• « Ne muselez pas le Lycée autogéré de Paris, il m’a permis de me construire »
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    Le Lycée autogéré de Paris « m’a permis d’accéder à une vie plus consciente, plus démocratique et épanouie », explique l’auteur de cette tribune, inquiet pour la sauvegarde de l’indépendance de l’établissement.
    Paolo Jacob, élève au Lycée autogéré de Paris de 2014 à 2016, est aujourd’hui documentariste.

    Personnellement, comme une majorité d’élèves, je suis venu au LAP non par affinité politique — je n’avais alors jamais entendu parler d’autogestion —, mais parce que ce lycée m’offrait la possibilité de poursuivre ma scolarité sans être projeté dans le monde du travail, sort que l’on réserve aux mauvais élèves comme je le fus depuis mon entrée à l’école.

    Je me rappelle du principal du collège Jules-Ferry, qui essayait de me convaincre de devenir électricien, métier par ailleurs très honorable, mais qui m’avait été plaqué dessus sans prendre en considération l’adolescent que j’étais. Et pourtant à l’époque, je cultivais déjà quelques passions en dehors de l’école, comme la photographie.
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    Mon constat, c’est qu’aucun professeur ne s’est penché sur mes difficultés, aucune administration, aucune assistante sociale, psychologue n’est entré en intimité avec l’adolescent que j’étais pour l’aider à sortir de cette torpeur qui dura des années.
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    Dans le système scolaire traditionnel, nous sommes scindés, nous ne faisons pas partie prenante du collectif, nous n’apprenons pas à réfléchir ni à dialoguer ensemble, à nous sentir coresponsables de l’apprentissage de nos camarades. Nos intuitions, notre curiosité, nos désirs, notre expressivité sont perçus comme des freins à une pédagogie normative.

    Le LAP, au contraire, les valorise. C’est à la fin de ma troisième, alors que mes résultats étaient toujours aussi catastrophiques, que j’entendis parler du Lycée autogéré. J’y entrai en classe de seconde.

    Pour moi, le LAP a d’abord été une respiration. Dans ce nouveau système de valeurs, j’ai pu prendre le temps de trouver mes marques, de m’octroyer des libertés sans en être sanctionné.

    Au LAP, il n’y a nulle autorité pour te faire fermer ton clapet par abus de pouvoir. Nous sommes responsables de notre relation aux autres et ne nous cachons pas derrière une fonction et une hiérarchie. La libre expression laisse à chacun sa place, aux grandes gueules comme aux plus timides, qui sont encouragés à participer lors de rassemblements hebdomadaires.

    Dans ce système où je pouvais exister en tant que personne, ma relation autrefois conflictuelle aux professeurs a aussitôt disparu. Ces derniers sont devenus des alliés dans ma scolarité.
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    J’ai côtoyé là-bas nombre de lycéens qui ont pu s’octroyer du temps pour approfondir une pratique, bénéficiant d’une infrastructure et de l’accompagnement des professeurs et de leurs camarades pour se mettre à fond dans la musique, la cuisine ou encore le théâtre.

    Moi-même j’ai pu sérieusement travailler ma pratique de la photographie, notamment sous l’impulsion d’une professeure passionnée et curieuse de mon travail. Je passais des heures au laboratoire de photo argentique du lycée. Je m’y perdais, souvent seul et en silence, à la redécouverte des images que j’avais capturées lors de mes excursions dans Paris. Ces moments d’exploration sont à l’origine de mes aspirations actuelles de documentariste.

    #éducation #lycée_autogéré_de_Paris #LAP

    • Comment pouvons-nous encore nous considérer dans une société démocratique si l’enseignement empêche les élèves de se coconstruire dans leurs discours et dans leurs actes ? L’école conventionnelle ne laisse pas de temps à l’intelligence et à l’organisation collective, elle pousse chacun à la docilité, au respect des normes et des croyances établies. Sur quelle vérité repose ce système ? Celle qui croit que l’enfant est inférieur, trop bête pour pouvoir agir et penser avec autonomie ? Quelles études, quels diplômes, quelles contraintes faut-il encaisser avant d’être jugé apte à penser par soi-même ?

      Aujourd’hui, le caractère alternatif du LAP est remis en cause par les institutions. Après le refus du recteur de l’Académie de Paris de renouveler en l’état la convention dérogatoire du lycée (juin 2022), le ministère de l’Éducation a diligenté une enquête administrative pour évaluer sa pédagogie : le temps consacré aux ateliers, espaces de découverte et d’ouverture ne nuit-il pas au temps d’apprentissage académique ? L’absence d’obligation de présence pour les élèves n’est-elle pas nuisible ? Etc.

      Isolés du projet d’ensemble — l’apprentissage de l’autonomie et de l’esprit critique —, les points relevés peuvent sembler problématiques. Mais, personnellement, c’est cette pratique de la liberté et de la joie d’apprendre qui m’a permis d’accéder à une vie plus consciente, plus démocratique et épanouie. À ce titre, l’héritage du LAP est infiniment précieux, et il nous faut sauvegarder son indépendance.

    • Le seul lycée autogéré de Paris doit le rester
      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/le-seul-lycee-autogere-de-paris-doit-le-rester-20231123_7NFFIEAB6RDYZKHS2

      Les attaques menées depuis 2022 contre le LAP visent à rentabiliser et à normaliser son fonctionnement. Supprimer la libre fréquentation et l’autogestion par la mise en place d’une autorité institutionnelle reviendrait à vider l’expérience de son contenu, dénonce un collectif de personnalités civiles dont Etienne Balibar, Annie Ernaux, Philippe Meirieu, Nancy Huston ou encore Catherine Corsini.