Après la victoire du « oui » lors de la consultation du 26 juin 2016 en Loire-Atlantique, le gouvernement socialciste semblait ne plus vouloir perdre de temps. La date de la nouvelle tentative d’évacuation de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes fut annoncée pour l’automne 2016. Pourtant, l’horizon des zadistes demeura dégagé.
Puis Emmanuel Macron succéda à François Hollande, charge à lui de régler le sort du projet aéroportuaire et par là même de la ZAD, cette zone libérée censée apporter la démonstration qu’il serait possible de fuir le système capitaliste et le salariat, et cela en travaillant au façonnement de nouvelles alternatives émancipatrices, sans attendre un changement antisystémique par le haut.
Plutôt que de déclencher immédiatement la foudre, le « président jupitérien » nomma trois médiateurs, le 1er juin, pour « regarder une dernière fois les choses » et l’aider à prendre une décision définitive. Le 13 décembre, ces derniers remirent leur rapport dans lequel il apparaît que c’est bien l’abandon du projet de construction du nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui est inscrit à l’ordre du jour. Si la roue de l’histoire devait tourner en faveur des opposants, ces derniers, après un demi-siècle d’agir ensemble contre un projet jugé « néfaste » et « inutile », ne pourraient que se réjouir de voir les décideurs accéder à leur revendication unifiante.
Un lieu d’aimantation politique
Mais déjà on s’aperçoit que c’est une autre question qui polarise l’attention : que faire de ceux qui occupent « illégalement » ces centaines d’hectares, certains depuis le milieu des années 2000 ? Dans ses dernières déclarations, l’exécutif a exprimé sa volonté de dissocier le dossier de l’aéroport de la question épineuse des zadistes. En effet, ces derniers auront vocation à quitter les lieux, quelle que soit l’option retenue par le gouvernement. Dans ces conditions, un renoncement au projet d’aéroport ne saurait signifier le maintien du statu quo en ce qui les concerne. Aussi, tel un Pierre Messmer ne cachant plus, en octobre 1973, son exaspération devant la combativité têtue des ouvriers de l’entreprise Lip, Edouard Philippe a fait comprendre que « la ZAD, c’est fini ! ».
Toutefois, il est quelque chose d’acquis : les centaines d’opposants ne quitteront jamais spontanément les lieux qu’ils occupent, même si l’abandon du projet devait être entériné. En effet, ils ont un « monde » à défendre, une « utopie réelle » à sauvegarder, pour reprendre le titre de l’ouvrage du sociologue Erik Olin Wright. Depuis l’automne 2012 et l’échec mémorable de l’opération « César » [la tentative par les forces de l’ordre de déloger les zadistes], les obstinés de la ZAD ont eu le temps de « construire une autre réalité » délivrée de la démesure d’une société capitaliste autophage, et cela au travers de l’existence de ces 70 lieux de vie habités et ces 260 hectares de terres cultivées arrachées à la multinationale Vinci, mais aussi de ce moulin, cette épicerie-boulangerie-fromagerie, cette bibliothèque.
Derrière la lutte contre le projet d’aéroport, ce qui se joue aujourd’hui, et qui fait que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est devenue un lieu d’aimantation politique et l’expression exemplaire de la nécessité de faire bifurquer l’humanité pour l’amener à prendre une autre voie, c’est l’affrontement entre différentes conceptions antagonistes du monde.
Défense de ce précieux bien commun
Aussi, en cas de nouvelle offensive sécuritaire d’envergure contre la ZAD, aux habituels slogans « Vinci dégage, résistance et sabotage ! » succéderont, peut-être, des « Etat casse-toi, cette terre n’est pas à toi ! » afin d’exprimer non seulement le droit de vivre du fruit de la terre partagée mise en valeur en harmonie avec la nature, mais également le droit à l’auto-gouvernement pour ceux qui la travaillent et l’habitent. Face à une entreprise de « pacification » de la zone, les zadistes, toujours soutenus par un large spectre du champ politique à gauche, et par plus de 200 comités de soutien, forts de leur alliance nouée avec les opposants historiques à l’aéroport, notamment les paysans locaux, défendront légalement l’intégrité de ce précieux bien commun.
L’opération de police sera ressentie comme une violation de la souveraineté territoriale revendiquée de fait, sinon de droit, par ces habitants de la ZAD. Dès lors, les formes de contestation politique auxquelles recourront les zadistes seront susceptibles d’apparaître comme porteuses d’une légitimité réelle aux yeux d’une partie significative de la population. En effet, elles seront perçues comme des modes d’action essentiellement défensifs et réactifs de femmes et d’hommes défendant leur droit commun à la terre, et de facto leur droit à l’existence, face à l’action prédatrice de l’Etat expropriateur.
Rentre la situation politiquement intenable
Dans le cadre d’un rapport de force a priori asymétrique, avec des unités coercitives étatiques, qui seront immédiatement assimilées à des « forces d’occupation », l’enjeu pour les militants zadistes sera, comme en 2012, de rendre la situation politiquement intenable pour le pouvoir d’Etat, jusqu’à l’obliger à négocier les conditions de sa défaite en consentant à la pérennisation de la ZAD par la conclusion « d’une paix ». Celle-ci pourrait s’inspirer du modèle du quartier autogéré de Christiania à Copenhague, où les habitants ont signé un accord de « paix » avec l’Etat danois en juin 2011, après plus de trente années de maintien passées dans l’illégalité.
Protégés derrière leurs lignes de défense, ceux formant cette « communauté ouverte » n’ont nullement l’intention de se rendre à la préfecture pour déposer leur préavis de départ. Ainsi continueront-ils à vivre autrement, prêts à réagir dans la légalité si, au nom de la restauration de « l’Etat de droit », Emmanuel Macron, postulant qu’il aura le vent de l’opinion publique dans le dos, se décide à trancher le nœud gordien de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Hugo Melchior est également un ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) à Rennes (2005-2009) et du syndicat Sud Etudiant (2006-2010). Ex-membre du Parti de gauche (2012-2013), il est resté proche de Clémentine Autain et a été un sympathisant de la ZAD en 2012. En 2016, lors des manifestations contre la loi travail, un arrêt préfectoral lui interdit de paraître dans le centre-ville de Rennes pendant quinze jours. Après un recours en référé, le tribunal administratif a cassé la décision préfectorale.