Perso, je ne tolère rien du tout et pendant longtemps, j’ai pensé qu’il fallait occuper le terrain quotidien des idées en contrant sans cesse l’idéologie fasciste quand elle pond, non pas dans la tête des intellos qui tiennent le crachoir, mais plutôt dans celle des gens ordinaires qui sont imprégnés chaque jour de la banalité de ce discours.
En gros, ne pas laisser passer les allusions xénophobes, interroger des gens d’un air faussement naïf sur les raisons concrètes et non fantasmées de leur rejet, les pousser dans leurs retranchements, leur faire admettre l’inexistence de leur fantasmes, les pousser à critiquer et remettre en question chaque jour les vérités officielles en général et le journal de Pernaud en particulier...
Bref, ça, c’était avant le massacre Sarko et le racisme d’État franchement assumé. Maintenant, je ferme ma gueule, parce que dans pratiquement toutes les assemblées publiques je suis l’ultra minorité, parce que la pensée raciste et pire, la pensée de haine et d’exclusion de l’autre, de celui qui n’est même que très vaguement différent est aujourd’hui hégémonique.
Et le champ du rejet ordinaire s’est élargi. Je me suis déjà tapé des journées entières à tenter de me boucher les oreilles mentalement contre la diatribe anti-casso’s. Je ne sais pas si vous y êtes exposés, là où vous vivez, mais chez moi, c’est d’une extrême banalité, la haine du casso’s (pour les cas sociaux, pour ceux qui vraiment ne connaîtrait pas) avec des enfilades de clichés longues comme un jour sans Ricard : abrutis, consanguins, se reproduisent comme des lapins, vivent aux crochets du bon citoyen, ont des gosses violents, sales, bêtes et méchants, picolent, battent leur femme, ruinent les apparts, sont dangereux sur la route avec leurs caisses pourris, sont faignants, illettrés...
Ça peut vraiment durer toute une journée et tout le monde participe joyeusement à la curée, puisque voilà un défouloir bien commode à la somme des frustrations quotidiennes, voilà celui qui est plus bas que tout les autres et sur le dos duquel se construit une nouvelle unité sociale de l’exclusion : les petits prolos qui en chient en bas de l’échelle, précaires, scotchés au SMIC à vie et aux multi-boulotx pour maintenir (on comprend avec quelle nécessité !) l’illusion d’un train de vie qu’ils ne peuvent se permettre, les petits proprios qui crachent leur haine du pauvre, tout en faisant fructifier leur locatif pourri à la limite du marchand de sommeil en louant précisément aux seuls qui sont bien obligés de se loger là, à savoir les cassos, les petits patrons, qui les paient quand ils y pensent, les déclarent encore moins et se plaignent de leur manque d’ardeur à l’ouvrage, les services sociaux, débordés et impuissants mais dont c’est le gagne-pain, les fonctionnaires, encore le cul au chaud -pour combien de temps ? - qui dénigrent les effets de l’exclusion sociale de ces gens sans jamais penser à leurs causes, les mieux lotis qui pensent qu’on pourrait s’épargner des impôts en éliminant les surnuméraires, ceux qui ne participent qu’à la marge à la grande machine à faire du pognon, et les CSP+ qui ont trouvé là une nouvelle catégorie pour exprimer leur condescendance sans prendre le risque de se faire taxer de racistes.
C’est bien pratique, la construction sociale du cassos : tu peux y mettre tous les emmerdeurs dedans, y compris les arabes, les noirs, les asiatiques - ah non, pas les asiatiques, parce qu’ils sont discrets et travailleurs, eux... - et balancer ta merde sans que ça ne choque plus personne d’autre que les archéo-gauchistes de mon espèce.
Et oui, même chez les camarades de la gauche avec le couteau entre les dents, j’ai déjà entendu de bien belles envolées sur les cassos qui n’ont rien à envier aux discours frontistes les plus répugnants, le tout avec à peu près les mêmes champs sémantiques, les mêmes généralisations à outrance, la même déshumanisation de la cible de la haine et les mêmes justifications.
Concrètement, aujourd’hui, je ferme ma gueule dans le monde réel, parce que je suis totalement inaudible devant ce grand consensus que je trouve particulièrement dégueulasse.
Concrètement, je pense qu’il faut continuer d’écrire, d’analyser, de démonter et de dénoncer ce discours et cette vision du monde, mais même là, la même logique d’habituation est à l’œuvre et c’est glaçant.