Quatre mois plus tard, il se dit, comme d’autres, « affligé ». « Tout le monde se renvoie la faute, et se défile. Moi, je refuse tous les médias. Qu’ils se démerdent », lâche-t-il. Un autre cadre frontiste, anti-Philippot, rapporte à Mediapart une « ambiance règlement de comptes », et se désole : « Avant le débat, Marine était présidentiable, elle avait fait une bonne séquence la semaine d’avant, Whirlpool et le bateau [dans le port du Grau-du-Roi, dans le Gard – ndlr], c’était bien joué, le ralliement de Dupont-Aignan aussi, et les gens à droite n’attendaient que ce fichu débat pour se décider. J’entendais des mecs de droite partout dire “m’en fous, je vote Marine”. Après le débat, dans notre fédé on se prend des courriers avec des cartes du Front coupées en deux. »
Les mauvaises nouvelles sont tombées les unes après les autres : les propos du vice-président Jean-François Jalkh sur la Seconde Guerre mondiale exhumés dans la presse, un débat raté, Marine Le Pen chahutée lors de deux déplacements, en Bretagne puis à Reims. La faute à qui ? « La campagne n’a pas été séquencée. On a développé des trucs à droite à gauche, ce qui fait que 15 jours avant le premier tour, il n’y avait plus de kérosène dans le réservoir et Marine a commencé à décrocher, la campagne tournait à vide. »
Un brin cynique, ce cadre est persuadé que « sans l’attentat deux jours avant le premier tour, Marine n’était pas au second tour ». Il va plus loin : « Cinq ans de Hollande, 300 morts dans les attentats, une situation économique désastreuse, du chômage de partout, des problèmes identitaires très forts, une France fracturée, et on fait 21 % au premier tour ? Vaut mieux arrêter tout de suite ! »
C’est d’abord la stratégie de campagne et le positionnement de Marine Le Pen qui sont remis en cause. « C’est quoi le slogan de campagne de Marine Le Pen ?, interroge le même. La France apaisée ? Au nom du peuple ? Choisir la France ? » Selon lui, la candidate avait au départ su éviter un écueil récurrent des campagnes frontistes : ne pas mener une « campagne idéologique et doctrinaire ». « Avant, il fallait quasiment se convertir pour voter Front national. Là non, c’était assez ouvert, compréhensible, le message passait, Marine a même fait de la vraie politique sur une partie de sa campagne. » Mais pour une partie du Front national, la candidate n’a pas su tirer parti du naufrage du candidat de droite. « Rien ne s’est passé comme prévu, Fillon explose en plein vol, Hamon est mort, Mélenchon remonte, et là Philippot et ses sbires reviennent en disant “Mélenchon ça marche, donc faut faire du Mélenchon”. À partir de là, on retourne dans une campagne idéologique. Philippot avait fait le même coup en 2012, c’était un désastre. Il nous a mis dedans de force, à raconter qu’au bout de six mois on paierait nos baguettes en francs. Il nous a fait perdre un report de voix à droite. »
Pour le membre du comité stratégique de campagne cité plus haut, la candidate a été « enfermée par Philippot et son équipe, qui ont verrouillé la campagne ». « Il y avait une concurrence entre les frères Philippot d’une part et Philippe Olivier d’autre part. Pour le débat, Marine a été conseillée par Gilbert Collard d’abord, puis les frères Philippot sont passés derrière. Et les sorties “bourrines”, l’agressivité du débat, c’est Philippe Olivier. Aujourd’hui, ils se rendent compte que ça a dysfonctionné. » Certains se plaignent d’avoir été déprogrammés des plateaux TV, au profit de Florian Philippot ou des tenants de sa ligne. Gilbert Collard aurait été écarté de la soirée électorale du premier tour, à Hénin-Beaumont. Déjà écartée de l’émission politique de France 2, le 10 novembre, au profit de Florian Philippot, Marion Maréchal-Le Pen se serait à nouveau vu refuser par Marine Le Pen d’être l’« invitée surprise » de la chaîne, face à Emmanuel Macron, le 6 avril. Ce n’est qu’au prix d’un passage en force que certains seraient parvenus à aller sur les plateaux.