La carrière des indicateurs est une chose intéressante. Certains semblent installés pour des lustres pendant que d’autres aspirent à les détrôner ou à les compléter. Leur carrière future dépend des « réseaux d’intéressement » (termes de sociologues de l’innovation) qui se forment pour les défendre, et de l’influence de ces réseaux sur les décisions politiques, lesquelles sont seules en mesure de décider que tel ou tel indicateur sera désormais placé en haut de l’agenda politique et donc statistique.
Vue sous cet angle, la carrière publique de l’indicateur de progrès véritable ou IPV (en anglais, GPI, Genuine Progress Indicator) est curieuse. Après avoir été assez en vogue jusqu’au milieu des années 2000, il est plus ou moins tombé dans l’oubli, y compris du côté des écolos qui ont été à l’origine de sa mise au point. Mais il est réapparu en 2013 parce que de très grands noms de l’économie écologique ont décidé de l’utiliser dans des articles et livres qui ont fait le tour du monde (de l’écologie politique). C’est en particulier le cas du livre « Vivement 2050 ! Programme pour une économie soutenable et désirable », coordonné par Robert Costanza, et surtout de l’article collectif sur l’IPV dans la revue Ecological Economics (n° 93, 2013).
On trouve dans cet article des graphiques qui conduisent à se poser de bonnes questions sur le découplage entre la croissance économique et les variations de ce « progrès véritable » incluant des variables économiques, écologiques et sociales (voir l’annexe de ce billet). Nous verrons ensuite ce qu’on peut penser de la façon de les mettre ensemble dans un indicateur monétaire unique.
En fait, cet IPV, une variante de ce qu’on appelait les « PIB verts », existe depuis les années 1990 mais essentiellement aux Etats-Unis où il est né, à l’initiative d’une fondation californienne, « Redefining Progress » (voir leur site). www.rprogress.org/ J’ai repris les séries de leur rapport le plus récent pour composer le graphique suivant, qui ne concerne que les Etat-Unis. Il représente le PIB et l’IPV par habitant de 1950 à 2004, en dollars constants de 2000. Alors que la richesse économique brute (le PIB) par personne a presque triplé aux États-Unis entre 1950 et 2004, l’IPV par personne a progressé jusqu’au milieu des années 1970, mais il est pratiquement stagnant depuis.
Ce qu’ont fait les coauteurs de l’article de Ecological economics est essentiellement une extension du champ géographique à 17 pays, riches ou non, pour lesquels on avait des données suffisantes (voir le dernier graphique de ce billet où figure la liste des pays). Des graphiques par pays sont présentés (la France n’en fait pas partie), mais les plus intéressants concernent l’agrégation des 17 pays, qui a supposé quelques approximations quand les données étaient incomplètes. En voici deux, qui racontent en fait la même histoire. On les trouve en ligne sur divers sites.
Le premier ressemble furieusement au graphique étatsunien, avec deux grandes différences : les niveaux absolus sont plus faibles, et l’IPV, au lieu de stagner depuis la fin des années 1970, décline en tendance. .....