreprises sont avides de subventions, tandis que les nations et les régions sont en concurrence pour faire l’offre la plus alléchante. Cependant, une politique industrielle efficace nécessite non seulement des ressources pour soutenir les changements structurels, mais aussi la capacité des planificateurs de l’État à discipliner les capitalistes.
Sur ce front, l’optimisme n’est pas de mise. Au niveau européen, puisque tout l’édifice a été construit sur l’idée que la concurrence suffisait à garantir l’efficacité économique, les capacités technico-administratives de contrôle de la politique industrielle sont quasiment nulles.